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Traité sur les apparitions des esprits/II/43

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CHAPITRE XLIII.

Exemples de femmes qu’on a crûes mortes,
& qui ſont revenues.

DE fort habiles Médecins prétendent[1], que dans la ſuffocation de matrice, une femme peut vivre trente jours ſans reſpirer. Je ſais qu’une fort honnête femme fut pendant trente-ſix heures ſans donner aucun ſigne de vie. Tout le monde la croyoit morte ; & on vouloit l’enſévelir : ſon mari s’y oppoſa toûjours. Au bout de trente-ſix heures elle revint, & a vêcu long-tems depuis : elle racontoit qu’elle entendoit fort bien tout ce qu’on diſoit d’elle, & ſçavoit qu’on vouloit l’enſévelir ; mais ſon engourdiſſement étoit tel, qu’elle ne pouvoit le ſurmonter, & auroit laiſſé faire tout ce qu’on auroit voulu ſans la moindre réſiſtance.

Ceci revient à ce que dit ſaint Auguſtin du Prêtre Prétextat, qui dans ſes abſences d’eſprit & ſes ſyncopes entendoit comme de loin ce qu’on diſoit, & cependant ſe ſeroit laiſſé brûler & couper les chairs ſans oppoſition & ſans aucun ſentiment.

Corneille le Bruyn[2] dans ſes voyages raconte qu’il vit à Damiette en Egypte un Turc qu’on appelloit l’Enfant mort, parce que ſa mere étant groſſe de lui, tomba malade, & comme on la crut morte, on l’enterra aſſez promptement, ſuivant la coûtume du pays, où l’on ne laiſſe que peu de tems les morts ſans les enterrer, ſur-tout en tems de peſte. Elle fut miſe dans un caveau que ce Turc avoit pour la ſépulture de ſa famille.

Sur le ſoir, quelques heures après l’enterrement de cette femme, il vint dans l’eſprit du Turc ſon mari, que l’enfant dont elle étoit enceinte pourroit bien être encore vivant ; il fit donc ouvrir le caveau, & trouva que ſa femme s’étoit délivrée, & que ſon enfant étoit vivant, mais la mere étoit morte. Quelques-uns diſoient qu’on avoit entendu crier l’enfant, & que ce fut ſur l’avis qu’on en donna au pere, qu’il fit ouvrir le tombeau. Cet homme ſurnommé l’Enfant mort, vivoit encore en 1677. Le Bruyn croit que la femme étoit morte lorſqu’elle l’enfanta. Mais il n’auroit pas été poſſible qu’étant morte, elle mit ſon enfant au monde. On doit ſe ſouvenir qu’en Egypte, où ceci eſt arrivé, les femmes ont une facilité extraordinaire d’accoucher, comme le témoignent les Anciens & les Modernes, & que cette femme étoit ſimplement enfermée dans un caveau, ſans être couverte de terre.

Une femme groſſe de Strasbourg réputée morte, fut enterrée dans un ſouterrain[3]. Au bout de quelque tems ce caveau ayant été ouvert pour y mettre un autre corps, on trouva la femme hors de ſon cercueil couchée par terre, ayant entre les mains un enfant dont elle s’étoit délivrée, & dont elle tenoit le bras dans la bouche, comme ſi elle eût voulu le manger.

Une autre femme Eſpagnole, Epouſe de François Arevallos de Suaſſe[4], étant morte, ou réputée telle dans les derniers mois de ſa groſſeſſe, fut miſe en terre : ſon mari qu’on avoit envoyé chercher a la campagne, où il étoit pour affaire, voulut voir ſa femme à l’Egliſe, & la fit exhumer ; à peine eut-on ouvert le cercueil qu’on ouit le cri d’un enfant, qui faiſoit effort pour ſortir du ſein de ſa mere.

On l’en tira vivant, & il a vêcu long-tems depuis ſous le nom d’enfant de la terre. On l’a vû depuis Lieutenant Général de la ville de Xerez de la frontiere en Eſpagne. On pourroit multiplier à l’infini les exemples de perſonnes enterrées toutes vivantes, & d’autres qui ſont revenues comme on les portoit au tombeau, ou qui ont été tirées du tombeau par des cas fortuits.

On peut conſulter ſur cela le nouvel ouvrage de Meſſieurs Vinſlow & Bruyer, & les Auteurs qui ont traité cette matiere exprès[5]. Ces Meſſieurs les Médecins tirent de-là une conſéquence fort ſage & fort judicieuſe, qui eſt qu’on ne doit enterrer les hommes que quand on eſt bien aſſuré de leur mort, ſur-tout dans les tems de peſte, & dans certaines maladies qui font perdre tout-à-coup le mouvement & le ſentiment.


  1. Le Clerc, Hiſt. de la Médecine.
  2. Corneille le Bruyn. t. I. pag. 579.
  3. Cronſtaud, Philoſoph. veter. reſtit.
  4. Gaſpard Reïes, campus Elyſius jucund.
  5. Page 167. des additions de M. Bruhier.