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Traité sur les apparitions des esprits/II/58

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CHAPITRE LVIII.

Viſion d’un Proteſtant d’York, & autres.

VOici un autre exemple arrivé en 1698. à un Prétendu Réformé[1]. Un Miniſtre de la Province d’York, du lieu nommé Hipley, & qui s’appelloit Henri Vatz, étant tombé le 15 d’Août en apoplexie, fut mis le 17. dans un cercueil pour être enterré. Mais comme on alloit le mettre dans la foſſe, il jetta un grand cri, qui effraya tous les gens du convoi ; on le tira promptement hors du cercueil, & dès-qu’il fut revenu à lui, il raconta pluſieurs choſes ſurprenantes, qu’il diſoit lui avoir été révélées pendant ſon extaſe, qui dura quarante huit heures. Le 24 du même mois, il fit un diſcours fort touchant à ceux qui l’avoient accompagné le jour qu’on le portoit au tombeau.

On traitera, ſi l’on veut, tout ce que nous venons de raconter de viſions & de contes ; mais on ne peut nier, qu’on ne reconnoiſſe dans ces réſurrections & dans ces récits des hommes revenus après leur mort vraie ou apparente, la créance de l’Egliſe ſur l’Enfer, ſur le Paradis, le Purgatoire, l’efficace des priéres pour les morts, & les apparitions des Anges & des Démons, qui tourmentent les damnés, & les ames à qui il reſte quelque choſe à expier dans l’autre vie.

On y voit auſſi ce qui a un rapport viſible à la matiére que nous traitons ici, des perſonnes réellement mortes, & d’autres tenues pour mortes, qui reviennent en ſanté, & vivent encore aſſez long-tems. Enfin on y remarque les ſentimens ſur l’état des ames après cette vie, à peu près les mêmes chez les Hébreux, les Egyptiens, les Grecs, les Romains, les Peuples barbares, & les Chrétiens. Si les Revenans de Hongrie ne parlent pas de ce qu’ils ont vû en l’autre vie, c’eſt ou qu’ils ne ſont pas vraiment morts, ou plutôt que tout ce qu’on raconte des Revenans eſt fabuleux & chimérique. J’ajouterai encore ici quelques exemples, qui ſerviront à conſtater la croyance de la primitive Egliſe au ſujet des Apparitions.

Sainte Perpétue, qui ſouffrit le Martyre en Afrique en 202, ou 203. étant en priſon pour la foi, vit ſon frere nommé Dinocrate, qui étoit mort âgé d’environ ſept ans d’un cancer à la joue : elle le vit comme dans un fort grand éloignement ; enſorte qu’ils ne pouvoient s’approcher. Il étoit comme dans un réſervoir d’eau, mais dont les bords étoient plus élevés que lui, enſorte qu’il ne pouvoit atteindre à l’eau dont il paroiſſoit fort altéré. Perpétue en fut très-ſenſiblement touchée, & commença à prier Dieu avec beaucoup de larmes & de gémiſſemens pour ſon ſoulagement. Quelques jours après elle vit en eſprit le même Dinocrate bien vêtu, lavé, & rafraîchi, & l’eau de la piſcine où il étoit, qui ne lui venoit plus que juſqu’au nombril, & au bord une coupe dans laquelle il buvoit, ſans que l’eau en diminuât, & la peau du cancer de ſa joue bien guérie, en ſorte qu’il n’en reſtoit que la cicatrice. Elle comprit parlà que Dinocrate étoit hors de peine.

Dinocrate étoit-là apparemment[2] pour expier quelques fautes qu’il avoit commiſes depuis ſon Baptême : car Perpetue dit un peu plus haut, qu’il n’y avoit que ſon pere qui fût demeuré dans l’infidélité.

La même ſainte Perpétue étant dans la priſon quelques jours avant ſon Martyre[3], eut une viſion du Diacre Pomponius, qui avoit ſouffert le Martyre quelque tems auparavant, & qui lui dit : Venez, nous vous attendons. Il la mena par un chemin fort tortueux & fort difficile, juſques dans l’amphithéâtre, où elle eut à combattre contre un Egyptien fort laid, accompagné de quelques autres hommes comme lui. Perpétue ſe trouva changée en homme, & commença à combattre nuë, aidée de quelques jeunes hommes fort bien faits, qui étoient venus à ſon ſervice & à ſon ſecours.

Alors elle vit paroître un homme d’une taille extraordinaire, qui cria à haute voix : ſi l’Egyptien remporte la victoire ſur celle-ci, il la tuera de ſon épée ; mais ſi elle le ſurmonte, elle aura pour récompenſe cette branche ornée de pommes d’or. Perpétue commença à le combattre, & l’ayant terraſſé, lui marche ſur la tête. Le peuple lui cria victoire, & Perpétue s’approchant de celui qui tenoit la branche dont on a parlé, il la lui mit en main, & lui dit : La paix ſoit avec vous. Alors Perpétue s’éveilla, & comprit qu’elle auroit à combattre non contre les bêtes, mais contre le Démon.

Sature, un des compagnons du Martyre de ſainte Perpétue, eut auſſi une viſion qu’il raconta ainſi. Nous avions ſouffert le Martyre, & nous étions dégagés de cette chair mortelle. Quatre Anges nous porterent vers l’Orient, ſans nous toucher. Nous arrivâmes en un lieu où brilloit une clarté immenſe. Perpétue étoit à mon côté ; je lui dis : Voilà ce que le Seigneur nous promettoit.

