Un Mariage à Mondorf/02

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Imprimerie de la Société St-Paul (p. 17-31).


II


En cet instant Marcelle, qui de la fenêtre de l’appartement épiait, le coin du rideau soulevé, le retour de M. Dubreuil, accourut vers Raymonde en battant des mains :

— Grande sœur, le voici qui rentre enfin. Sur le siége du coupé j’ai reconnu d’ici les favoris roux de Jean, le cocher. Descendons bien vite, veux-tu ? et allons embrasser petit père.

Et elle s’élança dans l’escalier la première, suivie de Raymonde qui achevait de sécher, du coin de son mouchoir, la trace des larmes qu’elle avait répandues.

En bas, à peine descendu de voiture, M. Dubreuil avait saisi Marcelle dans ses bras et couvrait de baisers les boucles de ses blonds cheveux.

— Bonjour, chère Raymonde, dit-il ensuite en baisant le front que celle-ci lui tendait, comment as-tu passé la journée ? Ne vous êtes-vous pas trop ennuyées, toutes seules, depuis le matin ?

Puis plus bas, en se penchant à l’oreille de sa fille :

— Et la petiote ? Ne s’est-elle pas plaint ? n’a-t-elle point souffert ?…

Après avoir répondu par un signe de tête à la question qui concernait Marcelle, Raymonde dit tout haut :

— Non, père, nous ne nous sommes pas ennuyées du tout, demande plutôt à petite sœur. Après ton départ, nous avons été entendre la maîtrise de la Madeleine au mariage de la comtesse de Vlissac. Puis, après déjeûner, nous sommes allées au Bois par Neuilly et Suresnes. Ah ! la bonne promenade ! quelle délicieuse journée de printemps, et comme nous t’avons plaint d’avoir dû la passer tout entière dans ce vilain Paris où l’on ne respire pas !…

— N’en dis pas trop de mal, grande sœur, dit Marcelle joyeusement : ce serait une peine bien inutile puisque nous allons bientôt le quitter, pour aller… Pour aller où, petit père ? ajouta-t-elle après un moment d’hésitation.

— Pour aller où il plaira au docteur de nous envoyer, ma chère petite, répondit M. Dubreuil. J’espérais le voir hier ; mais il a été empêché de venir. Tout à l’heure, je l’ai croisé sur le boulevard et il m’a promis d’être des nôtres ce soir. Nous allons donc savoir la résidence qu’il nous a choisie pour cet été.

On passa dans la salle à manger, où le dîner était servi, et l’on se mit à table.

M. Dubreuil touchait maintenant à la cinquantaine. Il était le type accompli de ce que l’on est convenu d’appeler un beau vieillard : de haute taille, la poitrine large et ouverte, la moustache fière, accentuée par la cédille de son impériale, les cheveux tout blancs et ras coupés, sa physionomie respirait tout ensemble la plus virile énergie et la plus compatissante bonté.

Il était assis au haut bout de la table, ayant à sa droite Raymonde, le visage encore empreint de tristesse et le front soucieux, mais admirablement belle dans un costume fort seyant de lainage sombre, relevé çà et là de dentelles assorties. Marcelle, assise vis-à-vis, de l’autre côté de la table, offrait avec elle le plus frappant contraste. Aussi blonde que Raymonde était brune, son œil bleu pétillant maintenant de malice, elle était vêtue d’une coquette blouse de foulard, dont les nuances se mariaient admirablement avec l’or de ses cheveux et le large ruban bleu qui en retenait les boucles épaisses.

Le commencement du repas fut silencieux. M. Dubreuil rapportait chaque soir, à l’heure du dîner, un appétit d’homme bien portant qu’il était indispensable tout d’abord de satisfaire. Mais quand le domestique, après avoir fait le dernier service, se fut retiré, Raymonde invita son père à leur raconter sa journée.

