Un mâle (Lemonnier)/15

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Un mâle (1881)
Kistemaeckers (p. 107-110).
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XV



Germaine, fit une voix près de la charrette.

Elle se dressa sur son coude.

— Toi ? ici ?

Il y avait de la joie au fond de son étonnement. Elle lui était reconnaissante de venir au moment où elle succombait sous la pensée de son isolement. Il hocha la tête affirmativement, un sourire sur la bouche, et tous deux demeurèrent un instant à s’observer. Il parla le premier :

— D’abord, j’suis venu pour venir. J’avais des choses à t’dire. Je n’sais plus quoi. Puis ça me tenait de t’avoir fait de la peine hier soir. Moi, j’dis ce que je pense. J’étais bu, faut croire. On a des jours comme ça. Enfin, faudrait pas que tu te tourmentes, je suis guéri, je n’recommencerai plus.

Il lui parlait avec humilité. Une sorte d’aplatissement volontaire était sur sa mine rusée. Il allongeait le cou, effaçait les épaules, semblait vouloir se diminuer devant elle, pour lui faire oublier la violence de la veille. Un repentir traînait dans ses yeux. Et il continuait à l’envelopper de son sourire patelin, avec un air d’homme embarrassé.

— C’est vrai, tout d’même, fit Germaine, que t’as été un peu loin.

Elle avait plongé les mains dans une touffe de trèfles et la tiraillait machinalement.

— Germaine, dit-il.

— Quoi ?

— Dis-moi que c’est fini. Non, vrai, j’suis pas méchant. Tiens, si tu veux, j’viendrai plus. Tout sera fini. Tu s’ras la fille à Hulotte et moi j’serai Hubert le braconnier comme dans l’temps. On s’regardera de loin. On s’dira bonjour, puis plus rien. Mais faudrait pas qu’tu m’gardes rancune. Germaine, descends-moi ta main pour dire que c’est fini.

Elle allongea la main. Il la prit et la garda dans les siennes.

Elle le trouva bon garçon.

— Alors, c’est dit que tu ne recommenceras plus ? fit-elle.

— Pour sûr.

— Il mit de la conviction dans sa voix, évitant de paraître avoir une arrière-pensée. Puis ils se turent et tous deux se regardèrent avec un long sourire.

Il avait la peau tirée, les yeux battus. Elle lui demanda pourquoi. Alors il lui raconta qu’il avait passé la nuit dans le bois, à pleurer. Et il agitait très vivement ses paupières, pour les faire rougir.

— Menteur, dit-elle en remuant les épaules.

Mais il jura ses grands dieux que c’était vrai.

— À preuve que j’ai gardé mes habits. Regarde.

Comme il élevait la voix, dans un élan de sincérité, elle mit un doigt sur sa bouche.

— Tais-toi.

— Que j’m’tais, quand j’m’entends dire que j’suis un menteur ?

Il jouait l’indignation. Elle le laissait se défendre, heureuse de le croire, avec une satisfaction d’amour-propre qu’il eût passé la nuit à pleurer pour elle. Et tout à coup sa colère tomba, fit place à des douceurs dans l’œil et dans la voix.

— Descends une miette, dit-il. On causera derrière les pommiers, là-bas.

Il avait gardé sa main dans les siennes et lui donnait de petites secousses, comme pour attirer toute sa personne. Elle disait non, de la tête, mais il s’obstinait, réitéra sa demande. Alors elle lui déclina ses raisons. Le fermier s’éveillerait d’un moment à l’autre. Ses frères aussi. On n’aurait qu’à s’apercevoir de quelque chose. Ils ne pourraient plus se voir.

— J’te montrerai mes bricoles. Tu prendrais du plaisir, vrai, dit-il.

Et il raconta ses promenades dans la forêt, la nuit. Il y avait des fois qu’il était obligé de se battre avec les bêtes. Un jour, il avait pris un chevreuil vivant, à la course. Il entrait dans des détails, dépeignait le silence de la nuit, imitait le passage des fauves, était emporté par sa passion de chasseur.

Elle l’écoutait, les yeux fixés sur les siens. Le sang du garde Maucord se réveillait en elle. Toute jeune, dans les rares moments où son père parlait, elle avait entendu des choses semblables, mais dites autrement, avec la voix maussade d’un causeur qui n’aimait pas à s’expliquer. Ces souvenirs lui revenant, elle était prise du désir de rôder, elle aussi, dans la forêt. Le mystère des ruses la tentait. Et elle finit par dire qu’elle regrettait de n’être pas un homme, pour chasser ensemble, avoir à deux les sensations fortes de l’affût.

Cachaprès eut un sourire.

— Viens, dit-il, j’te montrerai ma fausse barbe. Des fois, j’mets un masque à cause des gardes. Faut avoir de la prudence. Puis j’me fais tout petit, comme ça, et je passe dans le taillis comme un lapin. Et des fois, faut voir, on s’met une peau de chevreuil sur l’dos : on a l’air d’une bête. C’est drôle.

La curiosité la tenait. Le garçon lui apparaissait sous un jour nouveau, avec des adresses subtiles qui le grandissaient et mettaient au-dessus de lui comme une surprise d’inconnu. Et cet homme terrible, qui avait tant de stratagèmes pour échapper aux gardes, était là, devant elle, avec son humilité d’homme amoureux !

— Vrai, dit elle, t’as une barbe ?

Elle réfléchissait à présent. Si elle avait pu se faire libre, elle serait partie immédiatement. Mais il eût fallu des prétextes, et elle n’en trouvait pas.

Il y avait un moyen, peut-être.

Elle dirait à la ferme qu’elle allait faire visite à la Cougnole. Cette femme était vieille et vivait misérablement. La fermière l’avait aidée, de son vivant, et le fermier continuait à lui passer de petits secours. Elle habitait à une demi-heure environ de la ferme.

Elle se décida.

— Écoute, dit-elle très vite, je serai chez Cougnole dans deux heures. Tu m’attendras sur le chemin.

Un bâillement sortit d’une botte de paille, à quelques pas d’eux ; et presque aussitôt des sabots cognèrent le pavé, dans la cour. La maison se réveillait.

Elle lui retira sa main et se laissa glisser à bas de la charrette.

— Dans deux heures, tope ! fit Cachaprès en se coulant derrière une haie.