Un mystérieux enlèvement/11

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A. Lefrançois (p. 193-227).

CHAPITRE IX

LES DÉBATS D’ANGERS

I. Impression produite par l’annulation de l’arrêt de Tours. ─ II. Désappointement et perplexités de Clément de Ris ; son abstention. Transfert des prisonniers à Angers. ─ III. Le Tribunal spécial de Maine-et-Loire. ─ IV. Les témoins : vifs incidents d’audience. ─ V. Le Réquisitoire. ─ VI. Les plaidoiries. ─ VII. Le scandale Viriot. Le verdict. ─ VIII. Manifestations tumultueuses ; Mme  de Canchy ; encore Viriot.


I

À l’inverse d’autres affaires, dont l’intérêt s’épuise à mesure qu’on les renouvelle et fait place à une lassitude parfois profitable aux accusés, l’affaire Clément de Ris trouva, dans son report devant le Tribunal d’Angers, un regain d’intérêt, où la passion et la curiosité avaient égale part.

Il ne s’agissait, en effet, pas d’un jugement rendu, et cassé pour vice de forme : l’affaire n’avait pas été jugée. L’arrêt de Tours, uniquement suspensif, laissait entendre qu’il existait des dessous impénétrés. Au mystère des faits ignorés s’ajoutait le mystère des causes offusquant la lumière et des personnes intéressées à la maintenir dans l’ombre. Jaillirait-elle d’un examen confié à des juges plus étrangers aux passions locales, aux influences de l’ambiance, aux timidités nées du contact quotidien avec des gens dont, inconsciemment, ils reflètent les impressions ou appréhendent de heurter les sentiments ?

Les feuilles publiques, en portant au loin le compte rendu des débats, avaient contribué à raviver dans le pays entier l’émotion jadis causée par l’attentat. Elles avaient réveillé un souvenir que, chez beaucoup, tant de mois écoulés, tant d’événements survenus, avaient endormi. Ce qui n’offrait plus qu’un intérêt restreint, circonscrit à un certain milieu ou à une certaine région, reprenait un intérêt général. Mis en mesure, d’après les révélations du procès plaidé à Tours, de se faire une opinion, sinon une conviction, chacun attendait les déclarations qui devaient la confirmer ou l’infirmer. Tout dépendait de la résolution du Sénateur. Viendrait-il ? Parlerait-il ? S’entêterait-il dans la perpétuité d’un silence prêtant à toutes les hypothèses ?

Ouverts en ces conditions, les débats d’Angers allaient prendre une ampleur que n’avaient pas eue ceux de Tours.


II

L’arrêt rendu avait déconcerté Clément de Ris. Il eût accepté un acquittement ; il se fût résigné à une condamnation ; c’était, dans l’un et l’autre cas, la libération pour lui. Mais il lui pesait d’être à nouveau inquiété dans son repos, tourmenté dans sa conscience, troublé dans ses intérêts matériels. À peine la décision du Tribunal de Cassation portée à sa connaissance, il fit, sans même attendre qu’on les sollicitât, savoir ses intentions. Il adressa au Président du Tribunal spécial de Maine-et-Loire une lettre, singulier mélange d’égoïsme et de sensibilité, où l’apport de raisons puériles gâte ce qui fait honneur à la générosité.

Paris, 21 fructidor an IX.

Le citoyen Clément de Ris,
Membre du Sénat conservateur,
Au citoyen De Launay, d’Angers,

« Après dix-neuf jours de la plus horrible agonie et dix mois de maladie tant de moi que des miens, de privations, d’inquiétudes, de tortures de toute espèce, suite cruelle de mon enlèvement, le pistolet à la main, le 1er vendémiaire, j’avais cru enfin, citoyen Président, toucher au moment désiré où ma femme, mes fils, mes amis, mes domestiques me seraient rendus, et où je cesserais d’être occupé et tourmenté de cette horrible affaire. Après une instruction éternelle, après un débat scandaleux, où les exécrables manœuvres des amis du crime ont accablé d’injures et de mépris tous ceux que la justice et la vérité guidaient, et d’éloges tous les criminels et leurs adhérents, le Tribunal de Tours a rendu le singulier jugement qui vient d’être cassé par le Tribunal suprême, et voilà une instruction nouvelle renvoyée devant vous. Je n’ai, ni ne veux avoir, aucune influence sur le jugement, ce serait sans doute un malheur pour la société ; car je mettrais en liberté tous ces malheureux détenus, contre lesquels je n’ai conservé aucune animosité, et dont la condamnation, quelque forte qu’elle puisse être, me fera éprouver, si elle arrive, un sentiment profondément pénible qui me suivra toujours. Je connais le cœur humain ; je connais l’égarement des passions dans la jeunesse ; je connais surtout beaucoup trop à quels excès épouvantables l’esprit de parti et l’exagération réciproque des opinions ont conduit, depuis dix ans, de malheureux jeunes gens qui n’étaient point nés pour le crime, pour le vol, pour l’assassinat, et qui s’en sont rendus coupables dans la malheureuse tourmente qui nous agite depuis si longtemps. Mais je veux vous faire part seulement des nouvelles peines auxquelles nous condamne encore le malheureux procès qui va recommencer devant vous.

» Des citations pour aller témoigner vont sans doute m’enlever encore les nommés Métayer, Pierre Créhelleau, et Anne Tasse, trois domestiques qui me sont de toute nécessité ici ; notre respectable amie Mme  Bruley, femme de soixante-six ans, très infirme, et qui demeure ici avec nous. Tout cela dans un moment où j’ai le plus grand besoin de secours, étant gisant depuis un mois sur une chaise longue, par suite d’une blessure à la jambe.

» Ce n’est pas là le pire. On va sans doute assigner aussi les domestiques de ma campagne. L’un d’eux, nommé Lebrun, est mon régisseur. Son épouse est là notre femme de charge. Le nommé Mary est notre jardinier. Ma maison et mes propriétés vont rester à l’abandon, exposées au pillage. J’ai quarante arpents de vigne à vendanger, des grains à battre, et jugez de mes inquiétudes et des torts réels que je vais avoir encore à supporter. Il me serait au moins essentiel que leur séjour à Angers fût le plus court possible, et que je pusse être averti un peu d’avance du temps et du terme de l’absence de tant de gens qu’il me serait si précieux de garder. C’est sur cet objet que je réclame avec confiance votre bienveillance, citoyen Président. J’ose espérer y avoir quelques droits par tout ce que moi et les miens nous avons déjà souffert dans cette exécrable catastrophe, et par l’influence horrible qu’auront pour moi et les miens ses malheureuses suites.

