Un drôle de voyage/04

La bibliothèque libre.
J. Hetzel et Cie (p. 45-59).

IV

une rude journée

La porte de leur chambre fut à peine refermée que Mimile sortit doucement de son panier.

Charlot, qui l’entendit, mit aussitôt la tête hors du sien.

« Où vas-tu donc ? » demanda-t-il tout bas à son compagnon.

Mimile était allé faire un petit tour à son sac de provisions.

« Chut ! » fut sa seule réponse.

Il revint presque en même temps auprès de Charlot, auquel il donna une sandwich et une tablette de chocolat.

« Prends, lui dit-il, croque toujours ça, car rien n’est plus mauvais que de se coucher l’estomac vide.

— Ce que tu fais là est très-gentil, lui dit Charlot, qui n’eût pas osé lui avouer qu’il avait faim.

— Et toi qui ne voulais pas qu’on achetât rien pour la route, qui trouvais cela inutile ! »

Charlot, évidemment dans son tort, se contenta de croquer son chocolat pour toute réponse. Mimile en fit autant de son côté.

Quand ils eurent achevé ce repas plus distingué que substantiel, ils s’accommodèrent de nouveau au milieu de leur paille dans l’intention de s’endormir.

Dès lors, on n’entendit plus que le bruit régulier de l’hélice qui battait les eaux du fleuve.

« Hé ! Mimile, dit Charlot au bout d’un instant.

— Quoi ? demanda son compagnon avec un peu d’impatience.

— C’est que j’ai une puce dans le dos.

— Bah ! ne crois donc pas ça, c’est une idée, une paille qui te chatouille, répliqua Mimile, qui voulait dormir.

— Je te dis qu’elle me pique, je le sens bien.

— Alors, passe-la-moi, je lui tordrai le cou.

— Comme si j’avais une main dans le dos pour la prendre.

— Eh bien, patiente un peu ; elle te laissera tranquille quand elle aura fini de souper.

— Ah ! tu te moques de moi, dit Charlot désolé.

— En voilà un voyageur qui a peur d’une puce !

— Je n’en ai pas peur, mais ça me pique, ça me démange. »

Mimile, impatienté, sortit une seconde fois de son panier en disant à Charlot :

« Voyons, lève-toi. »

Charlot se dressa sur ses pieds.

Mimile se mit alors à lui frotter vigoureusement le dos avec son poing.

L’opération dura une bonne minute.

« Je suis certain qu’elle ne te piquera plus maintenant, lui dit-il.

— Tu crois qu’elle est morte ? demanda Charlot.

— Tu ne l’as donc pas entendue claquer ? dit gravement Mimile.

— Je n’ai rien entendu.

— Moi je l’ai entendue… Recouchons-nous. Bonne nuit ! »

Soit que Charlot fit erreur en se croyant piqué par une puce, soit que l’insecte existât et que Mimile l’eût véritablement tué, notre enragé voyageur finit par s’endormir, et par conséquent laissa reposer Mimile, qui ne demandait pas mieux.

Mimile, excellent enfant qui n’avait consenti à suivre Charlot que par intérêt pour sa santé, dormait paisiblement comme tous ceux qui ont la conscience tranquille. Charlot, au contraire, tout entier à son escapade, était, même en dormant, en proie à une agitation voisine du cauchemar. Il se mit à rêver qu’ils étaient arrivés en Amérique. Il traversait une grande forêt, et là, au pied d’un rocher, il rencontrait un lion immense qui se jetait sur lui.

Charlot, terrifié, fit un tel saut pour l’éviter que le panier qui lui servait de lit se renversa, comme un couvercle, sur le panier où reposait Mimile, si bien que Charlot, tombé à pic sur son cousin, se crut entre les griffes de son lion et se mit à taper et à mordre le malheureux Mimile.

« Charlot ! Charlot ! Veux-tu bien finir ! » s’écria Mimile en lui rendant bourrades pour bourrades et en le rejetant, lui et son panier, à l’autre bout de la soupente.

Charlot, subitement réveillé, s’excusa comme il put.

« Je rêvais, dit-il à Mimile, que je tuais un lion.

