Un empereur de Madagascar au XVIIIe siècle - Benyowszky/Appendice

La bibliothèque libre.

ARCHIVES DU MINISTÈRE DES COLONIES. FONDS MADAGASCAR

C5, CARTON 3, 1769-1773

Notes concernant M. le baron de Aladar de Beniowsky, 20 mars 1772.


Cet étranger se qualifie Baro Mauritius Augustus Aladar de Benyowsky, Sacratæ Confœderationis generalis regimentarius.

C’est ainsi qu’il a signé les lettres qu’il a écrites à M. le comte de Mercy, ambassadeur de Vienne auprès de Sa Majesté. Il m’en a donné deux expéditions sous cachet volant par duplicata, dont une ci-jointe. M. de Aladar m’a dit qu’il est d’origine polonaise, qu’il est le treizième baron de son nom, que son grand-père passa en Transylvanie à l’invitation de l’Empereur, qui fit un état considérable à sa famille dans cette province, que Sa Majesté Impériale voulait repeupler. Le baron de Aladar, dans sa première jeunesse, a pris le parti des armes. Ne pouvant s’accommoder avec son colonel, il quitta le service et se retira en Transylvanie, où il s’adonna uniquement à l’étude pour acquérir les connaissances convenables à un gentilhomme.

Il a été en France pendant un an, et il a été aussi plusieurs fois à la cour de Vienne. Dans ses voyages, il a été connu du prince Albert de Saxe, qui a des bontés particulières pour lui. M. de Aladar les a surtout éprouvées lorsque ce prince fit un voyage en Transylvanie. Sur les rapports que m’a faits cet officier étranger, je pourrais dire bien d’autres choses, mais qu’il ne me convient pas de confier au papier à une distance aussi grande ; d’ailleurs, elles se développeront en Europe comme ici, en vérifiant les premières circonstances dont je crois devoir un compte exact d’après tout ce que M. de Aladar m’a dit ; car c’est toujours lui qui parle dans ces notes que je rédige, autant que je peux, de mémoire sur tout ce que j’ai pu conserver de ses propres paroles.

Il était à la Diète lorsque le prince Poniatowsky fut élu roi de Pologne. Par une suite naturelle du parti qu’il professait dans cette assemblée, il s’est trouvé dans la confédération qui s’est élevée contre ce qui en est résulté. Il a été fait général régimentaire dans cette confédération et le prince Albert l’a décoré de l’ordre de l’Aigle Blanc.

Il commandait un corps de troupes assez considérable en Podolie, où, après plusieurs, escarmouches, malgré sa résistance, et quoique dans les premières occasions il n’ait pas été battu, la supériorité des ennemis l’obligeait toujours de se retirer et de perdre du terrain. Enfin, étant sur les frontières de la Podolie et de la Valachie, sous un petit fort, il fut attaqué en même temps par un corps considérable de Russes et, d’un autre côté, par un fort détachement des troupes du roi de Pologne. Il y fut battu, blessé et fait prisonnier. Il fut conduit à Kiow et de là à Casan. Jusque-là il avait été traité avec beaucoup d’égards et d’humanité ; mais, sur des nouvelles qu’il reçut à Casan, ayant osé lui-même se rendre à Moscou ou à Pétersbourg, et ses intelligences ayant été soupçonnées ou découvertes, il fut arrêté et transféré, les fers aux pieds, avec la plus grande dureté, de prison en prison, jusques aux frontières de Sibérie. Il a été traîné dans toute l’étendue de cette province immense jusques au port d’Ockow[1].

J’ai oublié de dire qu’avant d’être conduit à Kiow et à Casan, il avait été enfermé immédiatement après son combat dans la citadelle de Kaluga, où il avait trouvé l’évêque de Cracovie aussi prisonnier. (Cet événement ne vient qu’après qu’il a été arrêté à Moscou ou à Pétersbourg, je ne suis pas assuré dans laquelle de ces deux villes.) Lié d’intérêt, de sentiments et même de connaissance avec cet évêque, ils avaient formé le complot de s’échapper et vraisemblablement ils eussent réussi, sans les incertitudes et la faiblesse de ce prélat, puisque le colonel commandant à Kaluga était entré lui-même dans le complot. Ce colonel s’est sauvé et est passé en Pologne au service des confédérés. L’évêque et le baron furent conduits en même temps en Sibérie, et comme leurs voitures se trouvaient quelquefois l’une à côté de l’autre, cela leur donnait occasion de s’entretenir, et ils en profitèrent pour établir une correspondance entre eux deux, qui n’a presque jamais été interrompue et qui avait subsisté depuis leur rencontre dans la forteresse de Kaluga. L’évêque fut conduit à l’extrémité septentrionale du pays de Kamtchatka, sur les frontières du pays des Korakis, et le baron fut transporté, comme je l’ai dit plus haut, à Ockow. Un petit bâtiment l’attendait là, et il fut embarqué pour aller à Kamtchatka. Il y fut enfermé dans une forteresse. Mais comme les Russes mêmes qui sont dans ce pays-là y sont malgré eux, il ne fut pas difficile à M. de Aladar de s’y faire des partisans. Enfin, un jour, la saison étant favorable pour se mettre en mer, y ayant d’ailleurs trois bâtiments dans la rivière, le baron se rendit maître de la forteresse, égorgea tout ce qui n’était pas de son parti et qui pouvait lui faire résistance. Il y resta trois jours enfermé, sans que l’on sût au dehors ce qui s’y était passé. Il employa ce temps à s’approvisionner de munitions de guerre et de bouche nécessaires pour l’exécution de son dessein. Après les avoir rassemblées, il s’empara d’un des trois bâtiments qui étaient dans la rivière et dont le capitaine consentit à suivre son sort. Il coula bas les deux autres afin qu’on ne pût pas le poursuivre. Il partit, lui, quatre-vingt-troisième, de Kamtchatka, sans trouver aucune opposition. Il sortit de la rivière et fit route au sud en prolongeant la côte occidentale. Quand il fut rendu à la pointe la plus méridionale de Kamtchatka, il l’arrondit et fit ensuite route au nord-est, son premier projet étant d’aller attaquer la côte occidentale de l’Amérique et, en la rangeant successivement, de se rendre jusqu’à Acapulco.

