Traité sur la tolérance/Édition 1763/17
Mon Révérend Père,
’Obéis aux ordres que Votre Révérence m’a donnés de lui préſenter les moyens les plus propres de délivrer Jésus & ſa Compagnie de leurs ennemis. Je crois qu’il ne reſte plus que cinq cent mille Huguenots dans le Royaume, quelques-uns diſent un million, d’autres quinze cents mille ; mais en quelque nombre qu’ils ſoient, voici mon avis, que je ſoumets très humblement au vôtre, comme je le dois.
1°. Il eſt aiſé d’attraper en un jour tous les Prédicants, & de les pendre tous à la fois dans une même place, non ſeulement pour l’édification publique, mais pour la beauté du ſpectacle.
2°. Je ferais aſſaſſiner dans leurs lits, tous les pères & mères, parce que ſi on les tuait dans les rues, cela pourrait cauſer quelque tumulte ; pluſieurs même pourraient ſe ſauver, ce qu’il faut éviter, ſur toute choſe. Cette exécution eſt un corollaire néceſſaire de nos principes ; car s’il faut tuer un hérétique, comme tant de grands Théologiens le prouvent, il eſt évident qu’il faut les tuer tous.
3°. Je marierais le lendemain toutes les filles à de bons Catholiques, attendu qu’il ne faut pas dépeupler trop l’État après la dernière guerre ; mais à l’égard des garçons de quatorze & quinze ans, déjà imbus de mauvais principes, qu’on ne peut ſe flatter de détruire, mon opinion eſt qu’il faut les châtrer tous, afin que cette engeance ne ſoit jamais reproduite. Pour les autres petits garçons, ils ſeront élevés dans vos Collèges, & on les fouettera juſqu’à ce qu’ils ſachent par cœur les Ouvrages de Sanchez & de Molina.
4°. Je penſe, ſauf correction, qu’il en faut faire autant à tous les Luthériens d’Alſace, attendu que dans l’année 1704, j’aperçus deux vieilles de ce PayS-là qui riaient le jour de la bataille d’Hochſtedt.
5°. L’article des Janſéniſtes paraîtra peut-être un peu plus embarraſſant ; je les crois au nombre de ſix millions, au moins ; mais un eſprit tel que le vôtre ne doit pas s’en effrayer. Je comprends parmi les Janſéniſtes tous les Parlements, qui ſoutiennent ſi indignement les Libertés de l’Égliſe Gallicane. C’eſt à Votre Révérence de peſer avec ſa prudence ordinaire les moyens de vous ſoumettre tous ces eſprits revêches. La conſpiration des poudres n’eut pas le ſuccès déſiré, parce qu’un des Conjurés eut l’indiſcrétion de vouloir ſauver la vie à ſon ami : mais comme vous n’avez point d’ami, le même inconvénient n’eſt point à craindre ; il vous ſera fort aiſé de faire ſauter tous les Parlements du Royaume avec cette invention du Moine Schwarts, qu’on appelle pulvis pyrius. Je calcule qu’il faut, l’un portant l’autre, trente-ſix tonneaux de poudre pour chaque Parlement ; & ainſi en multipliant douze Parlements par trente-ſix tonneaux, cela ne compoſe que quatre cent trente-deux tonneaux, qui, à cent écus pièce, font la ſomme de cent vingt-neuf mille ſix cents livres ; c’eſt une bagatelle pour le Révérend Père Général.
Les Parlements une fois ſautés, vous donnerez leurs Charges à vos Congréganiſtes, qui ſont parfaitement inſtruits des Loix du Royaume.
6°. Il ſera aiſé d’empoiſonner Mr. le Cardinal de Noailles, qui eſt un homme ſimple, & qui ne ſe défie de rien.
Votre Révérence emploiera les mêmes moyens de converſion auprès de quelques Évêques rénitents : leurs Évêchés ſeront mis entre les mains des Jéſuites, moyennant un bref du Pape ; alors tous les Évêques étant du parti de la bonne cauſe, & tous les Curés étant habilement choiſis par les Évêques, voici ce que je conſeille, ſous le bon plaiſir de Votre Révérence.
7°. Comme on dit que les Janſéniſtes communient au moins à Pâques, il ne ſerait pas mal de ſaupoudrer les Hoſties de la drogue dont on ſe ſervit pour faire juſtice de l’Empereur Henri VII. Quelque Critique me dira peut-être, qu’on riſquerait dans cette opération, de donner auſſi la mort aux rats aux Moliniſtes : cette objection eſt forte ; mais il n’y a point de projet qui n’ait des inconvénients, point de ſyſtême qui ne menace ruine par quelque endroit. Si on était arrêté par ces petites difficultés, on ne viendroit jamais à bout de rien : & d’ailleurs, comme il s’agit de procurer le plus grand bien qu’il ſoit poſſible, il ne faut pas ſe ſcandaliſer ſi ce grand bien entraîne après lui quelques mauvaiſes ſuites, qui ne ſont de nulle conſidération.
Nous n’avons rien à nous reprocher : il eſt démontré que tous les prétendus Réformés, tous les Janſéniſtes, ſont dévolus à l’Enfer ; ainſi nous ne faiſons que hâter le moment où ils doivent entrer en poſſeſſion.
Il n’eſt pas moins clair que le Paradis appartient de droit aux Moliniſtes ; donc en les faiſant périr par mégarde, & ſans aucune mauvaiſe intention, nous accélérons leur joye : nous ſommes dans l’un & l’autre cas les Miniſtres de la Providence.
Quant à ceux qui pourraient être un peu effarouchés du nombre, Votre Paternité pourra leur faire remarquer, que depuis les jours floriſſants de l’Égliſe, juſqu’à 1707, c’eſt-à-dire, depuis environ quatorze cents ans, la Théologie a procuré le maſſacre de plus de cinquante millions d’hommes ; & que je ne propoſe d’en étrangler, ou égorger, ou empoiſonner qu’environ ſix millions cinq cent mille.
On nous objectera peut-être encore que mon compte n’eſt pas juſte, & que je viole la règle de trois ; car, dira-t-on, ſi en quatorze cents ans il n’a péri que cinquante millions d’hommes pour des diſtinctions, des dilemmes, & des enthymêmes Théologiques, cela ne fait par année que trente-cinq mille ſept cent quatorze perſonnes, avec fraction ; & qu’ainſi je tue ſix millions ſoixante-quatre mille deux cent quatre-vingt-cinq perſonnes de trop, avec fraction, pour la préſente année. Mais, en vérité, cette chicane eſt bien puérile ; on peut même dire qu’elle eſt impie : car ne voit-on pas par mon procédé que je ſauve la vie à tous les Catholiques juſqu’à la fin du Monde ? On n’aurait jamais fait, ſi on voulait répondre à toutes les critiques.
Je ſuis avec un profond reſpect, de Votre Paternité,
R… natif d’Angoulême, Préfet de
la Congrégation.
Ce projet ne put être exécuté, parce qu’il fallut beaucoup de temps pour prendre de juſtes meſures, & que le Père Le Tellier fut exilé l’année ſuivante. Mais comme il faut examiner le pour & le contre, il eſt bon de rechercher dans quels cas on pourrait légitimement ſuivre en partie les vues du Correſpondant du Père Le Tellier. Il paraît qu’il ſerait dur d’exécuter ce projet dans tous ſes points ; mais il faut voir dans quelles occaſions on doit rouer, ou pendre, ou mettre aux galères les gens qui ne ſont pas de notre avis : c’eſt l’objet du Chapitre ſuivant.