» Si je redoute la privation de mes domestiques et l’abandon de mes propriétés, je frémirai bien davantage si votre Tribunal se décidait à appeler ma femme et mon jeune fils. L’exacte vérité est que ma chère femme a la vue tellement basse qu’elle ne reconnaît pas les traits d’un individu à deux pas. Je vous laisse d’ailleurs à juger de l’état de l’âme de la plus tendre des épouses, qui, déjà très dangereusement malade depuis vingt-huit jours, voit traîner à une mort, qu’elle croyait assurée, l’unique objet de ses plus tendres affections depuis vingt-cinq ans. Quant à notre pauvre enfant, il avait alors douze ans et demi. Sa tendre mère mourrait d’inquiétude et de douleur, si elle voyait traîner ce cher enfant au milieu des nombreux complices de nos bourreaux. Et de quelle nécessité est le témoignage de ce cher enfant dans un procès où il y a trente autres témoins d’un âge mûr ? Je vous ai dit mes peines, citoyen Président. Je ne pouvais les déposer dans le cœur d’aucun citoyen pour lequel je sois plus pénétré d’estime et d’attachement[1]. »

Clément de Ris savait plusieurs de ses amis et de ses proches disposés à lui déconseiller l’abstention. Il aurait voulu les placer en présence du fait accompli. Petite lâcheté d’un caractère faible, qui, pour avoir un prétexte à ne pas agir, s’était hâté d’agir de façon à le faire naître. Trop tard ! pourrait-il ensuite répondre à qui l’entreprendrait sur ce point.

Il circulait aussi, au sujet des prévenus jugés à Tours, et d’autres qui n’avaient pas figuré au procès, des bruits qui, s’ils étaient confirmés (et sa comparution l’obligeait à en confirmer partie), l’eussent placé en difficile posture. Un de ses parents, Juge au Tribunal de Chinon, le citoyen Laval, lui écrivait, le 23 fructidor[2] : « Un huissier audiencier du Tribunal m’a dit, il y a trois ou quatre jours, qu’un nommé Blain[3], défenseur officieux à Tours, avait dit à Chinon en plein café, en sa présence, que les six individus qui vous avaient enlevé à Beauvais étaient tous des commis travaillant dans les bureaux de la Police générale, et que les six individus qui ont comparu devant le Directeur du Jury à Tours, comme prévenus de cet affreux attentat, n’étaient que des mannequins. Il a même prononcé le nom d’un de ces commis. Mais l’huissier audiencier ne se l’est pas rappelé. »

Il n’est guère de procès qui ne prête à des commérages, surtout quand l’affaire côtoie la politique. La Justice passe outre et laisse dire ; mais l’opinion les retient, les commente et les propage, et la défense ne se fait pas faute d’interroger la discrétion de la Justice sur les indiscrétions de l’opinion. Libre au juge de ne pas poser la question. Elle est introduite. Cela suffit, la crainte de voir interprété comme un aveu le silence prescrit amenant spontanément les confidences que n’eussent pas toujours arrachées des questions posées directement. Qu’à l’occasion de tels on-dit un incident d’audience fût soulevé par les défenseurs en présence de Clément de Ris, eût-il pu éviter l’aveu que tous les coupables n’étaient pas là ? Un choix avait donc été fait entre eux ? Pourquoi ? Quels motifs avaient soustrait les uns, soumis les autres aux conséquences de leur crime ? On n’eût pas manqué de le demander. Embarrassante enquête, dont il sentait le péril. Elle mettait en cause le Ministre qui savait tout, qui ne pouvait tout dire, et contre qui la défense et l’esprit de parti exploiteraient principalement ce qu’il ne dirait pas.

Outre cela, le Sénateur n’avait pas échappé à la contagion de sympathie provoquée par la situation de de Canchy et de de Mauduison. Son humanité souffrait qu’à cause de lui ces deux jeunes gens pussent être envoyés à la mort. Il s’en était ouvert aux Fontenay, parents de Tours, qui possédaient une propriété à Nogent-le-Rotrou. Les relations nées du voisinage entre eux et les de Mauduison attachent à leurs réponses un intérêt spécial, on va le voir.

Le 17 fructidor, les prévenus avaient été tirés de leur cachot pour être conduits, de brigade en brigade, de Tours à Angers[4]. L’annonce de leur arrivée prochaine avait excité dans cette ville une ardente curiosité qu’augmentaient le bruit qu’ils étaient amenés en charrettes, et les précautions prises par l’autorité militaire, les troupes consignées dans les casernes, l’infanterie fusils en faisceaux, les cavaliers chevaux sellés, tous prêts à partir. Le 21, dès l’aube, la foule se pressait à la porte Saint-Aubin. Son attente fut en partie déçue. Les prisonniers arrivèrent à quatre heures du soir, en voiture fermée, escortée de gendarmes et de hussards, et furent aussitôt écroués à la prison[5]. À Tours, ce départ, ce transfert, ces précautions de surveillance, converties par l’esprit de parti en appareil de torture, avaient soulevé une émotion dont, le 19, Mme  Fontenay crut devoir informer Clément de Ris. Elle en profita pour lui dire, – avec une franchise d’autant moins suspecte que, par son dévouement au Sénateur elle s’attirait mainte inimitié[6], et d’autant plus méritoire qu’elle combattait un évident parti pris de ne pas paraître aux débats, – ce qu’on pensait à Tours de cette abstention.

« C’est uniquement pour vous que je vais vous parler encore de la malheureuse affaire qui, dans ce moment, occupe toute notre ville et peutêtre toute la France. Je n’ai vu, depuis mon retour ici, ni Mme  de Mauduison, ni ses parents, ni même personne de sa part, parce qu’ils savent bien que je ne puis leur être d’aucune utilité. Aussi ce que je vais vous dire restera entre vous et moi, soit que vous acceptiez ou rejetiez ma proposition. Elle est dictée par l’intérêt que je prends à tout ce qui vous regarde et par le sincère attachement que je vous porte ainsi qu’à Mme  Clément de Ris et à ce qui vous appartient.

» Tout le monde vous blâme en général de n’avoir pas voulu comparaître ici devant les accusés, et je ne doute pas que vous eussiez comparu si vous eussiez pu prévoir les suites funestes que l’on prévoit à cette affaire contre les accusés. Vous aurez sûrement appris la sévérité dont on a usé envers eux dans leur transfèrement d’ici à Angers. Plusieurs personnes m’ont assuré qu’on leur avait mis les fers aux pieds, et attachés par les mains deux à deux, escortés de cent hommes de troupe tant à pied qu’à cheval, à trois heures du matin avant-hier[7]. Je crois bien que ces mesures sévères ont été prises d’après les rapports qu’on a faits au Gouvernement de l’intérêt trop vif qu’avaient pris en général les Tourangeaux pour les accusés, intérêt qui n’eût presque rien été si le Commissaire n’eût pas conclu contre la plupart à la peine de mort. Mais cet article officiel mis dans tous les journaux, la sévérité qu’on a mise dans l’enlèvement de ces malheureux a achevé d’exalter quelques têtes.

