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Traité sur les apparitions des esprits/II/64

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LETTRE

DE M. LE MARQUIS
MAFFEI,
SUR LA MAGIE.

MON REVEREND PERE,

C’eſt aux bontés de votre Révérence à mon égard, que je dois attribuer la curioſité qu’elle paroît avoir de ſçavoir ce que je penſe au ſujet du livre, que le ſieur Jérôme Tartarotti vient de mettre au jour ſur les Aſſemblées nocturnes des Sorciers. J’y réponds avec le plus grand plaiſir ; & je vais vous en dire mon avis dans le plus grand détail, à condition que vous examinerez ce que je vous en écrirai avec votre pénétration ordinaire, & que vous me direz franchement ce que vous y remarquerez de bien ou de mal, & ce qui vous paroîtra mériter votre approbation ou votre cenſure. J’avois déja lû ce livre, & j’en avois fait l’éloge, tant pour la grande érudition que l’Auteur y fait paroître, que parce qu’il y réfute très-ſenſément quelques opinions ridicules, dont on eſt infatué au ſujet des Sorciers & de quelques autres abus auſſi dangereux. Mais, à dire la vérité, j’avoue qu’à cela près, je ſuis très-peu porté à l’approuver ; ſi M. Muratori l’a fait par ſa lettre qui a été vûe de pluſieurs perſonnes, ou bien il n’a pas lû l’Ouvrage en entier, ou nous ſommes en cela lui & moi d’un ſentiment tout différent. A l’égard du mien, votre Révérence va voir par ce que je lui dirai, qu’il ne s’éloigne point de celui qu’elle a elle même ſur cette matiere, tel qu’elle m’a fait la grace de me le marquer par ſa lettre.

I. Dans cet Ouvrage on ſuppoſe d’abord comme un principe certain & indubitable l’exiſtence & la réalité de la Magie, & la vérité des effets qu’elle produit, ſupérieurs, dit-on, à toutes les forces naturelles : on lui donne le nom de Magie diabolique ; & on la définit, la connoiſſance de certaines pratique ſuperſtitieuſes, telles que des paroles, des vers, des caracteres, des images, des ſignes ; &c. par le moyen deſquelles les Magiciens viennent à tout de leurs deſſeins. Pour moi, je ſuis fort porté à croire que toute la ſcience des prétendus Magiciens n’aboutit qu’à tromper les autres, & à les tromper peut-être eux-mêmes ; & que cette Magie aujourd’hui tant vantée n’eſt autre choſe qu’une pure chimere. Peut-être même ſeroit-ce ſe donner aujourd’hui une peine fort inutile, d’entreprendre de montrer que tout ce qu’on raconte de ces Hipogryphes[1] nocturnes, de ces prétendus voyages au travers des airs, de ces aſſemblées & de ces feſtins des Sorciers, n’eſt que vanité & pure imagination ; parce que ces fables détruites n’empêcheront point qu’il n’en reſte encore une infinité d’autres, qu’on a débitées & qui ſe ſont répandues ſur le même ſujet, & qui quoique plus folles & plus ridicules que tout ce que nous liſons d’extravagant dans les Romans, ſont d’autant plus dangereuſes, qu’elles ſe font croire plus facilement. Ce ſeroit, au ſentiment de bien des gens, faire trop d’honneur à ces ſortes de contes, de s’attacher à les réfuter ſérieuſément ; n’y ayant aujourd’hui perſonne, du moins en Italie, même parmi le peuple, pour peu qu’il ait de ſens commun, qui ne ſe moque de tout ce qui ſe dit du Sabbat, & de ces troupes de Sorciers qui vont la nuit par les airs s’aſſembler dans des lieux écartés pour y danſer. Il eſt vrai que malgré cela pour peu qu’un homme accrédité, ſoit parmi les Sçavans, ſoit parmi les perſonnes conſtituées en dignité, ſoutienne un ſentiment, quel qu’extravagant qu’il ſoit, il trouvera auſſitôt des partiſans : on aura beau écrire ou parler au contraire, il n’en ſera pas moins ſuivi ; & il n’eſt gueres poſſible que les choſes ſoient autrement, tant il y a de têtes & de manieres de penſer différentes. Mais il ne s’agit ici que de l’opinion commune, & de ce que l’on croit le plus univerſellement. Mon deſſein n’eſt point de compoſer un Ouvrage exprès ſur la Magie, ni de m’étendre fort au long ſur cette matiére ; j’expoſerai ſeulement ici en peu de mots les raiſons qui m’obligent à m’en mocquer, & qui me font grandement pencher vers le ſentiment de ceux qui ne la regardent que comme une pure illuſion & une vraie chimere. Je ſuis bien-aiſe d’avertir d’abord, qu’on ne doit pas ſe laiſſer éblouir par la vérité des opérations magiques rapportées dans l’Ancien Teſtament, comme ſi de-là on pouvoit tirer un argument concluant pour prouver la réalité de la prétendue Magie de notre tems.

C’eſt ce que je montrerai clairement dans la ſuite de ce diſcours, où j’eſpere faire voir, que mon opinion à ce ſujet eſt conforme à l’Ecriture, & fondée ſur la tradition des Peres. Parlons donc à préſent des Magiciens modernes.

II. S’il y a quelque réalité dans cet Art auquel on attribue tant de merveilles, il doit être l’effet ou d’un ſçavoir acquis par l’étude, ou de l’impiété de quiconque renonce à ce qu’il doit à Dieu pour ſe donner au Démon & pour l’invoquer. Il ſemble en effet qu’on veuille quelquefois l’attribuer à une connoiſſance acquiſe, puiſque dans le Livre que je combats, on parle ſouvent des vrais myſteres de l’Art magique, & qu’on y aſſure que peu de gens ſont parfaitement inſtruits des principes ſecrets & difficiles de cette ſcience ; ce qui n’eſt pas ſurprenant, dit-on, puiſque la vie de l’homme ſuffiroit à peine, pour lire tous les livres qui en ont traité. On l’appelle quelquefois la ſcience magique, ou la Philoſophie magique : on en fait remonter l’origine juſqu’au Philoſophe Pythagore ; on regarde l’ignorance de l’Art Magique, comme une des raiſons du petit nombre de Magiciens qu’on voit de nos jours. On ne parle que de l’échelle myſtérieuſe renfermée par Orphée dans l’unité, dans les nombres de deux & de douze ; de l’harmonie de la nature, compoſée des parties proportionnelles, qui font l’octave ou la double, & la quinte ou l’une & demie ; de noms étranges & barbares qui ne ſignifient rien, & auxquels on attribue des vertus ſurnaturelles ; du concert des parties inférieures & ſupérieures de cet univers, qui quand on le comprend, fait par le moyen de certaines paroles ou de certaines pierres entretenir commerce avec les ſubſtances inviſibles ; de nombres & de ſignes, qui répondent aux Eſprits leſquels préfident aux différens jours, ou aux diverſes parties du corps ; de cercles, de triangles & de pentagones, qui ont le pouvoir de lier les Eſprits ; & de pluſieurs autres ſecrets de même nature, fort ridicules, à dire le vrai, maistrès-propres à en impoſer à ceux qui admirent tout ce qu’ils n’entendent point.

III. Mais de quelqu’épaiſſes ténebres, que la nature ſoit pour nous couverte & quoique nous ne connoiſſions que fort imparfaitement les principes & les propriétés eſſentielles des choſes, qui ne voit cependant qu’il ne peut y avoir aucune proportion, aucun rapport, entre des cercles & des triangles que nous traçons, ou de grands mots qui ne ſignifient rien, & les Eſprits immatériels ? Peut-on ne pas concevoir que c’eſt une folie de croire que par le moyen de quelques herbes, de certaines pierres, de certains ſignes ou caracteres, on ſe fera obéir des ſubſtances inviſibles qui nous ſont inconnues ? Que l’homme étudie tant qu’il voudra la prétendue ame du monde, l’harmonie de la nature, le concert & l’influence de toutes les parties qui la compoſent, n’eſt-il pas évident qu’il ne retirera de ſon travail que des termes & des mots, & jamais aucuns effets qui ſoient au deſſus des forces naturelles de l’homme ? Pour ſe convaincre de cette vérité, il ſuffit d’obſerver que les prétendus Magiciens ne ſont & n’ont jamais été rien moins que des gens ſçavans, mais au contraire des hommes fort ignorans & ſans lettres. Eſt-il croyable que tant de gens célebres, anciens & modernes, tant d’hommes fameux & verſés en tout genre de littérature, n’euſſent jamais pû ou voulu ſonder les ſecrets myſteres de cet art & les pénétrer ; & que de tant de Philoſophes dont parle Diogene Laërce, ni Platon, ni Ariſtote, ni aucun autre ne nous en eût pas laiſſé quelque traité ? Il ſeroit inutile de vouloir ſe rejetter ſur ce que le monde en penſoit alors. Ne ſçait-on pas de combien d’erreurs il a été infatué dans tous les tems, & qui pour être communes n’en étoient pas moins des erreurs ? Ne croyoit-on pas généralement autrefois qu’il n’y avoit point d’antipodes ; que ſelon que les poulets ſacrés avoient mangé ou non, il étoit permis ou défendu d’en venir aux mains avec l’ennemi ; que les ſtatues des Dieux avoient parlé, ou changé de ſituation ? Que l’on joigne à tout cela toutes les fourberies & les ſubtilités, que les charlatans mettoient en uſage pour tromper les peuples & leur faire illuſion : après cela ſera-t’on ſurpris qu’ils ayent réuſſi à leur en impoſer & à leur en faire accroire ? Mais qu’on ne s’imagine pas pourtant que tout le monde ait été leur dupe, & que parmi tant de gens crédules & aveugles il ne ſe ſoit pas toujours trouvé des hommes ſenſés & clairvoyans, qui ayent apperçu la vérité.

IV. Pour nous en convaincre, conſidérens ſeulement ce qu’en a penſé un Ancien des plus ſçavans, & l’on peut dire un des plus curieux & des plus attentifs obſervateurs des merveilles de la nature. Je parle de Pline, qui s’exprime ainſi au commencement de ſon trentieme livre[2] : juſqu’ici j’ai fait voir dans cet ouvrage toutes les fois qu’il a été néceſſaire & que l’occaſion s’en eſt préſentée, combien il y a peu de réalité dans tout ce qui ſe dit de la Magie ; & je continuerai à le faire encore dans la ſuite. Mais parce que pendant pluſieurs ſiecles cet art de tous le plus trompeur a été en grand crédit chez pluſieurs peuples, je penſe qu’il eſt à propos d’en parler plus au long. Il avoit déja dit ailleurs[3] : Il n’y a point d’hommes plus habiles que les Magiciens à cacher leurs fourberies ; & dans ſept à huit autres endroits[4] il s’attache à relever leurs menſonges, leurs tromperies, la vanité de leur art, & à s’en mocquer. Mais à quoi l’on doit ſurtout faire attention, c’eſt à un argument invincible qu’il rapporte contre cet art prétendu. Car après avoir fait l’énumération des diverſes eſpeces de Magie que l’on employoit avec différentes ſortes d’inſtrumens, & de pluſieurs maniéres différentes, & dont on ſe promettoit des effets tout divins[5], c’eſt-à-dire ſupérieurs à toutes les forces de la nature, même de pouvoir s’entretenir avec les manes & les ames des morts ; il ajoûte[6] : Mais de nos jours l’Empereur Néron a découvert, qu’en tout cela il n’y a que tromperie & que vanité. Jamais Prince, dit-il un peu plus bas[7], ne rechercha avec plus d’empreſſement à ſe rendre habile dans aucun autre art ; & comme il étoit le maître du monde, il eſt certain qu’il ne manqua ni de richeſſes, ni de forces, ni d’eſprit, ni d’aucun autre ſecours néceſſaire pour y réuſſir. Quelle plus forte preuve peut-on avoir de la fauſſeté de cet art, que de voir que Néron y a renoncé ? Suétone nous apprend auſſi[8], que ce Prince employa inutilement des ſacrifices magiques pour évoquer les manes de ſa mere, & pour lui parler. Pline dit encore[9], que Tirdate le Mage (car c’eſt ainſi que l’on doit lire, & non pas Tiridate le Grand, comme porte l’Edition du P. Hardouin ;) s’étant rendu à la Cour de Néron, & ayant amené pluſieurs Mages avec lui, initia ce Prince dans tous les myſteres de la Magie. Cependant, ajoute-t’il, Néron eut beau lui faire préſent d’un Royaume ; il ne put obtenir de lui la connoiſſance de cet art : ce qui doit nous convaincre, que cette ſcience déteſtable n’eſt que vanité ; ou que s’il s’y rencontre quelqu’ombre de vérité, ſes effets réels tiennent moins de l’art Magique, que de l’art d’empoiſonner. Séneque qui de même étoit fort habile, après avoir rapporté une loi des douze Tables, qui défendoit d’employer les enchantemens pour faire périr les bens de la terre, y fait ce commentaire[10] : Nos peres encore groſſiers & ignorans s’étoient imaginés, que par le moyen des enchantemens on pouvoit attirer la pluie ſur la terre, ou l’empêcher de tomber ; mais aujourd’hui il eſt ſi clair que l’un & l’autre eſt impoſſible, que pour en être convaincu, il n’eſt pas néceſſaire d’être Philoſophe. Il ſeroit inutile de raſſembler ici une infinité de paſſages des Anciens, qui prouvent tous la même choſe ; on pourra ſeulement conſulter le livre qu’Hipocrate a écrit ſur le mal caduc, qui paſſoit communément pour être un effet de la vengeance des Dieux, & qu’on appelloit pour cette raiſon le mal ſacré. On verra comment il s’y moque des Magiciens & des Charlatans[11], qui ſe vantoient de le guérir par leurs enchantemens & leurs expiations ; il y fait voir que par la profeſſion qu’ils faiſoient de pouvoir obſcurcir le ſoleil, faire deſcendre la lune ſur la terre, donner du beau ou du mauvais tems, procurer l’abondance ou la ſtérilité, il ſembloient vouloir attribuer à l’homme plus de pouvoir qu’à la Divinité même, montrant par-là bien moins de religion que d’impiété, & prouvant qu’ils ne croyoient point de Dieux[12]. Je ne parle point des fables & des contes inventés par Philoſtrate au ſujet d’Apollonius de Thyane ; ils ont été ſuffiſamment réfutés par les plus excellentes plumes. Mais je ne dois pas oublier d’avertir, que le nom de Magie a été ſouvent pris en bonne part pour une ſcience peu commune, & une eſpece de Philoſophie plus ſublime. C’eſt en ce ſens qu’on doit l’entendre dans cet endroit de Pline, où il dit, [13]quoique d’une maniere aſſez obſcure, que Pythagore, Empédocle, Démocrite & Platon voyagerent beaucoup pour s’en inſtruire. Du reſte on eſt naturellement porté à attribuer à la ſorcellerie tout ce qui paroît nouveau & merveilleux. N’avons nous pas auſſi paſſé pour Magiciens M. Seguier & moi dans l’eſprit de quelques perſonnes, parce que dans nos expériences de l’électricité on nous voyoit allumer ſans peine des chandelles éteintes, en les approchant de l’eau froide ; ce qui paroiſſoit alors inoui, & ce que bien des gens ſoûtiennent encore fermement aujourd’hui ne pouvoir ſe faire que par un pact tacite ? Il eſt vrai que dans les effets de l’électricité il y a quelque choſe de ſi extraordinaire & de ſi merveilleux, qu’on ſeroit beaucoup plus porté à excuſer les perſonnes qui auroient de la peine à les croire naturels, que ceux qui ont été imaginer des pacts tacites pour des choſes, qu’il étoit beaucoup plus facile d’expliquer naturellement.