Il rencontra dans sa navigation plusieurs îles ; il eut même connaissance de la terre ferme ; mais différents événements le forcèrent de revenir à l’ouest. Il y a une circonstance dont la place serait ici ; mais il vaut mieux que le baron ou moi la développions verbalement, que d’en hasarder le secret. Il aborda au Japon et à quelques îles voisines : il y fut différemment reçu, suivant les caractères différents des nations. Il vint aussi à Formose, et enfin il dirigea sa route vers les Manilles ou Philippines. Un coup de vent forcé l’empêcha d’y aborder et le contraignit de faire route vers la Chine. Il vint à Macao ; il y fut très bien reçu du gouverneur portugais et il donna avis de son arrivée au comptoir français de Canton. En même temps il réclama la protection du roy et se mit sous le pavillon français. M. le chevalier de Robien, chef de ce comptoir, eut égard à sa réclamation.

Les Hollandais et les Anglais voulaient attirer M. de Aladar sur leurs vaisseaux et lui proposèrent de le ramener en Europe. Il s’y refusa constamment. Les Anglais y mirent de l’obstination, au point que quatre de leurs navires vinrent devant Macao avec pavillon blanc, dans l’espérance que M, de Aladar s’y rendrait. Il avait eu une entrevue avec M. le chevalier de Robien, dans laquelle ils étaient convenus d’un signal particulier. Cela le préserva de donner dans le piège qu’on lui tendait. M. Dumont m’a confirmé ce fait. Enfin le baron s’est embarqué avec tout son monde, réduit au nombre de quarante-sept personnes, sur les deux vaisseaux le Dauphin et le Laverdy, et ils sont arrivés à l’île de France le 16 et le 18 de ce mois.

Il s’est passé à Macao un événement qui mérite d’être rapporté, mais qui ne peut être développé qu’on Europe. Une jeune fille de onze à douze ans, laquelle était avec M. de Aladar, mourut à Macao. Le baron voulut qu’elle fût enterrée solennellement dans la première place de l’église et il fit graver quelques lettres initiales sur sa tombe. Cette aventure a fait tenir beaucoup de propos, surtout par les Anglais, car M. Russell m’a dit dernièrement que c’était une femme jeune et belle déguisée en prêtre, et dont on avait reconnu le sexe en l’ensevelissant. Il paraît constant néanmoins, et le P. Surida, dominicain espagnol, m’a encore assuré hier que c’était une enfant qu’il a toujours vue vêtue suivant son sexe.

Parmi les gens qui accompagnent cet officier hongrois, il y en a un qui n’est pas de bonne volonté. C’est un secrétaire de l’impératrice de Russie, qu’il a arrêté, lorsqu’il s’est emparé de la forteresse de Kamtchatka, et dont il a saisi tous les papiers, entre autres une pièce originale qui est de la dernière importance. Il la porte lui-même en Europe, mais il m’en laissera une copie, afin qu’aucun événement ne puisse, s’il est possible, en dérober la connaissance. La femme qui est venue dans l’île de France avec le baron est veuve du capitaine qui commandait le bâtiment de Kamtchatka et qui s’était livré volontairement à la fortune de M. de Aladar. Ce capitaine est mort à Macao et le baron a cru devoir regarder cette femme comme sa sœur ou sa fille. On soupçonne même qu’il est allé plus loin, et cela peut être, quoique la veuve ne soit fort jeune ni jolie. Quoi qu’il en soit, elle vit fort retirée chez moi dans sa chambre, d’où elle ne sort point, et M. de Aladar n’a vis-à-vis d’elle que l’air de ce qu’il dit.

Cet étranger est couvert de blessures, dont quelques-unes le défigurent dans son corps et l’embarrassent dans sa marche. Il a conservé malgré cela un grand air de santé et de vigueur : il est d’une physionomie agréable et qui pétille d’esprit ; mais il est encore plus sage et plus réservé, parlant volontiers, mais ne traitant jamais les choses sur lesquelles il ne veut pas s’expliquer et ne disant que ce qu’il veut dire. Je le crois naturellement fier et impérieux ; mais quand il a donné sa confiance, il est de la plus grande honnêteté. J’ai lieu de croire qu’il m’a ouvert toute son âme uniquement parce que je suis l’homme du Roy. Depuis qu’il a pris ce parti-là, il paraît devoir faire chaque jour quelque chose pour le chevalier Des Roches. Il a effleuré toutes les sciences, et les notions les plus étrangères à son premier état lui ont souvent été utiles dans les événements singuliers de sa vie.

À l’île de France, le 20 mars 1772.
Le Chevalier des Roches


ARCHIVES DU MINISTÈRE DES COLONIES. FONDS MADAGASCAR. C3, CARTON 3

Le comte De Boynes, ministre de la Marine, à M. le duc d’Aiguillon.

Versailles, le 30 juin 1772.

J’ai l’honneur, monsieur le duc, de vous envoyer l’extrait d’une lettre que M. de la Vigne-Buisson, commandant du port de Lorient, a reçue du sieur officier sur le vaisseau le Dauphin, au sujet des officiers et soldats hongrois, qui ont réclamé à Macao la protection de la nation, au nom de l’Impératrice-Reine, et que M. le chevalier Roth a déjà annoncé avoir recueillis sur son vaisseau pour leur procurer leur retour en Europe. Ce vaisseau est attendu incessamment à Lorient, et je ne puis m’en rapporter qu’aux mesures que vous jugerez à propos de prendre pour la subsistance et les secours dont ils auront besoin pour se rendre dans leur patrie.

J’ai l’honneur d’être, etc.

ARCHIVES DU MINISTÈRE DES COLONIES. FONDS MADAGASCAR. C5, CARTON 3

Le duc d’Aiguillon à M. de Boynes.

À Compiègne, le 30 juillet 1772.

J’ai reçu, monsieur, l’extrait que vous me fîtes l’honneur de m’adresser le 30 du mois dernier d’une lettre d’un officier du vaisseau le Dauphin, au sujet des officiers et soldats hongrois et polonais qui, s’étant échappés des déserts de la Sibérie par le Kamtchatka, ont été recueillis à Macao par M. le chevalier de Rothe et embarqués sur ce bâtiment, qui est attendu incessamment à Lorient. J’ai pris des mesures, monsieur, pour assurer jusqu’à nouvel ordre le logement et l’entretien de cette petite troupe, en écrivant à M. le comte de Grave, commandant en Bretagne, de la faire établir dans cette place, et de faire pourvoir à sa subsistance journalière, sous la police d’un commissaire des guerres qui en formera un état pour servir de revue. Dès que cet état me sera parvenu, je ferai passer au Port-Louis les fonds nécessaires pour cette partie de dépense, de ceux du service des affaires étrangères.