» Je crois donc, d’après cela, nécessaire pour votre tranquillité à venir, ainsi que celle de tout ce qui vous appartient, de chercher à comparaître devant le Tribunal d’Angers. Et comme je crois que, sans blesser la vérité, vous pouvez dire que vous ne connaissez personne, si les juges de ce Tribunal ne jugent point que cette reconnaissance soit suffisante pour acquitter une partie des coupables et qu’ils aient d’autres preuves contre eux, alors le public ne pourra, sans la plus grande injustice, vous faire aucun reproche sur tout ce qui pourra leur arriver. Si, au contraire, les juges trouvent cette reconnaissance suffisante pour acquitter les six accusés (car je crois que votre présence ne peut rien faire aux quatre autres), et que vous désiriez, comme nous, une punition à ceux que vous croyez coupables, je crois que vous pouvez là-dessus vous en reporter sur le Ministre de la Police qui ne tarderait sûrement pas, sitôt le jugement, à les faire déporter. Cette peine, pensent des gens impartiaux dans cette affaire et persuadés de la culpabilité de trois, devrait être suffisante, ajoutée à tout ce qu’ils ont souffert depuis qu’ils sont en prison, surtout pour deux que je ne crois pas capables d’avoir participé au vol qui vous a été fait.

» Voilà, Monsieur, la vérité toute nue. Bien des gens, se disant de vos amis, vous parlent peut-être un autre langage, parce que la plupart sont mus par divers intérêts, tandis que moi je ne le suis que par celui bien vif que je prends à votre tranquillité. »

Mme  Fontenay ne doutait pas, on le voit, de la culpabilité de Gaudin, de de Canchy et de de Mauduison. Mais son instance était-elle aussi indépendante et spontanée qu’elle l’affirmait, ou cédait-elle à la pression de personnes amies des accusés ? Elle semble craindre cette supposition, car elle ajoute : « Je défie qui que ce soit de prouver que j’aie vu personne de la famille de Mauduison depuis que je suis ici. Je n’ai pas même vu, depuis qu’elle est arrivée ici, son défenseur, qui a toujours été absent jusqu’à, m’a-t-on dit, avant-hier soir. »

Huit jours plus tard[8], nouvelle lettre, plus affirmative, plus pressante encore :

« J’ai pris hier des informations au défenseur de M. de Mauduison pour savoir à peu près l’époque où commencerait l’assignation des témoins à Angers. Il me dit qu’il ne croyait pas que les débats de cette affaire commencent avant la Toussaint au plus tôt. On n’a encore rien fait à Angers. On n’a aucune certitude si Chauveau-Lagarde y viendra. Blain a l’air très peu disposé à y aller et paraît un peu dégoûté de cette affaire. On en parle peu ici à présent, et je peux vous dire que les gens impartiaux qui m’en ont parlé vous rendent parfaitement justice, et ne croient point, malgré tout ce qu’on a pu dire, que vous ayez influencé en rien sur les dépositions de Mme  Bruley, quoique la blâmant sur la manière dont elle s’est conduite. Ceux qui la connaissent bien l’attribuent plus à l’envie de se rendre célèbre, de passer pour une femme courageuse, qu’à un méchant motif ; et ensuite l’attachement qu’elle a pour tous les vôtres, tout cela l’a fait aller beaucoup plus loin qu’elle ne devait et lui a attiré des injures des défenseurs qu’elle ne méritait pas. Ils eussent pu dévoiler les vrais motifs qui la faisaient agir, ce qui eût été beaucoup moins offensant pour elle, et l’eût peut-être corrigée de l’amour-propre qui l’égarait.

» J’ai senti, dans ce temps, si bien les raisons qui vous ont empêché de venir déposer à Tours, que j’ai été la première à y applaudir. Mais permettez-moi de vous dire que je les trouve moins fortes, d’après tout ce qui s’est passé, pour vous dispenser d’aller à Angers si vous y étiez enjoint et que votre jambe[9] vous permît de faire le voyage, surtout si les juges de cet endroit attachent autant d’importance que ceux d’ici à la reconnaissance que vous ferez ou ne ferez pas des coupables, pour les condamner à des peines plus ou moins fortes. Je sens très bien que, pour les Lacroix et Jourgeon, votre présence ne peut rien pour eux, ne pouvant rien dire contre ce que vous avez déclaré d’abord. L’on sent très bien cela. Mais, pour les autres, on vous blâmera presque généralement de ne pas paraître si vous le pouvez, et l’on vous saura le plus grand gré d’y paraître de quelque manière que soient jugés les accusés. Voilà vraiment ce que mon bien sincère attachement pour vous me dicte. »

M. Fontenay, de son côté, écrivait de Nogent-le-Rotrou[10] :

« Quoique dans la ville du domicile de Mme  de Mauduison, j’entends très peu parler de l’affaire de son fils : cependant le père, nouvellement rentré, est ici en surveillance. Il se montre peu, car je ne l’ai pas encore aperçu. On le plaint, mais on ne le cherche pas, parce que les gens les plus honnêtes voient les choses sous leur vrai point de vue et sans esprit de parti, et qu’alors on sent que, dans l’impossibilité de donner quelque consolation au père, on doit éviter de n’avoir pas même à lui parler d’une horreur qui, au Tribunal de la société, sera toujours dans tous les cas une infamie et une déshonorante atrocité. Si nos concitoyens de Tours étaient ici, ils se trouveraient bientôt honteux de l’extravagance de l’intérêt qu’ils ont manifesté dans cette affaire, et j’ai lieu de coire que la translation des accusés, en calmant l’ivresse de l’esprit de parti, les ramènera promptement à ce sentiment. »

Donc on n’était pas, à Nogent-le-Rotrou, aussi communément convaincu de l’innocence de de Canchy et de de Mauduison que l’écrivait le Préfet d’Eure-et-Loir[11] ou que les témoins cités par la défense avaient cherché à le faire croire, et le Commissaire du Gouvernement près le Tribunal de Tours était autorisé à mettre les juges en garde contre l’indépendance et la véracité de ces témoins[12].

Tiraillé, plutôt qu’hésitant, entre ces bruits tendancieux et ces sollicitations où perçait comme un reproche ; décidé, en tout état de cause, à persévérer dans son attitude ; impatient de voir clore son affaire dont la solution, quelle qu’elle fût, lui rendrait le repos, Clément de Ris attendait la réponse aux questions contenues dans sa lettre au Président du Tribunal de Maine-et-Loire[13]. Elle arriva le 1er vendémiaire.