V. De ce qui vient d’être dit-il réſulte évidemmant, qu’il y a de la folie à croire que par la voie de l’étude & du ſçavoir on puiſſe jamais parvenir à aucun de ces effets merveilleux qu’on attribue à la Magie, & que c’eſt profaner le nom de ſcience, de le donner à une impoſture auſſi groſſiérement imaginée ; reſte donc que ces effets prétendus puiſſent être produits par une vertu diabolique. En effet on lit dans l’Ouvrage en queſtion, que tous les effets de la Magie doivent s’attribuer à l’opération du Démon ; que c’eſt en vertu du pact exprès ou tacite qu’il a fait avec lui, que le Magicien opere tous ces prétendus prodiges ; & que c’eſt en égard aux différens eſſets de cet art, & aux différentes maniéres dont ils ſont produits, que les Auteurs l’ont depuis diviſé en plufieurs claſſes. Mais je prie d’abord le Lecteur de conſidérer ſérieuſement, s’il eſt croyable que dès qu’il en prendra fantaiſie à quelque miſérable femmelette ou à quelque malheureux frippon, Dieu dont la ſageſſe & la bonté ſont infinies, veuille jamais permettre que le Démon leur apparoiſſe, qu’il les inſtruiſe, qu’il leur obéiſſe, & qu’ils faſſent pact avec lui. Eſt-il croyable que pour complaire à un ſcélérat, il accorde au Démon le pouvoir d’exciter des tempêtes, de ravager par la grêle toute une contrée de faire ſouffrir les plus grand maux à de petits innocens, & même quelquefois de donner la mort aux hommes par le moyen de la Magie ? Croit-on pouvoir ajoûter foi à de pareilles choſes ſans offenſer Dieu, & ſans marquer une défiance trop injurieuſe de ſa toute-puiſſance ? Il m’eſt arrivé pluſieurs fois, ſur-tout lorſque j’étois dans les armées, d’apprendre que quelques miſérables s’étoient donnés au Diable, & l’avoient appellé à eux avec les blaſphêmes les plus horribles, ſans que pour cela il leur fût apparu, ni que leurs tentatives euſſent jamais été ſuivies d’aucun ſuccès. Et certes ſi pour obtenir ce que promet l’art Magique, il ſuffiſoit de renier Dieu & d’invoquer le Démon, que de gens prendroient bien-tôt cet affreux parti ! Combien d’impies ne voit-on pas tous les jours, pour avoir de l’argent, pour ſe venger d’une perſonne, pour ſatisfaire un deſir criminel, ſe porter ſans remords aux plus grands excès. Combien de miſérables qui ſouffrent dans les priſons, aux galeres ou autrement, auroient recours au Démon pour ſortir de peine ? Il me ſeroit aiſé de rapporter ici grand nombre d’hiſtoriettes fort curieuſes de perſonnes que l’on croyoit généralement enſorcelées, de maiſons infeſtées par des Eſprits, ou de chevaux panſés par des Follets, que j’ai vûes moi-même en différens tems & en différens lieux ſe réduire enfin à rien. Ce que je puis certifier, eſt que deux Religieux très-ſenſés, qui avoient exercé l’office d’Inquiſiteurs, l’un pendant 24 ans, l’autre pendant 28. m’ont aſſuré que de différentes accuſations de ſorcellerie qui leur avoient été déférées, & qui paroiſſoient bien prouvées, après les avoir examinées avec ſoin & maturité, ils n’en avoient trouvé aucune qui ne fût pure fourberie. Comment peut-on s’imaginer que le Démon, qui eſt le pere du menſonge, apprenne aux Magiciens le véritable ſecret de cet art, & que cet Eſprit plein d’orgueil dont il eſt la ſource, enſeigne à un Enchanteur le moyen de le forcer à lui obéir ? Dès qu’on veut ſe mettre au deſſus de quelques vieux préjugés, qui font excuſer ceux leſquels dans les ſiécles paſſés donnoient croyance à ces folies, peut-on ajoûter foi à certaines opinions extravagantes, comme à ce qu’on raconte des Démons incubes & ſuccubes, du commerce deſquels on veut que naiſſent des enfans ? Qui croiroit aujourd’hui qu’Ezzelin fût fils d’un Follet ? Mais ſe peut-il rien imaginer de plus étrange, que ce qui ſe dit des pacts tacites ? On veut que quand quelqu’un, de quelque pays qu’il ſoit, & quelque éloigné qu’il puiſſe être, aura fait pact avec le Diable, que toutes les fois qu’il dira certaines paroles ou fera certains ſignes, il s’enſuivra un certain effet, ſi moi qui ſuis parfaitement ignorant de cette convention, je viens à dire les mêmes paroles ou à faire les mêmes ſignes, le même effet doive s’enſuivre. On veut que qui fait pact avec le Démon, ait droit de l’obliger à produire un certain effet, non-ſeulement quand il fera lui même, par exemple, certaines figures, mais encore toutes les fois qu’elles ſeront faites par telle autre perſonne qu’on voudra, en quelque tems, en quelque lieu que ce ſoit, & quoique l’intention ſoit toute différente. Certes rien n’eſt plus propre que ces opinions à nous humilier, & à nous faire connoître combien l’homme doit peu compter ſur les foibles lumieres de ſon eſprit. De tous les faits extraordinaires qu’on dit avoir été produits par des pacts tacites, pluſieurs ſont abſolument faux, d’autres ſont arrivés tout autrement qu’on ne les raconte, quelques-uns ſont vrais, mais très-naturels, & tels que pour les expliquer il n’eſt nullement beſoin de recourir au Démon.

VI. L’évidence de ces raiſons ſemble ſuffire pour prouver, que tout ce qui ſe dit aujourd’hui de la Magie n’eſt que chimere ; mais parce que répondant aux ſolides difficultés qui lui étoient propoſées par M. le Comte Rinaldi Carli, l’Auteur du livre prétend que la nier eſt une opinion hérétique & condamnée par les Loix, il eſt à propos d’examiner encore cet article. Pour premiere preuve de ſa réalité on rapporte le conſentement général de tous les hommes, la tradition de tous les peuples, des hiſtoires & des témoignages à l’infini, de Théologiens, de Philoſophes, de Juriſconſultes ; d’où l’on conclut, qu’on ne peut en nier l’exiſtence, ou la révoquer en doute, ſans ſapper par les fondemens ce qui s’appelle foi humaine. Mais le peu que j’ai dit au nombre IV. ſuffit ſeul pour prouver combien eſt faux ce qu’on avance de ce prétendu conſentement général. Horace qui paſſe pour avoir été un des plus ſages & des plus éclairés d’entre les Anciens, compte au contraire au nombre des vertus néceſſaires à un honnête homme de n’ajouter aucune foi à ce qui ſe publie de la Magie, & de s’en rire. Son ami ſe croyant fort vertueux, parce qu’il n’étoit point avare, Cela ne ſuffit pas, dit-il : êtes-vous exempt de tout autre vice & de tout autre défaut, ſans ambition, ſans colere, ſans crainte de la mort ? [14]Vous mocquez vous de tout ce qui ſe dit des ſonges, des opérations Magiques, des miracles, des Sorcieres, des Revenans & des prodiges de la Theſſalie ? c’eſt-à-dire en un mot, de toute eſpece de Magie. Quel eſt le but de Lucien dans ſon Dialogue intitulé Philopſeudès, ſinon de tourner l’Art Magique en ridicule ; & n’eſt-ce pas auſſi ce qu’il s’eſt propoſé dans cet autre qui a pour titre l’Ane, d’où Apulée a tiré ſon Ane d’or. Il eſt aiſé de s’appercevoir que dans tout cet Ouvrage, où il parle ſi ſouvent du pouvoir qu’on attribuoit à la Magie, de faire remonter les fleuves vers leur ſource, d’arrêter le cours du ſoleil, d’obſcurcir les étoiles & de contraindre les Dieux mêmes à lui obéir, il n’a eu d’autre vûe que de s’en mocquer ; ce qu’il n’auroit certainement pas fait, s’il l’eût crûe capable de produire, comme on le prétend, des effets ſupérieurs à toutes les forces de la nature. C’eſt donc en badinant & par ironie, qu’il dit qu’on voit s’opérer des prodiges par le pouvoir invincible de la Magie [15]& par la néceſſité aveugle qu’elle impoſe aux Dieux mêmes de lui obéir. Le pauvre homme penſant devoir être changé en oiſeau, avoit eu la douleur de ſe voir métamorphoſé en âne par la mépriſe d’une femme, qui par empreſſement s’étoit trompée de boëte, & lui avoit donné d’un onguent pour un autre. Les termes les plus ordinaires dont les Anciens ſe ſervoient en parlant de la Magie, étoient ceux de jeu & de badinage ; ce qui fait bien voir qu’ils n’y reconnoiſſoient rien de réel. S. Cyprien parlant des myſteres des Magiciens, les appelle[16] des opérations pernicieuſes & badines. Si par leurs preſtiges & par leur badinage, dit Tertullien[17], les Charlatans ſemblent operer pluſieurs prodiges ; & dans ſon Traité de l’Ame il s’écrie[18] : Que dirons-nous donc de la Magie ? Ce que preſque tout le monde en dit ; que ce n’eſt que fourberie. Arnobe l’appelle[19] les jeux de l’Art Magique ; & ſur ces paroles de Minutius Felix[20], Tous les prodiges qu’ils ſemblent opérer par leur badinage, ſon Commentateur remarque que ce mot de badinage eſt en cet endroit le terme propre. Cette maniere de s’exprimer fait voir, quel étoit alors le ſentiment commun de tous les gens ſages. Que le Métayer, dit Columelle[21], ne fréquente ni les Devins ni les Sorcieres, parce que par leurs vaines ſuper- ſtitions les uns & les autres jettent les ignorans dans la dépenſe, & de là les conduiſent au crime. Nous apprenons de Suidas[22], qu’on nommoit Magiciens ceux qui ſe rempliſſoient la tête de vaines imaginations. Ainſi c’eſt avec raiſon que parlant d’un de ces impoſteurs, le Dante à dit[23] : il ſçavoit tout le badinage & toutes les fourberies de la Magie. Il n’eſt donc pas vrai que jamais on ait crû généralement la réalité de l’Art Magique ; & ſi de nos jours on vouloit recueillir les voix des gens de Lettres & les ſentimens des plus célebres Académies, je ſuis perſuadé que de dix à peine s’en trouverait-il un ou deux qui fuſſent convaincus de ſon exiſtence. Ce ne ſeroit pas du moins un des ſçavans amis de l’Auteur du Livre en queſtion, qui ayant été conſulté par celui-ci ſur cette matiere, lui répond en ces termes : La Magie eſt un Art ridicule, qui n’a de réalité que dans la tête d’un fou, lequel s’imagine pouvoir porter le Diable à ſatisfaire tous ſes déſirs. J’ai lû dans quelques catalogues qui nous viennent d’Allemagne, que l’on ſe prépare à donner au Public une Bibliotheque Magique ; oder grundliche Nagrichen, &c. C’eſt un vaſte recueil de différens écrits tendans tous à prouver la vanité & l’inſuffiſance de la Magie. On doit obſerver, que les Poëtes ont beaucoup contribué à donner la vogue à toutes ces imaginations. Sans cette ſource féconde, que devenoient les fictions d’Homere les plus ingénieuſes ? On peut en dire autant de l’Arioſte, & de nos autres Poëtes modernes. Au reſte on ne doit pas oublier ce que j’ai remarqué plus haut en parlant de Pline, que dans les Auteurs anciens le terme de Magie eſt ſouvent équivoque. Car dans certains pays on donnoit le nom de Mages, ou de Magiciens, à ceux qui faiſoient une profeſſion particuliere de s’appliquer à l’étude de l’Aſtronomie, de la Philoſophie, de la Médecine ; dans d’autres, on appelloit ainſi les Philoſophes d’une certaine ſecte : on peut conſulter ſur cela la Préface de Diogene Laërce. Platon écrit, qu’en Perſe par le nom de Magie on entendoit le culte des Dieux[24]. Suivant un grand nombre d’Auteurs, dit Apulée dans ſon Apologie[25], les Perſes appellent Mages, ceux à qui nous donnons le nom de Prêtres. S. Jérôme écrivant contre Jovinien, s’exprime ainſi[26] : Eubule qui a écrit l’hiſtoire de Mithras en pluſieurs volumes, raconte que chez les Perſes on diſtingue trois ſortes de Mages, dont les premiers ſont ceux qui ſont les plus ſçavans & les plus éloquens, &c. Malgré cela il ne laiſſe pas de ſe trouver des gens, qui confondent la chimere de la prétendue Magie diabolique avec la Magie Philoſophique, comme l’a fait Corneille Agrippa dans ſes Livres de la Philoſophie ſecrette.

