Trois semaines d’herborisations en Corse/11

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De St-Florent à Bastia. — 18 mai.


À trois heures, le rapide galop de deux petits chevaux corses emporte le cabriolet où nous avons pris place, et par lequel se fait le service postal de St-Florent à Bastia.

On arrive promptement aux riants villages de la commune de Patrimonio, sur les premières pentes des montagnes que nous allons bientôt franchir. Ici le paysage s’égaie ; ce n’est plus l’affreuse brousse silencieuse et morne ; mais de nombreuses maisons blanches, disséminées dans le feuillage des oliviers ou des chênes verts, de belles plantations de figuiers ou de vignes témoignent d’une population active et relativement prospère.

Bientôt, la pente devenant plus rapide, les chevaux se mettent au pas. C’est en vain que nous essayons de tirer de son mutisme le conducteur qui a jeté déjà un coup d’œil singulier sur nos cartables bourrés de plantes, sur nos boîtes vertes et nos piochons. Nous prenons alors le parti de descendre et de crayonner quelques notes tout en suivant l’attelage, que notre automédon gourmande de temps à autre d’un cri guttural.

Le Spartium junceum L., abondant avant Patrimonio, avec Lavatera Cretica L. et Allium subhirsutum L., ont disparu ; d’autres plantes, communes dans la région basse ou moyenne, se remarquent çà et là :

Cynoglossum pictum Ait.
Bupleurum fruticosum L.
Agave Americana L.
Ficus Carica L.
Crupina Morisii Bor.
Convolvulus Cantabrica L.
Pancratium Illyricum L.

et Psoralea bituminosa L. dont les feuilles affectent parfois la forme suborbiculaire.

Les cimes de la chaîne centrale se rapprochent peu à peu ; mais depuis un moment les sommets de la Serra di Pigno s’embrument d’une manière inquiétante. De gros nuages courent là-haut et s’étendent vers le sud ; le soleil se voile ; il est à craindre qu’une averse ne nous arrive avant le passage du col. Cependant nous explorons toujours les bords de la route, tout en accélérant un peu l’allure. Voici :

Vicia Bithynica L.
Scrofularia peregrina L.
Borrago laxiflora DC.
Stachys glutinosa L.
Polygala Corsica Bor.

Dans le voisinage du col de Téghime (550 mètres environ), c’est à la hâte qu’il faut cueillir :

Aceras anthropophora R. Br.
Ophrys aranifera Huds.
Anemone stellata Lamk.
Cyclamen repandum Sibth.
Orobus variegatus Ten.
Ranunculus lanuginosus L.
Cytisus triflorus L’Hérit.
— candicans var. Colmeiroi Willk.

car la pluie est imminente. Nous avons juste le temps de remonter en voiture et de mettre à l’abri les cartables pour les sauver d’une inondation irréparable. Les nuages en effet ont crevé subitement et déversent sur nous de véritables cataractes dont nous avons grand peine à nous garantir, malgré nos parapluies et nos couvertures.

Fort heureusement le déluge ne fut pas de longue durée et quand nous arrivâmes au versant oriental de la montagne, le ciel commençait à s’éclaircir, fort à propos d’ailleurs pour nous permettre de jouir du beau coup d’œil qu’offre la contrée à cet endroit. À chaque contour de la route, que les chevaux parcourent à toute vitesse, l’horizon s’élargit ; d’abord se découvre l’étang de Biguglia, qu’une étroite bande de terre sépare de la mer ; puis la plaine d’Aléria, pays de la malaria meurtrière, avec sa côte uniforme et basse, puis les vergers verdoyants, les cultures, les villages éparpillés à mi-côte des premières rampes de la chaîne.

Enfin Bastia parut avec son port, ses maisons hautes, ses monuments, ses riches jardins embaumés où les orangers fleurissent au milieu d’une végétation quasi tropicale, et, vers cinq heures, nous entrions en ville, heureux de chasser, au contact de la vie civilisée, le souvenir des maquis sauvages de San Giovani ou de Novella.

Je parlerai brièvement des excursions faites pendant notre séjour à Bastia, qui fut quelque temps le quartier général de la Société botanique de France lors de sa session extraordinaire en Corse, en 1877. Les remarquables comptes-rendus de MM. Gillot, Billiet, Burnouf, la notice du Dr  Chabert sur la Florule du cap Corse (Bul. soc. Bot. Fr. 1882, p. xxix), ont déjà donné, avec autant d’art que de science, des renseignements très détaillés sur cette région et sur sa flore. Nous craindrions, pour ce motif, en étant trop longs, de faire double emploi. Ajoutons que les plantes de Bastia et du cap Corse ont été l’objet d’études approfondies ; il suffit de rappeler les travaux de MM. de Marsilly, Mabille, A. Le Grand, Debeaux, pour pouvoir affirmer qu’à l’heure actuelle la végétation de cette partie de l’île est une des mieux connues. Ce n’est donc que pour mémoire que nous mentionnerons les récoltes suivantes, d’ailleurs sans grand intérêt.