Le Tribunal, disait le Président, n’avait qu’un désir, concilier l’intérêt de la société, qui veut la prompte répression du délit, avec l’intérêt particulier des témoins. Ceux-ci, pour la plupart, appartenaient à des pays vignobles ; il semblait donc légitime de fixer l’ouverture des débats après vendanges ; le Président s’en rapportait au Sénateur lui-même, propriétaire de vignes, pour déterminer approximativement l’époque. Il ne voyait pas d’inconvénient à dispenser du voyage d’Angers la femme Lebrun, – sa déclaration était insignifiante ; – non plus que Mme  Clément de Ris et son fils, – leur déposition écrite, vu son peu d’intérêt, suffisait. – Il en était autrement de la fille Tasse, de Métayer et de Paul Créhelleau, « témoins trop nécessaires pour ne pas être entendus » ; à plus forte raison de Mme  Bruley : « Je n’ignore pas, disait-il, les désagréments qu’elle a éprouvés à Tours et de combien d’amertume elle a été abreuvée. L’esprit public d’Angers est différent de celui qui a été manifesté à Tours dans cette affaire. Il est autant l’ennemi du crime et de ses partisans qu’il est ami de l’ordre et du Gouvernement. Mme  Bruley ne doit avoir aucune inquiétude sur sa sûreté personnelle dans Angers, ni sur les égards qui sont dus à sa qualité de témoin. Le Tribunal que j’ai l’honneur de présider est fermement décidé à faire respecter les témoins. Il ne veut pas qu’ils puissent être intimidés soit par les accusés, soit par les défenseurs[14]. »

Cette lettre était accompagnée d’une demande de renseignements sur les acquisitions de biens nationaux faites, à l’époque révolutionnaire, par Clément de Ris. Celui-ci se hâta de les fournir[15] et profita de la demande – et de sa réponse – pour appeler l’indulgence du Tribunal sur les prévenus, particulièrement sur celui qui avait été son gardien dans le souterrain :

« Votre question me rappelle un reproche qui me fut adressé dans mon horrible caveau par un des brigands qui me gardait. Il me dit un jour que j’étais accusé par ses camarades de m’être énormément enrichi par la Révolution[16]. Au reste, puisque je vous parle de ce malheureux, je dois vous ajouter qu’en causant avec lui j’avais réussi à le dépersuader et à lui inspirer quelque pitié pour moi, quelques regrets de son crime, et que je voudrais bien qu’il fût en mon pouvoir d’atténuer les peines auxquelles il peut être condamné. Je suis véritablement attendri quand je pense à ce pauvre malheureux qui se plaignait de la dureté de ses chefs. Il se nomme Gaudin. Permettez que je le recommande à votre clémence et à celle de votre respectable Tribunal. Les hommes qui sont venus m’attaquer au sein de ma maison, le pistolet sur la tête, me voler, m’arracher des bras de ma famille désolée, m’enterrer tout vif, sont sans doute bien coupables ; mais quelque horrible que soit leur crime, quelque cruelles qu’en aient été et qu’en soient encore les suites pour moi, je souffrirai encore toute ma vie d’avoir été, sinon la cause, au moins l’occasion qui peut amener la mort de plusieurs hommes. Plusieurs d’entre eux ont été entraînés par des circonstances malheureuses, peut-être même par violence[17]. »

Il ne faisait pas allusion à sa venue à Angers. Sa détermination sur ce point était irrévocable : il ne comparaîtrait pas. Nous avons suffisamment indiqué les raisons dont il s’inspirait ; il est superflu d’y revenir.


III

Le Tribunal de Maine-et-Loire avait eu tout loisir d’étudier le dossier. Il fixa au 1er brumaire la date de l’ouverture des débats.

Ce Tribunal était ainsi composé :

Président. ─ Pierre Marie Delaunay.
Juges civils. ─ Boullet, Baranger.
Juges militaires. ─ Viriot, capitaine adjoint à l’État-Major de la 22e division militaire.
Juges militaires... ─ Carette, capitaine des vétérans nationaux.
Juges militaires... ─ Belleville, capitaine de gendarmerie.
Adjoints. ─ Gastineau, juge suppléant au Tribunal civil.
Adjoints. ─ Gandais, homme de loi.
Commissaire du Gouvernement. ─ Gazeau.
Greffier. ─ Guibert-Audio.

Pierre Marie Delaunay, le Président, devait une juste notoriété aux fonctions remplies par lui dans la région depuis le début de la Révolution, et à son intégrité dans l’exercice de ces fonctions. Fils d’un Président au Présidial d’Angers, il était né dans cette ville en 1755. Procureur-syndic de Maine-et-Loire (1790), il fut, en 1792, élu Représentant à la Convention, siégea à la Plaine et vota pour la détention du Roi avec bannissement après la paix. Son ardeur à dénoncer l’impéritie de Rossignol l’ayant mis en évidence, il fut choisi pour négocier avec Charette et Stofflet, chargé de la réorganisation du département de Maine-et-Loire, et, en 1795, appelé au Comité de Sûreté générale. Député aux Cinq cents, il provoqua la création du Ministère de la Police générale et entra dans la magistrature comme membre du Tribunal de Cassation (1797). Nommé ensuite Président du Tribunal criminel d’Angers, puis du Tribunal spécial de Maine-et-Loire, il apporta dans ces nouvelles fonctions une énergie et une rigueur qui lui furent âprement reprochées, mais qu’expliquent les difficultés du temps et la nécessité de réprimer les actes de brigandage désolant la contrée. Son attitude dans l’affaire Clément de Ris allait déchaîner contre lui de violentes attaques, auxquelles il convient d’opposer la note suivante du Journal des Débats : « On ne sait quoi admirer davantage, de l’esprit analytique qui a dicté les questions, de la clarté avec laquelle elles ont été exposées, de la dignité et de la douceur avec lesquelles elles ont été présentées aux prisonniers. » Il mourut en 1814.

Les assesseurs, Jean Pierre Boullet et Baranger, avaient, l’un et l’autre, été membres de l’Administration départementale, et achevèrent leur carrière dans la magistrature. – Le premier, né en 1742 à Fontevrault, avocat au Parlement, intendant-sénéchal de l’Abbaye de Fontevrault, procureur-syndic du département de Maine-et-Loire (1791), juge au Tribunal civil d’Angers (an V), faisait, depuis l’an VIII, partie du Tribunal criminel. Conseiller à la Cour impériale en 1811, il vécut jusqu’en 1825. – Le second, ancien notaire, suspect de royalisme lors de la guerre de Vendée, avait été, en l’an VIII, nommé juge au Tribunal criminel d’Angers. Il prit sa retraite en 1846, comme Conseiller à la Cour Royale[18].