— Tu ne fais que ça depuis huit jours, mon pauvre Charlot, lui répondit le bon Mimile, mais il ne faudrait cependant pas venir tuer les lions sur ma tête.

« Voyons, relève-toi et place ton lit un peu plus loin du mien. De cette façon, tu seras plus libre dans tes combats et exercices. »

Mimile, on le voit, commençait à se moquer de Charlot. Celui-ci, confus, s’empressa pourtant de lui obéir.

Bientôt après, le bruit de l’hélice se faisait seul entendre.

Les deux enfants, couchés dans leur paille, essayaient, mais en vain, de se rendormir.

Charlot, que sa surexcitation portait à la conversation, reprit la parole :

« Dis donc, Mimile, sais-tu qu’il marche très-bien, le bateau ?

— Oui, très-bien, répondit Mimile.

— Si on pouvait nager comme un bateau à vapeur, c’est ça qui serait fameux, n’est-ce pas, Mimile ?

— Oui, très-fameux, mais ce qui serait plus fameux encore, ce serait de faire un très-bon somme. »

Charlot poursuivit, sans tenir compte de l’insinuation du pauvre Mimile :

« Ou bien encore il faudrait pouvoir voler comme un grand oiseau ; on irait très-loin, très-loin, enfin partout, sans se gêner. Les hirondelles vont en Amérique en un rien de temps…

— Et sans prendre d’omnibus, dit Mimile.

— Par exemple, reprit Charlot, je n’aimerais pas être poisson ; l’hiver, l’eau est trop froide.

— Bah ! dit Mimile, tu finirais peut-être par trouver une place bien chaude dans une poêle à frire.

— Tu te moques de moi, dit Charlot. Ce n’est pas bien, Mimile.

— Non, dit Mimile, je rêve aussi. »

Charlot était lancé dans le pays des hypothèses ; il poursuivit :

« Dis donc, Mimile, si on parvenait à faire des souliers à vapeur, cela irait-il aussi vite que les bottes de l’ogre ? »

Mimile ne répondit pas à cette belle demande, persuadé que le silence était le seul moyen de forcer Charlot à se rendormir.

« Réponds-moi donc, Mimile, » répéta Charlot.

Un ronflement lui répondit.

« Comme il dort ! » se dit Charlot, qui, ne pouvant se résigner à se taire, prit le parti de converser avec lui-même, pour utiliser son insomnie.

Mais ces conversations-là ne durent jamais longtemps.

L’avant-dernière pensée de Charlot fut plus sage que les autres : « C’est égal, se disait le pauvre garçon, on était bien mieux couché chez maman. » Et la dernière pensée fut bonne tout à fait : « Dès que nous serons arrivés en Amérique, nous écrirons à nos papas et à nos mamans pour leur demander pardon de les avoir quittés. » Et comme une bonne pensée en amène une autre : « Si je faisais ma prière, se dit-il, cela défâcherait le bon Dieu, qui n’est peut-être pas content non plus. »

Il la commença avec ferveur, sa prière ; je crois bien cependant qu’il s’endormit avant de l’avoir terminée tout à fait, mais l’intention y était.

Mimile et Charlot reposaient donc profondément depuis quelques heures quand le jour reparut.

Un vacarme effrayant les réveilla en sursaut.

Tous deux, comme s’ils étaient mis en mouvement par un même ressort, se trouvèrent assis sur leur paille dans la même seconde.

Ils se regardèrent alors avec une surprise mêlée d’un certain effroi.

« Qu’y a-t-il ? demanda enfin Mimile.

— Je ne sais pas, » répondit Charlot.

La porte de leur chambre à coucher s’ouvrit alors avec fracas, et leur patron, qui les avait accueillis si gracieusement la veille, entra en s’écriant d’une voix rude :

« Allons !… debout les mousses ! Le moment est venu de gagner sa pitance ; on vous attend sur le pont. »

Nos deux voyageurs, qui n’auraient pas mieux demandé que de prolonger leur somme, sortirent chacun de son panier.