Quand il vous parviendra, monsieur, quelques particularités ou détails historiques du voyage et de la traversée de ces étrangers, je vous serai fort obligé de m’en faire part.

J’ai l’honneur d’être, etc.


ARCHIVES DU MINISTÈRE DES COLONIES, FONDS MADAGASCAR. C5, CARTON 3

Rapport sur l’expédition de Madagascar.

30 décembre 1772.

Sa Majesté a eu la bonté d’approuver qu’on fournît les secours nécessaires au baron de Benyowsky, Hongrois d’origine et ci-devant colonel au service de la Confédération de Pologne, qui a réclamé en Chine le pavillon de Sa Majesté, et qui est arrivé en France sur le vaisseau le Dauphin, avec trois autres officiers et plusieurs soldats qui s’étaient embarqués avec lui au Kamtchatka.

Il paraît convenable de fixer l’état de ces étrangers en les attachant au service de Sa Majesté pour profiter des connaissances que le sieur Benyowsky a acquises dans le cours d’une navigation aussi longue que laborieuse, et empêcher qu’il ne les porte chez d’autres nations. On propose à cet effet de créer un corps de troupes légères sous le nom de volontaires de Benyowsky, pour servir indistinctement dans tous les établissements français au delà du cap de Bonne-Espérance. En fixant ce corps à l’île de France, il pourrait être un objet d’émulation pour les autres troupes de la colonie. Mais il peut être employé plus utilement à exécuter un plan qu’on a formé depuis longtemps sur l’île de Madagascar…

Après une suite d’erreurs et de fautes que l’administration de l’île de France a faites ou tolérées, on proposa, en 1768, de s’établir au Fort-Dauphin, au sud de Madagascar, qui avait été occupé anciennement par les Français, et d’y former une colonie de blancs sur les terrains dont on obtiendrait la concession autour de ce fort.

Ce projet, qui a échoué dans l’exécution, portait sur de faux principes, parce qu’il tenait à un esprit de domination et de conquête auquel il était difficile d’accoutumer un peuple à qui on avait fait connaître nos besoins sans avoir cherché à lui en inspirer. Un plan beaucoup plus simple, et le seul qui paraisse devoir être adopté, serait de civiliser par de bons exemples et le pouvoir de la religion les habitants de Madagascar et de leur inspirer des besoins, afin de s’ouvrir un débouché pour des effets et marchandises de France, en échange desquels on aurait les productions de Madagascar.

Le baron de Benyowsky a appris, dans le cours de ses navigations, la manière de traiter avec des peuples sauvages, et il paraît avoir tous les talents et surtout la douceur de caractère qui convient pour un pareil dessein. Enfin, dans la nécessité d’employer cet officier par les raisons qu’on a exposées plus haut, on pense qu’on ne peut faire dans le moment présent un usage plus utile de ses talents et qui soit en même temps moins onéreux à Sa Majesté, la troupe dont on propose la levée sous le commandement du sieur de Benyowsky pouvant être entretenue bien plus facilement et à moins de frais à Madagascar qu’à l’île de France.

À l’égard du point de l’île de Madagascar où il conviendrait de former l’établissement projeté, il semble qu’on doive en laisser le choix aux administrateurs de l’île de France, d’où cet établissement doit dépendre, en leur indiquant néanmoins la baie d’Antonguil à l’est de Madagascar, qui paraît mériter la préférence, non seulement parce que cette partie de l’île n’a point encore été fréquentée, et que les habitants seront par cela même plus disposés à recevoir les impressions qu’on voudra leur donner, mais encore parce qu’il paraît facile de s’ouvrir de cette baie une communication par terre avec celle de Saudié, située à l’ouest, au moyen de laquelle on travaillerait plus efficacement à policer les habitants de cette extrémité de l’île, en rompant les liaisons qu’ils peuvent avoir avec les autres naturels du pays.

Si Sa Majesté approuve ces dispositions, on donnera les instructions nécessaires aux administrateurs de l’île de France.

On joint ici le projet d’ordonnance pour la levée de la nouvelle troupe avec la liste des officiers que Sa Majesté est suppliée d’agréer.

Approuvé.


ARCHIVES DU MINISTÈRE DES COLONIES, FONDS MADAGASCAR. C5, CARTON 8

État des services de M. le baron de Benyowszky, fils de Samuel, baron de Benyowszky, général-major au service de Sa Majesté Impériale (la reine) d’Hongrie. (Autographe de Benyowszky.)

L’année 1756, entré au service de Sa Majesté Impériale d’Hongrie (sic) en qualité de lieutenant en 1er au régiment d’infanterie de Pallfy, hongrois.

1758. Capitaine au service dans le régiment de Baranyai-Houssard.

1759. Ft fonctions de premier aide de camp auprès du général Laudon, employé toutes ses années dans la guerre contre Sa Majesté le Roi de Prusse.

1761. Fait prisonnier en Silésie.

1762. Ayant appris la mort de son père, il s’est retiré du service d’Autriche pour entrer dans celui de Pologne.

1763. Il est entré au service du régiment Kalicz-Cavalerie, en Pologne, en qualité de major, et il a continué jusqu’en 1767. Dès l’année 1768, à l’époque de la Confédération du Palatinat de Cracovie, il a été nommé aide de camp de ladite Confédération.

1769. La Confédération de Cracovie s’étant réunie avec celle de Bar, il y passa à cette dernière avec 3,000 hommes, où il fut employé en qualité de maréchal de logis général, ayant le rang de brigadier ; c’est en cette qualité qu’il a été pris par les Russes les armes à la main. Prisonnier, il fut exilé à Kamchatka, d’où il a eu le bonheur de se sauver l’année 1771. L’année 1772 arrivé en France, il a eu le bonheur d’entrer au service de Sa Majesté, en qualité de colonel propriétaire d’un corps à pied de Volontaires. C’est en cette même année que la République de Pologne, en récompense des services que M. le baron de Benyowszky lui a rendus, lui a envoyé le brevet de général-major avec le cordon de l’Aigle blanc.


ARCHIVES DU MINISTÈRE DES COLONIES. FONDS MADAGASCAR. C5, CARTON 4

Extrait du Protocole du Génie, – Ordres de M. le baron de Benyowszky au sieur Marange, ingénieur.

(Extraits.)

1774.

Il est ordonné au sieur Marange, ingénieur, après avoir levé le plan, de reconnaître l’emplacement de Marancet pour procéder au comblement des marais, afin de pouvoir y avoir une ville au bord de la rivière Tangueballe et un fort ainsi que la bâtisse des différents édifices qui y seront nécessaires. Le 15 février 1774, à bord du Desforges.