VII. Une autre raiſon qu’on apporte, pour prouver la réalité & le pouvoir de l’Art Magique, eſt que les Loix décernent la peine de mort contre les Enchanteurs. Quelle idée, dit-on, pourrions nous avoir des anciens Légiſlateurs, ſi nous les croyons capables d’avoir recours à des peines ſi rigoureuſes pour réprimer une chimere, un Art qui ne produit aucun effet ? Surquoi il eſt à propos d’obſerver, qu’en ſuppoſant cette erreur univerſellement répandue, il ne ſeroit pas impoſſible que ceux mêmes qui ont fait les Loix s’en fuſſent laiſſé prévenir ; auquel cas on pourroit faire à leurs loix le même Commentaire, que Séneque appliquoit, comme on la vû plus haut, à celle des douze Tables. Mais je vais plus loin. Ce n’eſt pas ici le lieu de parler des peines ſagement décernées dans l’Ecriture contre l’impiété des Cananéens, qui joignoient à l’Idolâtrie la Magie la plus outrée. A l’égard des Loix Grecques, dont les Auteurs nous ont conſervé un ſi grand nombre, je ne me ſouviens point qu’en aucun endroit elles faſſent mention de ce crime, ni qu’elles le ſoumettent à aucune peine. Je puis en dire de-même des Loix Romaines contenues dans le Digeſte. Il eſt vrai que dans le Code de Théodoſe & dans celui de Juſtinien il y a un Titre entier concernant les Malfaiteurs, où ſe trouvent beaucoup de Loix qui condamnent à la mort la plus cruelle les Magiciens de toute eſpece ; mais n’eſt-on pas forcé d’avouer, que cette condamnation étoit très-juſte ? Ces miſérables ſe vantoient de pouvoir cauſer à leur fantaiſie des calamités & des mortalités publiques ; dans cette vûe ils tenoient leurs charmes & leurs noirs complots les plus ſecrets qu’il leur étoit poſſible : c’eſt ce qui fait dire à l’Empereur Conſtans[27] : Que tous les Magiciens, en quelqu’en-droit de l’Empire qu’ils ſe trouvent ſoient regardés comme les ennemis publics du genre humain. Qu’importe en effet qu’ils ſe vantaſſent fauſſement, & que leurs tentatives fuſſent inutiles ? Dans les maléfices, dit la Loi[28], c’eſt la volonté, non l’événement qui fait le crime. Auſſi Conſtantin veut-il que l’on faſſe grace à ceux d’entr’eux[29] qui faiſoient profeſſion de guérir les hommes par cette voie, & de conſerver les biens de la terre. Mais ordinairement les vûes de ces ſortes de gens ne tendoient qu’au mal : voilà pourquoi les Loix ordonnent qu’ils ſoient regardés [30]comme des ennemis Publics. Le moindre mal dont on pouvoit les accuſer, étoit de faire illuſion au peuple, de ſéduire les ſimples, & de cauſer par là une infinité de troubles & de déſordres. Outre cela, de combien de crimes ne ſe rendoient ils pas coupables dans l’uſage de leurs ſortileges ? C’eſt ce qui porta l’Empereur Valentinien à décerner la peine de mort [31]contre quiconque travailleroit de nuit par des prieres impies & des ſacrifices déteſtables à des opérations Magiques. Quelquefois même ils ſe ſervoient adroitement de quelqu’autre voie pour procurer le mal qu’ils vouloient faire ; après quoi ils faiſoient entendre, qu’on devoit l’attribuer au pouvoir de leur Art. Mais à quoi bon tant de raiſons ? N’eſt-il pas certain que le premier pas que faiſoient ceux qui avoient recours à la Magie, étoit de renoncer à Dieu & à Jeſus-Chriſt, & d’invoquer le Démon ? La Magie n’étoit-elle pas regardée comme une eſpece d’Idolâtrie ; & cela n’étoit-il pas ſuffiſant pour rendre ce crime capital ? Falloit-il en faire dépendre la punition de l’évenement ? Honorius ordonna qu’on traitât ces ſortes de gens dans toute la rigueur des Loix, [32]à moins qu’ils ne promiſſent de ſe conformer à l’avenir à ce que la religion Catholique exige, après avoir brûlé eux-mêmes en préſence des Evêques les écrits pernicieux qui ſervoient à entretenir leur erreur.

VIII. Ce qu’il y a d’admirable, eſt que ſi jamais quelqu’un s’eſt mocqué de la Magie, ce doit être certainement l’Auteur dont il s’agit, puiſ-que tout ſon Livre ne tend qu’à prouver qu’il n’y a point de Sorcieres, & que tout ce que l’on en dit, n’eſt que folie & pure chimere. S’il en eſt ainſi, la queſtion eſt décidée. Mais ce qui a lieu de ſurprendre, eſt qu’en même tems on ſoutienne, qu’à la vérité il n’y a point de Sorcieres, mais qu’il y a des Magiciennes ; que la ſorcellerie n’eſt qu’une chimére, mais que la Magie diabolique eſt très-réelle. N’eſt-ce pas là, comme il ſemble à quelques-uns, nier & affirmer en même tems la même choſe ſous différens noms ? Tibulle n’avoit garde de connoître ces différences, lorſqu’il diſoit : [33]Comme me l’a promis une Sorciere, dont les opérations Magiques ne trompent jamais. En traitant dans ce Livre de la Sorcellerie & de la Magie, on aſſure que le Démon intervient dans l’une & dans l’autre, & que l’une & l’autre operent des prodiges. Mais ſi cela eſt, il eſt impoſſible de trouver entr’elles aucune différence. Si l’une & l’autre operent des prodiges, & cela par l’intervention du Démon, leur eſſence eſt donc la même. Après cela n’y a-t’il pas de la contradiction à dire, que le Magicien agit, & que la Sorciere n’agit pas ; que le premier commande au Diable, & que l’autre lui obéit ; que la Magie eſt fondée ſur des pacts exprès ou tacites, au lieu que dans la Sorcellerie il n’y a rien que d’imaginaire & de chimérique ? Quelle raiſon en rapporte t’on ? Si le Démon eſt toujours prêt à apparoître à quiconque l’invoque & ſe diſpoſe à faire pact avec lui, pourquoi ne ſe montrera-t’il pas auſſitôt à celle que l’Auteur appelle une Sorciere, qu’à celle à qui il lui plaît de donner le nom plus honnête de Magicienne ? S’il eſt ſi diſpoſé à paroître, & à s’attirer le culte & les adorations qui ne ſont dûes qu’à Dieu, que lui importe qu’elles lui viennent de la part d’une perſonne vile ou diſtinguée, de la part d’un ignorant ou d’un homme ſçavant ? La principale différence que l’Auteur admette entre la Sorcellerie & la Magie, eſt que celle-ci eſt propre des Prêtres, des Médecins & des autres perſonnes qui cultivent les Lettres ; au lieu que la Sorcellerie eſt un pur fanatiſme, qui ne convient qu’au peuple & à de pauvres femmelettes : auſſi ne tire-t-elle point, dit-il, ſon origine de la Philoſophie ni d’aucune autre ſcience, & n’a de fondement que dans des contes populaires. Pour moi, je penſe que c’eſt bien à tort, qu’on fait ici tant d’honneur à la Magie. J’ai prouvé ci-deſſus en peu de mots par l’autorité de pluſieurs Auteurs anciens, que les hommes les plus ſenſés s’en ſont toujours mocqués, qu’ils ne l’ont regardée que comme un badinage & comme un jeu, & qu’après n’y avoir épargné ni application ni dépenſe, un Empereur Romain n’a jamais pû parvenir à en voir aucun effet. J’ai de même fait obſerver l’équivoque du nom, qui ſouvent a été cauſe qu’on a confondu ces opinions populaires avec la Philoſophie & les Sciences les plus ſublimes. Mais je crois trouver dans le Livre même de l’Auteur de quoi prouver que l’on ne peut en effet faire cette diſtinction, puiſqu’il y dit que les pratiques ſuperſtitieuſes, telles que des figures, des caracteres, des conjurations & des enchantemens, paſſant de l’un à l’autre, & venant à la connoiſſance de ces malheureuſes, operent en vertu du conſentement tacite qu’elles donnent à l’opération du Démon. Voilà donc toute diſtinction ôtée. On dit encore que, ſelon quelques uns, des clous, des épingles, des os, des charbons, des paquets de cheveux ou de chiffons trouvés au chevet du lit des enfans, ſont des indices d’un pact exprès ou tacite, à cauſe de la reſſemblance qu’ils ont avec les ſymboles dont uſent les vrais Magiciens. Les Sorcieres & ceux qu’on nomme ici vrais Magiciens emploient donc également les mêmes folies : ils mettent également leur confiance dans des pacts imaginaires ; par conſéquent on doit ranger les uns & les autres dans la même catégorie.

IX. Il eſt à propos d’avertir ici, qu’il n’eſt pas auſſi nouveau qu’on le croit communément, de faire de la différence entre les Sorcieres & les Magiciens. Il y a près de deux cens ans que Jean Wier, Médecin de profeſſion, avoit déja dit la même choſe. Jamais Auteur n’a écrit plus au long ſur cette matiére ; on conſultera la ſixieme édition de ſon Livre De præſtigiis Damonum & incantationibus, publiée à Bâle. Il y prouve qu’on ne doit point condamner à mort les Sorcieres, parce que ce ſont des folles qui ont le cerveau bleſſé ; parce que tous les crimes qu’on leur impute ſont imaginaires, n’ayant de réalité que dans leur mauvaiſe volonté, & point du tout dans l’exécution ; enfin parce que ſelon les regles de la plus ſaine juriſprudence, la confeſſion des choſes impoſſibles n’eſt d’aucun poids, & ne peut ſervir à fonder une condamnation. Il montre comment ces vieilles folles parviennent à s’imaginer avoir eu commerce avec quelque Eſprit, ou avoir été portées par les airs. Rien de mieux juſques-là ; mais perſuadé d’ailleurs qu’il y a véritablement des prodiges Magiques[34], & croyant avoir éprouvé lui-même quelque choſe de cette nature, il admet une Magie diabolique, & veut que l’on puniſſe ſévérement les Magiciens. Il dit[35] que ce ſont ſouvent des hommes ſçavans, qui pour acquérir cet art diabolique, ont beaucoup voyagé ; & qui inſtruits[36] dans la Goëſie & dans la Théurgie[37] ſoit par le Démon ou par les Li- vres, [38] ſe ſervent de termes étranges, de caracteres, d’exorciſmes & d’imprécations, emploient[39] les paroles ſacrées & les noms divins, & ne négligent rien pour ſe rendre habiles dans cette noire ſcience ; ce qui les rend dignes de mort[40]. Mais il y a, ſelon lui, une grande différence entre les Magiciens & les Sorcieres ; en ce que celles-ci[41] ne ſe ſervent ni de livres, ni d’exorciſmes, ni de caracteres, mais ont ſeulement l’eſprit & l’imagination gâtés pat le Démon. Il appelle Sorcieres celles qui paſſent pour faire beaucoup de mal, ou en vertu[42] de quelque pact imaginaire, ou par leur volonté propre, ou par un inſtinct diabolique ; & qui ayant le cerveau bleſſé, confeſſent avoir fait beaucoup de choſes, quelles n’ont jamais faites ni pû faire. Les Magiciens, dit il, [43], ſont portés d’eux mêmes & par leur propre inclination à apprendre cet art défendu, & cherchent des maîtres qui les en inſtruiſent : au contraire les Sorciers ne cherchent ni maîtres, ni inſtructions ; mais le Diable s’empare de celles qu’il croit les plus propres à ſe laiſſer tromper, à cauſe ou de leur vieilleſſe, ou de leur naturel mélancolique, ou de leur pauvreté & de leur miſere. Il n’y a perſonne qui ne voie, & je l’ai déja montré ſuffiſamment, à combien de difficultés & de contradictions toute cette doctrine eſt ſujette ; ce que l’on peut en conclure, eſt que les Sorciers comme les Magiciens, ont également recours au Démon & mettent leur eſpérance en lui, ſans que les uns ni les autres obtiennent jamais ce qu’ils ſouhaitent. L’Auteur croit quelquefois rendre plus probable ce qui ſe dit du pouvoir de la Magie, & en quelque ſorte le réduire à rien, en diſant que tous les effets prodigieux qu’on lui attribue n’ont rien de réel, & que ce ne ſont que des illuſions & de vains fantômes ; mais il ne fait pas attention, qu’il y a même du miraculeux à faire paroître ainſi ce qui n’eſt point. Que les verges des Magiciens de Pharaon ayent été véritablement métamorphoſées en ſerpens, ou qu’elles ayent ſeulement paru ainſi changées aux yeux de ceux qui étoient préſens, l’un & l’autre ſurpaſſoit également toutes les forces & toute l’induſtrie des hommes. Je ne m’amuſerai point ici à relever beaucoup d’inutilités qui ſe trouvent dans cet ouvrage ; par exemple, on ne manque pas d’y rapporter la fable impertinente de la prétendue Magie de Sylveſtre II. qui, comme Panvinius l’a fait voir, n’a d’autre fondement ſinon que ce Pape étoit fort adonné aux Mathématiques & à la Philoſophie.

X. On convient dans le livre nouveau, qu’il peut bien ſe trouver quelque femme, qui avec l’aide du Démon ſoit capable d’opérer beaucoup de choſes même préjudiciables aux hommes, & cela en vertu d’un pact exprès ou tacite ; & on ajoûte qu’on ne peut nier que cela ſe puiſſe, ſans nier abſolument la réalité de la Magie. Mais quand bien loin de la nier, on fait au contraire tous ſes efforts pour l’établir ; quand on ſoûtient hautement, qu’il peut ſe trouver des gens capables avec l’aide du Démon de produire des effets réels, même de nuire aux hommes, comment après cela peut-on nier qu’il y ait des Sorcieres, puiſque, ſelon l’opinion commune, la ſorcellerie n’eſt autre choſe que cela ? Que l’on regarde, ſi l’on veut, comme une fable ce qui ſe dit de leurs voyages au travers des airs pour ſe rendre à leurs aſſemblées nocturnes, qu’y gagnera-t’on, ſi malgré cela on croit qu’elles ayent le pouvoir de faire mourir les enfans par leurs charmes, d’envoyer le Diable dans le corps du premier venu, & cent autres choſes de même nature. On dit que pour rendre les préſens qu’il fait plut précieux & plus eſtimables & pour les faire d’autant plus ſouhaiter, le Démon les fait acheter fort cher, comme ſi on ne pouvoit autrement l’exciter à âgir qu’en employant de puiſſans moyens, & en ſe ſervant d’un art tout myſtérieux & très-caché, qu’on veut ſans doute que les Sorciers ignorent, & qui ne ſoit connu que des Magiciens. Mais cet art, on prétend que ce n’eſt que du Diable qu’on peut l’apprendre ; & pour obtenir de lui qu’il l’apprenne, on tient qu’il faut l’invoquer & l’adorer. Or comme il n’y a gueres d’impie, qui s’étant mis en tête d’opérer par ſes charmes quelque choſe d’important, ne ſoit diſpoſé à en venir juſqu’à cet excès affreux, on ne voit pas pourquoi l’un doit venir à bout de ce qu’il ſouhaite, tandis que l’autre ne pourra y réuſſir, ni quelle diſtinction on peut faire entre des ſcélérats & des fous qui ſont préciſément de même eſpece. Je tiens même que ſi l’on accorde la réalité & les forces de la Magie, on ne ſçauroit que très-difficilement refuſer à ceux qui en font profeſſion le pouvoir d’entrer dans les lieux fermés, & de ſe porter par les airs à leurs aſſemblées nocturnes. On dira ſans doute que cela eſt impoſſible, & ſurpaſſe les forces de l’homme ; mais qui peut l’aſſûrer, puiſque nous ignorons juſqu’où s’étend le pouvoir des Anges rebelles ?

Je me ſouviens d’avoir autrefois entendu raiſonner à Rome fort ſenſément ſur la difficulté qu’il y a quelquefois à décider de la vérité d’un miracle fondée ſur ce que nous ignorons juſqu’où s’étend le pouvoir de la nature.