Ils étaient couverts de brins de paille, ils en avaient jusque dans les cheveux ; mais l’ordre de leur chef était si impérieux qu’ils ne pouvaient, pour le moment, s’occuper de leur toilette.

Ils s’élancèrent donc en cet état sur le pont du bateau, où le chauffeur les attendait.

« Allons, toi, dit-il à Charlot, il s’agit de me casser ce tas de charbon. Voici un marteau… Fais vite, et surtout ne va pas le réduire en poussière, sans cela… tu m’entends ? »

Puis, s’adressant à Mimile :

« Toi, prends cette écope et vide la cale ; travaille sans relâche. »

Les deux enfants obéirent.

Le tas de charbon de terre était si gros, que Charlot le considéra avec stupeur.

Enfin, il se mit à l’ouvrage.

Mimile travaillait déjà avec ardeur.

Les coups de marteau de Charlot et les écopées d’eau que Mimile restituait à la rivière, alternaient régulièrement, et c’était un plaisir de voir les deux amis à l’œuvre.

Au bout d’un grand quart d’heure, la fatigue s’empara d’eux, et ils se reposaient depuis un moment quand la voix du chauffeur retentit :

« Hé ! là-bas ! voulez-vous bien continuer votre ouvrage ? Croiriez-vous, par hasard, qu’on va vous promener et vous nourrir pour vos beaux yeux ? Piochez, mille sabords ! Piochez ferme ! ou gare les coups !… On n’a droit de s’arrêter que pour manger et dormir. »

Mimile et Charlot se hâtèrent de reprendre leur besogne, après avoir échangé un regard où se peignait leur déconvenue.

« À la bonne heure ! » reprit le chauffeur.

Le bateau filait droit son chemin, se croisant de temps en temps avec de lourds chalands qui descendaient le fleuve. Quel fleuve ? Nous ne saurions le dire au juste ; ce devait être la Seine, mais nous ne pourrions l’affirmer. Ce que nous savons, c’est que ce fleuve était coupé par des ponts en ruine et que des ponts de bateaux, destinés à les suppléer, s’ouvraient de temps en temps pour livrer passage à la navigation.

La guerre devait avoir passé par là. Le patron du bâtiment qui emportait à grand train nos petits amis, rejoignit en ce moment le chauffeur, et ils s’entretinrent longtemps à voix basse. Leur attitude avait quelque chose de mystérieux, et ils semblaient très-préoccupés.

Charlot, qui n’osait trop les observer qu’entre deux coups de marteau, était très-inquiet.

« Bah ! dit tout à coup le patron en s’éloignant du chauffeur, s’ils viennent, nous les recevrons ; l’important est de préparer nos armes. »

Cette dernière phrase, que Charlot avait entendue très-distinctement, ne fut pas sans augmenter ses alarmes ; il aurait voulu en conférer avec Mimile, mais Mimile travaillait dans son coin.

L’air du matin, aussi bien que le travail, avait creusé l’estomac des deux cousins, et ils se demandaient tout bas s’il n’allait pas être bientôt question de déjeuner.

Quelques instants après, le chauffeur, qui paraissait être à bord pour tout faire, passa dans la cuisine, où on l’entendit remuer des casseroles.

« On va donc enfin s’occuper du déjeuner, » pensa Charlot.

Puis il ajouta mentalement :

« Pourvu que le café ou le chocolat soit aussi bon que chez papa. »

Le repas de la veille ne lui avait donné, on le voit, qu’une idée fort succincte de la nourriture qu’on pouvait espérer dans sa nouvelle condition.

« Allons, les mousses ! venez chercher vos écuelles ! » s’écria tout à coup le chauffeur.

Charlot et Mimile parurent aussitôt sur le seuil de la cuisine.

Le chauffeur, qui les considérait d’un air narquois, leur dit en les voyant paraître :

« Ah ! ah ! nos gaillards, il y a des ordres qu’il ne faut pas vous répéter deux fois, il paraît. »

Et comme Charlot et Mimile, la mine déconfite, regardaient les deux bols de soupe qui leur étaient destinés, il reprit :

« Prenez-moi ça, et ne faites pas la petite bouche, sarpejeu ! on ferait le tour du monde sans rencontrer une soupe à l’oignon aussi délicieuse que celle-là. Une !… deux !… Enlevez la chose. Vous n’avez qu’une demi-heure pour vous délecter… Après cela, au travail jusqu’à midi… À midi, par exemple, vous aurez du rôti, du vrai rôti. »

Mimile s’était bravement emparé de son bol, pendant que Charlot regardait le sien d’un air indécis.

