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Un gentilhomme/La chambre close

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Ernest Flammarion (p. 180-196).


La Chambre close.


I


J’ouvris les yeux et je regardai autour de moi. Un homme était penché sur mon lit ; près de l’homme, une femme, coiffée d’un bonnet à grandes ailes blanches, tenait en ses mains des compresses humides. La chambre vibrait, claire et simple, avec ses murs tapissés d’un papier gris pâle à fleurettes roses. Sur une table recouverte d’une grosse serviette de toile écrue, je remarquai divers objets inconnus, des rangées de fioles et un vase de terre brune plein de morceaux de glace. Par la fenêtre entr’ouverte, l’air entrait, gonflant comme une voile les rideaux de mousseline, et j’apercevais un pan de ciel bleu, des cimes d’arbres toutes verdoyantes et fleuries se balançant doucement dans la brise. Où donc étais-je ? Il me sembla que je sortais d’un long rêve, que j’avais, pendant des années, vécu dans le vague et pour ainsi dire dans la mort. Je ne me souvenais de rien, j’avais le cerveau vide, les membres brisés, la chair meurtrie, la pensée inerte. J’entendais par moments comme des cloches qui auraient tinté au loin, et puis soudain on eût dit que des vols de bourdons m’emplissaient les oreilles de leurs ronflements sonores.

L’homme souleva ma tête avec des mouvements doux, me fit boire quelques gorgées d’un breuvage que j’avalai avidement.

— Eh bien, monsieur Fearnell, me dit-il, comment vous trouvez-vous ?

— Hein ? Quoi ? m’écriai-je, où suis-je ?

— Vous êtes chez moi, mon bon monsieur Fearnell, répondit l’homme, chez moi… Allons, ajouta-t-il en replaçant ma tête sur l’oreiller, tranquillisez-vous, on vous soigne bien.

Je fixai les yeux, longtemps, sur celui qui me parlait ainsi, et tout à coup je reconnus le docteur Bertram, le célèbre médecin aliéniste de Dublin. Un frisson me secoua le corps. Pourquoi donc me trouvais-je chez le docteur Bertram et non pas dans ma villa de Phœnix-Park, au milieu de mes livres, de mes herbiers, de mes microscopes ? « On vous soigne bien », me disait-il. J’étais donc malade ? Je fis des efforts surhumains pour me rappeler, pour comprendre, pour pénétrer le mystère qui m’avait jeté là, dans une maison de fous, car le docteur Bertram, je m’en souvenais maintenant, dirigeait un hospice d’aliénés. Et cette chambre, cette religieuse, ces fioles, ces morceaux de glace !… Il n’y avait plus à douter… J’étais fou, fou !… Fou, moi un brave homme, moi un savant, membre de plusieurs académies !… Mais pourquoi ? mais comment ?

Je demandai :

— Depuis combien de temps suis-je ici ?

— Depuis un mois, mon bon monsieur Fearnell, depuis un mois… Voyons, ne vous découvrez pas, reposez-vous, là… comme ça… Et surtout ne parlez plus.

Et le docteur, ayant rebordé mon lit, se frotta les mains, et il sourit, le bourreau ! Sans doute il se réjouissait de mon malheur, sans doute j’étais plus fou qu’aucun des fous qu’il avait soignés jusqu’ici. Et c’est pour cela qu’il se frottait les mains.

Depuis un mois ! Était-ce possible ? Depuis un mois ! Que s’était-il donc passé ? En vain je cherchais à dissiper la nuit qui pesait sur mon cerveau. La nuit était épaisse, obstinée. Pas une lumière n’apparaissait, pas une aube ne se levait sur ces ténèbres… Pourquoi le docteur me défendait-il de parler ?… Pourquoi causait-il tout bas avec la religieuse ?… Peu à peu je sentis que je défaillais, que je m’endormais, et je vis, dans un paysage convulsé, une route couverte de sang et bordée de monstrueux microscopes en guise d’arbres, une route sur laquelle deux petites filles jouaient à la balle avec une tête coupée, tandis que le docteur Bertram, comiquement coiffé d’une cornette de religieuse, enfourchait un cadavre tout nu, qui sautait à petits bonds, se cabrait, poussait des ruades.


