Trois ans en Canada/07

La bibliothèque libre.

CHAPITRE VI
nouvelles de montréal.

Depuis que Robert demeurait chez son père, Géraldine avait peu songé à son amie Hortense. Pas une lettre de sa part n’était encore parvenue à Melle de Roberval. Tous ses instants avaient été pour le malade.

On venait d’apprendre que l’aide de camp du général Montcalm, M. d’Estimauville, était arrivé à Québec. Il apportait la nouvelle que Rigaud n’ayant pu emporter le fort George par escalade, n’avait exécuté que la seconde partie de ses instructions, c’est-à-dire qu’il avait brûlé toutes les maisons se trouvant aux environs du fort, l’hôpital, les magasins, plusieurs bateaux, un grand nombre de chaloupes.

M. d’Estimauville se rendit chez le docteur Auricourt et demanda Géraldine. Lorsqu’elle descendit, il lui présenta deux lettres, l’une à son adresse, l’autre pour Melle de Roberval. Géraldine parcourut rapidement celle qui lui appartenait. Elle était de M. de Raincourt, qui avait suivi Rigaud au fort George, il avait appris la manière indigne avec laquelle on traitait Hortense, et connaissant l’amitié qui unissait les deux jeunes filles, il avait recours à Melle Auricourt pour faire parvenir sa lettre à sa fiancée. Le capitaine terminait en disant, « Ce que femme veut, Dieu le veut, » qu’ainsi il ne doutait pas de la réussite de son entreprise.

Géraldine dit à M. d’Estimauville :

— Je suis heureuse, monsieur, de pouvoir vous affirmer que la lettre de monsieur de Raincourt se rendra à destination, et j’espère même pouvoir vous remettre une réponse. Veuillez, je vous prie, revenir demain.

— Je suis charmé, mademoiselle, que les intérêts de mon ami me procurent le plaisir de vous revoir encore, répondit galamment M. d’Estimauville. Et il prit congé de la jeune fille.

Géraldine écrivit à Hortense une longue lettre.

Voici ce qu’elle lui disait :

« Chère amie, sans doute que tu crois à mon indifférence. Mon long silence a pu te le faire penser, cependant ne m’accuse pas si tôt, je suis parvenue à mettre dans nos intérêts, Marie, votre femme de chambre, et par son entremise, j’ai le bonheur de savoir que ma lettre, ainsi que celle du capitaine, te parviendront. Il est vrai que j’ai été un peu paresseuse, mais j’espère que tu me pardonneras, lorsque tu sauras tout ce qui s’est passé depuis que je t’ai vue au bal du gouverneur.

Et elle lui fit le récit des événements que nous connaissons mais elle ne voulut pas dire à son amie qu’elle aimait, cependant notre héroïne dépeignit d’une manière si vraie le chagrin que devait éprouver Hortense, éloignée de Félix, qu’il était impossible de ne pas supposer qu’elle aussi souffrait. Et qu’est-ce que le cœur d’une femme ne devine pas ? Aussi lorsque Hortense reçut cette lettre, elle soupira en voyant son amie malheureuse. Cela diminua un peu la joie qu’elle avait éprouvée en voyant qu’on ne l’oubliait pas.

Le capitaine de Raincourt écrivait ainsi :

« Chère Hortense,

« Enfin, je puis trouver un moment pour m’entretenir avec vous. Depuis trois semaines, j’ai été tellement captif qu’il m’a fallu me résoudre à ne vivre que de votre souvenir, sans même pouvoir vous envoyer ce mot. Ne m’oubliez pas. Mais je vous entends vous récrier : Quoi, Félix, pouvez-vous me parler ainsi ! Je suis bien méchant, n’est-ce pas, de vous fâcher comme cela ? que voulez-vous, chère Hortense, il m’est si doux de m’entendre répéter que vous m’aimez toujours, que j’ose braver votre courroux. Ce langage du cœur, n’est-il pas bien tendre, et lorsque deux ans nous séparent, ne doit-on pas sans cesse désirer l’entendre ? Vous êtes pour moi la vie, et lorsqu’après bien des fatigues, je rentre chez moi, je suis heureux de penser que c’est pour ma fiancée que je travaille. C’est pour vous apporter un nom digne de vous, c’est pour déposer des lauriers à vos pieds que je désire la gloire. Sur le champ de bataille, c’est encore vous qui soutenez mon courage, et vos prières qui me protègent. Mais hélas ! je suis éloigné, et il faut me résigner à ne pas vous revoir avant plusieurs semaines, je suis retenu à Montréal. M. de Bourlamaque est parti, avec deux bataillons, pour Carillon, afin de mettre les forts qu’il y a en cet endroit en meilleur état de défense, pour continuer les ouvrages et ainsi s’assurer de la communication entre les deux lacs. On a envoyé en même temps le capitaine Ponchot à Niagara, avec ordre d’augmenter les défenses de ce fort. Il est aussi porteur d’une invitation qu’il doit envoyer aux tribus du Nord et de l’Ouest, pour solliciter leurs chefs à descendre à Montréal, afin d’assister à un grand conseil qui se tiendra ici. Vous le voyez, on ne peut s’absenter un seul instant. Dans l’ennui que j’éprouve d’être séparé de vous, il n’y aurait qu’une lettre de votre part qui pourrait me distraire.

« J’ai appris, avec peine, que l’on vous retient prisonnière et je me fais souvent des reproches en pensant que c’est pour moi que vous souffrez. Pourquoi ne puis-je vous arracher à la tyrannie de votre tuteur. Que le jour où je pourrai vous nommer ma femme me semble éloigné, quand je songe à tout ce que l’on vous fait souffrir, chère Hortense.

« Cependant soyez courageuse, je vous en prie, ne vous laissez pas aller au désespoir. Ce qui me console un peu, c’est de savoir qu’il y a près de vous des amis dévoués, qui feront tout pour améliorer votre situation, voilà pourquoi aussi j’espère que ma lettre vous parviendra, et j’ose attendre une réponse. À présent je suis obligé de vous dire adieu. Quoi sitôt vous quitter ! il m’en coûte beaucoup, mais il le faut, on m’attend, le devoir avant tout. Au revoir, rappelez-vous qu’il y a un cœur qui vous sera dévoué jusqu’à la mort.

Félix de Raincourt.

Hortense lut, et relut plusieurs fois cette lettre. Depuis longtemps, elle ne s’était sentie aussi heureuse, la certitude qu’elle pourrait désormais communiquer avec ses amis, la consolait de son isolement, et le soir elle s’endormit en disant :

— Deux ans sont bientôt passés.