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Un hivernage dans les glaces/08

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Un hivernage dans les glaces
J. Hetzel et Compagnie (p. 151-155).

VIII

plan d’exploration


Le 9 octobre, Jean Cornbutte tint conseil pour dresser le plan de ses opérations, et, afin que la solidarité augmentât le zèle et le courage de chacun, il y admit tout l’équipage. La carte en main, il exposa nettement la situation présente.

La carte en main, il exposa nettement la situation (p. 151).

La côte orientale du Groënland s’avance perpendiculairement vers le nord. Les découvertes des navigateurs ont donné la limite exacte de ces parages. Dans cet espace de cinq cents lieues, qui sépare le Groënland du Spitzberg, aucune terre n’avait encore été reconnue. Une seule île, l’île Shannon, se trouvait à une centaine de milles dans le nord de la baie de Gaël-Hamkes, où la Jeune-Hardie allait hiverner.

Si donc le navire norwégien, suivant toutes les probabilités, avait été entraîné dans cette direction, en supposant qu’il n’eût pu atteindre l’île Shannon, c’était là que Louis Cornbutte et les naufragés avaient dû chercher asile pour l’hiver.

La caravane se mit en marche (p. 155).

Cet avis prévalut, malgré l’opposition d’André Vasling, et il fut décidé que l’on dirigerait les explorations du côté de l’île Shannon.

Les dispositions furent immédiatement commencées. On s’était procuré, sur la côte de Norwége, un traîneau fait à la manière des Esquimaux, construit en planches recourbées à l’avant et à l’arrière, et qui fût propre à glisser sur la neige et sur la glace. Il avait douze pieds de long sur quatre de large, et pouvait, en conséquence, porter des provisions pour plusieurs semaines au besoin. Fidèle Misonne l’eut bientôt mis en état, et il y travailla dans le magasin de neige, où ses outils avaient été transportés. Pour la première fois, on établit un poêle à charbon dans ce magasin, car tout travail y eût été impossible sans cela. Le tuyau du poêle sortait par un des murs latéraux, au moyen d’un trou percé dans la neige ; mais il résultait un grave inconvénient de cette disposition, car la chaleur du tuyau faisait fondre peu à peu la neige à l’endroit où il était en contact avec elle, et l’ouverture s’agrandissait sensiblement. Jean Cornbutte imagina d’entourer cette portion du tuyau d’une toile métallique, dont la propriété est d’empêcher la chaleur de passer. Ce qui réussit complétement.

Pendant que Misonne travaillait au traîneau, Penellan, aidé de Marie, préparait les vêtements de rechange pour la route. Les bottes de peau de phoque étaient heureusement en grand nombre. Jean Cornbutte et André Vasling s’occupèrent des provisions ; ils choisirent un petit baril d’esprit-de-vin, destiné à chauffer un réchaud portatif ; des réserves de thé et de café furent prises en quantité suffisante ; une petite caisse de biscuits, deux cents livres de pemmican et quelques gourdes d’eau-de-vie complétèrent la partie alimentaire. La chasse devait fournir chaque jour des provisions fraîches. Une certaine quantité de poudre fut divisée dans plusieurs sacs. La boussole, le sextant et la longue-vue furent mis à l’abri de tout choc.

Le 11 octobre, le soleil ne reparut pas au-dessus de l’horizon. On fut obligé d’avoir une lampe continuellement allumée dans le logement de l’équipage. Il n’y avait pas de temps à perdre, il fallait commencer les explorations, et voici pourquoi :

Au mois de janvier, le froid deviendrait tel qu’il ne serait plus possible de mettre le pied dehors, sans péril pour la vie. Pendant deux mois au moins, l’équipage serait condamné au casernement le plus complet ; puis le dégel commencerait ensuite et se prolongerait jusqu’à l’époque où le navire devrait quitter les glaces. Ce dégel empêcherait forcément toute exploration. D’un autre côté, si Louis Cornbutte et ses compagnons existaient encore, il n’était pas probable qu’ils pussent résister aux rigueurs d’un hiver arctique. Il fallait donc les sauver auparavant, ou tout espoir serait perdu.

André Vasling savait tout cela mieux que personne. Aussi résolut-il d’apporter de nombreux obstacles à cette expédition.

Les préparatifs du voyage furent achevés vers le 20 octobre. Il s’agit alors de choisir les hommes qui en feraient partie. La jeune fille ne devait pas quitter la garde de Jean Cornbutte ou de Penellan. Or, ni l’un ni l’autre ne pouvaient manquer à la caravane.

La question fut donc de savoir si Marie pourrait supporter les fatigues d’un pareil voyage. Jusqu’ici elle avait passé par de rudes épreuves, sans trop en souffrir, car c’était une fille de marin, habituée dès son enfance aux fatigues de la mer, et vraiment Penellan ne s’effrayait pas de la voir, au milieu de ces climats affreux, luttant contre les dangers des mers polaires.

On décida donc, après de longues discussions, que la jeune fille accompagnerait l’expédition, et qu’il lui serait, au besoin, réservé une place dans le traîneau, sur lequel on construisit une petite hutte en bois, hermétiquement fermée. Quant à Marie, elle fut au comble de ses vœux, car il lui répugnait d’être éloignée de ses deux protecteurs.

L’expédition fut donc ainsi formée : Marie, Jean Cornbutte, Penellan, André Vasling, Aupic et Fidèle Misonne. Alain Turquiette demeura spécialement chargé de la garde du brick, sur lequel restaient Gervique et Gradlin. De nouvelles provisions de toutes sortes furent emportées, car Jean Cornbutte, afin de pousser l’exploration aussi loin que possible, avait résolu de faire des dépôts le long de sa route, tous les sept ou huit jours de marche. Dès que le traîneau fut prêt, on le chargea immédiatement, et il fut recouvert d’une tente de peaux de buffle. Le tout formait un poids d’environ sept cents livres, qu’un attelage de cinq chiens pouvait aisément traîner sur la glace.

Le 22 octobre, suivant les prévisions du capitaine, un changement soudain se manifesta dans la température. Le ciel s’éclaircit, les étoiles jetèrent un éclat extrêmement vif, et la lune brilla au-dessus de l’horizon pour ne plus le quitter pendant une quinzaine de jours. Le thermomètre était descendu à vingt-cinq degrés au-dessous de zéro.

Le départ fut fixé au lendemain.