II


Le lendemain, j’allais beaucoup mieux. Je n’éprouvais plus qu’une sensation de vague délicieux et de grande fatigue. Avez-vous quelquefois, la nuit, dormi dans un wagon ? Les secousses de la voiture et la dureté des coussins vous ont moulu les reins et les épaules ; malgré le plaid dont vous êtes chaudement enveloppé, un froid — un petit froid exquis — fait courir sur tout votre corps des frissons légers comme des caresses ; vous dormez, bercé par le roulement orchestral du train qui vous apporte sans cesse des airs connus, des musiques préférées, et vous avez la perception physique et pour ainsi dire la tangibilité corporelle de ce sommeil. Oui, vous le touchez… Ce sommeil… Et c’est une des plus complètes, des plus étranges jouissances que l’homme puisse goûter. Que de fois ai-je passé des nuits en wagon, sans but de voyage, rien que pour y dormir ainsi ! Aux arrêts, dans les gares, tous les bruits du dehors — la sonnerie du télégraphe, le clac-clac rythmique du graisseur, les pas des hommes d’équipe sur le quai, une voix qui s’éloigne, brusquement coupée par la fermeture des portières, la cloche, la machine qui halète, essoufflée par la course — tout cela vous arrive multiplié par le silence, rendu plus net par la nuit. Mais ces bruits nets et pourtant brouillés, proches et pourtant lointains, clairs et pourtant assourdis, n’éveillent pas dans votre esprit l’idée d’un travail, d’une fonction, n’évoquent ni la forme de l’être ni celle de l’objet qui les ont produits. Ainsi de moi, dans mon lit, avec mes souvenirs qui, peu à peu, revenaient, mais vagues, confus, insaisissables. Je les entendais distinctement, et je ne les voyais pas, ou si je les voyais, ce n’étaient que des apparences fugitives de fantômes, des formes évanouies de spectres ; et tout cela grimaçait, tournoyait, incohérent, sans suite, sans liaison, comme dans un cauchemar.

Vers le soir, le docteur, que je n’avais pas vu de la journée, s’assit près de mon lit.

— Allons, allons, dit-il en me tâtant le pouls, tout va bien, et vous en serez quitte pour la peur, mon bon monsieur Fearnell. Je puis vous avouer cela, maintenant que vous êtes sauvé : jamais je ne vis plus beau cas de congestion cérébrale ! non, en vérité, jamais de plus beau cas. Que vous soyez vivant, c’est à ne pas croire. Dites-moi, et la mémoire, revient-elle un peu ?

— Je ne sais pas, répondis-je, découragé… je ne sais rien, rien… Je cherche, je cherche…

— Mon Dieu ! je vous parle de cela, parce qu’il vous est échappé des choses, dans votre délire, des choses véritablement bizarres. Savez-vous qu’on vous a trouvé, dans la rue, évanoui, à demi vêtu ?

— Je ne sais rien, je ne trouve rien… Docteur, écoutez-moi… J’ai passé par quelque chose d’effroyable… Quoi ? Ah ! voilà ce qui est affreux, je ne pourrais vous le dire… Mais, à des souvenirs qui me reviennent, j’ai la sensation d’avoir été mort ; oui, docteur, d’avoir été tué… là-bas… dans une chambre… Il y avait un lit, et puis… je ne sais plus, je ne sais plus rien… Ai-je rêvé ? Suis-je le jouet de la fièvre ? C’est bien possible après tout… Pourtant, non… Aidez-moi… je cherche depuis ce matin… Hélas ! mon cerveau est faible encore, ma mémoire ébranlée par la mystérieuse secousse… Ne suis-je pas fou ?… Je me sens mieux, cependant… les bourdonnements ont cessé… on dirait que j’ai, en tous mes membres, un grand bien-être, comme une lassitude de bonheur… Mais ce cadavre, cette enfant blonde, et la tête, qui roula sur le plancher, oui, elle roula… Mon Dieu ! je ne sais plus…

Le docteur m’interrogea. Il me raconta ce que j’avais dit, les mots que j’avais prononcés dans la fièvre. Je l’écoutais avidement. À mesure qu’il parlait, un voile se levait lentement devant mes yeux, et chose étonnante, je voyais tout, tout, avec une admirable lucidité. Mon agitation était telle que le docteur, à ce moment, me tâta le pouls et me dit :

— Peut-être vaut-il mieux que je vous laisse reposer, je crains que cette émotion ne vous fatigue. Nous causerons aussi bien demain.