— Une journée bien maussade, ma chérie. J’ai d’abord perdu un temps infini à rejoindre le président de la droite parlementaire, que je désirais prévenir moi-même de notre départ. Puis il m’a fallu passer aux bureaux de l’Autorité, où j’ai porté le manuscrit de la fin de cette étude sur la question agricole, que M. de Cassagnac m’avait prié de vouloir écrire pour ses lecteurs.

J’ai eu d’ailleurs le plaisir de le trouver à son journal : apprenant que je quittais Paris, il a voulu absolument que je déjeunasse avec lui. Nous sommes allés chez Marguery et, comme nous pouvions bien nous y attendre, nous avons rencontré là quelques amis avec lesquels il a fallu faire un tour de boulevard.

Cependant, désireux de terminer aujourd’hui mes courses, j’ai quitté nos amis pour aller retrouver le secrétaire du comité du neuvième arrondissement, et lui déléguer tous mes pouvoirs de président pour l’organisation des colonies scolaires des prochaines vacances. Une affaire pressante l’empêchant de me donner son temps comme il le voulait, je l’ai invité à venir passer la soirée avec moi : je l’ai d’ailleurs chargé de nous amener le vice-président. Nous aurons aussi mon collègue du département à la députation, puis quelques amis que j’ai rencontrés et invités à cette soirée d’adieux improvisée.

Je t’ai dit déjà que j’avais croisé le docteur sur le boulevard… Eh ! mais, au fait, il m’a remis un petit livre en me recommandant d’y jeter un coup d’œil avant son arrivée…

M. Dubreuil sonna et pria le domestique de lui monter ce livre, que par distraction il avait laissé dans la poche de son coupé.

— Tiens, dit-il quand on le lui eut apporté, Mondorf-les-Bains… Qu’est-ce que c’est que cela ? Sais-tu peut-être, Raymonde, où perche ce port de mer ?

— Absolument pas, dit Raymonde ; mais à en juger par la tournure du nom, ce pourrait bien être en Allemagne… Mondorf ?… Dorf doit signifier notre mot : village.

Marcelle prit le livre des mains de M. Dubreuil :

— Êtes-vous assez drôles tous deux, dit-elle finement, de vous creuser la tête à chercher une chose que ne peut manquer de nous renseigner la première page du livre…

Et ouvrant l’opuscule, elle lut à haute voix : « Mondorf-les-Bains est un bourg fort ancien, situé dans le coin le plus méridional du Grand-Duché de Luxembourg, tout contre la frontière de la Lorraine. La source minérale se trouve à un kilomètre à l’est de la localité, au milieu d’un parc splendide, bordé par le cours de la Ganer ou Altbach. Cette petite rivière forme, sur une étendue de deux lieues, la frontière entre le pays de Luxembourg et la patrie de Jeanne d’Arc. L’Altbach serpente à travers une vallée étroite très pittoresque, qui s’étend en forme de bassin, dont les hauteurs sont couronnées de bois et de vignobles. À une lieu de Mondorf, en face de l’ancienne Chartreuse de Rettel, la Ganer se jette dans la Moselle, au milieu d’un panorama qui peut rivaliser de beauté avec les meilleurs sites du Rhin… »

Elle s’arrêta pour s’écrier :

— Oh ! que c’est gentil, petit père ! Est-ce là, dis, que nous irons ?… Je voudrais bien aller à Mondorf-les-Bains, moi…

— Il est bien possible, même probable, ma chérie, dit M. Dubreuil, que ce soit le lieu choisi par le docteur pour la période de nos vacances. Nous ne tarderons d’ailleurs pas à le savoir : prends encore un peu de patience.

