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Traité sur les apparitions des esprits/II/57

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CHAPITRE LVII.

Viſion de ſaint Furſi.

LA vie de S. Furſi[1], qui a été écrite peu après ſa mort arrivée vers l’an 653. rapporte pluſieurs viſions de ce ſaint Homme. Etant tombé griévement malade, & ne pouvant plus ſe remuer, il ſe vit au milieu des ténébres comme ſoulevé par les mains de trois Anges, qui l’enleverent hors du monde, puis l’y ramenerent, & firent rentrer ſon ame dans ſon corps pour y achever ce à quoi Dieu le deſtinoit. Alors il ſe trouva au milieu de pluſieurs perſonnes, qui le pleuroient comme mort, & lui raconterent comment la veille tout d’un coup il étoit tombé en défaillance, en ſorte qu’on le crut décédé. Il auroit ſouhaité avoir quelques perſonnes intelligentes pour leur raconter ce qu’il avoit vû. Mais n’ayant perſonne auprès de lui que des gens ruſtiques, il demanda & reçut la Communion du Corps & du Sang du Sauveur, & vécut encore trois jours.

Le Mardi ſuivant il tomba dans une pareille défaillance au milieu de la nuit : ſes pieds devinrent froids, & élévant les mains pour prier, il reçut la mort avec joie ; puis il vit deſcendre les mêmes trois Anges, qui l’avoient déja conduit. Ils l’éleverent comme la premiére fois ; mais au lieu des chants mélodieux & agréables qu’il avoit ouis, il n’entendit que des hurlemens effroyables des Démons, qui commencerent à combattre contre lui, & à lui lancer des traits enflammés. L’Ange du Seigneur les recevoit ſur ſon bouclier, & les éteignoit. Le Démon reprocha à Furſi quelques mauvaiſes penſées & quelques foibleſſes humaines ; mais les Anges le défendirent, diſant : s’il n’a point commis de péchés capitaux, il ne périra point.

Le Démon ne pouvant rien lui reprocher qui fût digne de la mort éternelle, il vit deux Saints de ſon pays, ſaint Béan & ſaint Médan, qui le conſolerent, & lui annoncerent les maux dont Dieu devoit punir les hommes, à cauſe principalement des péchés des Docteurs qui ſont dans l’Egliſe, & des Princes qui gouvernent les peuples ; les Docteurs pour leur négligence à annoncer la parole de Dieu, & les Princes pour les mauvais exemples qu’ils donnent à leurs peuples. Après quoi ils le renvoyerent dans ſon corps.

Il y rentra avec répugnance, & commença à raconter tout ce qu’il avoit vû. On lui verſa de l’eau vive ſur le corps, & il ſentit une grande chaleur entre les deux épaules. Après cela il ſe mit à prêcher par toute l’Hibernie ; & Bede le Vénérable[2] dit, qu’il y avoit dans ſon Monaſtére un ancien Moine, qui diſoit avoir appris d’une perſonne très-grave & très-digne de foi, qu’elle avoit oui raconter ces viſions par ſaint Furſi lui-même. Ce Saint ne doutoit pas que ſon ame ne fût ſéparée de ſon corps, lorſqu’il fut ravi en extaſe.

  1. Vita Sti. Furſci, apud Bolland. 16. Januarii. pag. 37. 38. Item pag. 47. 78. ſæcul. xj. Bened. pag. 299.
  2. Beda, lib. 3. Hiſt. c. 19.