Trois mois dans les Pyrénées et dans le midi en 1858/Toulouse

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Toulouse, mercredi, 7 juillet.


Visité les églises et les monuments de Toulouse. — Saint-Sernin, à une extrémité dé la vile, isolé sur une place. Intérieur : nef de douze travées étroites, mais élevées ; a un aspect sombre, grand et recueilli ; quelque chose de précis, de net, et en même temps de religieux, de noble et de sévère. Une des causes de la clarté et de la force de la première impression est l’extrême simplicité. Chaque travée est formée par un très-beau cintre ; l'arcade romane est élevée et très-bien proportionnelle. Les piliers sont carrés, massifs ; sur le devant une simple colonne ronde engagée montant jusqu’à la voûte, couronnée d’un beau chapiteau roman.

À l’extérieur, rappelle beaucoup Notre-Dame-du-Port (Clermont) ; c’est le même type, mais plus développé et plus complet ; modèle achevé de ces absides romanes ; œuvre parfaitement belle et satisfaisante. Les absides, flanquées de chapelles et couronnées de la flèche, forment un ensemble de proportions très-harmonieux et dont les lignes s’étagent merveilleusement.

Dans le soubassement du chœur sont enchâssés cinq bas-reliefs en marbre blanc très-curieux, provenant d’une église antérieure. Est-ce de l’époque carlovingienne, ou antérieur encore ? Au milieu, un Christ assis et la main levée. Caractère romain frappant dans le type, l’exécution, le style de ces sculptures. La tradition de la sculpture, dans la formule de l’art romain, se serait-elle conservée si tard dans l’Aquitaine, avec la dégénérescence du dessin, l’ignorance et la roideur des formes, qui indiquent déjà la barbarie ? Jet et plis des draperies tout antiques. Type de tête carrée, front bas, air grave et sévère, mais nûchtern. Un peu obèse, ce Christ à Pair d’un préteur romain assis sur sa chaise. Un ange de chaque côté. Grosses joues, manque d’idéal ; type réel, individuel, comme la statuaire romaine.

Ces sculptures me rappellent beaucoup le style que Mantegna a étudié et a ressuscité plus tard. Ce caractère romain de tous les deux a une analogie frappante, sauf qu’il retrouvait la forme, et qu’ici elle se perd ; que sa pensée luttait contre la forme encore indocile, pour la façonner et l’emplir, et qu’ici la pensée tombe dans une forme abâtardie qui l’entraîne. L’école qui taxe ces formes de la renaissance de retour au paganisme, devrait étudier les premiers monuments de l’art chrétien à Rome, et se persuader qu’après les écoles mystiques du moyen âge, la reprise de ces formes classiques n’était au contraire qu’un retour aux premiers âges et aux formes qu’avait revêtues le christianisme naissant. (Catacombes ; Christ with a scroll : Pax vohis.)

Il y a à Toulouse une série d’hôtels de la renaissance qui indiquent un mouvement d’art et une période florissante de la ville à cette époque. Hôtel Bernin (à présent le lycée). Hôtel d’Assezat, charmant, construction brique et pierre. Les fenêtres, entourées d’un large cintre, sont séparées par deux colonnes cannelées à chapiteaux composés, très-élégantes. Dans un angle, pavillon carré avec une jolie porte sculptée, surmonté de tourelles et clochetons. Ce n’est pas là le fort de cette époque ; on ne comprend plus la flèche ; on la fait lourde et bâtarde, tronquée. La Maison de pierres. Elle contraste avec la précédente. Ici Penflure a remplacé le goût fin et délicat (Bernin). Encore de la fantaisie, encore une grande élégance dans certains détails, mais plus de règle, plus de composition. La fantaisie s’allié avec un mauvais goût, une certaine extravagance et exagération de style ; profusion d'ornements, enflure ; massif plutôt que beau ; bien nommée la Maison de pierres. — Le Capitole. Grande façade badigeonnée en blanc avec colonnes en marbre rouge ; pauvre de style. Cour intérieure étroite du xvne siècle. Portail assez joli. C’est là qu’a été exécuté Montmorency. Ce mot æul fièrement inscrit au fronton : capitolium. Caractère romain et sombre de Toulouse au moyen âge. Quelque chose de la dureté et du formalisme romain. Ville de juristes, de droit, à côté du fanatisme de la dévotion méridionale, les deux s’alliant souvent. Saint Dominique et Cujas. Souvenirs sanglants. La Ligue et Duranli. Calas, et ce conseiller qui se serait à jamais illustré rien qu’en causant sa mort.

À six heures et demie, départ pour Luchon. Grimpe sur l’impériale de la diligence : un beau conducteur toulousain. Près de moi, une grosse Espagnole de Barcelone entre deux âges, qui habite Toulouse et va passer la saison à Luchon. Je suis d’abord très-enrayé de la voir dormir sur mon épaule et son chien sauter sur mes genoux ; mais le froid du soir finit par m’y faire trouver certains avantages. Sous la bâche, quatre jeunes gens chantant en chœur au lieu de dormir. — Il y a ici bien plus d’instinct musical qu’au centre de la France. Par moments, jolie harmonie ; mais ce n’est pas encore la perfection d’ensemble de l’Allemagne, ni surtout l’expression profonde, le sentiment intérieur. Ces natures sont plus mobiles et se répandent plus au dehors.

Au jour, gros nuages gris. Saint-Gaudens, affreux petit bourg sur une éminence. On sent l’approche de la montagne ; la route devient montueuse et accidentée ; la vallée de la Garonne se resserre entre deux lignes de montagnes. Cette entrée est jolie, riante et fertile, avec un fond accidenté. On laisse Saint-Bertrand-de-Comminges à droite, ville antique avec une belle église et un cloître. Cierp, dernier relais avant Luchon, joli village assis sur les eaux écumantes du torrent, au confluent de la vallée de la Garenne, qu’on quitte ici, et de celle de la Pique. Après Saint-Béat, on entre dans la vallée de Luchon, bordée de montagnes aux pentes douces et arrondies. Luchon ne se voit pas de loin ; il est situé à l’entrée d’une vallée latérale au pied de la montagne de Cazaril. Arrivé à dix heures et demie.