À sept heures, le dîner terminé, Marcelle exprima le désir d’aller faire avec M. Dubreuil et Raymonde le tour du boulevard. On sortit. La soirée d’ailleurs était splendide : au détour de la rue Lepelletier, en mettant le pied sur le trottoir des Italiens, on était malgré soi saisi d’un grand mouvement d’admiration. La longue enfilée des boulevards, dans la direction de l’Ouest jusqu’à la place de la République, était baignée des rayons du soleil couchant, dont le faisceau énorme la remplissait d’un flot d’or pourpre. Attirée par le charme puissant de ce joyeux mirage, la foule qui inondait la rue s’écoulait lentement, comme recueillie, cessant les cris aigus qui perçaient tantôt d’une note stridente le long bourdonnement des conversations.

M. Dubreuil avançait doucement, appuyé au bras de Raymonde. Chaque incident survenant dans la foule, chaque nouveauté exposée provoquait un léger temps d’arrêt, pendant lequel il donnait des explications complaisantes à Marcelle. Là-bas, c’était un mitron passant dans la foule avec, en équilibre sur la tête, une large galette d’osier qu’une femme avait accrochée ; on se disait des injures qu’un groupe de dilettanti écoutait curieusement. Ici, c’était un cocher maladroit qui tempêtait contre les piétons : au coin de la rue Montmartre il avait renversé un vieil ouvrier qu’on avait dû transporter dans une pharmacie et avait tâché de s’esquiver avec sa voiture avant qu’on eût pris son numéro : mais un gardien de la paix l’avait reconnu, avait téléphoné à la grande station du boulevard et venait ainsi, sans se déranger, de le faire pincer au passage. Des rassemblements se formaient, des groupes de badauds s’arrêtaient, fichés comme des poteaux devant une affiche drôle, des files d’hommes-sandwichs s’attardaient, promenant sous les yeux du public la cage de bois où ils étaient emprisonnés.

M. Dubreuil tourna tout à coup dans la rue Drouot : avant de rentrer, on aurait encore le temps de passer par le Figaro et d’aller voir les curiosités étalées dans la salle des dépêches. Mais on n’y vit rien de fort intéressant : les photographies des morts de la veille, occupant une place élevée dans le monde de la politique, des arts et des belles-lettres ; les caricatures topiques des journaux illustrés de l’étranger ; puis encore des croquis au crayon de la catastrophe survenue récemment dans un puits de charbonnage et de l’assassinat de la rue Montaigne ; des armes envoyées d’Afrique, en usage chez une peuplade cruelle que M. Stanley venait de réduire ; puis le cadre banal des photographies d’actrices et d’acteurs parisiens.

Sur le trottoir, en sortant de la salle des dépêches, M. Dubreuil trouva un de ses amis, chef de bureau du ministère des affaires étrangères, causant avec un inconnu qui portait le ruban d’un ordre étranger à la boutonnière de sa redingote.

— Mon cher Florian, dit M. Dubreuil en s’avançant vers son ami la main tendue, quel heureux hasard de te rencontrer ?

Puis, se tournant vers l’étranger, il le salua avec une exquise politesse.

L’ami Florian, un bon gros garçon dans lequel il était impossible de ne pas reconnaître, sous le vernis de l’homme du monde, la nature exubérante du paysan tourangeau, présenta ces messieurs l’un à l’autre :

— M. Dubreuil, député d’Indre-et-Loire… ses filles…

— M. Vanier, chargé d’affaires du Grand-Duché de Luxembourg près la République…

Le député tressauta, pendant que Raymonde et Marcelle chuchotaient.

— Ah ! par exemple, la coïncidence est assez singulière, dit-il, et le hasard qui me procure, Monsieur, l’honneur de faire votre connaissance, a pour moi tout l’attrait d’une gageure. Figurez-vous que ce nom du Grand-Duché de Luxembourg, je ne l’avais plus jamais prononcé, je crois bien, depuis que j’ai quitté l’école et fermé mon atlas. On a peut-être raison de définir le Français en général : Un monsieur qui ne connaît pas la géographie.