[[44] Il eſt vrai qu’il ſeroit dangereux de pouſſer ce principe trop loin : il ne faut pas en conclure ſans doute qu’il n’arrive jamais rien que de naturel ; comme ſi l’Auteur ſouverain de toutes choſes ſe fût en quelque ſorte lié les mains, & qu’il ne ſe fût pas réſervé la liberté, pour complaire aux vœux & aux prieres de ſes ſerviteurs, de faire quelquefois des graces qui ſurpaſſent manifeſtement les forces qu’il a accordées à la nature. Il peut ſouvent arriver, que l’on doute ſi un effet eſt naturel ou ſurnaturel ; mais combien auſſi ne voyons nous pas de faits, ſur leſquels toute perſonne ſenſée & raiſonnable ne ſçauroit former le moindre doute, le bons ſens concourant également avec la plus ſaine Philoſophie à nous apprendre, que certaines merveilles ne peuvent arriver que par une vertu ſecrete & toute divine ? Une des preuves des plus certaines qu’on puiſſe en avoir, eſt ſans contredit la guériſon ſubite & durable de certains maux longs & cruels. Je ſçai que des perſonnes ſimples & pieuſes ont quelquefois attribué à miracle des guériſons, qu’on pouvoit fort bien regarder comme des effets purement naturels ; mais que peut-on oppoſer à certains faits extraordinaires arrivés quelquefois à des perſonnes très-ſages & bien éveillées, en préſence de pluſieurs témoins tous également ſenſés & judicieux qui les ont atteſtés, & confirmés par le rapport des Médecins même les plus habiles, qui en ont marqué leur étonnement ? Dans cette ville de Vérone, où je demeure, il eſt arrivé tout récemment un évenement de cette nature, qui a attiré l’admiration de tout le monde ; mais parce que la vérité n’en a pas encore été conſtatée juridiquement, je me diſpenſerai de le rapporter. Il n’en eſt pas de même d’un fait tout ſemblable vérifié il y a dix ans après les recherches les plus exactes. Je parle de la guériſon miraculeuſe de Dame Victoire Buri du Monaſtere de S. Daniel, qui après une fievre chronique de près de cinq ans, après avoir été tourmentée pendant pluſieurs jours d’un point de côté très-vif & de coliques d’eſtomac très-douloureuſes, ayant enfin perdu tout-à-fait la voix, & étant tombée en langueur, reçut le ſaint Viatique le matin du jour que l’on célebre la fête de ſaint Louis de Gonzague. En cet état s’étant recommandée avec ardeur à l’interceſſion du Saint, elle ſentit en un moment ſes forces revenir ; ſes douleurs ceſſerent, & elle commença à crier qu’elle étoit guérie. A ſes cris l’Abbeſſe & les Religieuſes accoururent ; elle s’habilla elle-même, monta l’eſcalier toute ſeule & ſans aide, & alla au chœur avec les autres rendre graces à Dieu de ſon rétabliſſement. J’eus la curioſité de vouloir m’informer par moi-même du fait & de ſes circonſtances ; & après avoir interrogé cette Dame elle même, ceux qui avoient été témoins de ſa guériſon, & les Médecins qui l’avoient traitée, je demeurai pleinement convaincu de la vérité, moi, dis-je, dont le défaut n’eſt pas d’être trop crédule, comme il paroît aſſez par ce que j’écris ici.

Je puis dire encore que me trouvant il y a quatorze ans à Florence, je connus dans cette ville une fille nommée ſœur Catherine Biondi du tiers Ordre de S. François, par les prieres de laquelle une Dame fut guérie en un moment & pour toûjours d’une diſlocation très-douloureuſe. Ce fait fut connu de tout le monde ; & je ne doute point qu’un jour on ne le voie conſtaté juridiquement. A mon égard je crois avoir obtenu de Dieu pluſieurs graces ſingulieres par les prieres de cette ſainte fille, à l’interceſſion de laquelle je me ſuis recommandé pluſieurs fois depuis ſa mort. Le ſage & ſçavant P. Pellicioni, Abbé de l’Ordre de S. Benoît, ſon Confeſſeur, diſoit que ſi l’on connoiſſoit la vie & l’intérieur de cette petite Sœur, on ſeroit bientôt délivré de toutes ſortes de tentations contre la foi.

En effet, que ces faits particuliers qui demeurent comme enſévelis dans l’oubli, nous apprennent de choſes ! Que de queſtions ſubtiles éclaircies par là en bien peu de tems ! Que les Sçavans qui brillent dans d’autres communions, ne ſe donnent-ils la peine, comme cela leur ſeroit facile, de s’aſſûrer d’un ſeul de ces faits ! Un ſeul ſuffit pour mettre en évidence la vérité des Dogmes Catholiques. Il n’y a pas un article controverſé, pour la deffenſe duquel il ne fallût compoſer un infolio ; au lieu qu’un ſeul de ces faits les décide tous ſur le champ. On n’avance gueres par la diſpute, parce que chacun n’y cherche qu’à faire montre de ſon érudition & de ſon eſprit, & que perſonne ne veut céder ; au lieu que par cette méthode tout devient ſi évident, qu’il ne reſte pas un mot à répondre. Et qui pourroit imaginer, que de tant de miracles vérifiés ſur les lieux en différens pays, & rapportés dans les informations rigoureuſes faites pour la canoniſation des Saints, il n’y en eût pas un ſeul qui fût véritable ? Il faudroit pour cela renoncer à rien croire, & à faire uſage de ſa raiſon. Mais lorſque quelqu’un de ces faits devient ſi notoire qu’il n’y a plus lieu d’en douter, ſi après cela il s’offre quelque difficulté à notre foible eſprit, qui bien loin d’avoir quelque idée de l’infini, n’a même des corps matériels que des connoiſſances très-confuſes, quiconque voudra raiſonner ne ſera-t-il pas obligé de les réſoudre & de les décider tout d’un coup en diſant : Je n’y entends rien, mais je crois tout. Ceux auſſi qui par la haute idée qu’ils ont de leurs propres lumieres, ſe moquent de tout ce qui eſt au deſſus d’eux, que peuvent ils oppoſer à des faits, où la divine Providence éclate d’une maniere ſi ſenſible, non ſeulement à l’eſprit, mais même aux yeux ? A l’égard de ceux qui par la mauvaiſe éducation qu’ils ont eue, ou par la vie oiſive & voluptueuſe qu’ils menent, croupiſſent dans une ignorance groſſiere, avec quelle facilité un ſeul de ces faits bien éclairci ne peut-il pas les inſtruire de ce qu’il importe le plus de ſçavoir, & les éclairer en un moment ſur toutes choſes ? ]

Je reviens à mon ſujet. S’il eſt quelquefois ſi difficile de décider de la vérité d’un miracle, combien n’y aura-t’il pas plus de difficulté à marquer toutes les propriétés qui conviennent à la nature ſupérieure & ſpirituelle, & à lui preſcrire des bornes ? A l’égard de la différence des peines que l’Auteur veut qu’on inflige aux Magiciens & aux Sorcieres, prétendant qu’on doit traiter ceux-là à la rigueur, & qu’il faut au contraire uſer d’indulgence envers celles-ci, je ne vois pas ſur quoi elle eſt fondée. La charité veut ſans doute que l’on commence par inſtruire une vieille folle, qui ayant l’imagination gâtée ou le cœur perverti pour avoir lû ou entendu raconter certaines choſes, ſe condamnera elle-même, en avouant des crimes qu’elle n’aura point commis. Mais ſi l’on apprend, par exemple, qu’après avoir fait une petite image, un ignorant l’a percée de pluſieurs coups à différentes repriſes, en murmurant des paroles ridicules, comment diſtinguera-t’on ſi c’eſt à la Sorcellerie ou à la Magie que ce charme doit être attribué ; & par conſéquent comment ſçaura-t’on, s’il doit être puni doucement ou avec rigueur ? De quelque façon que ce ſoit, il ne s’enſuivra jamais aucun effet, Comme on l’a ſouvent éprouvé ; & ſoit que le charme vienne d’un Magicien ou d’un Sorcier, celui auquel il s’adreſſe ne s’en portera pas moins bien : on doit ſeulement obſerver, que quoique ſans effet, l’attentat de ces Sorcieres n’en eſt pas moins un crime, puiſque pour en venir là, il a fallu qu’elles ayent renoncé à tout ce qu’elles doivent à Dieu, & quelles ſe ſoient rendues eſclaves du Démon ; auſſi confeſſent-elles que pour faire leurs maléfices, il faut qu’elles renoncent à Jeſus-Chriſt & au baptême. On tient communément, que les Démons leur apparoroiſſent, & qu’ils s’en font adorer : il n’en eſt certainement rien ; mais ſi cela étoit, pourquoi les Sorcieres auroient-elles moins de pouvoir que les Magiciens, & ſur quel fondement prétendroit-on qu’elles fuſſent moins criminelles ?

XI. Venons préſentement au point qui a trompé beaucoup de gens, & qui fait encore aujourd’hui illuſion à pluſieurs perſonnes. De ce que dans l’Ancien Teſtament il eſt ſouvent parlé de la Magie telle qu’elle étoit alors, on en conclut qu’elle exiſte encore, & qu’elle eſt toujours aujourd’hui ſur le même pied. A cela il eſt facile de répondre. Avant la venue du Sauveur, le Démon avoit ce pouvoir ; mais il ne l’a plus, depuis que Jeſus-Chriſt a conſommé par ſa mort le grand ouvrage de notre Rédemption. C’eſt ce que S. Jean enſeigne clairement dans l’Apocalypſe, lorſqu’il dit[45] : Je vis un Ange deſcendre du Ciel, tenant à ſa main la clef du puits de l’abîme & une grande chaîne dont il enchaîna le Dragon, l’ancien Serpent qui eſt le Diable & Satan ; & il le lia pour mille ans. L’Evangéliſte s’eſt ſervi ici du terme de mille ans pour déſigner un tems fort long & indéterminé, puiſque nous liſons un peu plus bas, que le Démon ſera délié à la venue de l’Antechriſt[46] : Et après mille ans, dit S. Jean, Satan ſera délié & ſortira de la priſon. De-là vient qu’au tems de l’Antechriſt toutes les merveilles de la Magie ſe renouvelleront, comme l’Apôtre nous l’apprend, quand il dit que[47] ſon arrivée ſera marquée par les plus grands miracles que Satan ſoit capable d’opérer, & par toutes ſortes de ſignes & de prodiges apparens. Mais juſques là, [48]le Prince de ce monde, c’eſt-à-dire le Démon, ſera chaſſé dehors. C’eſt ce qui a fait dire à S. Pierre, [49]qu’en montant au Ciel, Jeſus-Chriſt s’eſt ſoumis les Anges, les Puiſſances & les Vertus ; & à S. Paul, [50]qu’il s’eſt enrichi des dépouilles des Principautés & des Puiſſances, & que [51]quand il aura remis le Royaume à Dieu & au Pere, il aura détruit tout le pouvoir des Principautés, des Puiſſances & des Vertus. Ces noms divers indiquent les différens Ordres des Eſprits réprouvés, comme nous l’apprenons de pluſieurs endroits du Nouveau Teſtament. Or pour comprendre que la force & la puiſſance dont le Démon a été privé par le Sauveur, eſt préciſément celle dont il avoit joui juſqu’alors, de tromper le monde par des pratiques Magiques, & de ſe faire par là des Adorateurs, il eſt à propos d’obſerver qu’avant la venue de Jeſus-Chriſt, il y avoit trois voies ou trois moyens par où les Eſprits réprouvés exerçoient leur pouvoir & leur malice ſur les hommes ; 1o. En les tentant, & les portant au mal ; 2o. En s’emparant des corps, & les poſſédant ; 3o. En ſecondant les opérations Magiques, & opérant quelquefois des merveilles, pour ravir à Dieu le culte qui lui étoit dû. Aujourd’hui de ces trois ſortes de pouvoirs, le Démon n’a certainement pas perdu la premiere par la venue du Sauveur, puiſque nous ſçavons avec quel acharnement il a toujours continué depuis, & continue encore chaque jour de nous tenter. Il n’a pas non plus été privé de la ſeconde, puiſqu’il ſe trouve encore de nos jours des Poſſédés, & qu’on ne peut nier que même depuis Jeſus-Chriſt Dieu n’ait ſouvent permis ces ſortes de poſſeſſions pour châtier les hommes, & pour leur ſervir d’avertiſſement. Reſte donc que le Démon ait ſeulement été abſolument dépouillé de la troiſieme, & que ce ſoit en ce ſens qu’on doive entendre ce que dit S. Paul, que le Sauveur a detruit & anéanti tout le pouvoir des Démons. Sans cela comment ſe vérifieroit ce qui eſt dit, que Satan a été enchaîné ? De-là vient que depuis la mort du Sauveur tous ces arts Diaboliques n’ayant plus le même ſuccès qu’auparavant, [52]ceux qui juſqu’alors en avoient fait profeſſion, porterent leurs livres aux pieds des Apôtres, & les brûlerent en leur préſence. Car que ces livres traitaſſent principalement de la Magie, c’eſt ce que nous apprend S. Athanaſe, qui fait alluſion à cet endroit de l’Ecriture, lorſqu’il dit[53] que ceux qui s’étoient rendus célébres par cet art, brûlerent leurs livres. Ce n’eſt pas que même dans les tems les plus reculés on ait manqué de fanfarons & d’impoſteurs, qui ſe vantoient fauſſement de ce qu’ils ne pouvoient pas faire. Auſſi liſons-nous dans l’Eccléſiaſtique : [54]Qui aura pitié de l’Enchanteur qu’un Serpent aura mordu ? Du tems de S. Paul quelques Exorciſtes Juifs couroient le pays[55] eſſayant inutilement de chaſſer les Démons : c’eſt ce que firent à Epheſe ſept fils d’un des Princes des Prêtres. C’eſt ce préjugé qui a fait croire à Joſephe[56], qu’en préſence de Veſpaſien & de toute ſa ſuite, un Juif avoit chaſſé les Démons du corps des Poſſédés en leur paſſant dans le nez un anneau, dans lequel étoit enchâſſée une racine enſeignée par Salomon. Dans le récit qu’il fait de cet événement, on voit à la vérité, qu’on obligeoit les Démons à donner quelque ſigne de leur ſortie ; mais qui n’apperçoit pas d’ailleurs que ce qu’il en raconte ne peut venir que d’un homme qui s’eſt laiſſé tromper, ou qui cherche à tromper les autres ?