Il est ordonné au sieur Boispréaux de travailler, de concert avec le sieur Marange, pour tous les ouvrages qui leur seront par nous ordonnés, et il est enjoint au sieur Marange de reconnaître le sieur Gareau et Boispréaux en ladite qualité d’ingénieur à Marancet. Le 24 février 1774.


État des dépenses employées pour les ouvrages de Louisbourg, faits en conséquence des ordres de M. le baron de Benyowszky, arrêté le 1er août 1774.

(* Remarques et observations de MM. de Bellecombe et Chevreau sur les fortifications, bâtiments civils et autres portés ci-après

)

Élévation du terrain.

600 toises de longueur sur 180 et 120 de largeur, 4 pieds de haut, la rivière et la mer, ayant eu 18 pouces de nivellement dans les marées montantes.

  • Ce comblement ne peut être vérifié.

18,000 journées de travaux à 10 sols la journée, ci 9,000 liv.

Emplette de bois en palissades, fascines et saucissons 600

La construction de 64 cases, y compris les entourages et l’hôpital 3,840

  • Tous ces bâtiments avaient été faits à la hâte et peu solidement. Ils n’existent plus : tout a été renouvelé l’année dernière.

La construction du Fort-Louis et élévation à trois pieds au-dessus du terrain 3,600

  • C’est un entourage dans lequel il a été employé 1,500 ou 2,000 palissades avec 3 ou 4 cases en dedans pour loger 25 hommes. Magasin, poudrière, corps de garde, tout se tient.

Le chemin depuis le Fort-Louis jusqu’à la ville et le magasin du fort, joint à l’Écluse 1,400

  • C’est un petit sentier ; nous n’avons pas vu l’écluse. Elle doit être détruite.

Le nettoiement du canal naturel au-dessus du village des noirs pour l’écoulement des eaux 1,350

  • Dépense qui ne peut être vérifiée.
19,720 liv.


Ordres de M. le baron de Benyowszky aux sieurs Marange et Gareau de Boispréaux.

Il est ordonné aux sieurs Marange et Gareau de Boispréaux de lever le plan de l’anse de la Corderie à l’île d’Aiguillon, de saigner les marais qui l’inondent, de remplir creux et bas-fonds et de construire une grande case et six cases pour le logement des malades ;

En second lieu, de faire un chemin à la montagne de la Découverte pour y placer le pavillon d’observation ;

3° De faire construire, à l’anse des Convalescents, quatre cases pour les convalescents ;

4° De construire la boulangerie ;

5° De construire un magasin et deux cases à mi-montagne pour le logement des esclaves attaqués de la petite vérole.

Fait à Marancet, le 14 avril 1774.
Cy-contre 19,720 liv.


État des dépenses employées pour les ouvrages de l’île d’Aiguillon faits en conséquence de l’ordre ci-dessus, arrêté le 1er août 1775.

Ouverture d’un canal pour l’écoulement des eaux dans l’anse de la Corderie, de 83 toises de longueur sur une de largeur et de trois pieds de profondeur, tant roche qu’en terre facile, par entreprise des noirs 1,150 liv.

Défriché des bois pour l’établissement du jardin 700

  • Il n’existe qu’une très petite trace de l’un et de l’autre de ces travaux.

À l’anse des Convalescents, quatre cases pour les malades 160

La boulangerie 400

L’établissement d’une maison et deux cases pour les esclaves attaqués de la petite vérole 400

  • Il n’y a pas trace de bâtiments sur cette anse. L’on nous a dit qu’ils avaient été brûlés par les noirs.
Total 23,810 liv.


Ordres de M. le baron de Benyowszky au sieur Gareau de Boispréaux.

Il est ordonné au sieur Gareau de Boispréaux, ingénieur, de remplacer le sieur Marange dans ses fonctions de recevoir entre ses mains les papiers, instruments, etc., et de suivre les travaux qui lui restaient à finir, ainsi que ceux qui lui seront ordonnés par nous à l’avenir. Fait en notre campement général, à Marancet, le 21 mai 1774.

Nota. – M. Gareau apportera tous ses soins pour compter les outils et constater la dépense qu’il fera en conséquence de ses ouvrages.


Lettre de M. le baron de Benyowszky à M. Gareau, concernant le chemin à construire de Louisbourg à Angontsy.

Les naturels du pays nous ayant représenté que l’impraticabilité des chemins interdisait la communication du commerce de ce pays avec les Seclaves, d’ailleurs cette communication devenant très avantageuse à notre gouvernement pour le commerce d’exportation, il est ordonné au sieur Gareau de suivre l’expédition du sieur Mayeur, interprète, et d’employer tous les marmites à faire un chemin commode depuis Louisbourg jusqu’à Angontsy, en observant de faire le moins de dépenses qu’il pourra, et d’apporter tous ses soins pour l’économie et, afin que les noirs puissent être bien conduits, nous avons donné ordre à notre major de vous fournir un détachement pour la conduite des travailleurs.

Fait en notre gouvernement de Louisbourg, le 10 juin 1774.


État des dépenses employées à l’exécution du chemin de Louisbourg à Angontsy, au travers des bois, marais, montagnes et rivières, à 34 lieues de longueur conformément à l’ordre ci-dessus.

260 hommes employés cinq mois 15 sols par jour, en effets de traite, faisant 69,000 journées, ci 29,250 liv.

De l’autre part 23,810

Idem du chemin de Louisbourg à 28 lieues au travers des marais et plaines, 80 hommes employés 73 jours à 20 sols, 5,840 journées 5,840

58,900 liv.
  • Dépense très considérable, très inutile, et qu’il ne nous a pas été possible de vérifier. Nous n’avons vu de chemins nulle part. Il est très vrai qu’avant d’arriver à celui-ci il faut traverser la rivière et le bras de mer du fond de la baie.

Il est ordonné au sieur Gareau, ingénieur, de faire exécuter le projet de la plaine de Vallé Amboak, autrement Plaine de Santé, de faire combler les bas-fonds et faire les saignées et défrichés nécessaires pour rendre l’air plus sain et le terrain propre à la culture. Il fera les édifices nécessaires et élèvera un fort sur la montagne qui domine la plaine. Bien entendu que pour la facilité des mouvements, il fera raser le sommet de la montagne, abattre tous les bois, ainsi que de combler les fossés au pied d’icelle pour la bâtisse du gouvernement et autres maisons nécessaires.

Fait en notre camp général, à la Plaine, le 21 juillet 1774.
Cy-contre 68,000 liv.


