Trois semaines d’herborisations en Corse/9
De Pietra-Moneta à St-Florent. — 17 mai.
Il est deux heures quand nous quittons Pietra-Moneta, non sans jeter un regard de reconnaissance sur ses trois ou quatre maisons blanches, devant lesquelles sont plantées de robustes haies d’Agave. La chaleur pèse lourdement sur le maquis où l’on n’entend pas un cri d’oiseau, pas un murmure de feuilles. Ragaillardis par notre frugale collation, nous prenons d’un pied allègre la route de St-Florent, fouillant d’un coup d’œil, à droite et à gauche, les fossés et les talus.
Voici une petite mare presque desséchée dont les bords sont couverts de :
Eleocharis palustris R. Br.
Lotus Conimbricensis Brot.
Polypogon subspathaceum Req.
Callitriche stagnalis Scop.
Glyceria fluitans R. Br.
Çà et là, l’un ou l’autre s’arrête pour recueillir :
Melilotus elegans Savi.
Ptychotis verticillata Dub.
Medicago maculata Willd.
Solanum nigrum L.
Anthriscus vulgaris Pers.
Trifolium suffocatum L.
— resupinatum var. Clusii (G. G.).
Andropogon hirtum var. pubescens Husn.
Tunica prolifera forma velutina R. et F.
Hieracium præcox var. fragile A.-T.
Cuscuta alba Presl.
Chamædrys glauca J. et F.
Teucrium Marum L.
Scorpiurus subvillosa L.
Plantago Coronopus L.
Poterium dictyocarpum Spach.
Anthemis arvensis L.
Hieracium præcox Sch. Bip.
La route monte insensiblement, mais d’une façon régulière et avec de continuels détours, jusqu’au col de Cerchio (315 mètres), et tout à coup le cercle de montagnes brunes qui borne l’horizon s’élargit et découvre le superbe tableau du golfe de St-Florent, de la côte du cap Corse et d’une vaste zone d’ondulations qui courent en lignes parallèles depuis les derniers pics jusqu’à la mer.
Il ne faut rien moins que l’attrait captivant de ce paysage et la rencontre de quelques bonnes plantes pour nous soutenir, car la fatigue de cette rude journée sous un soleil impitoyable commence à se faire sentir singulièrement. Nous glanons :
Sedum cæruleum Vahl.
Lotus corniculatus L. (fl. rouges).
Polygala Corsica Bor.
Gomphocarpus fruticosus R. Br.
Rosmarinus officinalis L.
Scrofularia trifoliata L.
Sagina apetala var. barbata Fenzl.
Plantago Lagopus L.
Hyacinthus fastigiatus L.
Grucianella angustifolia L.
Melica minuta L.
Orobanche cruenta Bert.
Genista aspalathoides Lam.
Viola silvestris subsp. insularis R. et F.
Vicia Corsica Ces. Pass. Gib.
Cytinus Hypocistis var. kermesinus Guss.
ainsi que, à la hauteur du Pont-du-Diable, jeté sur une gorge profonde où gronde un torrent, une forme d’Arbutus Unedo à feuilles étroites (var. angustifolia Debeaux), déjà rencontrée au cap Corse par M. O. Debeaux.
Un instant nous avons l’idée de demander un gîte dans l’un des villages échelonnés sur notre passage : Baccialu, Costa, San Giovanni, car le jour baisse et la maigre pitance de Pietra-Moneta n’est déjà plus qu’un très lointain souvenir. Mais nous ne pouvons nous résigner à passer la nuit dans l’une des masures qui se succèdent le long de la route. Bien que boîtes et cartables soient devenus pesants, nous allons toujours, entre les maquis où l’ombre s’épaissit peu à peu, et, comme les troupiers sentant l’étape, l’un de nous entonne quelque joyeux refrain qui trompe la lassitude.
Nous marchâmes longtemps dans la nuit noire en côtoyant un précipice dont nous n’apercevions que l’ouverture béante et dans l’ombre duquel brillaient par intervalles les cascades du Morello.
Pour comble d’infortune, une déplorable confusion nous fit prendre, à 7 kilomètres de St-Florent, la route de Santo Pietro ! Fort heureusement, une demi-heure après, mais toujours trop tard pour nos jambes, deux gendarmes, qui revenaient de leur tournée, nous firent apercevoir de notre méprise et nous remirent en bonne voie : il fallut bon gré mal gré rebrousser chemin.
Enfin, au bout d’une interminable descente, parurent le pont métallique de la rivière d’Aliso et cette sorte de lagune que forme l’estuaire, dans laquelle se reflétaient les lumières de St-Florent. Il était temps ! Dix heures avaient déjà sonné et nous étions, l’un comme l’autre, exténués de fatigue et de privations.