XII. De tout ce que j’ai dit il réſulte, que ſi dans l’Ancien Teſtament il eſt ſouvent parlé de la vertu Magique & des prodiges opérés par la Magie, il n’en eſt fait d’ailleurs aucune mention dans le Nouveau. Il eſt vrai que comme le monde ne manqua jamais d’impoſteurs, qui chercherent à s’attribuer le nom & la réputation de Magiciens, on trouve deux de ces Séducteurs, nommés dans les Actes des Apôtres. L’un eſt Elymas, [57]qui dans l’iſle de Chypre voulut détourner le Proconſul Romain de prêter l’oreille à la prédication des Apôtres, & qui pour cela fut puni de l’aveuglement. L’autre eſt Simon qui depuis très-long-tems[58] prêchant dans Samarie qu’il étoit quelque choſe de grand, avoit ſéduit tout le peuple de cette Ville au point qu’il y étoit généralement regardé comme une eſpéce d’homme Divin, parce que [59]par l’effet de ſa Magie, il avoit depuis longtems fait tourner la tête à tous les Habitans ; c’eſt-à-dire qu’il les avoit ſéduits & éblouis par ſes fourberies, comme cela eſt ſouvent arrivé en beaucoup d’autres endroits. Car que du reſte il n’eût jamais pû parvenir à opérer aucun prodige, cela ſe voit évidemment, non-ſeulement en ce que l’Ecriture n’en parle point, mais auſſi en ce que voyant les miracles de S. Philippe, [60]il en fut ſi ſurpris & ſi rempli d’admiration, qu’il demanda auſſitôt le Baptême, & ne quitta plus depuis la compagnie de cet Apôtre. Mais ayant préſenté de l’argent à S. Pierre pour obtenir de lui le don de l’Apoſtolat, il en fut repris très-vivement, & menacé des châtimens les plus terribles ; à quoi [61]il ne répondit autre choſe, ſinon qu’il prioit les Apôtres d’interceder eux-mêmes pour lui auprès du Seigneur, afin que rien de tout cela ne lui arrivât. Voilà tout ce que nous avons de certain & d’autentique au ſujet de Simon le Magicien. Mais dans les tems voiſins des Apôtres les Auteurs de livres Apocryphes & d’hiſtoires faites à plaiſir profiterent admirablement de la profeſſion de Magicien, que Simon avoit faite pendant long-tems avec tant d’adreſſe ; & parce que l’art Magique eſt fécond en merveilles très-propres à rendre un récit agréable & amuſant, ils lui attribuerent des prodiges ſans fin : entr’autres ils ſuppoſerent que dans une eſpece de diſpute publique qu’il eut avec S. Pierre, il s’éleva en l’air, & fut enſuite précipité par les prieres de cet Apôtre. Nous avons une relation apocryphe de cette prétendue diſpute de S. Pierre avec Simon le Magicien, qu’on ſuppoſe avoir été écrite par un certain Marcel Diſciple de S. Pierre ; Sigebert en a fait mention, & ſi je ne me trompe, elle a paru imprimée à Florence. Les plus anciens ouvrages apocryphes qui nous reſtent ſont les Récognitions de S. Clement & les Conſtitutions Apoſtoliques. Dans le premier on fait dire à Simon, [62]qu’il peut ſe rendre inviſible, traverſer les précipices les plus affreux, tomber de fort haut ſans ſe bleſſer, lier de ſes propres liens ceux qui l’auront enchaîne, ouvrir les portes fermées, animer les ſtatues, paſſer au travers du feu ſans ſe brûler, changer de figure, ſe métamorphoſer en chevre ou en brebis, voler par l’air &c. Dans le ſecond on fait dire à S. Pierre, que Simon étant à Rome, & s’étant rendu au Théâtre ſur le midi[63], ordonna au peuple de ſe retirer & de lui faire place, promettant qu’il alloit voler dans l’air. On ajoute, qu’en effet il s’éleva dans l’air porté par les Diables, diſant qu’il montoit au Ciel, ce qui fut ſuivi des applaudiſſemens de tout le peuple ; mais que dans le moment S. Pierre obtint par ſes prieres qu’il fût précipité, après lui avoir parlé auparavant comme s’ils euſſent été proche l’un de l’autre. On peut lire toute l’hiſtoire, qui eſt évidemment fauſſe & mal imaginée. Il eſt vrai que ces anciens écrits, & quelques autres de même nature, ont ſervi à tromper quelques-uns des Peres & des Auteurs Eccléſiaſtiques, qui ſans examiner autrement la vérité, ſe ſont laiſſés entraîner au torrent, & ont ſuivi l’opinion publique ; ſur quoi il y auroit bien des choſes à dire, ſi le tems me le permettoit. Comment, par exemple, peut-on croire ſans balancer que S. Jérôme ait jamais écrit, que S. Pierre alla à Rome, non pour planter la ſoi dans cette Capitale du monde, & pour y établir le premier ſiege de la Chrétienté, mais [64]pour y détruire l’Empire de Simon le Magicien ? N’y a-t’il pas au contraire tout lieu de ſoupçonner, que ce peu de mots a paſſé anciennement d’une note miſe en marge mal à propos juſques dans le texte ? Mais pour me renfermer dans les bornes de mon ſujet, je dis qu’il ſuffit de faire attention à la ſource impure de tant de livres apocryphes publiés ſous des noms ſuppoſés, à la diverſité & à la contrariété qui regne entr’eux par rapport au fait en queſtion, au ſilence enfin des Souverains Pontifes & des autres Ecrivains ſur ce même fait, même des Auteurs profanes qui devoient principalement en parler, pour reſter convaincu que tout ce qu’on en dit, ainſi que tous les autres prodiges attribués à la Magie de Simon, n’eſt qu’une fable fondée uniquement ſur le bruit public. N’y a-t’il pas juſqu’à une ancienne inſcription qu’on croit exiſter encore aujourd’hui, & qui, ſuivant la copie que j’en ai autrefois tirée à Rome, porte : Sanco Sancto Semoni Deo Fidio, qui ſur l’équivoque du nom a été appliquée à Simon le Magicien par S. Juſtin, & ſur ſon autorité par quelques autres, ce qui a fait dire au P. Pagi ſur l’année 42. que S. Juſtin a été trompé ou par la reſſemblance des noms, ou par quelque relation infidelle ? Mais ce qui doit ſur-tout décider en cette matiere, c’eſt le témoignage d’Origene, qui dit, [65]qu’à la vérité, Simon put bien tromper quelques-uns des gens de ſon tems par ſa Magie ; mais que bientôt après il perdit ſon crédit au point qu’il ne croyoit pas que ſur toute la terre il ſe trouvât trente perſonnes de ſa ſecte, & cela ſeulement dans la Paleſtine, ſon nom n’ayant jamais été connu ailleurs ; tant il s’en falloit qu’il eût été à Rome, qu’il y eût opéré des prodiges, & qu’on lui eût élevé des ſtatues dans cette Capitale du monde ! Origene conclut, en diſant qu’où le nom de Simon étoit connu, il ne l’étoit que par les Actes des Apôtres, & que[66] la vérité des faits fit connoître évidemment, qu’il n’y avoit dans cet homme rien de divin, c’eſt-à-dire, rien de miraculeux ni d’extraordinaire. En un mot, les Actes des Apôtres ne rapportent de lui aucun prodige, parce que le Sauveur avoit détruit tout le pouvoir de la Magie.

XIII. Pour aſſurer la ſolidité de ce principe, après l’avoir fondé ſur l’Ecriture, je vais encore l’établir avec ma franchiſe ordinaire ſur la Tradition, & faire voir que c’eſt véritablement en ce ſens que doivent s’entendre les paſſages des Peres & des anciens Ecrivains Eccléſiaſtiques. Je commence par S. Ignace Martyr, Evêque, & ſucceſſeur des Apôtres dans la Chaire d’Antioche. Ce Pere dans la premiere des Epîtres qui ſont véritablement de lui, parlant de la naiſſance du Sauveur & de l’étoile qui apparut alors, ajoute : [67]Parce que tout le pouvoir de la Magie s’évanouit, tous les liens de la malice furent rompus, l’ignorance fut abolie, & l’ancien Royaume de Satan détruit ; ſurquoi le ſçavant Cotelerius fait cette remarque : [68]Ce fut auſſi dans ce tems-là que ceſſerent tous les preſtiges de la Magie, comme l’atteſtent tant d’Auteurs célebres. Tertullien dans le livre qu’il a écrit de l’Idolâtrie, dit, [69]On ſçait la liaiſon étroite qu’il y a entre la Magie & l’Aſtrologie. Dieu permit que cette Science regnât ſur la terre jusqu’au tems de l’Evangile, afin qu’après la naiſſance de Jeſus-Chriſt il ne ſe trouvât plus perſonne, qui entreprît de lire dans le Ciel le bonheur ou le malheur de qui que ce ſoit. Un peu plus bas il ajoute : [70]C’eſt ainſi que juſqu’au tems de l’Evangile, Dieu toléra ſur la terre cette autre eſpece de Magie qui opere des prodiges, & qui oſa même ſe déclarer rivale des miracles de Moïſe.

Origene dans ſes livres contre Celſe parlant des trois Mages & de l’étoile qui leur apparut, dit qu’alors le pouvoir de la Magie s’étendoit ſi loin, qu’il n’y avoit point d’art plus puiſſant & plus divin ; mais à la naiſſance du Sauveur [71]l’Enfer fut déconcerté, les Demons perdirent leur force, tous les charmes furent détruits & toute leur vertu s’évanouit. Les Mages [72]voulant donc faire leurs enchantemens & leurs opérations ordinaires, & ne pouvant y réuſſir, en chercherent la raiſon ; & ayant vû paroître au Ciel cette nouvelle étoile, ils conjecturerent que celui-là étoit né qui devoit commander à tous les Eſprits, ce qui les détermina à partir pour venir l’adorer.

S. Athanaſe, dans ſon Traité de l’Incarnation, enſeigne que le Sauveur [73]a délivré toutes les créatures des tromperies & des illuſions de Satan, & qu’il s’eſt enrichi, comme dit S. Paul, des dépouilles des Principautés & des Puiſſances. Quand eſt-ce, dit-il enſuite[74], que les Oracles ont ceſſé de répondre, tant dans la Grece que dans le reſte du monde, ſi ce n’eſt depuis la venue du Sauveur ſur la terre ? Quand a-t-on commencé à mépriſer l’art Magique & ſes préceptes ? n’eſt-ce pas depuis que les hommes ont commencé à jouir de la divine préſence du Verbe ? Autrefois, continue-t’il, [75]les Démons faiſoient illuſion aux hommes par divers fantômes, & s’attachant aux rivieres ou aux fontaines, aux pierres & au bois, ils attiroient par leurs preſtiges l’admiration des foibles mortels ; mais depuis la venue du Verbe divin, toutes leurs ruſes ſe ſont évanouies. Un peu plus bas il ajoute : [76]Mais que dirons-nous de la Magie pour laquelle ils ont tant d’admiration ? Avant l’Inca nation du Verbe elle étoit en honneur chez les Egyptiens, les Chaldéens, les Indiens, & ſe faiſoit admirer de ces peuples par des prodiges ; mais depuis que la vérité eſt deſcendue ſur la terre & que le Verbe s’eſt montré aux hommes, ſon pouvoir a été détruit & elle eſt elle-même tombes dans l’oubli. Dans un autre endroit réfutant les Gentils, qui attribuoient les miracles du Sauveur à la Magie, Ils l’appellent Magicien, dit-il ; [77]mais peut-on dire qu’un Magicien ait détruit toute eſpece de Magie, au lieu de travailler à l’établir ?

Dans ſon Commentaire ſur Iſaie, S. Jerôme joint cette interprétation à pluſieurs endroits du Prophete, [78]Depuis la venue du Sauveur, tout cela doit s’entendre dans un ſens allégorique : car toute l’erreur des eaux d’Egypte, & tous les arts pernicieux, qui faiſoient illuſion aux peuples qui s’en étoient laiſſé infatués, ont été détruits par l’arrivée de Jeſus-Chriſt. Un peu après il ajoute : [79]Que Memphis ait été auſſi fort adonnée à la Magie, les veſtiges qui ſubſiſtent encore de nos jours de ſes anciennes ſuperſtitions, ne permettent pas d’en douter. Or ceci nous apprend en peu de mets, qu’à l’approche de la déſolation de Babylone, tous les projets des Magiciens & de ceux qui promettoient de dévoiler l’avenir, ſont une pure folie, & s’en vont en fumée à la venue de Jeſus-Chriſt. Il dit encore ailleurs, que Jeſus-Chriſt étant venu au monde, [80]toutes les eſpeces de divination & toutes les fourberies de l’Idolâtrie perdirent leur efficace ; en ſorte que les Mages de l’Orient comprenant qu’il étoit né un Fils de Dieu qui avoit détruit toute la puiſſance de leur art, vinrent à Béthléem.

Théophile d’Alexandrie, dans ſa lettre Paſchale adreſſée aux Evêques d’Egypte, & après lui S. Jérôme qui nous a donné une traduction Latine de cette lettre, diſent que [81]Jeſus-Chriſt par ſa venue a détruit tous les preſtiges de la Magie. Ils ajoutent : Jeſus-Chriſt par ſa préſence ayant détruit l’Idolâtrie, il s’enſuit que la Magie qui eſt ſa mere, a été détruite de même. On appelle la Magie mere de l’Idolâtrie, parce qu’elle tranſporte à un autre la confiance & la ſoumiſſion qui n’eſt dûe qu’à Dieu. S. Ambroiſe dit : [82]Le Magicien s’apperçoit de l’inutilité de ſon art, & vous ne comprenez pas encore que le Rédempteur qui vous a été promit eſt arrivé ! Je pourrois raſſembler ici beaucoup d’autres paſſages des Peres, ſi j’avois les livres à la main, ou ſi le tems me permettoit de les recueillir.

XIV. Mais pourquoi s’amuſer à une recherche inutile ? Ce que j’ai dit ſuffit pour faire voir que ce ſentiment a été celui non pas d’un ou deux des Peres ſeulement, ce qui ne prouveroit rien, mais de la plus grande partie de ceux d’entr’eux, qui ont parlé de cette matiere ; ce qui ne fait pas le grand nombre. Après cela peu importe, que dans des ſiecles poſtérieurs & moins éclairés il ſe ſoit répandu mille contes au ſujet de la Sorcellerie & des enchantemens, & qu’ils ayent acquis créance dans l’eſprit des peuples, à proportion de leur ignorance & de leur groſſiereté. On peut lire, ſi l’on en eſt curieux, cent hiſtoires de cette nature rapportées par Saxon le Grammairien & par Olaus Magnus. On trouvera auſſi dans Lucien & dans Apulée, comment de leur tems même, ceux qui vouloient être portés par les airs ou être métamorphoſés en bêtes, commençoient par ſe dépouiller, ſe frottant de certaines huiles depuis les pieds juſqu’à la tête ; il ſe trouvoit encore alors des Impoſteurs, qui promettoient comme auparavant d’opérer par le moyen de la Magie toutes ſortes de prodiges, & qui continuoient les mêmes extravagances.