— Non, docteur, m’écriai-je ; à l’instant, il le faut… C’est cela, je me souviens, c’est bien cela… Attendez seulement que je mette de l’ordre… Oui, je ne me trompe plus, je ne rêve pas… Écoutez.


III


Voici, exactement rapporté, le récit que je fis alors au docteur Bertram, et plus tard au magistrat :

— Vous connaissez ma passion pour l’histoire naturelle. Il ne se passe pas de semaine que je n’herborise, dans la campagne, autour de la ville. Ce jour-là j’allai à Glasnevin, où, comme vous le savez, se trouvent des prairies marécageuses. J’étais assuré d’y faire ample moisson de plantes curieuses, d’infusoires et de diatomées ; je puis même vous confier que je découvris des espèces rares, sur lesquelles je compte présenter à la Botanic Society un travail qui fera, je crois, sensation ; mais ceci est une autre affaire. Donc, ma trousse en bandoulière et ma boîte pleine de trésors, je revenais gaîment par la route, quand, aux portes de Dublin, j’aperçus une jolie petite fille de cinq à six ans, toute seule, qui pleurait. Je m’approchai d’elle, mais, à ma vue, l’enfant redoubla de cris. Je compris que la pauvre petite s’était égarée et qu’elle ne pouvait retrouver son chemin. Sa voix avait des plaintes comme celle des jeunes chiens qui crient au perdu, dans les plaines, la nuit… Je me fis très doux, l’amadouai avec des promesses de joujoux et de gâteaux. En continuant de pleurer, elle me dit que sa bonne l’avait abandonnée, qu’elle s’appelait Lizy et qu’elle demeurait près de Beresford-Place, dans Lower-Abbey-Street. Je la pris par la main et, déjà causant comme de bons amis, nous voilà partis.

« La jolie enfant, docteur ! Toute rose, avec de grands yeux candides et des cheveux blonds qui, coupés court sur le front, s’éparpillaient de dessous son large chapeau, en longues boucles dorées, sur les épaules ; elle trottinait gentiment, se collant à moi, sa petite main douce serrant ma grosse patte rugueuse. Quelle pitié !… Lizy, chemin faisant, me raconta beaucoup d’histoires naïves, où il était question d’un grand cheval, d’un petit couteau, d’une poupée, d’une pelle de bois et d’une quantité de gens que je ne connaissais pas. Puis tout à coup, sa jolie figure devint grave : elle me dit qu’en rentrant elle serait grondée par sa mère et mise au cachot noir. Je la rassurai de mon mieux et, pour la calmer tout à fait, je lui achetai une belle poupée, avec laquelle l’enfant, aussitôt, entama une conversation : « Oui, madame… N’est-ce pas, madame ?… Certainement, madame… » Mon Dieu, est-ce possible ?

« Lizy ne fut pas grondée, et moi, je fus accueilli, Dieu sait avec quels transports, par la mère qui déjà pleurait la perte de son enfant. On me fêta, on m’embrassa. Jamais, je crois, la reconnaissance ne s’exprima avec plus d’enthousiasme. Qui j’étais, où je demeurais, ce que je faisais, on voulut tout savoir, et c’étaient, à chacune de mes réponses, des exclamations de joie attendrie.