« Eh bien, que fais-tu là, toi ? dit le chauffeur.

— C’est que je voudrais un peu de savon.

— Du savon pour mettre dans ta soupe ? drôle de goût, par exemple !

— Non, monsieur, c’est pour me laver les mains avant de manger. Regardez, elles sont toutes noires.

— Te laver les mains !… mille sabords ! En voilà une idée !… Il faut laisser ça aux belles dames. D’abord, ici, c’est défendu… Regarde… »

Et le chauffeur étala sous le nez de Charlot deux mains formidables, d’un plus beau noir que le charbon qui lui servait à alimenter sa machine.

Charlot les considérait d’un air consterné.

« Se laver les mains ! reprit le chauffeur en éclatant de rire ; il faut vieillir pour entendre dire de pareilles choses à bord. Tu ne sais donc pas, petit malheureux, que ça amollit la peau, et qu’avec des mains molles on n’est plus bon à rien en voyage ?… Une dernière fois, enlève ta soupe et détale. »

Charlot prit son bol d’un air piteux et s’en alla rejoindre Mimile, qui mangeait tranquillement sa soupe en se promenant.

« Est-ce que tu trouves ça bon, toi ? lui demanda-t-il en réprimant une moue dédaigneuse.

— Tiens, tu crois peut-être, répondit Mimile, que je vais me laisser mourir de faim devant une soupe à l’oignon. Rappelle-toi le fromage d’hier. J’aime mieux ceci, après tout ; c’est chaud.

iv
tu veux te laver les mains !…

— C’est vrai, répondit Charlot en étouffant à demi un soupir.

— J’ai entendu dire qu’en voyage on était quelquefois obligé de manger des racines d’arbres, et tu comprends que j’aime encore mieux la cuisine du chauffeur, » reprit Mimile.

Charlot, grâce au bon exemple de son compagnon, se décida à expédier sa soupe. Il espérait bien se rattraper sur le rôti du second déjeuner.

« Dis donc, Mimile, reprit-il en se frottant l’estomac pour aider la soupe à passer, as-tu entendu le patron qui disait au chauffeur qu’il fallait apprêter les armes ?

— Je n’ai rien entendu du tout.

— Je l’ai entendu, moi ; mais je ne sais pas ce que cela veut dire.

— Dame ! on va peut-être livrer une bataille. Qui sait ?… En voyage, ça peut arriver tous les jours. »

Le chauffeur, quittant ses fourneaux, vint se placer tranquillement devant Charlot.

« Dis-moi, mousse, est-ce que tu aurais peur d’être tué, toi ?

— Moi ? répondit Charlot interloqué.

— Très-bien. Je vois que tu n’as pas peur.

— Je n’ai pas peur, répondit Charlot, mais Mimile est encore plus brave que moi.

— Est-ce vrai ? reprit le chauffeur en s’adressant à Mimile.

— Moi, je fais de mon mieux quand il le faut, dit tranquillement celui-ci.

— Tant mieux !… Autrement je vous aurais dit qu’il était encore temps de retourner chez vous ; nous changerions de direction ; ce serait très-vite fait.

— Nous sommes partis pour l’Amérique, s’écria le gros Charlot, rouge de honte, nous ne pouvons revenir qu’après l’avoir visitée tout entière. N’est-ce pas, Mimile ?

— C’est entendu, reprit Mimile d’un air décidé.

— Très-bien, mousses. J’aime qu’on ait du caractère… Et maintenant, le diable et la tempête peuvent faire rage sur le bâtiment, nous serons là pour leur tenir tête. »

Puis le chauffeur ajouta :

« En attendant, au travail ! au travail ! »

Charlot retourna à son charbon, et Mimile à son écope.