Or, ce soir, au dîner, c’est le Grand-Duché qui a fait tous les frais de notre conversation et c’est du Grand-Duché que l’imagination de ces demoiselles est remplie. La mienne aussi, je ne vous le cacherai point. Et voici que, tout à coup, mon ami Florian vous présente…

Connaissez-vous, Monsieur, la station de Mondorf-les-Bains ?…

Et comme le chargé d’affaires allait répondre, M. Dubreuil se tourna tout à coup vers son ami :

— Florian, dit-il, si tu veux être bien gentil et m’obliger vraiment, accepte la proposition que je vais te faire. J’ai ce soir quelques amis à qui j’offre sans façon aucune le thé et le cigare. Sois des nôtres et, pour mettre le comble à ton amabilité, dis à Monsieur Vanier combien je serai charmé qu’il me donne aussi cette soirée.

Le chef de bureau ayant accepté, M. Vanier s’inclina.

— Je suis trop honoré, Monsieur, de la gracieuse invitation que vous voulez bien me faire pour ne pas m’y rendre avec empressement ; je ne quitterai donc pas mon ami.

Sans plus s’attarder, car huit heures venaient de sonner au clocheton du Comptoir européen, M. Florian offrit galamment le bras à Raymonde, qu’il connaissait depuis de longues années et qu’elle traitait en ami de la maison. Puis on se mit en marche, M. Dubreuil venant derrière avec M. Vanier.

Quelques heures plus tard, l’animation était grande dans le salon du député. Tous les amis qu’il avait invités se trouvaient au rendez-vous. Marcelle avait guetté l’entrée du docteur et, sur un mot de lui qui l’avait rendue toute joyeuse, elle s’était retirée avec Raymonde en souhaitant le bonsoir à son père.

— Alors, dit quelqu’un, vous êtes absolument décidé à partir sans attendre la fin de la session ? On comptait cependant sur un discours à sensation dans la question des sucres…

— Mon cher ami, répondit M. Dubreuil, il y a quelque chose dont je suis plus préoccupé en ce moment que des sucres et du succès possible d’un maiden-speech ; c’est la santé de mes enfants. Or, l’excellent docteur que voici vous dira lui-même qu’il m’a conseillé de hâter mon départ le plus possible. Je lui obéis.

— Et l’heureux pays que vous honorerez de votre séjour ?…

— Est le pays que représente Monsieur près le respectable président de l’Élysée, ajouta le député en se tournant vers M. Vanier : le Grand-Duché de Luxembourg. Le docteur prétend m’y avoir déniché un coquet petit village, où je pourrai satisfaire à la fois mes goûts d’existence sans façon et mon désir de guérir ma fille.

— Et comment s’appelle cette petite merveille luxembourgeoise ?

— Mondorf-les-Bains !

— Le nom a jolie tournure, dit l’ami Florian, mais je ne l’avais jamais entendu prononcer.

— Ni moi !

— Ni moi !

— Ni moi !

Cette dénégation partit de toutes les bouches comme un feu de file, tandis que tous les regards se tournaient vers M. Vanier, semblant quêter quelques renseignements. Celui-ci comprit et sourit :

— La chose, dit-il, ne saurait paraître étonnante à qui connaît la gigantesque réclame faite autour des stations thermales réputées. Mondorf-les-Bains, moins recommandé à coups d’annonces et de prospectus, n’en est cependant pas moins une station très recommandable : il me suffira, pour vous en convaincre, de vous dire que l’établissement hydrothérapique créé à proximité de la source minérale de Mondorf, a été construit par votre savant professeur Fleury lui-même, le promoteur de l’hydrothérapie scientifique. Il appréciait tellement les vertus de l’eau de la source qu’il accepta, il y a vingt ans, de prendre la direction des bains : aussitôt la réputation du savant praticien y attira une foule de malades, plus que n’en pouvait contenir le petit bourg.