Enfin le capitaine Pierre François Viriot, d’origine lorraine, né en 1774, engagé volontaire à dix-sept ans aux hussards de Chamboran, et promu officier au bout de peu de mois, avait pris part à la guerre de Vendée et reçu plusieurs blessures[19]. Il était, en 1800, capitaine-adjoint à l’État-Major de la 22e division, en résidence à Tours. Il dut à ses services contre les chouans d’être appelé à siéger, comme juge militaire, au Tribunal spécial de Maine-et-Loire, périlleux honneur, qu’il paya de sa radiation des cadres de l’armée.

Le rôle très effacé des autres membres du Tribunal n’appelle aucune mention particulière. Leur verdict allait déchaîner, parmi les royalistes, des colères et des haines dont, après plus d’un siècle, le ressentiment persiste. On juge de ce que put être, en l’époque, à la veille comme au lendemain du jugement, l’exaltation des esprits.

Les bruits les plus alarmants avaient été répandus. On parlait de chouans appelés de diverses régions pour enlever les prisonniers ; d’argent versé aux ardoisiers des faubourgs pour fomenter l’émeute, et, en cas de condamnation, empêcher ou retarder l’exécution. À la violence des menaces répondit l’énergie des mesures prises pour en arrêter l’effet. Le Général Girardon, commandant la subdivision, fut investi des pouvoirs les plus étendus. Ordre fut envoyé au Maire, par le Ministre de la Police, de transmettre au jour le jour au Général, jusqu’à clôture des débats, la liste de tous les étrangers arrivés à Angers dans les vingt-quatre heures. Le 1er hussards, qui devait permuter avec le 14e dragons, en garnison à Saumur, fut maintenu provisoirement à Angers. Les troupes à pied furent renforcées de trois compagnies de grenadiers, mandées de Tours, du Mans et de Laval. Enfin la police et la sécurité des audiences furent assurées par un corps de cavalerie en permanence sur la place du Palais de Justice, et par cinquante soldats d’infanterie occupant, fusil chargé, le fond de la salle. Derrière chaque accusé se tenait un gendarme[20].


IV

Voilà en quelles conditions, le 1er brumaire, les débats s’ouvrirent.

Lecture faite de l’acte d’accusation, le Président prit la parole. Il s’appliqua à justifier l’établissement des Tribunaux spéciaux. Dans un langage plutôt violent il prit à partie cette fange remuée par la Révolution, ces hommes étrangers aux lois de la nature et de l’humanité, ne soupirant qu’après la destruction de la République, subornant ceux qu’ils appellent à déposer, et se plaçant au-dessus des lois. Par contre, il parla avec éloge du Sénateur, attaché au Gouvernement républicain, et visé de longue date par les adversaires du régime, qui ne lui pardonnaient pas un achat de biens nationaux dont le revenu n’atteignait pas onze cents francs. Après quoi il fit l’exposé de l’affaire.

Silencieux tant qu’il parla, les accusés, dès qu’il eut terminé, se levèrent et protestèrent avec violence.

On procéda à l’appel des témoins. Les mêmes qui, à Tours, n’avaient pas répondu à la citation, n’y répondirent pas à Angers, et pour les mêmes causes. Carlos Sourdat, interné à Troyes, avait reçu une assignation et sollicité permission de s’y rendre. Le Préfet refusa, par ordre, et Sourdat engagea sa parole de ne pas quitter Troyes, mais écrivit au Président du Tribunal une lettre qu’on lut à l’audience[21].

Les journées des 2, 3, 4 et 5 brumaire furent consacrées à l’interrogatoire des accusés et à l’audition des témoins. L’interrogatoire ne révéla rien de nouveau ; l’on s’accorda à vanter la grâce et l’esprit de Mme  Lacroix. L’audition des témoins donna lieu à plusieurs incidents.

Le plus important fut à propos de la reconnaissance de de Canchy, « le gros bel homme » disaient les témoins de Beauvais. La plaidoirie de Chauveau-Lagarde avait accru encore l’intérêt excité en sa faveur par les démarches de la marquise de Canchy[22]. Sa cause devenait la cause même. Que l’alibi fût admis pour lui, il n’y avait plus de raison de le refuser à de Mauduison et à Gaudin. À sa reconnaissance étaient suspendus le système de l’accusation et celui de la défense. De part et d’autre l’effort porta à obtenir des déclarations catégoriques de ceux qui jusqu’alors avaient mollement affirmé ou nié, et à les mettre en désaccord entre eux ou avec eux-mêmes.

Dès l’abord on constata que beaucoup de témoins le reconnaissaient, qui ne l’avaient pas reconnu à Tours : tels Mme  Bruley, Lebrun, Métayer, Élisabeth Dansault. Ils s’excusèrent sur l’obscurité de la salle[23], l’heure tardive de la confrontation[24], la différence de costume et de posture du prévenu : « Je ne le voyais que de profil », dit la fille Dansault ; « il portait un manteau le cachant en partie », alléguèrent Lebrun et Métayer ; « il était allongé sur une chaise, les yeux fermés, déclara Mme  Bruley, et l’entrevue dura tout au plus dix minutes, car à peine eus-je dit ne pas le reconnaître qu’on me fit sortir ». La fille Dansault ajouta : « Il faisait le sourd, mais il ne l’était pas à Beauvais chez Clément de Ris. »

L’incident en amena un autre. À Tours, le Ministère public avait cherché à jeter le discrédit sur les témoins de la défense. Ici, la défense prit sa revanche sur les témoins de l’accusation. Une femme Ramonneau, aubergiste à Tours, déposa qu’au premier jour de l’instruction, se trouvant dans l’antichambre de la salle d’audience, elle avait entendu le témoin Anne Tasse dire à sa camarade : « Retiens bien ta leçon ; ne manque pas ; reconnais le gros Canchy ; c’est lui qui a cassé les pistolets ; je l’ai dit » ; et, sur les témoins à charge entendus : « Celui-ci a été bien ou mal payé. » Elle disait aussi du Préfet de Loir-et-Cher et du Commissaire des Guerres Bourdon, appelés chez le juge : « Ceux-là ne valent pas mieux que les autres ! » Deux témoins, la femme Faucher et le gendarme Barbe, confirmaient le premier propos. Interpellée par le Président, la fille Tasse déclara « ne pas se rappeler, mais n’avoir, en tout cas, dit que la vérité et l’avoir dite à bien d’autres ». Et la discussion se poursuivit, âpre et serrée.

