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Traité sur la tolérance/Édition 1763/23

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s.n. (édition originale) (p. 166-168).
CHAPITRE XXIII.
Prière à Dieu.


CE n’eſt donc plus aux hommes que je m’adreſſe, c’eſt à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes & de tous les temps, s’il eſt permis à de faibles créatures perdues dans l’immenſité, & imperceptibles au reſte de l’Univers, d’oſer te demander quelque choſe, à toi qui as tout donné, à toi dont les Décrets ſont immuables comme éternels. Daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ! que ces erreurs ne faſſent point nos calamités ! Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, & des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à ſupporter le fardeau d’une vie pénible & paſſagère ! que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages inſuffiſants, entre tous nos uſages ridicules, entre toutes nos Loix imparfaites, entre toutes nos opinions inſenſées, entre toutes nos conditions ſi diſproportionnées à nos yeux, & ſi égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui diſtinguent les atomes appellés hommes, ne ſoient pas des ſignaux de haine & de perſécution ! que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer, ſupportent ceux qui ſe contentent de la lumière de ton ſoleil ! que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer, ne déteſtent pas ceux qui diſent la même choſe ſous un manteau de laine noire ! qu’il ſoit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne Langue, ou dans un jargon plus nouveau ! que ceux dont l’habit eſt teint en rouge ou en violet, qui dominent ſur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, & qui poſſèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouiſſent ſans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur & richeſſe, & que les autres les voyent ſans envie ! car tu ſais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir.

Puiſſent tous les hommes ſe ſouvenir qu’ils ſont frères ! qu’ils ayent en horreur la tyrannie exercée ſur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage, qui ravit par la force le fruit du travail & de l’induſtrie paiſible ! Si les fléaux de la guerre ſont inévitables, ne nous haïſſons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le ſein de la paix, & employons l’inſtant de notre exiſtence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam juſqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet inſtant !