État des dépenses de la Plaine pour les ouvrages qui y ont été construits conformément à l’ordre ci-dessus, arrêté le 1er août 1775.

  • Toutes les saignées et comblements de marais sont des travaux sur lesquels on ne peut rien constater parce qu’ils ne paraissent point, ou très peu.

Une saignée faite pour un canal au pied des montagnes, du côté des Forges à 250 toises, le défriché des bois et comblement des marais, 14,000 journées de travaux à 20 s. par jour 14,000 liv.

La bâtisse de six cases ordinaires 1,400

L’hôpital en palissades 800

Le grand magasin en palissades 1,200

  • Ces bâtiments, situés sur la rive gauche de la rivière, sont abandonnés et entièrement pourris.

Le fort Auguste sur la montagne 2,000

La coupe de la montagne, l’abatis des bois 1,000

La construction de douze cases 920

  • Le fort Auguste est un entourage de palissades de 7 à 8 pieds de haut fichées en terre et arrêtées par le bout par une pièce de bois qui les tient assujetties. C’est un carré de 50 toises sur chaque face, dans lequel il y a quelques cases. Le tout est pourri.

Le comblage du marais pour bâtir le gouvernement et établissement du jardin royal 3,400

  • Le jardin existe et nous a paru assez bien tenu. Il y a quelques pieds de café très verts et d’une belle venue.

Le gouvernement 11,300

Le canal pour serrer les bateaux 1,000

La boulangerie 200

Les forges 360

Les différents parcs et poulaillers sur l’île 84

97,154 liv.

Le plan de la plaine est joint au protocole.

  • Le gouvernement est un bâtiment de 70 pieds de long sur 30 de large, construit en gros pieux de 8 à 10 pieds de haut, fichés en terre, arrêtés dans le haut par une pièce transversale, une charpente très légère ; quoique couvert en bardeau venu de l’île de France, il est planchéié haut et bas avec du bois du pays. Le tout est pourri, inhabitable dans la mauvaise saison. Tous les autres bâtiments sont également pourris. Quant au canal pour serrer les bateaux, il a été fait par la nature et ne peut avoir été que nettoyé.

Il est ordonné au sieur Gareau, ingénieur, de reconnaître la bâtisse des palissades et magasins construits à Ramonnier, Angousavé et à Angontsy par M. Corby, officier de notre corps, de les apprécier et de les porter sur son état général de son registre.

Fait en notre gouvernement, le 1er juillet 1774.
Cy-contre 97,154 liv.


État des dépenses faites à Ramonnier.

À la source de la rivière de Tingueballe, une palissade carrée et deux magasins 640

Idem à Angousavé, dans l’intérieur de l’île 400

  • Il n’y a jamais eu personne dans ces postes… Dépense inutile.

À Antonguin, à 34 lieues dans l’intérieur de l’île, une palissade carrée, deux magasins et un parc à bœufs 488

98,682 liv.

Le plan y est ci-joint.

  • Le sieur Corby a resté pendant deux mois dans ce poste avec cinq ou six volontaires, ensuite il a été abandonné.

Établissement des comptoirs de Manahar (juillet 1774) 1,252 liv.

  • Il est inoccupé.

Il est ordonné au sieur Gareau de se rendre à Massoualé, dans le pays des Sambarives, afin de construire les bâtiments nécessaires et un fort, cet établissement devenant nécessaire tant pour la facilité de la communication de Louisbourg avec Angontsy et Voémar que pour la protection des embarcations qui seraient envoyées pour la traite.

À la Plaine de Santé, le 7 août 1774.
Cy-contre 99,934 liv.


État des dépenses, etc., de Massoualé.

Un fort carré avec ses bâtiments 1,808

Les défrichés à l’entour, chemins et écoulement des eaux 1,488

103,228 liv.

Le plan y est joint.

  • Ce poste est situé à peu près en face de Manahar, de l’autre côté de la baie. Le sieur de la Boulaye cadet y a resté deux ou trois mois avec trois volontaires. Il a été abandonné depuis quelque temps.


Ordres de M. le baron de Benyowszky à M. Gareau.

Les chefs de la province de Voémar nous ayant demandé de former un établissement chez eux pour favoriser le commerce, mais comme un tel établissement sans une communication ne pourrait être que très désavantageux aux intérêts de Sa Majesté,

Ordonnons au sieur Gareau de lever le plan de la route ordinaire et de faire faire les chemins qui y seraient nécessaires ainsi que les ponts dont on aurait besoin. Ce chemin doit commencer de Mahaler et conduire jusqu’à Angontsy.

À la Plaine de Santé, le 1er septembre 1774.
Cy-contre 103,228 liv.


État des dépenses employées pour l’établissement du comptoir d’Angoutsy, conformément à l’ordre ci-dessus.

Le défriché du terrain de 300 toises carrées, saignées et comblages des bas-fonds en 5,000 journées à 15 sols 3,750

La construction du fort Maurice, contenant le gouvernement, un magasin et une caserne, le tout en bois fort 3,600

Le creusé d’une fontaine 800

111,378 liv.
  • Ce poste est situé au nord et en dehors de la baie, sur la côte ; il est très bon à conserver pour la traite du riz et des bœufs ; mais nous pensons qu’il ne peut avoir d’autre communication avec Louisbourg pour l’exportation des denrées que par mer et que les dépenses portées dans les états pour un chemin de communication de ce poste au chef-lieu ont été faites en pure perte.


(Ordre donné le 25 décembre 1774 au sieur Gareau en passant par Foulepointe, à bord du Coureur, de lever le plan de la ville et du fort. Passant par Tamatave, il fera la même opération ainsi qu’à Manourou. – Suit l’état des dépenses faites en ces endroits.)

  • Nous n’avons rien vu de fait à neuf à Foulepointe ni à Tamatave. Tout est vieux et tombé en ruines et ne peut avoir été que réparé.
  • Le poste de Manourou est au sud de Tamatave et M. le baron n’y a jamais tenu personne.


Ordre donné le 4 février 1776 à Gareau, de faire nettoyer et élargir le chemin de Louisbourg à Foulpointe.

Suit l’état des dépenses.


Étant essentiel d’avoir deux chemins pour la communication avec la côte de l’ouest afin que les Seclaves, dans un temps de guerre, en touchant l’un, ne puissent nous interdire l’autre,

Il est ordonné au sieur Gareau de Boispréaux d’en tracer un à la sortie des bois d’Angouan qui aboutira à Moringano, chef-lieu de la province de Savassi, peuple allié à notre gouvernement.