Les défenseurs étaient dans leur rôle en relevant le propos. N’en exagéraient-ils pas, à dessein, le sens et la portée ? Sous cette recommandation, adressée à sa camarade, de ne pas oublier ce qu’elle avait à dire, y avait-il réellement intention de dicter au témoin sa leçon ? N’était-ce pas plutôt acte imprudent, parole impropre et maladroite d’une femme de chambre faisant l’entendue devant une simple fille des champs, et prévenant ses hésitations à répéter devant le juge une déclaration qu’elle avait faite ailleurs ? En toute affaire, des témoins, intimidés par l’appareil judiciaire, par la crainte de se compromettre, taisent ce qu’ils savent, ou ne livrent qu’une vérité incomplète ou voilée ; tout comme d’autres, de tempérament opposé, cherchent à se faire valoir, et, par leur suffisance, discréditent la valeur de leur témoignage.

Ce fut le cas pour Mme  Bruley. Belle parleuse, aimant à se mettre en scène, préparant ses effets, elle accentua, par son effort pour en effacer le souvenir, la mauvaise impression laissée à Tours par sa déposition. Elle représenta combien sa situation était affreuse, son cœur brisé, sa susceptibilité malheureuse d’avoir à remplir le devoir que la loi lui imposait. Elle fit un récit dramatique de l’événement et rejeta sur une mauvaise rédaction du Greffier les divergences relevées entre ses déclarations actuelles et ses déclarations antérieures. Elle ne reconnut pas Aubereau ni Lemesnager, mais reconnut Gaudin, dont un des yeux était immobile et fixe, de Canchy, et, après non moins de réticences, de Mauduison, « qu’elle avait intérieurement reconnu à Tours, mais sur qui, ne reconnaissant pas alors de Canchy, elle avait jugé préférable de se taire » ! Quant à Leclerc, elle crut « devoir à sa délicatesse quelques explications » ; elle avait dit d’abord ne pas le reconnaître ; mais son sentiment s’était modifié depuis la justification présentée par le prévenu, et, sans oser rien affirmer, elle croyait s’être trompée. ─ « Oui, ou non, me reconnaissez-vous ? » interrompit Leclerc avec colère. ─ « Ma première impression subsiste », répondit-elle, parmi les murmures de l’auditoire, déjà impatienté par ses dépositions contre de Canchy et de Mauduison.

La confrontation de ce dernier mit aux prises les experts en écritures. On se rappelle que, le troisième jour complémentaire an VIII, un étranger logé à Tours chez le traiteur Duchemin s’était inscrit au registre d’hôtel sous le nom de Victor Dubuisson[25]. C’était le nom qu’avait aussi donné, à Saint-Avertin, l’un des voyageurs descendus chez Dumoy la veille de l’attentat[26] ; invité par l’aubergiste à fournir les indications d’usage, il avait écrit sur une feuille : Pierre François Dubuisson, natif de Passy, courtier en vins. La différence des prénoms, rapprochée de la similitude du nom, ayant paru singulière, le Directeur du Jury avait prié de Mauduison d’écrire les mêmes mots sous sa dictée, et, après comparaison, avait conclu que l’écriture n’était pas la même, conclusion conforme aux déclarations de l’inculpé. Le Président du Tribunal d’Angers voulut élucider la chose. Il commit, à cet effet, trois experts, les sieurs Lacroix, Hamel et Benoît. L’expertise ne prouva que la contradiction des experts. Lacroix nia l’identité des écritures ; Hamel l’affirma ; Benoît la nia quant à la feuille et l’affirma quant au registre, et le Tribunal passa outre, s’estimant éclairé : sur quoi ? Probablement sur l’inutilité de l’épreuve.

Rien, dans l’audition des autres témoignages, ne mérite de retenir l’attention.


V

Le 6, la parole fut au Ministère public pour le réquisitoire.

Avec habileté, le Commissaire du Gouvernement sacrifia, puisqu’elles étaient contestées, les dépositions de Mme  Bruley et des domestiques de Clément de Ris : « Sans eux, dit-il, il en restera plus qu’il n’en faut ! » Il sacrifia pareillement les témoignages de ceux qui, n’ayant pas reconnu les accusés à Tours, les reconnaissaient à Angers : il n’avait pas besoin de ces reconnaissances tardives. Il s’appliqua principalement à discuter les alibis, dont les témoins étaient suspects par leurs opinions, suspects par leurs liaisons. Enfin, il insista sur l’infirmité de Gaudin, qu’on avait vu tantôt borgne, tantôt pourvu d’yeux artificiels. L’inculpé niait le fait ? Il produisait un certificat d’officier de santé, comme quoi le port d’yeux artificiels lui était impossible ? Mais on en avait retrouvé chez lui ! Et, d’ailleurs, le fait de paraître susceptible d’en porter dépend, le plus souvent, de la volonté du porteur.

Entre-temps, il malmena fortement Carlos Sourdat, défenseur complaisant des époux Lacroix. Qu’était-il ? L’aide de camp de Bourmont, chef des brigands qui avaient désolé la contrée. Si le Ministre l’avait pris comme intermédiaire, c’est que le crime avait été commis par d’autres brigands, peut-être par Bourmont lui-même[27], et, pour trouver le Sénateur, il fallait faire agir ceux qui en étaient ou les moteurs ou les confidents. Si la volonté chouannique n’avait pas donné l’impulsion à Lacroix et à sa femme, ils n’auraient jamais parlé.

À cela près qu’il demanda pour la femme Lacroix vingt-deux ans de fers au lieu de vingt-quatre, et autant pour le mari, contre qui, à Tours, la peine de mort avait été requise, ses conclusions furent identiques à celles du Commissaire du Gouvernement près le Tribunal spécial d’Indre-et-Loire.

Pendant ce réquisitoire, dont la lecture[28] dura près de cinq heures, de Canchy ne cessait de hausser les épaules ; de Mauduison s’irritait et s’indignait tour à tour ; Gaudin demandait pourquoi l’on n’inculpait pas tous les borgnes de la province ; les Lacroix souriaient ; l’auditoire manifestait en faveur des accusés. Quand il ouït les conclusions, il éclata en protestations bruyantes, et le tumulte devint tel que le Président dut faire évacuer la salle.


VI

Les plaidoiries commencèrent le lendemain et se prolongèrent jusqu’au 10 au soir.

Leclerc se défendit lui-même.

Maître Blain parla pour Gaudin et Aubereau et protesta à nouveau contre l’absence des témoins les plus importants.

Pardessus présenta la défense des époux Jourgeon et de Lemesnager, et qualifia les poursuites de vengeance d’un homme puissant.