S’il eût pu y demeurer, soyez persuadé que je n’aurais rien à vous dire que vous ne connussiez aussi bien que moi-même, de la station de Mondorf-les-Bains, qui eût pris rang parmi les premières stations balnéaires de l’Europe. Malheureusement, le passage de M. Fleury fut aussi court que brillant : la guerre franco-allemande survint et il quitta la direction.

Je ne pourrais dire le tort que fit la guerre de 1870 à l’établissement de Mondorf, dont la clientèle, qui était surtout française, ne revint plus guère après l’annexion de la Lorraine à l’empire allemand. Ce fut la décadence et presque la mort de la coquette station balnéaire.

— Et à la suite de quelles circonstances, demanda M. Dubreuil que ces renseignements intéressaient fort, a-t-elle retrouvé sa prospérité ?

— Le retour de Mondorf à la vie date du commencement de l’année dernière, reprit M. Vanier. La société qui exploitait l’établissement n’étant pas disposée à faire les sacrifices qu’exigeait le succès d’une pareille entreprise, elle l’offrit en vente. Un des membres du gouvernement luxembourgeois, M. Pauley, comprit tout le parti qu’on pourrait tirer d’une pareille acquisition, et obtint de la Chambre des députés le rachat de Mondorf par l’État.

Il a pris à cœur de vaincre les obstacles qui se sont opposés jusqu’ici à l’essor de l’établissement, et de conduire Mondorf aux destinées que la valeur médicale de ses eaux et son excellente position géographique permettent d’espérer pour lui. Il a fait des prodiges pour rendre agréable aux baigneurs et aux malades le séjour de la station et en a été récompensé dès la première saison : chose inouïe depuis nombre d’années, l’établissement a clôturé son année par un excédant de recettes.

— Voilà qui me paraît assez décisif, dit l’ami Florian. Décidément, cher M. Vanier, vous me faites venir à la bouche cette eau de Mondorf, et j’ai bien envie, cet été, d’aller passer une huitaine de jours dans le Grand-Duché.

Je le devrais faire d’ailleurs, ne fût-ce que pour aller vous y rendre votre aimable visite. Et puis j’y retrouverais notre cher député et ses gentilles demoiselles.

Et comme M. Dubreuil, à ce mot, le regardait d’un air singulier :

— Oh ! sois tranquille, reprit-il aussitôt ; rassérènetoi, père modèle. Je suis un célibataire trop endurci pour que tu puisses craindre de trouver en moi l’étoffe d’un ravisseur. Je grisonne, ô père jaloux, et te laisserai ta fille. Je te déclare enfin, ô vil réactionnaire, que je ne suis pas prêt à trahir la République pour entrer dans ta famille, un nid de l’ancien régime…

Tout le monde éclata de rire dans le salon. Seul, M. Dubreuil se contenta de sourire. C’est qu’il ressentait un étrange malaise, ce père aimant et dévoué, quand le hasard de la conversation ramenait en son esprit la pensée qu’un jour il lui faudrait se séparer de ses filles. La maladie menaçait de lui ravir Marcelle : il luttait pied à pied pour rendre vaines ses attaques. Mais si l’amour maintenant, venant à s’en mêler, allait se mettre contre lui et essayer de lui prendre Raymonde, serait-il de force à combattre ?…

Il chassa bientôt cependant ces pénibles pensées et se remit promptement de son mouvement de faiblesse.

— Tu n’attends pas sans doute, beau républicain, répondit-il en contrefaisant l’ironie de Florian, que je m’émeuve outre mesure de tes spirituelles injures. Je courrais trop le risque de nous brouiller à mort : auquel cas je perdrais tout le plaisir que j’aurai de te recevoir là-bas, quand tu viendras visiter Mondorf.

Car je compte sur cette visite : non pas seulement qu’elle me procure l’agréable perspective de serrer la main à un vieil ami, mais encore — pardonne-moi d’être aussi intéressé — parce que personne mieux que toi ne saurait venir me donner des nouvelles de mes amis et des œuvres dont j’ai pris la prospérité à cœur. Je te donnerai tantôt les adresses des personnes chez lesquelles il te faudra venir prendre tes renseignements avant de te mettre en route : à commencer par notre ami Cottin, que voilà, qui te dira les décisions prises par notre comité du neuvième arrondissement pour l’organisation des colonies scolaires de vacances.