Nous entrâmes dans un grand jardin rempli d’arbres & de fleurs ; les quatre Anges qui nous avoient portés, nous mirent entre les mains d’autres Anges, qui nous menerent par un chemin fort ſpatieux dans un lieu, où nous trouvâmes Joconde, Saturnin, & Artaze, qui avoient ſouffert avant nous, & qui nous inviterent à venir ſaluer le Seigneur. Nous les ſuivîmes, & vîmes au milieu de ce lieu le Tout-Puiſſant environné d’une lumiére immenſe, & nous ouimes qu’on diſoit ſans ceſſe autour de lui : Saint, Saint, Saint. On nous éléva vers lui : nous nous arrêtâmes devant ſon Trône, nous lui donnâmes le baiſer, il nous paſſa la main ſur le viſage. Nous ſortîmes, & nous vîmes devant la porte l’Evêque Optat, & le Prêtre Aſpaſe, qui ſe jetterent à nos pieds : nous les relevâmes, nous nous embraſſâmes ; nous reconnûmes en ce lieu pluſieurs de nos freres & quelques Martyrs. Telle fut la viſion de Sature.

Voilà des viſions de toutes ſortes ; de Saints Martyrs, & de Saints Anges. On raconte de S. Exupere Evêque de Toulouſe[4], qu’ayant conçu le deſſein de tranſférer les Reliques de ſaint Saturnin ancien Evêque de cette Egliſe, pour les placer dans une nouvelle Egliſe bâtie en ſon honneur, il avoit peine à ſe réſoudre à tirer ce ſaint corps du tombeau, craignant de déplaire au Saint, ou de diminuer l’honneur, qui lui étoit dû. Mais dans ce doute il eut une viſion, qui lui fit entendre que cette tranſlation ne pouvoit ni nuire au reſpect qui étoit dû aux cendres du ſaint Martyr, ni préjudicier à ſon honneur ; qu’au contraire elle contribueroit au ſalut des Fidéles & à la plus grande gloire de Dieu.

Quelques jours avant[5] que S. Cyprien Evêque de Carthage ſouffrit le Martyre en 258. il eut une viſion n’étant pas encore entiérement endormi, dans laquelle un jeune homme d’une taille extraordinairement grande ſembla le conduire au Prétoire devant le Proconſul aſſis ſur ſon tribunal. Ce Magiſtrat ayant apperçu Cyprien, commença à écrire ſa ſentence, avant qu’il l’eût interrogé à l’ordinaire. Cyprien ne ſavoit ce que portoit la ſentence. Mais le jeune homme dont on a parlé, & qui étoit derriére le juge, fit ſigne à Cyprien en ouvrant la main & l’étendant en forme d’épée, qu’il étoit condamné à avoir la tête tranchée.

Cyprien comprit aiſément ce qu’il vouloit dire par ce ſigne, & ayant demandé avec beaucoup d’inſtance qu’on lui accordât un jour de délai pour mettre ordre à ſes affaires, le juge lui ayant accordé ſa demande, écrivit de nouveau ſur ſes tablettes, & le jeune homme par le mouvement de ſa main lui fit connoître qu’on lui avoit accordé un jour de délai. Ces prédictions furent exactement ſuivies de l’effet. On en voit beaucoup d’autres dans les ouvrages de S. Cyprien.

Saint Fructueux, Evêque de Tarragone[6], qui ſouffrit le Martyre en 259. fut vû après ſa mort montant au Ciel, avec ſes Diacres qui avoient ſouffert avec lui ; ils apparurent comme étant encore attachés aux pieux après leſquels ils avoient été brûlés. Ils furent vûs par deux Chrétiens qui les montrerent à la femme & à la fille d’Emilien, qui les avoit condamnés. Le Saint ſe fit voir à Emilien lui-même & aux Chrétiens, qui avoient enlevé leurs cendres, & leur ordonna de les raſſembler toutes en un même lieu.

On voit de pareilles apparitions[7] dans les Actes de S. Jacques, de S. Marien Martyrs & de quelques autres, qui ſouffrirent dans la Numidie en 259. On en remarque de pareilles[8] dans les Actes des ſaints Montan, Lucius & autres Martyrs d’Afrique en 259. ou 260. & dans ceux de ſaint Vincent Martyr en Eſpagne en 304. & dans la vie de S. Théodore Martyr en 306. dont S. Grégoire de Niſſe a écrit la paſſion. Tout le monde ſait ce qui arriva à Sebaſte en Arménie dans le Martyre des fameux quarante Martyrs dont S. Baſile le Grand a écrit l’éloge. L’un des 40. vaincu par l’excès du froid qui étoit extrême, ſe jetta dans un bain chaud qui étoit préparé là auprès. Alors celui qui les gardoit ayant apperçu des Anges qui apportoient des couronnes aux 39. qui avoient perſévéré dans leurs ſouffrances, ſe dépouilla, ſe joignit à eux & ſe déclara Chrétien.

Tous ces exemples prouvent invinciblement au moins que dans les premiers ſiécles de l’Egliſe, les plus grands & les plus ſavans Evêques, les Saints Martyrs, & le commun des Fidéles, étoient très-perſuadés de la poſſibilité & de la réalité des apparitions.

  1. Larrey, Hiſt. de Louis xiv. an 1698. p. 68.
  2. Aug. l. I. de origine animæ.
  3. Ibid. pag. 97.
  4. Ibid. pag. 132.
  5. Acta Martyr. Sincera, p. 212. Vita & paſſio. S. Cypriani, p. 268.
  6. Ibid. p. 219. & 221.
  7. Ibid. p. 226.
  8. Item, p. 231. 232. 233. 237.