Leur travail, qu’ils commençaient à trouver très-fatigant, ne fut de nouveau interrompu que vers midi, heure du second déjeuner.

Charlot, de plus en plus noir, avait maintenant le visage de la couleur de ses mains ; il se fit peur à lui-même en se regardant à un petit miroir accroché sur le pont.

« Comme je suis sale ! murmura-t-il. Maman ne serait pas contente de me voir comme ça, et je n’aime pas ça non plus, moi. Tu es bien heureux, Mimile, tu n’as pas, comme moi, l’air d’un sac à charbon.

— C’est vrai, mais j’ai mes guêtres toutes mouillées… et maman serait bien tourmentée si elle le savait… Mais que veux-tu, Charlot ? il faut accepter ce qu’on ne peut empêcher.

— Ici !… les mousses !… cria le chauffeur, et que chacun vienne prendre sa part de pain et de rôti.

— Du rôti !… répéta joyeusement Charlot en avançant la main vers sa ration.

— Oui, du rôti de hareng saur, ce qu’il y a de plus savoureux dans la cuisine française.

— C’est très-bon ! s’écria Mimile en attaquant son poisson par la queue.

— C’est excellent ! ajouta Charlot en emportant le sien, étendu tout de son long sur une épaisse tranche de pain blanc.

— Dites donc, les mousses, si par hasard le festin vous altère, vous savez que la rivière n’est pas loin.

— Nous le savons, chauffeur, » répondit gaiement Mimile.

Le premier mouvement de Charlot avait été d’envoyer son rôti par-dessus le bord ; il ne s’était arrêté qu’en voyant le regard du chauffeur fixé sur lui d’un air gouailleur.

Mimile dit vivement à son compagnon, dès qu’il se retrouva seul avec lui :

« Charlot, pas de bêtises ! il ne faut pas jeter ton déjeuner, et d’ailleurs il faut nous habituer à manger de tout. Tu comprends, en voyage… Je crois que je m’y ferai, moi, au hareng.

— Eh bien, moi aussi je m’y ferai, » dit courageusement Charlot. Puis, une heureuse idée lui venant tout à coup, il posa son hareng saur sur le bord du bateau, divisa son pain en deux tartines, plaça son rôti au milieu, et put de cette façon avaler ce sandwich au hareng saur sans trop de répugnance.

« Ce n’est pas bête, ça, lui dit Mimile pour l’encourager.

— Maintenant, vois-tu, dit Charlot, flatté du compliment, je comprends qu’il ne faut être difficile en rien.

— Pourvu qu’on s’amuse quand on est arrivé, dit Mimile.

— Et bien sûr on doit s’amuser, repartit Charlot.

— Ohé ! les mousses, vous avez peut-être bientôt fini de bavarder !… À l’ouvrage ! à l’ouvrage !… leur cria le chauffeur.

— Voilà ! voilà ! répondit Mimile.

— On n’a pas seulement le temps de causer un peu, dit tout bas Charlot.

— Que veux-tu ?… Faut gagner sa vie, répondit Mimile, et ce n’est pas avec rien que des récréations qu’on peut y arriver. »

Tous les deux retournèrent à leur poste.

Le patron du bâtiment, qui ne s’était pas montré depuis le matin, parut sur le pont une lorgnette à la main.

« Mille sabords !… s’écria-t-il, après avoir examiné l’horizon de tous côtés, cela ne me parait pas très-rassurant.

— Qu’y a-t-il, patron ? demanda le chauffeur.

— Il y a des hommes là-bas qui ne me paraissent pas animés des meilleures intentions.

— Vous croyez décidément qu’on se donnera des coups avant ce soir ?

— Ou dans la nuit, répondit le patron.

— Va pour les coups, ça nous distraira, répondit le chauffeur.

— C’est que nous ne sommes guère en force, objecta le patron.

— Bah !… les deux petits sont très-décidés.

— C’est possible, mais ils ne connaissent pas le maniement des armes.

— On peut le leur apprendre en quelques heures, objecta le chauffeur.

— L’idée n’est pas mauvaise… Oui, mais s’ils étaient blessés, ou pis encore, dans la bagarre ?… »