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Traité sur les apparitions des esprits/II/40

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CHAPITRE XL.

Divers ſyſtêmes pour expliquer le retour des
Revenans.

LA matiére des Revenans ayant fait dans le monde autant de bruit qu’elle en a fait, il n’eſt pas ſurprenant que l’on ait formé tant de divers ſyſtêmes, & qu’on ait propoſé tant de maniéres pour expliquer leur retour & leurs opérations.

Les uns ont crû que c’étoit une réſurrection momentanée cauſée par l’Ame du défunt qui rentroit dans ſon corps, ou par le Démon qui le ranimoit & le faiſoit agir pendant quelque tems, tandis que ſon ſang gardoit ſa conſiſtance & ſa fluidité, & que ſes organes n’étoient point entiérement corrompus & dérangés.

D’autres frappés des ſuites de ce principe & des conſéquences qu’on en pourroit tirer, ont mieux aimé ſuppoſer, que ces Vampires n’étoient pas vraiment morts ; qu’ils conſervoient encore certaines ſemences de vie, & que leurs Ames pouvoient de tems en tems les ranimer & les faire ſortir de leurs tombeaux, pour paroître parmi les hommes ; y prendre quelque nourriture, ſe rafraîchir, y renouveller leur ſuc nourricier & leurs eſprits animaux, en ſuçant le ſang de leurs proches.

On a imprimé depuis peu une Diſſertation ſur l’incertitude des ſignes de la mort, & l’abus des enterremens précipités, par Monſieur Jacques Benigne Vinſlow, Docteur Régent de la Faculté de Médecine de Paris, traduite & commentée par Jacques Jean Bruhier, Docteur en Médecine à Paris, 1742. in-8o. Cet ouvrage peut ſervir à expliquer, comment des perfonnes qu’on a crûes mortes & qu’on a enterrées comme telles, ſe ſont néanmoins trouvées vivantes aſſez long-tems après leurs obſéques & leur enterrement. Cela rendra peut-être le Vampiriſme moins incroyable.

M. Vinſlow, Docteur & Régent de la Faculté de Médecine de Paris, ſoûtint au mois d’Avril 1740. une Théſe, où il demande, ſi les expériences de Chirurgie ſont plus propres que toutes autres à découvrir des marques moins incertaines d’une mort douteuſe. Il y ſoûtint qu’il y a pluſieurs rencontres, où les marques de la mort ſont très douteuſes ; & il produit pluſieurs exemples de perſonnes qu’on a crûes mortes, & qu’on a enterrées comme telles, qui néanmoins ſe ſont enſuite trouvées vivantes.

M. Bruhier Docteur en Médecine a traduit cette Théſe en François, & y a fait des additions ſçavantes, fort propres à fortifier le ſentiment de Monſieur Vinſlow. L’ouvrage eſt très-intéreſſant pour la matiére dont il traite, & fort agréable à lire, par la maniére dont il eſt écrit. Je vais en extraire ce qui peut ſervir à mon ſujet. Je m’attacherai principalement aux faits les plus certains & les plus ſinguliers : car pour les rapporter tous, il faudroit tranſcrire tout le livre.

On ſait que Jean Duns, ſurnommé Scot ou le Docteur ſubtil, eut le malheur d’être enterré vivant à Cologne, & que quand on ouvrit ſon tombeau quelque tems après, on trouva qu’il s’étoit rongé le bras[1]. On raconte la même choſe de l’Empereur Zenon, qui ſe fit entendre du fond de ſon tombeau par des cris réitérés à ceux qui le veilloient. Lanciſi célébre Médecin du Pape Clément XI. raconte, qu’à Rome il a été témoin d’une perſonne de diſtinction qui étoit encore vivante lorſqu’il écrivoit, qui reprit le mouvement & le ſentiment, pendant qu’on chantoit ſon ſervice à l’Egliſe.

Pierre Zacchias, autre célébre Médecin de Rome, dit que dans l’Hôpital du Saint-Eſprit, un jeune homme étant attaqué de peſte, tomba dans une ſyncope ſi entiére, qu’on le crut abſolument mort. Dans le tems qu’on tranſportoit ſon cadavre avec beaucoup d’autres au de-là du Tibre, le jeune homme donna quelques ſignes de vie. On le reporta à l’Hôpital où il guérit. Deux jours après il tomba dans une pareille ſyncope. Pour cette ſois il fut réputé mort ſans

retour : on le mit parmi les autres deſtinés à la ſépulture ; il revint une ſeconde fois, & vivoit encore quand Zacchias écrivoit.

On raconte qu’un nommé Guillaume Foxlei âgé de 40 ans[2], s’étant endormi le 27 Avril 1546. demeura plongé dans ſon ſommeil quatorze jours & quatorze nuits, ſans aucune maladie précédente. Il ne pouvoit ſe perſuader qu’il eût dormi plus d’une nuit ; il ne fut convaincu de ſon long ſommeil, que quand on lui fit voir un bâtiment commencé quelques jours avant ſon aſſoupiſſement, & qu’il vit achever à ſon réveil. On dit que ſous le Pape Gregoire II. un Ecolier dormit ſept ans de ſuite à Lubec. Lilius Giraldus[3] rapporte qu’un payſan dormit toute l’Automne & l’Hyver entier.


  1. Ce fait eſt plus que douteux Bzovius pour l’avoir avancé d’après quelques autres, fut traité de Bovius, c’eſt-à-dire, gros bœuf. Il vaut donc mieux s’en tenir à ce que Moreri en a penſé, « Les ennemis de Scot ont publié, dit-il, qu’ayant été attaqué d’apoplexie, il fut d’abord enterré, & que quelque tems après cet accident étant paſſé, il mourut déſeſpéré, ſe rongeant les mains… Mais on a ſi bien réfuté cette calomnie autoriſée par Paul Jove, Latome & Bzovius, qu’il ne ſe trouve plus perſonne qui veuille y ajouter foi. « 
  2. Larrey, dans Henri VIII. Roi d’Angleterre, p. 536.
  3. Lilius Giraldus, Hiſt. Poët. Dialog. 8.