« — Oui, monsieur Fearnell, me dit la mère, vous êtes le sauveur de ma fille ! Comment pourrai-je vous exprimer jamais ma gratitude ! Nous ne sommes pas riches, et, d’ailleurs, ce n’est pas avec l’argent qu’on peut payer un tel service. Non, non… Disposez de nous, mon mari et moi nous sommes à vous à la vie à la mort. »

« J’avoue que ces protestations me gênaient un peu, car mon action était, en somme, toute naturelle, et j’avais conscience de n’avoir accompli là rien d’héroïque. Mais le bonheur d’avoir retrouvé une enfant qu’on a cru perdue excuse, chez une mère, ces exagérations de sentiment ; d’ailleurs l’intérieur de cette maison était si décent, si calme, il dénotait une vie si honnête, si unie, il avait un si pénétrant parfum de bon ménage que, moi-même très ému, je me laissais aller à la douceur de me sentir pour quelque chose dans les joies de ces braves gens. La mère reprit :

« — Comme mon mari sera heureux de vous répéter tout ce que je vous dis, monsieur, et mieux que je ne vous le dis, assurément !… Il est encore à son bureau… Mon Dieu ! s’il avait su ! lui qui aime tant notre Lizy !… Je ne l’avais pas averti, ah ! non… Il en serait devenu malade !… »

« Puis elle ajouta timidement :

« — Voyons, monsieur, après nous avoir procuré une si grande joie, voudriez-vous nous accorder un grand bonheur ?… Mais je n’ose, en vérité. Ce serait, oui, ce serait… d’accepter, demain… notre modeste dîner… Ah ! je vous en prie !… Ne nous refusez pas… Demain, il nous arrive un savant comme vous, avec qui vous aurez plaisir à causer, j’en suis certaine… Et puis mon mari sera si heureux… si heureux… si fier !… »

« Décidé à compléter ma bonne action, je n’osai refuser et je pris congé.

« Je revins le lendemain, à l’heure fixée. Vous pensez bien qu’après les protestations de la mère, je dus subir les protestations du père, lesquelles furent aussi chaleureuses. La petite Lizy me sauta au cou et me prodigua toutes ses câlineries, toutes ses tendresses d’enfant rieuse ; j’étais vraiment de la famille. Le dîner fut gai, le savant annoncé me parut intéressant ; bref, je passai une excellente soirée.


IV


« L’atmosphère avait été lourde pendant toute la journée, et le soir un orage terrible se déclara. Les coups de tonnerre se succédaient sans interruption ; la pluie tombait, torrentielle. Était-ce aussi l’effet de l’orage, de la chaleur suffocante ou des vins que nous avions bus, je me sentais à la tête une violente douleur ; je respirais difficilement. Je voulus partir quand même, car il se faisait tard et je demeurais loin, mais on insista pour me garder. C’était de la folie que de m’exposer, souffrant, à une tempête pareille. La mère pria, supplia avec tant de bonne grâce, que force me fut de passer la nuit dans cette maison hospitalière. On me conduisit en grande pompe à ma chambre, et l’on me souhaita bonne nuit… Je me souviens même que, Lizy s’étant endormie dans les bras de son père, j’embrassai sa petite joue pâlie par le sommeil, et son bras potelé qui pendait.

« Resté seul, je commençais de me déshabiller, lentement, en flânant, comme il arrive toujours dans les endroits où l’on se trouve pour la première fois. J’étouffais dans cette chambre. Avant de me mettre au lit, je voulus respirer un peu d’air du dehors, et malgré l’orage qui grondait, j’essayai d’ouvrir la fenêtre. C’était une fausse fenêtre.

« — Tiens ! » me dis-je un peu étonné.

« L’idée me vint de soulever la trappe de la cheminée : fausse cheminée. Je courus à la porte : la porte était verrouillée. La peur me prit et, retenant mon souffle, j’écoutai. La maison était tranquille, semblait dormir. Alors j’inspectai la chambre, minutieusement, dressant l’oreille au moindre bruit suspect. Près du lit, sur le plancher, je remarquai des taches ; c’était du sang, du sang séché et noirâtre. Je frissonnai, une sueur glacée me monta au visage. Du sang ! Pourquoi du sang ? Et je compris qu’une mare de sang avait dû s’étaler là, car le parquet, à cette place, sur une grande largeur, avait été fraîchement lavé et gratté. Tout à coup, je poussai un cri. Sous le lit j’avais aperçu un homme, allongé, immobile, raide ainsi qu’une statue renversée. Crier, appeler, je ne le pouvais pas. De mes mains tremblantes, je touchai l’homme : l’homme ne bougea pas. De mes mains tremblantes, je secouai l’homme : l’homme ne bougea pas. De mes mains tremblantes, je saisis l’homme par les pieds et l’attirai : l’homme était mort. La gorge avait été coupée nettement, d’un seul coup, par un rasoir, et la tête ne tenait plus au tronc que par un mince ligament.