Chauveau-Lagarde plaida pour de Canchy et de Mauduison. Il revint sur l’impossibilité matérielle qu’un tel crime eût été commis par des hommes habitant à pareille distance, et par un être aussi doux, aussi déshérité de la nature que de Canchy, jamais émigré, jamais chouan, égaré seulement un moment dans l’insurrection. Le Tribunal de Tours avait jugé n’avoir pas une conviction complète : comment le Tribunal d’Angers en aurait-il une ? Aucun fait nouveau ne s’était produit entre les deux jugements. Il fit valoir, argument suprême, que l’arrêt était sans appel et son exécution sans sursis : « Vos jugements sont souverains, s’écria-t-il ; ils s’exécutent à l’instant même. Si vous condamniez les accusés, il n’y aurait plus de ressource pour eux une fois condamnés. C’en est fait pour toujours ; ils sont morts ! »

Enfin la défense des époux Lacroix fut présentée par un ancien condisciple de Lacroix au collège de Poitiers, le déjà célèbre Duboys d’Angers[29]. Il s’éleva contre le mépris versé par le Ministère public sur Carlos Sourdat. Eût-on délivré sans Sourdat ? Eût-on su la retraite du séquestré sans les confidences de ses clients à Sourdat ? Confidences tardives, dira-t-on ? Mais leur silence n’est que l’effet d’une noble crainte, celle de compromettre la vie de la victime. « Si les fers sont leur partage, conclut-il, si, pendant des années, vous les ensevelissez, eux innocents, au fond des cachots, vous ne pouvez du moins leur enlever cette idée tout à la fois consolatrice et déchirante : Clément de Ris nous doit la vie, et la captivité est le prix de cette bonne action. »

Tout était dit. Le Tribunal se retira pour délibérer. Son arrêt ne devait être rendu que le lendemain (11 brumaire-2 novembre 1801).


VII

Il était attendu avec confiance de quiconque, à Angers, s’intéressait aux prévenus. Partagé par les accusés, ce sentiment était encore fortifié par la rumeur qu’en pleine ville, devant témoins, l’un des juges avait proclamé inévitable l’acquittement. Ce juge était le capitaine Viriot.

Son attitude, en la circonstance, ajoute aux mystérieux dessous de cette affaire, féconde en surprises, le mystère d’une nouvelle énigme. M. Lenôtre a essayé de la résoudre en une intéressante étude[30]. Nous y renvoyons le lecteur. L’a-t-il résolue ? Disons-le tout de suite ; il ne nous a pas convaincu. Après un examen très attentif du dossier Viriot, aux Archives administratives du Ministère de la Guerre, il nous a paru que ses conclusions exprimaient une opinion plutôt qu’elles n’apportaient une preuve forçant la conviction. Comme lui nous admettrons que, dans le Rapport[31] présenté aux Consuls par le Ministre de la Guerre sur le cas Viriot, il a pu se glisser des exagérations d’appréciations ; avec lui nous regretterons qu’ultérieurement on n’ait pas cru devoir accorder aux services rendus par Viriot, aux heures cruelles de l’invasion étrangère, une réintégration dans les cadres, tardive consolation à une longue expiation. Nous ne saurions aller au delà. « Viriot, dit M. Lenôtre, ne semble pas avoir d’abord compris la gravité de son acte. » Acte, en effet, singulièrement grave. Retenons l’aveu, et, en toute indépendance, sans parti pris, efforçons-nous d’établir quelle fut réellement, avant, pendant, après les débats, l’attitude de Viriot et à quelles impulsions il céda.

Cœur généreux et pitoyable, esprit crédule et disposé à se laisser prendre aux grands mots, intelligence courte, entêté de ses idées et portant à les soutenir l’emportement d’une nature fougueuse et l’obstination d’un caractère faible, accessible aux suggestions de la vanité, sensible à la flatterie, partant facile à conduire par les raisons de sentiment et difficile à ramener par le raisonnement, il avait été, dès la première heure, visé par les partisans des accusés, et, bientôt, sollicité par Mmes  de Canchy et de Mauduison. Se laissa-t-il, comme l’affirme le rapport de ses chefs, corrompre à prix d’or[32] ? L’accusation est telle qu’on hésite à l’accepter sur de simples on-dit. Il est certain que par prières, flatteries, promesses ou présents, on l’avait fortement circonvenu ; qu’il avait eu des entrevues avec Mmes  de Canchy et de Mauduison ; qu’il avait reçu confidence de leur dessein de soulever, au cas échéant, un mouvement parmi les carriers, qu’elles avaient réussi à faire entrer en lui la conviction de l’innocence de leur mari et de leur fils ; qu’il apportait aux débats une opinion préconçue ; qu’il avait promis d’obtenir l’acquittement.

Une fois entré dans cette voie, il s’y enlisa jusqu’à la témérité, jusqu’à l’aveuglement, jusqu’à l’indiscipline, se rendant à Paris sans permission, affirmant sans preuves et sur on-dit que de faux accusés avaient été substitués aux vrais coupables, que ceux-ci étaient des agents de police exilés en Angleterre, que lui-même avait signé leurs passeports à Tours. Pourquoi, s’il connaissait effectivement les coupables, ce « patriote dévoué » ne les avait-il pas fait connaître ? Pourquoi, s’il était uniquement guidé par l’amour désintéressé de la vérité, ne s’était-il pas récusé comme juge et n’avait-il pas demandé à être entendu comme témoin ? Quelle apparence que le gouvernement, si les titulaires des passeports visés ne faisaient qu’un avec les auteurs de l’attentat, eût précisément choisi, pour faire partie du Tribunal, celui que sa fonction de préposé au visa désignait pour en être écarté ? La vérité est que Viriot rééditait simplement les bruits répandus à Tours, et colportés déjà naguère par l’avocat Blain dans un café de Chinon[33].