En notre gouvernement, à la Plaine, le 10 avril 1776.

Nota. – Comme il est essentiel d’apporter toute l’économie dans cette opération par le peu de moyens qui nous restent à être employés, M. Gareau se contentera de faire un sentier ordinaire en abattant des bois pour ouvrir le jour.


État des dépenses employées pour ouvrir la communication d’Angouan avec Moringano conformément à l’ordre ci-dessus.

Cy-contre 116,502 liv.

40 noirs employés 54 jours à abattre les bois, remplir les fossés et nettoyer le passage, à 15 sols par jour 1,620

  • Dépense inutile, comme toutes celles qui ont été faites en ce genre.

État des dépenses faites par les officiers, ingénieurs employés pour faire les découvertes et les reconnaissances des côtes de l’île, ainsi que du cours des rivières dans l’intérieur du pays.

1° Un voyage au sud pour reconnaître Tamatave, Manourou, Manansatan et les îles Sainte-Luce 4,600 liv.

  • Ce voyage au sud a été fait par mer sur le senault du Roy le Coureur, à ce que l’on m’a assuré.

2° M. Mayeur commissionné par M. Gareau pour découvrir l’intérieur de l’île, de Louisbourg jusqu’à Bombetoc 2,800

  • Le sieur le Mayeur nous a dit qu’il n’avait pu pénétrer dans l’intérieur de l’île que jusqu’à 15 lieues de Bombetoc.

3° MM. Mayeur et Corby, commissionnés et envoyés au Cap Nord, l’un par terre, l’autre par mer, avec 160 hommes armés. Employé 7 mois complets à leur mission, faisant découvertes et acquisition d’un port à la côte ouest de l’île 13,060 liv.

  • Cette dépense nous paraît considérable, les 160 hommes armés étaient des noirs à ce qui l’on donne un fusil chaque pour 45 jours de service et ils se nourrissent.

4° Plusieurs petits voyages pour reconnaître les chemins et cours des rivières 2,856

5° Dépense extraordinaire sans compte 1,200

  • Toutes les dépenses, à peu de chose près, pourraient être comptées et mises au nombre de celle-ci.
142,638 liv.


État des dépenses faites pour la construction de la redoute à la plaine de Mahertony.

800 hommes pendant trois journées à 10 sols par jour 1,200

En palissades fascines, des gabions 86

Aux charpentiers 80

Menues dépenses et réparation des instruments et outils et leur dépérissement 2,600

Total 146,584 liv.
  • C’est la plaine où est situé le fort Saint-Jean, qui est un très petit entourage en pieux de 4 pieds de haut avec un petit fossé que l’on enjambe avec quelques cases en dedans et en dehors. Le tout est pourri.

L’an mil sept cent soixante-quinze, le second de septembre, nous soussignés, officiers du corps des volontaires de Benyowszky, présents au décès de M. Gareau de Boispréaux, ingénieur, certifions et attestons avoir trouvé le livre du génie ou le protocole d’ingénieur, où les derniers mots écrits à la page 40 se trouvaient ainsi : Total, cent quarante-six mille cinq cent quatre-vingt-quatre livres, en foi de quoi, à la suite de ladite page, avons contresigné pour servir et valoir ainsi que de raison. Signé : Certain de Vézin, lieutenant ; Popéguin, chirurgien-major, et Larmina, quartier-maître.

Pour copie conforme à l’original :

Signé : Le baron de Benyowszky.


Tableau des dépenses depuis le 1er septembre 1775 jusqu’au dernier décembre de ladite année.

22 maisons en charpente, de 30 pieds sur 18, à 220 livres la case, quatre mille quatre cents livres 4,400liv.

  • Ce sont des cases en palissades fichées en terre et couvertes en feuilles. Elles servent de magasin et de logement aux officiers, à la troupe, aux employés du Roy, et à quelques négresses libres. Elles sont placées sur deux ou trois alignements, et c’est ce qui forme la ville de Louisbourg.
Total des dépenses du 1er sept. au 31 déc. 1775 28,928 liv. 10 sols.

Je soussigné, officier au corps des volontaires de Benyowszky, chargé du détail du génie, faisant fonction d’ingénieur géographe attaché audit corps, certifie le présent tableau de dépenses véritable.

Le dernier décembre 1775, à Louisbourg, île de Madagascar. Signé : Rozières.

Pour copie conforme à l’original :

Signé : Le baron de Benyowszky.

Pour copie : Bellecombe, Chevreau.

ARCHIVES DU MINISTÈRE DES COLONIES. FONDS MADAGASCAR. C5, CARTON 6

Extraits de deux pièces comprises sous ce titre :

ÉTABLISSEMENT À MADAGASCAR

RÉSULTATS FÂCHEUX DE L’ÉTABLISSEMENT


I. – Voyage à Madagascar.


(Rapport non signé, émanant de la Pérouse, commandant la pale l’Iphigénie, sept. 1776)


Je pris le commandement de la pale du Roy, l’Iphigénie, au commencement de septembre. Il me fut enjoint, par les instructions de M. le chevalier de Ternay, de me rendre à Madagascar aux ordres de M. de Bellecombe et de rapporter ses paquets à l’île de France. Parti de Bourbon avec la Consolante, le 10 septembre, j’ai mouillé à Foulpointe le 17… (La suite est identique à la pièce II.)


II. – Colonies orientales. – Madagascar.


RÉSULTATS FÂCHEUX DE L’ÉTABLISSEMENT


… Le 19 du mois nous sommes partis à trois heures après midi pour la baie d’Antongil, où j’ai mouillé le 21. J’avais été précédé d’un jour par la Consolante et, lorsque je descendis à terre, MM. de Bellecombe et Chevreau s’étaient déjà fait reconnaître à la tête des troupes comme inspecteurs de Madagascar. L’établissement des Français appelé Louisbourg est sur une langue de terre entre le port Choiseul et la rivière Tingballe. Cette presqu’île a à peu près trois cents toises de largeur ; la rivière n’a guère que quatre pieds d’encaissement et la mer à peu près autant, en sorte que dans les grandes marées tout est couvert d’eau, à l’exception de cent toises carrées que M. le baron de Benyowszky a fait combler et élever d’environ trois ou quatre pieds, et dans cet espace est située la maison dite gouvernement, le fort Louis et les cases servant de magasin, de casernes et de logements d’officiers d’administration. Le fort Louis, situé à quarante toises dans l’est du gouvernement, a neuf toises de longueur sur douze de largeur avec trois bastions de trois toises sur deux et demie. Dans chaque bastion est un canon présenté à un sabord fait dans les palissades.