Il y a des perſonnes en aſſez grand nombre, qui ont une certaine répugnance à refuſer d’ajoûter foi à tout ce qui ſe dit des prodiges de la Magie, comme ſi c’étoit nier la vérité des miracles, & l’exiſtence du Diable ; & à ce ſujet ils ne manquent pas d’alléguer, qu’au nombre des Ordres reçus dans l’Egliſe ſe trouve celui des Exorciſtes, & que les Rituels ſont remplis de prieres & de bénédictions contre la malice & les embûches du Démon. Mais il ne faut pas confondre ici deux choſes fort différentes. Bien-loin que les miracles & les merveilles opérées par la vertu divine doivent nous porter à croire la vérité de ceux que l’on attribue au Démon, ils nous apprennent au contraire que Dieu s’eſt réſervé ce pouvoir à lui ſeul. Nous n’éprouvons que trop qu’il y a véritablement des Eſprits malins, & qu’ils ne ceſſent de nous tenter. A l’égard de l’Ordre des Exorciſtes, on ſçait qu’il a été établi dans l’Egliſe des les premiers ſiécles du Chriſtianiſme : les Peres les plus anciens en font mention ; mais nous n’apprenons d’aucun d’eux qu’ils ayent été inſtitués contre la Sorcellerie & autres fourberies de même nature, mais ſeulement, comme encore aujourd’hui, pour délivrer les Poſſedés ; [83]pour chaſſer les Démons des corps des Poſſedés, dit le Manuel de l’Ordination. On ne nie donc pas que pour des raiſons qu’il ne nous appartient pas d’examiner, Dieu ne permette quelquefois au Démon de s’emparer de quelqu’un & de le tourmenter ; on nie ſeulement que l’Eſprit de ténébres puiſſe jamais en venir là pour obéir ou pour complaire à une malheureuſe de la lie du peuple. On ne nie pas que pour punir les péchés des hommes le Tout-puiſſant ne puiſſe ſe ſervir quelquefois en différentes façons du miniſtere des Eſprits malins : car, comme le dit S. Jérome[84], Dieu fait ſentir aux hommes ſa colere & ſa fureur par le miniſtere des Anges rebelles ; mais on nie que cela arrive jamais par la vertu de certaines figures, de certaines paroles, de certains ſignes que feront des ignorans ou des ſcélérats, ou bien quelques malheureuſes & vieilles folles, ou par aucune autorité qu’ils ayent ſur le Démon, Le Souverain Pontife qui gouverne aujourd’hui l’Egliſe avec tant de gloire, traite fort au long[85] dans ſes excellens Ouvrages des prodiges opérés par le Démon & rapportés dans l’Ancien Teſtament ; mais il n’y parle nulle part d’aucun effet produit par la Magie ou par la Sorcellerie depuis la venue de Jeſus-Chriſt. Nous avons dans le Rituel Romain des prieres & des oraiſons pour toutes ſortes de beſoins : on y trouve des conjurations & des exorciſmes contre les Démons ; mais par tout où le texte n’en a point été corrompu, il n’y eſt fait aucune mention ni de perſonnes ni de choſes enſorcelées, & s’il y en eſt parlé, ce n’eſt que dans des additions poſtérieures faites par des particuliers. On ſçait au contraire que pluſieurs livres traitant de cette matiére, & contenant des prieres nouvellement compoſées par quelques particuliers, ont été prohibés. Ainſi on a défendu le livre intitulé Circulus Aureus, dans lequel on preſcrit les conjurations néceſſaires pour évoquer les Démons de toute eſpéce, du ciel, de l’enfer, de la terre, du feu, de l’air & de l’eau, pour détruire toutes ſortes d’enchantemens, de charmes, de ſorts & de maléfices, en quelque lieu qu’ils ſoient cachés, même les eût-on avalés, & de quelque matiére qu’ils ſoient compoſés, ſoit mâle ou femelle. Magicien ou Sorciere qui les ait faits ou donnés, & nonobſtant tous pactes & toutes conventions faites entr’eux & le malfaiteur par le moyen de la Magie. La défenſe que fait l’Egliſe de lire & de garder ces ſortes de livres, ne devroit-elle pas ſuffire pour nous convaincre de la fauſſeté de ce qu’ils ſuppoſent, & pour nous apprendre combien ils ſont contraires à la vraie religion & à la ſaine dévotion ? Il y a trois ans qu’on imprima en cette ville un petit livre, dont l’Auteur n’étoit pourtant pas de Vérone, où l’on promettoit d’enſeigner la maniére de délivrer les Poſſedés, & de défaire toutes ſortes de maléfices : On y lit[86] que ceux ſur leſquels on a jetté quelque ſort ou maléfice, menent une vie malheureuſe qu’on devroit plutôt appeller une longue mort, ſemblables à un cadavre d’un homme qui vient d’expirer, &c. Ce n’eſt pas tout : car preſque tous en meurent ; & ſi ce ſont des enfans, ils ne vivent gueres. Voyez juſqu’où va la puiſſance, que des perſonnes ſimples attribuent, non ſeulement au Démon, mais aux hommes les plus vils ; qu’elles croyent bonnement entretenir liaiſon & commerce avec lui. On dit enſuite dans ce livre[87], que les ſignes qui dénotent qu’il y a du maléfice, ſont des écorces, des herbes, des plumes, des os, des clous, des cheveux ; mais on avertit, que les plumes ne prouvent qu’il y a de la Sorcellerie, que quand elles ſont entrelacées enſemble en forme de cercle, ou à peu près. Et il faut encore bien prendre garde, ſi quelque femmelette n’a point donné quelque choſe à manger, quelques fleurs à ſentir, ou ſi elle n’a point touché l’épaule de la perſonne maléficiée. Nous avons un excellent préſervatif contre ces ſortes de ſimplicités dans le vaſte recueil de Dom Martene, intitulé De antiquis Eccleſiæ Ritibus, où l’on voit qu’entre une infinité de prieres, d’oraiſons & d’exorciſmes uſités dans tous les tems & dans tous les pays de la Chrétienté, il ne ſe trouve pas un ſeul endroit où il ſoit parlé de maléfices, de Sorcellerie, de Magie ou d’opérations Magiques. On y fait bien commandement au Démon au nom de Jeſus-Chriſt de ſortir & de s’éloigner ; on y implore la protection divine, pour être délivré de ſon pouvoir, auquel nous naiſſons tous ſujets par la tache que nous avons contractée du péché originel ; on y prie pour que l’eau bénite, le ſel & l’encens ſanctifiés par les prieres de l’Egliſe chaſſent l’ennemi ; pour que nous ne tombions point dans ſes lacs, & que nous n’appréhendions point les attaques des Eſprits immondes ; mais il n’y eſt dit nulle part que les charmes ayent le pouvoir de les faire agir, & on n’y prie Dieu en aucun endroit de nous en délivrer ou de nous en guérir. Il eſt ſi peu vrai que nous devions ajouter foi aux fables qui ſe débitent à ce ſujet, que je me ſouviens parfaitement d’avoir lû il y a long-temps dans d’anciens Caſuiſtes, qu’on doit mettre au nombre des péchés griefs, de croire que l’art Magique puiſſe véritablement opérer les merveilles qu’on en raconte. J’obſerverai à cette occaſion, que j’ignore comment l’Auteur du livre en queſtion a fait la bévûe de citer deux fois certain manuſcrit comme ſe trouvant dans un autre cabinet que le mien, tandis que c’eſt un fait public que je l’achetai autrefois fort cher, ne ſçachant pas qu’il y manquoit la partie la plus importante & la plus curieuſe. On peut voir ce que j’en ai dit dans les opuſcules que j’ai joints à l’Hiſtoire de la Théologie[88]. Il ſuffit pour le préſent de ſe rappeller, que dans le fameux Canon Epiſcopi rapporté premiérement par Réginon[89] on lit ces paroles remarquables : [90]Une infinité de gens trompés par ce faux préjugé, croyent que tout cela eſt vrai, & en le croyant s’éloignent de la vraie foi pour donner dans la ſuperſtition des Payens, s’imaginant pouvoir trouver ai leurs que dans Dieu quelque Divinité & quelque vertu ſurnaturelle.

XV. Par tout ce que j’ai dit juſqu’ici, il paroît combien ce qui ſe dit communément de cette prétendue Magie eſt éloigné de la vérité, contraire à toutes les maximes de l’Egliſe, & oppoſé à l’autorité la plus reſpectable, & quel tort pourroit faire à la ſaine Doctrine & à la vraie piété, d’entretenir & de favoriſer des opinions ſi extravagantes. On lit dans l’Auteur que je combats : Que dirons nous des Eſprits folets, prodige ſe notoire & ſi commun ? C’eſt merveille que ce ſoit un prodige, & qu’en même tems il ſoit commun. On ajoute : Il n’y a point de ville, pour ne pas dire de village, qui ne puiſſe en fournir pluſieurs exemples. Pour moi, j’ai vû bien du pays, j’ai ſoixante & quatorze ans bien comptés, je n’ai peut-être porté que trop loin ma curioſité ſur cet article ; & j’avoue qu’il ne m’eſt jamais arrivé de rencontrer aucun prodige de cette eſpece : je puis même ajoûter, que pluſieurs Inquiſiteurs très-ſenſés, après avoir exercé cet emploi pendant fort long-tems, m’ont aſſûré auſſi qu’ils n’en avoient jamais connu. Ce n’eſt pas que ſouvent il ne me ſoit paſſé par les mains bien des Folets en toutes ſortes de formes & de figures différentes ; mais j’ai toujours découvert & fait connoître, que ce n’étoit qu’imagination & rêverie. D’un côté on prétend qu’il y en a parmi eux d’une eſpece malicieuſe, qui ſont amoureux des belles filles, & de l’autre on veut qu’au contraire toutes les Sorcieres ſoient vieilles & laides. Combien ne ſeroit-il pas à ſouhaiter, que le peuple fût une bonne fois détrompé de ces folies, qui s’accordent ſi mal avec la ſaine doctrine & la vraie piété ! N’eſt-on pas encore infatué de nos jours de ce qu’on dit des charmes qui rendent invulnérables, des anneaux dans leſquels ſont renfermés des Folets, des billets qui guériſſent de la fiévre quarte, des paroles qui font deviner le numero auquel le lot doit tomber, du ſas qu’on fait tourner pour découvrir un voleur ; de la cabale qui par le moyen de certains vers & de certaines réponſes, qu’on ſuppoſe fauſſement renfermer une certaine combinaiſon de mots, dévoile les choſes les plus cachées ? Ne ſe trouve t’il pas encore des gens aſſez ſimples, ou qui ont aſſez peu de religion, pour acheter quelquefois fort cher toutes ces bagatelles ? Car le monde ne manque point encore aujourd’hui de ces Prophetes dont parle Michée, que [91]l’argent inſpiroit & rendoit ſçavans. N’avons nous pas encore des Calendriers, où l’on marque les jours heureux & malheureux, comme cela s’eſt fait pendant un tems ſous le nom des Egyptiens ? N’empêche-t’on pas d’habiter certaines maiſons ſous prétexte qu’elles ſont infeſtées, c’eſt-à-dire, que la nuit on y voit des ſpectres & qu’on y entend un grand bruit de chaînes, les uns voulant que ce ſoient les Diables, d’autres que ce ſoient les Ames des Trépaſſés qui font tout ce tintamarre ? ce qui eſt aſſez ſurprenant, que ce ſoient des Ames ou des Diables, & qu’ils n’ayent le pouvoir de ſe faire ſentir que la nuit. Et combien de fois n’a-t’on pas vû arriver des diviſions funeſtes, principalement entre les payſans, ſur ce que quelqu’un d’eux en aura accuſé d’autres de Sorcellerie ? Mais que dire des Eſprits incubes & ſuccubes, dont-on veut, malgré l’impoſſibilité, ſoutenir la réalité & l’exiſtence ? M. Muratori, dans l’endroit où il traite de l’imagination, met les contes qu’on en fait au même rang que ce qui ſe raconte du Sabat ; & il dit [92]que ces opinions extravagantes ſont aujourd’hui ſi décréditées, qu’il n’y a plus que le peuple le plus groſſier qui s’en laiſſe bercer. Un de mes amis me fit rire l’autre jour, quand parlant de ces prétendus Eſprits incubes, il dit que ceux qui les croyoient, n’étoient pas ſages de ſe marier. Que dirons nous encore des pacts tacites dont l’Auteur fait ſi ſouvent mention, & dont il ſuppoſe la réalité ? Ne voit-on pas que cette opinion va à faire du Diable un Dieu ? Car que quelqu’un, par exemple, demeurant à deux ou trois cens lieues de nous, ait fait pact avec le Démon, que toutes les fois qu’on ſuſpendra un pendule au-deſſus d’un verre, il marquera l’heure auſſi réguliérement que l’horloge la plus exacte ; ſelon ce ſentiment, cette même merveille arrivera également & au même inſtant, non ſeulement dans cette ville où nous ſommes, mais par toute la terre, & elle ſe réitérera autant de fois que l’on voudra en faire l’épreuve. Or ceci eſt toute autre choſe, que de porter une Sorciere au Sabat au travers des airs, ce que l’Auteur prétend être au deſſus des forces du Démon ; c’eſt attribuer à cet Eſprit de malice une espece de toute-puiſſance & d’immenſité. Mais qu’arrivera-t’il, quand quelqu’un aura fait pact avec un Démon pour qu’il y ait du beau tems, tandis qu’un autre aura fait pact de ſon côté avec un autre Démon pour qu’il y en ait de mauvais ? Le bon Pere le Brun veut que j’en attribue à des pacts tacites tous les effets qu’on ne peut expliquer naturellement ; ſi cela eſt, que de pacts tacites il y aura dans le Monde ! Il ajoûte foi aux contes que l’on a faits de la Baguette divinatoire, & à la vertu qu’on lui a attribuée de faire découvrir les voleurs & les meurtriers, quoique toute la France ait reconnu depuis, que le premier Auteur de cette fable étoit un fourbe, qui ayant été appellé à Paris, ne put jamais y faire voir aucun des effets dont il s’étoit vanté. Pour peu qu’on ait d’idée du nombre infini de corpuſcules inviſibles qui ſont répandus dans le monde, de leur écoulement continuel des corps naturels, & des effets cachés & merveilleux qu’ils produiſent, en ne ſera jamais fort étonné, qu’à une diſtance médiocre l’eau & les métaux operent ſur certaines ſortes de bois. Le même Auteur croit encore bonnement ce qui ſe diſoit, que la contagion & la mortalité répandue parmi les beſtiaux provenoit de quelque ſort ; de même que celui qui aſſuroit, que ſon pere & ſa mere étoient demeurés impuiſſans pendant ſept ans, ce qui ne ceſſa que lorſqu’une vieille eut rompu le charme. Il cite à ce ſujet un Rituel dont le P. Martene ne parle point, d’où il ſuit qu’il ne l’a pas reconnu pour autentique. Pour ſe faire une idée de la crédulité de cet Ecrivain, il ſuffit de lire l’hiſtoriette qu’il rapporte d’un certain Damis. Mais on trouve ſur-tout un abregé incomparable de ces merveilles extravagantes dans un petit livre dédié au Cardinal Horace Maffei, intitulé Compendium Maleficarum, ou l’Abregé des Sorcières, & imprimé à Milan en 1608.

