Trois mois dans les Pyrénées et dans le midi en 1858/Luchon

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Luchon, jeudi, 8 juillet.


En arrivant à Luchon, je me rends chez P... Ils sont tous en course à Saint-Bertrand. Je m’installe à l’hôtel d’Angleterre. Aspect charmant et élégant de Luchon, comparé aux autres eaux des Pyrénées ; belles maisons, jolis hôtels. Monté à la montagne boisée au-dessus de l’établissement des bains. Des allées tracées qui montent en tout sens dans la forêt la relient aux jardins d’en bas. Charmante promenade, et par un beau soleil. Admiré la richesse et la luxuriance de cette végétation de montagnes. Il semble qu’on y sente le mouvement, la circulation de la vie universelle, la sève qui coule à travers toutes choses, la rie abondante, active, fraîche, riva voluptas. Le sol est couvert de plantes de toutes sortes, éclatantes de fraîcheur (comme les arbres dans Lucrèce, crescendi magnum certamen), de toulfes de fougère vigoureusement épanouies qui se mêlent et s’entrelacent ; et sous toute cette végétation, on entend sourdre et courir l’humidité fécondante qui l’entretient, on sent le ruissellement mystérieux et clair de la rosée éternelle que versent les cimes.

Après dîner, promenade à la tombée de la nuit sur la route de Castel-Viel. On entend résonner de l’autre côté de la vallée l’Angelus d’une petite église qui est au pied du rocher et qu’on distingue à peine dans l’obscurité du soir. Comme ce simple son est solennel ! Du sein de cette nature si grande et si belle, mais qui n’a conscience ni de sa grandeur ni de sa beauté, c’est une voix qui s’élève pour dire qu’il y a là une intelligence en un cœur qui la réfléchit, la comprend ; cette voix semble faible auprès de ces énormes montagnes, de cette large nature qui l’entoure ; et pourtant combien elle est plus grande qu’elle par sa faiblesse même ; car la nature, qui atteste la grandeur de Dieu, ne la comprend pas !

Toute la société rentre à dix heures. Causé pendant leur dîner.