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Traité sur les apparitions des esprits/II/53

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CHAPITRE LIII.

Exemples de Reſſuſcités, qui racontent ce
qu’ils ont vû dans l’autre vie.

NOus venons de voir que les Vampires ou Revenans ne parlent jamais de l’autre vie, ne demandent ni Meſſes ni prieres, ne donnent aucun avis aux vivans pour les porter à la correction de leurs mœurs, ni pour les amener à une meilleure vie. C’eſt aſſûrément un grand préjugé contre la réalité de leur retour de l’autre monde ; mais leur ſilence ſur cet article peut favoriſer l’opinion, qui veut qu’ils ne ſoient pas véritablement morts.

Il eſt vrai, que nous ne liſons pas non plus que Lazare reſſuſcité par Jeſus-Chriſt[1], ni le Fils de la Veuve de Naïm[2], ni celui de la femme de Sunam reſſuſcité par Eliſée[3], ni cet Iſraélite qui reçut la vie par l’attouchement du corps du même Prophéte Eliſée[4], ayent après leur réſurrection rien découvert aux hommes de l’état des Ames en l’autre monde.

Mais nous voyons dans l’Evangile[5], que le mauvais Riche ayant prié Abraham de lui permettre d’envoyer quelqu’un dans le monde, pour avertir ſes freres de mieux vivre, & prendre garde de ne pas tomber dans le malheureux état où il ſe trouvoit lui-même, il lui fut répondu : Ils ont la Loi & les Prophétes ; ils peuvent les écouter & ſuivre leurs inſtructions. Et comme le mauvais Riche inſiſtoit, en diſant : Si quelqu’un revenoit de l’autre vie, ils en ſeroient plus touchés ; Abraham répondit : s’ils n’ont pas voulu écouter ni Moïſe ni les Prophétes, ils n’écouteront pas davantage un homme qui reviendroit de l’autre monde. Le mort reſſuſcité par ſaint Staniſlas répondit de même à ceux qui lui demandoient des nouvelles de l’autre vie : vous avez la Loi, les Prophétes & l’Evangile ; écoutez-les.

Les Payens décédés qui ſont revenus en vie, & quelques Chrétiens qui ſont de même retournés au monde par une eſpece de réſurrection, & qui ont vû ce qui ſe paſſoit hors de ce monde, ne ſont pas demeurés dans le ſilence ; ils ont raconté au long ce qu’ils ont vû & entendu au ſortir de leurs corps.

Nous avons déja touché l’Hiſtoire d’un nommé Eros Armenien, du pays de Pamphilie[6], qui ayant été bleſſé dans une bataille, fut trouvé dix jours après parmi les morts. On le porta dans ſa maiſon ſans connoiſſance & ſans mouvement. Deux jours après, quand on voulut le mettre ſur le bûcher pour le brûler, il reſſuſcita, commença à parler, & à raconter de quelle maniere les hommes étoient jugés après leur mort, & comment les bons étoient récompenſés, & les méchans punis & tourmentés.

Il dit que ſon ame étant ſéparée du corps, ſe rendit en grande compagnie dans un lieu agréable, où ils virent comme deux grandes ouvertures, qui donnoient entrée à ceux qui venoient de deſſus la terre, & deux autres ouvertures pour aller au Ciel. Il vit en cet endroit des Juges qui examinoient ceux qui venoient de ce monde, & envoyoient en haut à la droite ceux qui avoient bien vêcu, & renvoyoient en bas à la gauche ceux qui ſe trouvoient coupables de crimes ; chacun d’eux portoit derriere ſoi un écriteau, où étoit marqué ce qu’il avoit fait de bien ou de mal, la cauſe de ſa condamnation, ou de ſon abſolution.

Quand le tour d’Eros fut venu, les Juges lui dirent, qu’il falloit qu’il retournât ſur la terre, pour annoncer aux hommes ce qui ſe paſſoit dans l’autre vie, & qu’il eût à bien obſerver toutes choſes pour en rendre un compte fidéle aux vivans. Il fut donc témoin de l’état malheureux des méchans, qui devoit durer pendant mille ans, & des délices dont jouiſſoient les juſtes ; que tant les bons que les méchans recevoient ou la récompenſe, ou la peine de leurs bonnes ou mauvaiſes actions, dix fois plus grande que n’étoit la meſure de leurs crimes, ou de toutes leurs vertus.