La construction de ce fort consiste en des palissades plantées dans le sable, qui sortent de terre d’environ quatre pieds. Il y a une seconde enceinte, environ à dix-huit pieds de la première, dont les palissades sortent aussi de quatre pieds. Entre les deux enceintes, au pied du premier entourage, est un talus de sable d’environ trois pieds, qu’on peut appeler glacis. Toutes les palissades ont été pourries par l’humidité, et la valeur de ce fort, lorsqu’il était neuf, ne peut aller au delà de cent pistoles, puisque cinquante palissades ne coûtent qu’un fusil. Il doit y avoir eu aussi mille ou douze cents journées de volontaires pour préparer le terrain. Dans l’intérieur du fort sont des bâtiments en palissades, couverts en paille, à peu près comme les cases des noirs des habitants de l’île de France.


DIMENSIONS


Un bâtiment pour deux officiers. Longueur, 21 pieds ; largeur, 10 pieds.

Un magasin. Longueur, 28 pieds ; largeur, 10 pieds.

Des casernes pour 25 hommes. Longueur, 40 pieds ; largeur, 10 pieds.

Une poudrière en palissades, couverte en paille. Longueur, 40 pieds, largeur, 7 pieds.

Un corps de garde. Longueur, 10 pieds ; largeur, 7 pieds.

Les palissades de ces différents bâtiments sont aussi pourries, et comme j’ai déjà supposé le terrain préparé, ils ne peuvent être évalués à plus de cinquante fusils, qui, à quinze livres, font sept cent cinquante livres. Somme totale du fort et des bâtiments, les douze cents journées de volontaires comprises à dix sols, prix qu’il leur a été fixé lorsqu’ils ont été payés, deux mille trois cent cinquante livres. M. de Benyowszky l’évalue cent pistoles de plus. La circonférence totale de ce fort, bastions compris, est de cinquante et une toises.

À quarante toises dans l’ouest du fort, comme je l’ai déjà dit, est le gouvernement. C’est une maison sans étage, construite en palissades, équarries, couverte en paille, planchéiée en dedans, lambrissée en nattes et plafonnée en toile. Elle a à peu près soixante pieds de long sur vingt-deux de large, est divisée en trois pièces : celle du milieu est une salle, à gauche la chambre de Mme la baronne, à droite une chambre partagée en deux. D’une part est logée Mlle Ensky ; l’autre est une espèce d’office qui servait de cabinet à M. le baron, pendant le séjour de MM. de Bellecombe et Chevreau. À droite de la maison est un pavillon de même hauteur que la case principale, de vingt pieds carrés, construit également en palissades équarries, planchéié, lambrissé en nattes et couvert en paille, ayant une petite cheminée et ne formant qu’une seule pièce qui servait de cabinet de travail à M. le baron de Benyowszky et où MM. Bellecombe et Chevreau ont couché.

À gauche est un pavillon commencé de même dimension que le précédent, mais divisé en deux chambres et couvert en bardeaux qui ont été envoyés de l’île de France. En avant, et dans la ligne même du pavillon de la droite, est une cuisine en palissades ; et vis-à-vis le corps de logis, à environ dix toises, est un hangar soutenu par des palissades et couvert en paille, où travaillent quelques ouvriers. Dans l’est de ce hangar sont deux petites rues d’environ trente toises de longueur, bordées des deux côtés de cases en palissades couvertes en paille, ayant à peu près douze pieds de hauteur, sans compter la couverture, et servant de logement à tous les officiers et employés et de magasins pour tous les effets du Roi. Sur la pointe de la presqu’île, du côté de la mer, est l’hôpital, qui tombe en ruine et que MM. de Bellecombe et Chevreau ont décidé devoir être placé dans l’intérieur des terres, environ à une lieue et demie, comme il sera dit ci-après. J’évalue la dépense des différents bâtiments de Louisbourg, le fort compris, à vingt-cinq mille livres ; mais il est à remarquer que tout, à l’exception du gouvernement, est à refaire, l’humidité ayant pourri toutes les palissades… Les palissades qu’on met en terre sont pourries dans deux ans ; on ne peut creuser deux pieds sans trouver l’eau…

Je suis parti le 28 septembre pour la Plaine de Santé (nom qui ne convient guère à cet établissement). J’accompagnais MM. de Bellecombe, Chevreau et Benyowszky. Nous étions tous quatre dans une pirogue et précédés par deux autres qui portaient nos provisions et quelques soldats qui étaient à notre suite avec un interprète. Nous avons fait en dix heures sept lieues dans cette rivière qui est partout large de cent cinquante à cent-quatre-vingts toises et commence à s’encaisser à une lieue de Louisbourg. Les bords sont alors élevés de quinze à dix-huit pieds. Le pays est très découvert et cette rivière coule l’espace de dix lieues dans une très jolie plaine dont la terre est sablonneuse, mais couverte d’herbes appelées fataque… Dans le trajet de Louisbourg à la Plaine, il y a au moins dix îles, toutes très vertes, couvertes des mêmes herbes ou arbustes que les bords de la rivière et de l’aspect le plus agréable… Tout nous avait paru charmant dans le voyage pendant les six premières lieues. Nous avions relâché et dîné au fort Saint-Jean. Ce poste, situé à trois lieues et demie par la rivière, mais à une lieue et demie seulement par terre, est un carré d’environ huit toises, entouré d’un simple rang de palissades qui ne sont pas pointues par le bout et sur lesquelles j’ai craint de m’appuyer pour regarder dans la rivière. Il y a dans l’intérieur une case pour l’officier, formant deux chambres construites en palissades et couverte en paille, à côté une petite cuisine en paille. Hors du fort, environ à trente pas, est un bâtiment en palissades aussi couvert en paille, servant de caserne. La dépense totale de cet établissement peut être de quatre à cinq cents livres… Les sept ou huit soldats qui occupent ce poste, quoiqu’ils eussent l’air presque aussi malades que les autres, nous assurent qu’ils s’y portaient mieux qu’à Louisbourg… L’artillerie du fort Saint-Jean est deux petits canons d’une livre de balles et deux pierriers. Nous partîmes très satisfaits et fîmes encore deux lieues et demie au travers du plus beau pays, rencontrant de temps en temps des habitations de noirs. J’ai compté treize petits hameaux, depuis Louisbourg jusqu’à la Plaine. Ils sont au plus habités par deux cents personnes… Enfin, vers les cinq heures, le cours de la rivière nous conduisit entre des montagnes ; nous fîmes encore à peu près une lieue et arrivâmes à cette Plaine de Santé qui est située à l’extrémité d’un bassin entouré de montagnes très hautes, toujours couvertes de brouillards. Nous jugeâmes tous ce que ce lieu était le plus malsain de tous ceux que nous avions parcourus jusqu’alors. Tous les nuages, depuis Louisbourg, vont se rendre et se condenser en pluie dans ce bassin et je suis persuadé qu’il n’y a pas dix jours sereins dans l’année. La position militaire est aussi mal choisie : on peut très aisément être surpris… Le soi-disant fort appelé fort Auguste est situé sur la pointe d’une montagne en pain de sucre d’où on ne peut tirer qu’aux corneilles… Ce fort Auguste est, comme le fort Saint-Jean, un carré de huit toises entouré de palissades entièrement pourries et en plus mauvais état encore que ce que nous avons vu. Il y a dans le carré trois mauvaises paillottes, petites cabanes en paille pour casernes et cuisines. On y monte par cent cinquante marches et l’artillerie, composée de quatre canons de trois livres de balles, ne peut battre que les oiseaux qui s’élèvent jusqu’au niveau de la montagne. Au pied de ce morne est l’établissement : c’est une case de cinquante pieds sur trente, sans étage, bâtie en palissades et couverte en bardeaux venus depuis trois ans de l’île de France, et entièrement pourris par l’humidité. Ils durent ordinairement douze à quinze ans dans nos îles et sont déjà hors de service à Madagascar. Les palissades qui forment les murailles de cette case sont pourries et une maison bâtie depuis cinquante ans n’aurait pas l’air aussi délabrée que celle que je décris… À cette case ajoutez une cuisine en paille et voilà la ville de la Plaine de Santé tracée sur les différents plans.

