Traité sur la tolérance/Édition 1763/02
I les Pénitents blancs furent la cauſe du ſupplice d’un innocent, de la ruine totale d’une famille, de ſa diſperſion, & de l’opprobre qui ne devrait être attaché qu’à l’injuſtice, mais qui l’eſt au ſupplice ; ſi cette précipitation des Pénitents blancs à célébrer comme un Saint, celui qu’on aurait dû traîner ſur la claye, a fait rouer un père de famille vertueux ; ce malheur doit ſans doute les rendre pénitents en effet pour le reſte de leur vie : eux & les Juges doivent pleurer, mais non pas avec un long habit blanc & un maſque ſur le viſage, qui cacheraient leurs larmes.
On reſpecte toutes les Confrairies ; elles ſont édifiantes : mais quelque grand bien qu’elles puiſſent faire à l’État, égale-t-il ce mal affreux qu’elles ont cauſé ? Elles ſemblent inſtituées par le zèle qui anime en Languedoc les Catholiques contre ceux que nous nommons Huguenots. On dirait qu’on a fait vœu de haïr ſes frères ; car nous avons aſſez de religion pour haïr & perſécuter, nous n’en avons pas aſſez pour aimer & pour ſecourir. Et que ſerait-ce, ſi ces Confrairies étaient gouvernées par des enthouſiaſtes, comme l’ont été autrefois quelques Congrégations des Artiſans & des Meſſieurs, chez leſquels on réduiſait en art & en ſyſtême l’habitude d’avoir des viſions, comme le dit un de nos plus éloquents & ſavants Magiſtrats ? Que ſerait-ce ſi on établiſſait dans les Confrairies ces chambres obſcures, appellées chambres de méditation, où l’on faiſait peindre des diables armés de cornes & de griffes, des gouffres de flammes, des croix & des poignards, avec le ſaint nom de Jésus au-deſſus du tableau ? Quel ſpectacle pour des yeux déjà faſcinés, & pour des imaginations auſſi enflammées que ſoumiſes à leurs Directeurs !
Il y a eu des temps, on ne le ſait que trop, où des Confrairies ont été dangereuſes. Les Frérots, les Flagellants ont cauſé des troubles. La Ligue commença par de telles aſſociations. Pourquoi ſe diſtinguer ainſi des autres Citoyens ? s’en croyait-on plus parfait ? cela même eſt une inſulte au reſte de la Nation. Voulait-on que tous les Chrétiens entraſſent dans la Confrairie ? Ce ſerait un beau ſpectacle que l’Europe en capuchon & en maſque, avec deux petits trous ronds au-devant des yeux ! Penſe-t-on de bonne foi que Dieu préfère cet accoutrement à un juſtaucorps ? Il y a bien plus ; cet habit eſt un uniforme de Controverſiſtes, qui avertit les Adverſaires de ſe mettre ſous les armes ; il peut exciter une eſpèce de guerre civile dans les eſprits ; elle finirait peut-être par de funeſtes excès, ſi le Roi & ſes Miniſtres n’étaient auſſi ſages que les fanatiques font inſenſés.
On ſait aſſez ce qu’il en a coûté depuis que les Chrétiens diſputent ſur le dogme ; le ſang a coulé, ſoit ſur les échafauds, ſoit dans les batailles, dès le quatrième ſiècle juſqu’à nos jours. Bornons-nous ici aux guerres & aux horreurs que les querelles de la réforme ont excitées, & voyons quelle en a été la ſource en France. Peut-être un tableau raccourci & fidèle de tant de calamités ouvrira les yeux de quelques perſonnes peu inſtruites, & touchera des cœurs bien faits.