Il remarqua, entr’autres, que les Juges demandoient, où étoit un nommé Andée, homme célébre dans la Pamphilie pour ſes crimes & ſa tyrannie. On leur répondit, qu’il n’étoit pas encore venu, & qu’il ne viendroit pas ; en effet s’étant préſenté à grande peine & par de grands efforts ſur la grande ouverture dont on a parlé, il fut repouſſé & renvoyé en bas avec d’autres ſcélérats comme lui, que l’on tourmentoit de mille manieres différentes, & que l’on repouſſoit toujours avec violence, lorſqu’ils s’efforçoient de remonter.

Il vit de plus les trois Parques, filles de la Néceſſité ou du Deſtin. Ces filles ſont Lachéſis, Clotho & Atropos. Lachéſis aunonçoit les choſes paſſées, Clotho les préſentes, & Atropos les futures. Les Ames étoient obligées de comparoître devant ces trois Déeſſes. Lachéſis jettoit les ſorts en l’air, & chaque Ame ſaiſiſſoit celui qu’elle pouvoit atteindre ; ce qui n’empêchoit pas que chacun ne pût encore choiſir le genre de vie, qui étoit le plus conforme à la juſtice & à la raiſon.

Eros ajoutoit, qu’il avoit remarqué des Ames qui cherchoient à entrer dans des animaux ; par exemple, Orphée en haine du ſexe féminin, qui l’avoit fait mourir, entra dans un cygne, & Thamiris dans un roſſignol. Ajax fils de Telamon choiſit le corps d’un lion, en haine de l’injuſtice des Grecs, qui lui avoient refuſé les armes d’Hector, qu’il prétendoit lui être dûes. Agamemnon par chagrin des traverſes qu’il avoit eſſuyées dans la vie, choiſit le corps de l’aigle. Atalante choiſit la vie des Athlétes, charmée des honneurs dont ils ſont comblés ; Therſite le plus laid des mortels, celle d’un ſinge. Ulyſſe ennuyé des maux qu’il avoit ſoufferts ſur la terre, demanda de vivre en homme privé & ſans embarras. Il eut peine à trouver un ſort pour ce genre de vie ; il le rencontra enfin jetté par terre & négligé, & le ramaſſa avec joie.

Eros aſſuroit auſſi qu’il y avoit des Ames de bêtes, qui entroient dans les corps des hommes ; & au contraire que les Ames des méchans entroient dans des animaux farouches & cruels, & les Ames des hommes juſtes dans des animaux doux, apprivoiſés & domeſtiques.

Après ces diverſes métempſycoſes, Lachéſis donnoit à chacun ſon gardien ou ſon défenſeur, qui le conduiſoit & le gardoit pendant le cours de ſa vie. Eros fut enſuite conduit au fleuve d’oubli, qui ôte la mémoire de toutes choſes ; mais on l’empêcha d’en boire : enfin il diſoit qu’il ne ſauroit dire, comment il étoit revenu en vie.

Platon après avoir rapporté cette fable, comme il l’appelle ou cet apologue, en conclut, que l’Ame eſt donc immortelle, & que pour arriver à la vie bien-heureuſe, nous devons vivre dans la juſtice, qui nous conduit aux Cieux, où nous jouirons de cette béatitude de mille ans qui nous eſt promiſe.

On voit ici 1. Qu’un homme peut vivre aſſez long-tems ſans donner aucun ſigne de vie, ſans manger, ſans reſpirer. 2. Que les Grecs croyoient la métempſycoſe, la béatitude pour les juſtes, & les peines de mille ans pour les méchans. 3. Que le deſtin n’empêchoit pas que l’homme ne pût faire le bien ou le mal. 4. Qu’il avoit un Génie, ou un Ange qui le gardoit & le conduiſoit. Ils croyoient un jugement après la mort, & que les Ames des juſtes étoient reçues dans ce qu’ils appelloient les champs Eliſées.


  1. Joan. 11. 14.
  2. Luc. vij. 11. 12.
  3. IV. Reg. iv. 25.
  4. IV. Reg. xiij. 21.
  5. Luc. xvj. 24.
  6. Plato, lib. 10. de Rep. pag. 614.