XVI. En un mot il n’eſt pas peu important de détruire les erreurs populaires, qui attaquent les attribut inaltérables de l’Etre ſuprême, comme s’il ſe fût fait une loi de condeſcendre à tous les déſirs impies & biſarres des Eſprits malins & des fous qui ont recours à eux, en les ſecondant, & permettant les effets merveilleux qu’ils veulent produire. La raiſon & le bon ſens permettent-ils d’imaginer, que le Souverain Maître de toutes choſes, qui pour des raiſons qu’il ne nous eſt pas permis d’examiner, refufe ſi ſouvent d’exaucer les prieres les plus vives que nous lui faiſons pour nos beſoins, tant publics que particuliers, ſoit ſi prompt à ſe prêter aux déſirs du plus vil & du plus méchant de tous les hommes, en permettant que ce qu’il ſouhaite arrive ? Tant qu’on croira la réalité de la Magie, qu’elle eſt capable d’opérer des prodiges, & que par ſon moyen l’homme peut forcer le Démon à lui obéir, on aura beau prêcher contre la ſuperſtition, l’impiété & la folie des Sorciers ; il ne ſe trouvera toujours que trop de gens qui eſſayeront d’y réuſſir, qui feront pour cela des tentatives, & qui même s’imagineront y avoir en effet réuſſi. Pour déraciner cette peſte, il faut commencer par faire bien entendre aux hommes, que c’eſt inutilement qu’ils ſe rendent coupables de ce crime horrible, que par cette voie on n’obtient jamais rien de ce que l’on ſouhaite, & que tout ce qui ſe débite à ce ſujet n’eſt que fable & que chimere. Il ne ſera pas difficile de perſuader de cette vérité toute perſonne ſenſée, en l’engageant ſeulement à faire attention, s’il eſt poſſible que tous ces miracles prétendu ; ſoient véritables, tandis qu’il eſt avéré que la Magie n’a jamais eu le pouvoir d’enrichir ceux qui en faiſoient profeſſion ; ce qui ſeroit beaucoup plus facile. Comment cet art ſi merveilleux pourroit-il envoyer des maladies à ceux qui ſe portent bien, rendre deux époux impuiſſans, faire devenir inviſible ou invulnérable, tandis qu’il n’a jamais pû faire paſſer dans la bourſe d’un Magicien cent écus, qu’un autre tenoit ſerrés dans ſon coffre ? Et pourquoi ne fait-on aucun uſage d’un art ſi merveilleux dans les armées ? pourquoi eſt-il ſi peu recherché des Princes & de leurs Miniſtres ? Le moyen le plus efficace pour diſſiper toutes ces imaginations vaines, ſeroit de n’en parler jamais, & de les enſévelir dans un ſilence & dans un oubli éternel. Que dans un pays où de tems immémorial perſonne n’aura jamais été ſoupçonné de ſorcellerie, on apprenne qu’il ſoit arrivé un Religieux pour informer de ce crime, & pour les punir ; auſſitôt on verra courir à lui des troupes de filles attaquées des pâles couleurs, & d’hommes hypocondriaques : on y verra porter en foule des enfans attaqués de maladies inconnues ; & on ne manquera pas d’aſſurer que c’eſt l’effet de ſorts qu’on a jettés ſur eux, & même de raconter quand & comment la choſe eſt arrivée. C’eſt certainement s’y prendre fort mal, ſoit dans les prédications, ſoit dans les ouvrages que l’on met au jour contre les Sorcieres, de s’amuſer à faire l’hiſtoire de tout ce dont ſe vantent ces extravagantes, des faits auxquels on prétend qu’elles ont eu part, & de la maniere dont ils ſont arrivés : on a beau alors déclamer contre elles ; on doit être aſſuré qu’il ne manque pas de ſe trouver auſſitôt des gens, qui ſe laiſſent éblouir par ces prétendues merveilles, qui deviennent épris de ces effets ſi extraordinaires & ſi prodigieux, qui mettent en œuvre pour y parvenir ces mêmes moyens qu’on vient de leur apprendre, & qui n’oublient rien pour mériter d’être du nombre de cette ſociété imaginaire. C’eſt donc avec raiſon que l’Auteur dit dans ſon livre, que le châtiment même ne ſert quelquefois qu’à rendre le crime plus commun, & qu’il n’y a jamais plus de Sorcieres, que dans les lieux où elles ſont le plus perſécutées. Je ſuis charmé de pouvoir finir par cet éloge, afin que l’on voie d’autant mieux que ſi j’ai attaqué ici la Magie, ce n’eſt qu’avec des intentions droites.

XVII. L’empreſſement avec lequel j’ai écrit cette lettre, m’a fait oublier pluſieurs choſes qui pouvoient fort bien y avoir place. La plus grande difficulté qu’on puiſſe oppoſer pour combattre mon ſentiment, eſt qu’il ſe trouve quelquefois, même parmi les perſonnes d’un certain ſçavoir & d’un certain bon ſens, des gens qui vous diſent : mais moi j’ai vû ceci & cela ; il m’eſt arrivé à moi-même d’éprouver telle & telle choſe. Sur quoi il eſt à propos de faire d’abord attention aux tours merveilleux de certains joueurs de gobelets, qui par leur expérience & par leur adreſſe viennent à bout de faire illuſion aux perſonnes mêmes les plus clairvoyantes & les plus ſenſées. On doit conſidérer enſuite, que les effets les plus naturels peuvent quelquefois paroître ſurpaſſer les forces de la nature, lorſqu’on ſçait les repréſenter habillement ſous un point de vûe favorable. J’ai vû autrefois un Charlatan, qui ayant paſſé un clou ou une groſſe épingle dans la tête d’un poulet, le clouoit avec cela ſur une table, enſorte qu’il paroiſſoit mort, & étoit crû tel de tous ceux qui étoient préſens ; enſuite le Charlatan ayant ôté le clou, & ayant fait quelques ſingeries, le poulet reprenoit la vie & marchoit par la chambre. Tout le ſecret conſiſte en ce que ces oiſeaux ont au devant de la tête deux os joints par une future, dans laquelle ſi on fait paſſer quelque choſe avec adreſſe, on leur cauſe de la douleur, mais ils ne meurent point pour cela. On peut faire entrer dans le gras de la jambe d’un homme des épingles aſſez groſſes ſans bleſſure & ſans douleur, ſinon très-légere, telle que celle d’une piqûre, qui ſe fait ſentir lorſque l’épingle commence à entrer ; ce qui a ſervi quelquefois de paſſetems à des badins. Dans mon jardin qui, grace aux ſoin de M. Seguier, eſt devenu un vrai jardin de Botanique, j’ai une plante nommée Onagra, qui monte juſqu’à la hauteur d’un homme, & qui porte de très belles fleurs ; mais elles demeurent fermées pendant tout le jour : elles ne s’ouvrent & n’épanouiſſent que vers le coucher du ſoleil, & cela non pas peu à peu, comme il arrive à celles de toutes les autres plantes de nuit, mais en pouſſant tout d’un coup, & ſe montrant en un moment dans toute leur beauté. Un peu avant que leur calice creve, il ſe gonfle & s’enfle quelque peu. Or ſi quelqu’un profitant de cette derniere particularité peu connue, vouloit perſuader à quelques perſonnes ſimples qu’à l’aide de quelques paroles Magiques il peut, quand il le veut, faire naître en un moment une belle fleur, n’eſt-il pas certain qu’il trouveroit aſſez de gens diſpoſés à le croire ? Il n’y a rien que ne faſſent aujourd’hui les gens du commun, pour trouver le ſecret de ſe rendre invulnérables ; en quoi ils font voir qu’ils attribuent plus de pouvoir à la Magie, que ne lui en accordoient les Anciens, qui la croyoient bien capable de faire le mal, mais non pas de faire le bien. Auſſi quand la plûpart des Juifs attribuoient au Démon les miracles du Sauveur, quelques-uns d’entr’eux plus ſenſés & plus raiſonnables leur demandoient : [93]Eſt-ce que le Démon peut rendre la vûe aux aveugles ? Aujourd’hui on a plus de moyens que jamais d’en faire accroire aux perſonnes ſimples & ignorantes. Seroit-il, par exemple, fort difficile à un homme de ſe faire paſſer pour Magicien, s’il diſoit aux aſſiſtans : je puis à ma volonté faire paſſer la balle de ce piſtolet au travers de cette planche, ou faire ſeulement qu’elle la touche, & qu’elle tombe au pied ſans la percer ? Cependant rien n’eſt plus facile ; il s’agit ſeulement quand on charge le piſtolet, au lieu de chaſſer la bourre immédiatement ſur la balle, comme c’eſt l’uſage de la mettre au contraire à l’embouchure du canon. Après cela, lorſqu’on vient à tirer, ſi l’on hauſſe un peu le bout du piſtolet, la balle qui ne ſera point déplacée, produira l’effet ordinaire ; au contraire ſi on baiſſe le piſtolet, enſorte que la balle coule dans le canon & joigne la bourre qui eſt à l’emboûchure, elle ira donner dans la planche, & tombera à terre ſans la percer. Il me ſemble qu’il ſe trouve quelque choſe de ſemblable dans les Expériences naturelles de Redi, que je n’ai pas pour le moment ſous la main. Combien d’autres maniéres ingénieuſes de faire illuſion ne pourrois-je pas rapporter ici ? On pourra conſulter à ce ſujet Jean-Baptiſte Porta & autres. Il ne faudroit pourtant pas mettre au nombre de ces eſpeces de Magie ce que me marquoit un ami en badinant : dans une lettre très polie qu’il m’écrivit il y a deux mois. Une exhalaiſon bruyante s’étant enflammée dans une maiſon, & n’ayant point été apperçue de lui qui étoit dans la place voiſine, non plus que de tout autre endroit, il me mandoit que ceux qui, ſelon le préjugé vulgaire, perſiſtoient à croire que ces ſortes de feux venoient du Ciel & des nuées, étoient néceſſairement obligés d’attribuer cet effet à une vraie Magie. J’ajoûterai encore au ſujet des Phénomènes de l’Electricité, que ceux qui croyent pouvoir les expliquer par le moyen de deux fluides électriques, l’un caché dans les corps, l’autre qui circule autour d’eux, diroient peut-être quelque choſe de moins étonnant & de moins étrange ; s’ils les attribuoient à la Magie. J’ai tâché dans la derniere lettre qui eſt jointe à celle que j’ai écrite ſur les exhalaiſons, de donner quelque explication de ces merveilles, & je l’ai fait du moins ſans être obligé d’inventer de ma tête & ſans fondement deux matiéres électriques univerſelles, qui circulent au dedans des corps & au dehors. Certes les Philoſophes Anciens, qui ont tant raiſonné ſur l’Aiman, ſe ſeroient épargné bien de la peine, s’ils euſſent crû pouvoir attribuer ſes propriétés admirables à un eſprit magnétique qui en ſortît. Mais le plaiſir que je trouverois à raiſonner avec eux, m’engageroit peut-être dans d’autres matiéres : c’eſt pourquoi je finis.


FIN.


APPROBATION.

JAi lû par ordre de Monſeigneur le Chancelier, une Lettre de M. le Marquis Maffei ſur la Magie, traduite de l’italien en François ; je n’y ai rien trouvé qui puiſſe en empêcher l’impreſſion. Fait à Paris ce 27 Juin 1751.

GEINOZ.


PRIVILEGE DU ROI.

LOUIS, par la grace de Dieu, Roi de France & de Navarre : A nos amés & féaux Conſeillers, les Gens tenans nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand Conſeil, Prévôt de Paris, Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenans Civils, & autres nos Juſticiers qu’il appartiendra : Salut. Notre bien-amé Jean Debure l’aîné, Libraire à Paris, ancien Adjoint de ſa Communauté, Nous a fait expoſer qu’il déſireroit faire imprimer & donner au Public des ouvrages qui ont pour titre : Conſidérations ſur la cauſe Phyſique des tremblemens de terre, par M. Hale, avec la lettre Paſtorale de M. l’Evêque de Londres ſur la cauſe Morale du même Phénoméne. Lettre ſur la Magie traduite de l’italien de M. le Marquis Maffei ; s’il Nous plaiſoit de lui accorder nos Lettres de Permiſſion pour ce néceſſaires. A ces cauſes, voulant favorablement traiter l’Expoſant, Nous lui avons permis & permettons par ces Préſentes, de faire imprimer ledit ouvrage en un ou pluſieurs volumes, & autant de fois que bon lui ſemblera, & de le faire vendre & débiter par tout notre Royaume, pendant le tems de trois années conſécutives, à compter du jour de la date des Préſentes. Faiſons défenſes à tous Imprimeurs, Libraires & autres perſonnes de quelque qualité & condition qu’elles ſoient, d’en introduire d’impreſſion étrangére dans aucun lieu de notre obéiſſance ; à la charge que ces Préſentes ſeront enregiſtrées tout au long ſur le Regiſtre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris, dans trois mois de la date d’icelles ; que l’impreſſion deſdits ouvrages ſera faite dans notre Royaume, & non ailleurs, en bon papier & beaux caracteres, conformément à la feuille imprimée attachée pour modele ſous le contre-ſcel des Préſentes ; que l’impétrant ſe conformera en tout aux Reglemens de la Librairie, & notamment à celui du 10 Avril 1725. qu’avant de les expoſer en vente, le manuſcrit ou imprimé qui aura ſervi de copie à l’impreſſion deſdits Ouvrages, ſeront remis dans le même état où l’Approbation y aura été donnée, ès mains de notre très cher & féal Chevalier Chancelier de France le Sieur Delamoignon, & qu’il en ſera enſuite remis deux Exemplaires de chacun dans notre Bibliotheque publique, un dans celle de notre Château du Louvre, un dans celle de notredit très-cher & féal Chevalier, Chancelier de France, le Sieur Delamoignon, & un dans celle de notre très-cher & féal Chevalier Garde des ſceaux de France, le ſieur Demachault, Commandeur de nos Ordres ; le tout à peine de nullité des Préſentes ; du contenu deſquelles vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Expoſant & ſes ayans cauſe pleinement & paiſiblement, ſans ſouffrir qu’il leur ſoit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons qu’a la copie des Préſentes qui ſera imprimée tout au long au commencement ou à la fin deſdits ouvrages, foi ſoit ajoutée comme à l’original. Commandons au premier Huiſſier ou Sergent ſur ce requis de faire pour l’éxécution dicelles tous Actes requis ou néceſſaires, ſans demander autre permiſſion, & nonobſtant Clameur de Haro, Charte Normande, & Lettres à ce contraires ; Car tel eſt notre plaiſir. Donné à Arnouville le vingt-cinquiéme jour du mois de Juin, l’an de grace mil ſept cens cinquante un, & de notre Regne le trente-ſixiéme. Par le Roi en ſon Conſeil.

Signé, SAINSON.

Regiſtré ſur le Regiſtre XII. de la Chambre Royale des Libraires & Imprimeurs de Paris, Numero 623. fol. 426. conformément aux anciens Reglement confirmer pat celui du 28 Février 1723. A Paris le 9 Juin 1751.