De l’autre côté de la rivière sont un bâtiment en paille appelé hôpital et un autre de même espèce, qu’on nomme caserne, en si piteux état que M. le baron nous a conseillé de ne pas nous y transporter. M. de Bellecombe demandait toujours où était la ville, et n’a cessé ses plaisanteries qu’en se couchant. En nous levant, nous n’avons pu découvrir les montagnes couvertes de brouillards… Nous nous sommes rembarqués sur les dix heures… et nous sommes arrivés à Louisbourg après un trajet de quatre heures. La baie d’Antongil et le pays adjacent sont entièrement dévastés et le pays est infiniment plus misérable qu’à Foulpointe. Je me suis assuré que dans aucun temps M. le baron de Benyowszky n’a pu envoyer à l’île de France ni riz ni bœufs, n’en ayant jamais eu assez pour sa subsistance. Son interprète Mayeur en a traité vers le cap d’Ambre cent soixante-huit. C’est l’époque où le troupeau du roi a été le plus nombreux. Et les différentes guerres qui ont dévasté le pays n’ont pas procuré à M. de Benyowszky cinquante bœufs de pillage et ont anéanti toutes les autres ressources de subsistance que ce pays lui procurait…

En causant avec M. de Benyowszky sur le peu d’utilité que la France tirerait du séjour qu’il avait fait ici, il m’a répondu : « Qu’une leçon de deux millions n’était pas chère pour apprendre au ministère qu’on ne pouvait rien faire en petit à Madagascar, mais que si l’on voulait, sur les fonds particuliers, avoir ici une petite marine, lui donner de plus deux millions à dépenser par an et entretenir son corps à six cents hommes (ce qui suppose quatre à cinq cents hommes de recrue par an), il croyait que, dans vingt ans, cette colonie aurait déjà fait de grands progrès. » Je lui ai représenté qu’à quatre mille lieues de la métropole, on ne pouvait choisir, pour s’établir, un pays où cinq hommes sur six meurent dans deux ans, où ce qui reste est faible, convalescent et incapable des travaux militaires ou agricoles. J’aurais pu prendre pour exemple ces quatre-vingts hommes dont aucun ne sait manier un fusil ni faire un mouvement d’exercice. Il est convenu lui-même qu’il n’avait pu les instruire, parce qu’ils étaient continuellement à l’hôpital. Enfin, j’ai resté persuadé que les quarante millions et les douze mille hommes qu’on lui enverrait dans vingt ans, si son plan était suivi, seraient ajoutés à la perte que la France a déjà faite, et qu’à cette époque le roi n’aurait pas à Madagascar trois cents colons, et des bâtiments et fortifications qui puissent être évalués à un million. J’ai demandé à M. de Benyowszky quelles pouvaient avoir été ses vues en arrivant à Madagascar. Il m’a répondu : « De réduire les peuples à faire ce que le roi voudrait, et qu’il n’avait jamais bien connu les intentions du gouvernement à cet égard, que d’ailleurs il savait bien qu’il n’était plus facile de conquérir une colonie sur les ennemis que d’en former une nouvelle. » J’ai tombé d’accord avec lui de cette vérité, qui peut encore être moins contestée si on prend pour exemple la baie d’Antongil, mais je suis très éloigné de croire que le séjour de M. de Benyowszky ait augmenté la dépendance des noirs envers nous. Ils étaient auparavant entièrement soumis aux volontés du gouverneur de l’île de France.


Quant au chemin de Bombetoc, je me suis assuré que dans aucun temps il n’avait été tracé, qu’aucun Européen ne l’avait fait, et M. de Benyowszky ayant ordonné au nommé Mayeur, son interprète, d’aller traiter des bœufs à la côte de l’Ouest, cet homme a pris son chemin par le nord au bord de la mer, s’est avancé par là jusqu’à douze lieues de Bombetoc, d’où il est retourné avec un troupeau de cent soixante-huit bœufs à la baie d’Antongil.

Je n’entrerai dans aucun détail de l’administration intérieure de cet établissement. J’ai vu les effets du roi entassés sans aucun ordre dans des magasins de paille, exposés à l’humidité et à tous les autres accidents possibles. M. de Benyowszky m’a dit que ce n’était pas son affaire. J’ai cependant vu son nom partout. Je crois que sur cet article MM. de Bellecombe et Chevreau n’auront que des comptes bien peu satisfaisants à rendre. Quant aux successions, j’étais chargé de réclamer celle du sieur Dubourg. Toutes mes recherches à cet égard ont été inutiles, ainsi que celles de MM. Chevreau et Coquereau, ordonnateur, et j’aimerais autant aller à la Nouvelle-Zélande réclamer l’héritage de M. Marion.


  1. Okhotsk.