— Cette institution vous intéresse, Monsieur le député ? dit M. Vanier. Mondorf aura donc un attrait de plus pour vous, car de pareilles colonies y sont organisées pour les enfants des écoles de notre petite capitale.

— Et avec l’attrait, ajouta M. Cottin, viendra l’obligation d’étudier la méthode suivie là-bas pour la tenue des colonies et de nous en exposer au retour le mécanisme.

— Je m’y engage, cher ami, dit M. Dubreuil. Pourvu que je rencontre à Mondorf quelqu’un qui me renseigne, et que je puisse obtenir l’autorisation…

— De ceci, l’interrompit M. Vanier, vous permettrez bien, Monsieur, que je me charge. Vous m’avez fait ce soir un trop gracieux accueil pour que je puisse omettre, en retour, de tenir mes amis de là-bas à votre disposition.

— Cette promesse, dit le docteur, rend presque superflue la recommandation que j’allais vous offrir pour mon confrère de Mondorf, l’excellent docteur Petit. Car il est bien temps de vous dire à la suite de quelles circonstances je me suis trouvé amené à vous recommander un séjour dans la station qu’il dirige.

J’étais sérieusement occupé de faire un choix entre les villes d’eaux nombreuses qu’il m’était possible de vous recommander dans l’intérêt de la santé de Marcelle, lorsque je reçus l’opuscule que je vous ai glissé cet après-midi, en vous croisant sur le boulevard. Je n’aurais peut-être pas songé à l’ouvrir, si le courrier suivant ne m’avait apporté une lettre d’un ancien camarade que j’avais presque perdu de vue, ce docteur Petit précisément, le directeur médical de Mondorf-les-Bains et l’auteur de l’opuscule qui m’avait été envoyé.

Il me rappelait dans sa lettre son excellent souvenir, et puis, en savant praticien qu’il est, me vantait la grande valeur médicale des eaux de sa station.

« Tu sais, ajoutait-il, quel respect profond j’ai toujours eu pour la vérité dépouillée d’artifices, et quelle instinctive répugnance m’inspire tout ce qui, de près ou de loin, touche au charlatanisme. C’est en suivant strictement la ligne de ces principes que j’ai écrit le petit livre que je t’ai envoyé ce matin : il ne s’y trouve pas un mot qui ne soit strictement vrai, et l’éloge que j’y fais des eaux de Mondorf est plutôt modeste qu’exagéré. Lis ce petit livre attentivement : je suis certain que tu y découvriras plus d’une indication utile, et qu’il se prouvera, parmi tes malades, quelqu’un à qui le conseil de venir se faire soigner ici rendra la santé. »

Connaissant par expérience quelle absolue confiance il m’était permis d’avoir en la parole de mon ami, j’ai lu son livre minutieusement. Après cette lecture, mon opinion a été faite et ma résolution prise de vous engager à conduire Marcelle à Mondorf.

— Je vous suis reconnaissant, docteur, de toute la peine que vous voulez bien prendre en faveur de mon enfant. En arrivant à Mondorf, je dirai à votre ami l’empressement que vous avez mis à écouter son conseil. Puisse-t-il être savant et dévoué comme vous l’êtes vous-même !…

— Le souhait est superflu, Monsieur le député, dit M. Vanier : le docteur Petit est un médecin savant et plus dévoué au salut de ses malades que je ne saurais vous le dire. Il guérira votre enfant.

— Le Ciel exauce votre prédiction, Monsieur, et je serai le plus heureux des hommes…

Une heure plus tard, M. Dubreuil debout, la tête inclinée devant le crucifix appendu à son chevet, priait dans la nuit silencieuse.