LE GRAS, Syndic.
  1. L’Auteur fait ici alluſion à l’Hipogryphe, cheval aîlé de l’invention de l’Arioſte, qui portoit les Paladins au travers des airs.
  2. Magicas vanitates fæpiùs quidem antecedentis operis parte, ubicunque cauſæ locuſque poſcebant, coarguimus, detegemuſque etiamnùm : in paucis tamen digna res eſt, de quâ plura dicantur, vel eo ipſo quòd fraudulentiſſima artium plurimùm in toto terrarum orbe, plurimiſque ſeculis valuit.
  3. Ut eſt Magorum ſolertia occultandis ſraudibus ſagax. l. 29. c. 3.
  4. l. 26. c. 4. l. 27. c. 8. l. 28. c. 13. l. 29. c. 4. l. 37. c. 9. &c.
  5. Divina promittit ; prætereà umbrarum inferorumque colloquia. l. 30. c. 2.
  6. Quæ omnia ætate noſtrâ Princeps Nero vana, falſaque comperit.
  7. Nemo unquàm ulli artium validiùs favit. Ad hæc non opes ei defuere, non vires, non diſcendi ingenium, allaque, non patiente (il faut lire non alia ei parente) mundo. Immenſum, & indubitatum exemplum eſt falſæ artis, quam dereliquit Nero.
  8. Quin & facto per Magos ſacrificio, evocare manes, & exorare tentavit. Suet. in Ner. c. 34.
  9. Magos ſecum adduxerat, Magicis etiam cœnis eum initiaverat : non tamen, cùm regnum ei daret, hanc abeo recipere artem valuit. Proindè ita perſuaſum ſit, inteſtabilem, irritam, inanem eſſe ; habentem tamen quaſdam veritatis umbras, ſed in his veneficas artes pollere, non Magicas. Plin. l. 30. c. 2.
  10. Apud nos in duodecim Tabulis cavebatur, ne quis alienos fructus excantaſſit. Rudis adhuc antiquitas credebat, & attrahi imbres cantibus, & repelli : quorum nihil poſſe fieri ram palam eſt, ut hujus rei causâ nullius philoſophi Schola in tranda fit. Senec. Nat. Qu. l. 4. c. 7.
  11. Μἀγοὶ τε, καὶ καθάρται, καὶ ἄγυρται.
  12. Ἀλλὰ περὶ δυσσεβέιης μᾶλλον, καὶ ὡς οἱ θεοὶ οὐκ εἰπο.
  13. Plin. l. 30. c. I.
  14. Somnia, terrores Magicos, miracula, Sagas,
    Nocturnos Lemures, portentaque Theſſala rides ?

    Horat. lib. 2. Ep. 2.
  15. Inexpugnabili Magicæ diſciplinæ poteſtate, &c. lib. 3.
  16. Ad perniciola & ludicra. Cypr. de Idol.
  17. Si multa miracula circulatores præſtigiis ludunt. Tertul. Apol. c. 23.
  18. Quid ergò dicemus Magiam ? quod omnes penè, fallaciam. Idem de An. c. 57.
  19. Magicarum artium ludi. Arn. lib. I.
  20. Quidquid miraculi ludunt… Ludere hâc in re proprium vocabulum.
  21. Haruſpices Sagaſque, quæ utraque genera vanâ ſuperſtitione rudes animos ad impenſas, ac deinceps ad flagitia compellunt, ne admiſerit. Colum. lib. 1 c. 8.
  22. Μάγους ἐκατουν τούς ψευυδώς φαντασίαε περιθέντες ἑαυτοῖς.
  23. Delle Magiche frodi ſeppe il Givoco. Dant. Inf. c. 20.
  24. Ἐστὶ δὲ τοῦτο Θεῶν θεραπεία. Plat. in Alcib. I.
  25. Quod ego apud plurimos lego, Perſarum linguâ Magus eſt, qui noſtrâ Sacerdos. Apual. Apol. I.
  26. Eubulus quoque, qui hiſtoriam Mithræ multis voluminibus explicavit, narrat apud Perſas tria genera Magorum, quorum primos, qui ſint doctiſſimi & éloquentiſſimi, &c. Hier. adv. jov. Tom. 2. pag. 344.
  27. Humani generis inimici credendi ſunt. Cod. Th. l. 9. tit. 16. l. 6.
  28. In maleficiis voluntas ſpectatur, non exitus. D. lib. 48. tit. 8. l. 14.
  29. Cod. Th. de Malef. leg. 3.
  30. Communis hoſtem ſalutis. Leg. II.
  31. Ne quis deinceps nocturnis temporibus, aut nefarias preces, aut Magicos apparatùs, aut ſacrificia funeſta celebrare conetur. Leg. 7.
  32. Niſi parati ſint, codicibus erroris proprii ſub oculis Epiſcoporum incendio crematis, Catholicæ religionis cultui fidem tradere. Leg. 12.
  33. .............Ut mihi verax Pocita eſt Magico ſaga miniſterio.
    Tib. lib. i. El. 2.
  34. Pag. 139. & 145.
  35. Pag. 9.
  36. Pag. 144.
  37. La Goéſie eſt, dit-on, une eſpece de Magie. On prétend que ceux qui en font profeſſion ſe rendent la nuit auprès des tombeaux, où ils invoquent les Démons, les mauvais Génies, par des lamentations & des gémiſſemens.
    A l’égard de la Théurgie, les Anciens donnoient ce nom à cette partie de la Magie qu’on a appellée Magie blanche. Ce mot de Théurgie ſignifie l’art de faire des choſes divines, ou que Dieu ſeul peut faire ; la puiſſance de produire des effets merveilleux & ſurnaturels par des moyens licites, en invoquant le ſecours de Dieu & des Anges. La Théurgie diffère de la Magie naturelle, qui ſe fait par les puiſſances de la nature ; & de la Nécromancie, qui n’opere que par l’invocation des Démons.
  38. Pag. 170.
  39. Pag. 654.
  40. Pag. 749.
  41. Pag. 9.
  42. Pag. 30. de Lam.
  43. Pag. 94.
  44. Ce qui ſuit renfermé entre deux parenthèſes, eſt une longue addition envoyée par l’Auteur à l’imprimeur dans le tems que l’on travailloit à une ſeconde édition de ſa Lettre.
  45. Et vidi Angelum deſcendentem de cælo habentem clavem abyſſi, & catenam magnam in manu ſuâ ; & apprehendit draconem, ſerpentem antiquum, qui eſt Diabolus & Satanas, & ligavit eum per annos mille. Apoc. xx. I.
  46. Et cùm conſummati fuerint mille anni, ſolvetur Satanas de carcere ſuo. Ibid. v. 7.
  47. Cujus eſt adventus ſecundùm operationem Satanæ in omni virtute, & ſignis, & prodigiis mendacibus. 2. Theſſal. II. 9.
  48. Nunc Princeps hujus mundi ejicietur foràs, Joan xii. 31.
  49. Profectus in cœlum, ſubjectis ſibi Angelis, & Poteſtutibus, & Virtutibus. I. Petr. III. 22.
  50. Exſpolians Principatus, & Poteſtates Col. II. 15.
  51. Cùm tradiderit regnum Deo, & Patri, cùm evacuaverit omnem Principatum, & Poteſtatem, & Virtutem. I. Cor. xv. 24.
  52. Qui fuerant curioſa ſectati, contulerunt libroes, & combuſſerunt coram omnibus. Act. xix. 19.
  53. Τοῦς δὲ Μαγείας θαυμαθέντας τὰς βίὀλους κατακαίεν. Athan. de Incarn.
  54. Quis miſerebitur incantatori à ſerpente percuſſo ? Eccli. xii. 13.
  55. Tentaverunt autem quidam & de circumeuntibus Judæis exorciſtis, &c. Act. xix. 13.
  56. Joſeph. Antiq. lib. 8. c. 2.
  57. Act. xiii. 6.
  58. Seducens gentem Samariæ, dicens ſe eſſe aliquem magnum. Ibid. viii. 9.
  59. Propter quòd multo tempore dementaſſet cos. Ibid. v. II.
  60. Videns etiam ſigna & virtutes maximas fieri, ſtupens admirabatur. Ibid. v. 13.
  61. Reſpondens autem Simon dixit : precamini vos pro me ad Dominion, ut nihil veniat ſuper me horum quæ dixiſtis. Ibid. v. 24.
  62. Poſſum enim facere, ut volentibus me comprehendere non appaream, &c. Recog. lib. 2. c. 9.
  63. Ὡς καὶ ποτεμέσης ἡμέρας προελθὼν εἰς τὸ θέ ατρον αὐτῶν, κελέυσας τοῖς δήμοις ὐρπαγῆσοις κ'αμε ἐν τῷ θεάτρω, ἐπηγγέλλετο πτῆναι δὲ ἀέρος, Conſt. Lit. 6. c. 9.
  64. Ad expugnandum Simonen Magum. Hieron. de Vir. ill. c. I.
  65. Ἠθέλησε δὲ καὶ Σίμων ὁ Σαμαρεὺς Μάγος τῆ Μαγεία ὑφέλεσθαι τινὰς, καὶ τότε μὲν ἠπὰτησου, &c Τῆς δὲ λοιπῆν οἰκουμένης οὑδαμοῦ το ὄνομα αὐτοῦ, &c Orig. cont. Celſ. l. I. n. 57.
  66. Καὶ ἡ ἐνέργεια ἑμαρτὺρησεν, ὄτε οὐδεν θεῖον ὁ Σίμων ἦν. Ibid.
  67. Ὄθεν ἐλύετο πᾶσα Μαγεῖα, καὶ τὰς δεσμὸς ἠ φανίζετο κακίας, ἄγνεια καθηρεῖτο, παλαιὰ Ἐασιλέια δεφθείρετο. Ign. Ep. ad Eph. n. 19.
  68. Nec minùs cognita eſt diſſolutio Magicorum præſtigiorum, utpote teſtes nacta illuſtres.
  69. Scimus Magiæ & Aſtrologiæ inter ſe ſocietatem, &c. Atenim ſcientia iſta uſque ad Evangelium fuit conceſta, ut Chriſto edito nemo exindè nativ tatem alicujus de cælo interpretetur. Tertul. de Idol. c. 9.
  70. Sic & alia ſpecies Magiæ, quæ miraculis operatur, etiam adversùs Moyſem æmulata, patientiam Dei traxit ad Evangelium uſque. Ibid.
  71. Διὰ τῶν τοῦ οἱ δαίμονες ἠτόνησαν καὶ ὁξηθήνησαν, ἐλεγχθείσης αὑτῶν τῆς γοητείας, καὶ καταλυδείσης τῆς ἐνεργείας. Orig. cont. Celſ l. I. n. 60.
  72. Οἱ τόννον Μάγοι τὰ συνήθη πρώττειν θέλοντες, ἄπερ πρότερον διὰ τίνων ἐπωδων καὶ μαγγανεῖων ἐποίουν, &c.
  73. Καὶ τὰ πάντα πάσης ἀπάτης ηλευθέρ, καὶ ἣλεγξεν, ὡς Παῦλός φησι, ὠπεκδυσῴμενος τὰς ἀρχας, καὶ τὰς ἐζουσίας. Athan. de Incarn. T. I. p. 87.
  74. Πόπε δὲ τὰ παρ’ Ἔλλησι καὶ πανταχοῦ μαντέια πὲπαυσαι, &c. Πότε δὲ τῆς Μαγείας ἤ τέχνη καὶ τὰ διδασκαλέια ἤρξαντο, καταπατεῖσθαι, εἰ μέ ὅτε τὰ θεοφάνια τοῦ λόγου γίγονεν ἐν ἀνθρώποις ibid. n. 46.
  75. Καὶ πάλαι μὲν δαίμονες ἑφαντασυσκότουν τοῦς ἀνθρώπους ibid. n. 47.
  76. Τί δὲ περὶ τῆς θαυμαζομένης παρ’ ἀυτοῖς Μαγείας ἂντις εἴποι ; ὄτε πρὶν μὲν ἐπιδημῇσαι τὶν λόγυν, ἴσχυε καὶ ἐνήργει, &c. Διηλέγχθη καὶ ἀυτὴ καὶ κατεργήθη παρτελῶν. ibid.
  77. Εἰ δὲ Μάγον λέγουσι, πῶς ὄιοντί ἔστιν ὑπὸ Μάγου κατὰ εἶσθαι πᾶσαν τὴν Μαγείαν, καὶ μὴ μᾶλλον συνίστασθαι ?
  78. In adventu Chriſti hæc omnia τροπικῶε intelligenda ſunt ; &c. Quòd ſcilicet omnis error Egyptiacarum aquarum, & artes maleficæ, quibus ſubjectis populis illudebatur, Chriſti ſiccentur adventu. Hier. in Iſ. c. 19. t. 4. p. 204.
  79. Memphim quoque Magicis artibus deditam priſtini uſque ad præſens tempus veſtigia erroris oftendunt. Et hoc breviter indicatur, quòd Babylonix vaſtitate veniente., &c.
  80. Ita ut divinationes, & univerſa fraus Idololatriæ, quæ deceptum poſſidebat orbem, ſe fractam eſſe ſentiret ; in tantùm ut Magi de Oriente… intelligentes natum Eilium Dei, qui omnem artis eorum deſtruerat poteſtatem, venirent Bethleem. Ibid. pag. 290.
  81. Quia Chriſtus Magorum præſtigia ſuo delevit adventu. Hier. t. I. p. 570.
    Cùm autem Idololatria Chriſti majeſtate deleta fit, indicat & parentem ſuam artem Magicam ſecum pariter diſſolutam.
  82. Magus ergò intelligit fuas ceſſare artes ; tu non intelligis tua dona veniſſe ! Ambroſ. in Luc. l. 2. c. 2.
  83. Ad abjiciendos Dæmones de corporibus obſeſſis.
  84. Mittit ſiquidem Dominus in iram & furorem ſuum per Angelos peſſimos. Hier. ad Eph. I. 7. pag. 574.
  85. Vid. de Beatif. l. 4. P. I. c. 3.
  86. Qui maleficiis obſtricti ſunt, vitam agunt acerbiſſimam, quæ potiùs prolixa mors dicenda eſt : ſimiles recenti cadaveri, &c. pag. 53. & 54.
  87. Pag. 67. & 75.
  88. Pag. 243.
  89. Lib. 2. n. 364.
  90. Innumera multitudo, hâc ſalsâ opinione decepta, hæc vera eſſe credunt, & credendo à recta fide deviant, & errore Paganorum involvuntur, cùm aliquid divinitatis aut numinis extra unum Deum arbitrantur. Cauſ. 26. Qu. 6. cap. 12.
  91. In pecuniâ divinabant. Mich. III. II.
  92. Pag. 127.
  93. Numquid Dæmonium poteſt cæcorum oculos aperire ? Joan. x. 21.