« Je crus que j’allais devenir fou… Mais il fallait prendre un parti… D’une minute à l’autre l’assassin pouvait venir. Je soulevai le cadavre pour le placer sur le lit. Dans un faux mouvement que je fis, la tête livide se renversa, oscilla pendant quelque temps, hideux pendule, et, détachée du tronc, roula sur le plancher, avec un bruit sourd… À grand peine, je pus introduire le tronc décapité entre les draps, je ramassai la tête que je disposai sur l’oreiller, comme celle d’un homme endormi, et, ayant soufflé la bougie, je me glissai sous le lit. Mais tout cela machinalement, sans obéir à une idée de défense ou de salut. C’était l’instinct qui agissait en moi, et non l’intelligence, et non la réflexion.

« Mes dents claquaient. J’avais aux mains une humidité grasse ; je sentais quelque chose de glissant et de mou se coller à ma chemise, sur ma poitrine ; toute la décomposition de ce mort m’enveloppait de sa puanteur ; un liquide gluant mouillait ma barbe et s’y coagulait… J’eus l’impression d’être couché vivant dans un charnier.

« Je demeurai ainsi, en cette épouvante, combien de minutes, combien d’heures, de mois, d’années, de siècles ? Je n’en sais rien. J’avais perdu la notion du temps, du milieu… Tout était silencieux… Du dehors, le bruit de l’orage et les sifflements du vent m’arrivaient assourdis et douloureux, pareils à des râles. Chose extraordinaire, ma pensée ne me représentait pas du tout l’assassin qui allait venir… qui était là peut-être… En cette horreur où j’étais, je ne revoyais que la petite Lizy, rose, blonde, et candide, avec sa poupée et son grand chapeau ; je la revoyais, dormant sur les bras de son père ; de temps en temps, elle soulevait légèrement sa paupière et découvrait son œil, qui m’apparaissait alors, effronté, implacable, cruel, assassin.

« On ouvrit la porte, mais si doucement qu’on eût dit un grattement de souris. — Je dus me mordre les lèvres jusqu’au sang pour ne pas crier. Maintenant, un homme marchait, à pas glissés, avec d’infinies précautions, pour ne point heurter violemment les meubles. Il me semblait que je voyais des mains tâtonnantes se poser partout, chercher mes vêtements, les fouiller… Et les pas se rapprochaient de moi, m’effleuraient… Je sentis que l’homme s’était penché sur le lit, et qu’il frappait à grands coups. Puis je n’entendis plus rien.

« Quand je repris connaissance, la chambre était redevenue silencieuse… Mais l’effroi me retenait cloué à cette place… Pourtant, je me décidai à sortir, avec quelle prudence, vous ne pouvez pas vous l’imaginer. À tâtons, je gagnai la porte, qui n’avait pas été refermée… Pas un souffle, pas un bruit. Frôlant les murs, je m’engageai dans le corridor : je m’attendais à voir, soudain, une tête surgir, menaçante, dans l’obscurité, un couteau briller dans la nuit. Mais rien… La bête, gavée de meurtre, dormait dans son repaire… Je descendis l’escalier, tirai le verrou de la porte, et, défaillant, les veines glacées, je m’abattis dans le ruisseau de la rue déserte…

Le docteur Bertram avait très attentivement écouté mon récit.

— Et c’est là qu’on vous a retrouvé, mon bon monsieur Fearnell, et dans quel état, mon Dieu ! Pourriez-vous reconnaître la maison ?

— Oui, lui répondis-je, mais à quoi bon ?

— Eh bien, guérissez-vous, et nous irons ensemble chez vos assassins.

Huit jours après, le docteur et moi, nous nous engagions dans Lawer-Abbey-Street. Je reconnus la terrible maison. Tous les volets étaient mis aux fenêtres ; au-dessus de la porte, un écriteau se balançait : À louer.

Je m’informai auprès d’une voisine.

— Ils sont partis il y a quinze jours, me dit-elle. C’est grand dommage pour le quartier, car c’étaient de bien braves gens.