Arrivé à ce point de suggestion, Viriot aurait cherché, par tous les moyens, à capter les suffrages de ses collègues en faveur des accusés : « Au retour de son voyage à Paris, lisons-nous dans le Rapport du Général Girardon, il les a entretenus chacun en particulier, leur a dit avoir chassé avec les généraux Mortier et Junot qui l’ont assuré que l’intention du Premier Consul avait été de faire grâce, mais qu’il en avait été empêché par les cris du Sénat et du Tribunat ; qu’au surplus il s’en était assez expliqué pour assurer que si les accusés étaient absous, tous les juges seraient récompensés ; que Delaunay, président, serait nommé Préfet ; Boullet et Baranger seraient nommés juges au Tribunal de cassation, etc. Il osa même avancer que le Général Girardon recevrait des ordres secrets pour les assurer de ces récompenses ; et, pour intéresser le public, il sema le bruit que Mme  Bonaparte était parente des accusés... »

Passons sur ces imputations – dont seul le rapport officiel fait mention – et arrivons à des faits plus significatifs, car ils sont de notoriété publique. Au cours des débats, le Président Delaunay convia à dîner les membres du Tribunal. L’invitation, surtout en raison de la composition mixte et du caractère temporaire du Tribunal, n’avait rien d’insolite. On n’en mena pas moins, plus tard, grand bruit autour de ce dîner : c’était une tentative de pression sur l’esprit des juges, un acte de corruption ; on avait voulu leur dicter la sentence. Naturellement, à ce dîner, il fut parlé de l’affaire. De quoi eût-on parlé ? Si l’on en croit Viriot, la majorité des convives étant tombée d’accord sur l’impossibilité de motiver une condamnation, le Président Delaunay insinua qu’un acquittement serait mal vu du gouvernement et dangereux pour ceux qui l’avaient prononcé ; si Gaudin, de Mauduison et de Canchy n’étaient pas positivement coupables, ils n’en avaient pas moins, en qualité d’anciens chouans, mérité cent fois la mort en d’autres circonstances. Il aurait ainsi déterminé les juges à condamner. Viriot, saisi d’indignation, protesta, et, ses efforts restant vains, pris de rage, frappa les tables, prodigua à ses collègues les épithètes les plus injurieuses, se roula à terre, puis, à genoux, les conjura de sauver la vie aux accusés, et sortit en claquant les portes. Un écrivain Angevin[34], pourtant hostile au Tribunal, repousse ces accusations de Viriot contre le Président Delaunay : « L’inculpation, dit-il, est si grave que nous ne saurions l’admettre à la charge d’un homme passionné quelquefois, mais qui se montra toujours intègre et honnête dans l’exercice de ses fonctions. La fougue et les emportements de Viriot sont d’ailleurs trop visibles dans son écrit pour que l’on doive y ajouter une confiance entière. Nous sommes ainsi disposés à croire que si le Président Delaunay usa de quelque influence sur ses collègues, ce fut seulement pour leur rappeler un principe qui fait la base de notre droit criminel, à savoir que les preuves morales suffisent, à défaut de ces preuves palpables et matérielles exigées sous l’empire de l’ancienne législation. » Volontiers nous souscririons à cette interprétation.

D’après une autre version, plus vraisemblable selon nous, ce n’est pas au dîner, antérieur à la clôture des débats, que la scène se serait passée, mais dans la salle même, où, les plaidoiries achevées, le Tribunal s’était réuni pour délibérer. Quoi qu’il en soit, les objurgations de Viriot restèrent sans effet.

Le 11 brumaire, à 4 heures du soir, le Tribunal rendit son arrêt. De Canchy, de Mauduison et Gaudin étaient reconnus coupables de vol à main armée et avec menaces chez le citoyen Clément de Ris, et de séquestration arbitraire des citoyens Clément de Ris et Petit ; et les époux Lacroix coupables de détention du Sénateur dans leur ferme du Portail. En conséquence, de Canchy, de Mauduison et Gaudin étaient condamnés à la peine de mort ; Lacroix et sa femme à six années de gêne et à l’exposition pendant quatre heures ; tous cinq au remboursement des frais du procès. Lemesnager, Leclerc, Aubereau, Jourgeon et la femme Jourgeon furent acquittés.


VIII

La lecture de l’arrêt frappa les condamnés de stupeur. Ils s’attendaient à un acquittement. Les plaidoiries des défenseurs leur avaient mis au cœur un espoir qui était presque une certitude. « Je ne suis pas jugé ; je suis assassiné ! » s’écria de Canchy. À ce cri répondirent, comme un écho, les acclamations du public. De violentes manifestations éclatèrent : il fallut employer la force armée pour faire vider la salle ; plusieurs arrestations furent opérées.

Dans un hôtel voisin, Mme  de Canchy attendait la fin de l’audience. De sa fenêtre, avec une anxiété croissant à mesure que l’heure s’avançait, elle regardait les groupes pressés sur la place du Palais. Soudain, à leur agitation, elle comprit que tout était fini ; son cœur se serra. La vue des gens expulsés du Tribunal par les soldats, leurs cris, achevèrent de lui révéler l’affreuse vérité. Éperdue, folle de désespoir, elle saisit un pistolet, et déjà elle le tournait contre elle-même quand Chauveau-Lagarde fit irruption dans la chambre, lui arracha l’arme des mains, et, évanouie, l’emporta loin des lieux où, quelques heures plus tard, devait tomber la tête de son mari.

Pendant ce temps, les membres du Tribunal étaient rentrés dans la salle des délibérations pour signer le verdict. Quand on présenta la plume à Viriot, il refusa de signer. Sentant toute la gravité de son acte, mais le mettant au compte de sa surexcitation, ses collègues s’efforcèrent d’en prévenir les effets. Raisonnement, prières, ils employèrent tout pour le ramener. Vaines instances : « Je ne veux pas me déshonorer ! » dit-il. Il partit, sauta à cheval, et, d’une traite, alla jusqu’au relai de la Croix-Verte, où une chaise de poste l’attendait, – précaution suspecte, et qui justifierait l’inculpation de connivence entre lui et les partisans des condamnés. Il avait promis l’acquittement ; il avait échoué ; ce qu’il n’avait pu obtenir de la Justice, il essayerait de l’obtenir de la clémence du Premier Consul. Arrivé à Paris dans la nuit, il courut aux Tuileries : Bonaparte était absent. Il se présenta chez Joséphine ; elle le reçut, l’écouta, et se refusa à intervenir. Il vit les généraux Mortier et Junot ; ils se dérobèrent. Serait-il plus heureux auprès du Ministre de la Justice, Abrial ? Quand, après longue attente, il parvint jusqu’à lui, ce fut pour apprendre l’inutilité de sa démarche : Gaudin, de Mauduison, de Canchy n’étaient plus ; la Justice avait suivi son cours.




  1. Correspondance privée de Clément de Ris.
  2. Correspondance privée de Clément de Ris.
  3. Le même qui avait défendu, aux débats de Tours, Leclerc et les époux Jourgeon.
  4. Archives nationales, F7 3901.
  5. Bulletin historique de l’Anjou, 1868.
  6. « On vint avertir ma mère, avant-hier soir, de m’engager à ne point parler de cette affaire, si je voulais continuer à prendre votre parti, la personne qui donnait cet avertissement ayant été témoin, dans un dîner, de la manière dont vous étiez traité, ainsi que ceux qui paraissent vous être attachés. » Lettre de Mme  Fontenay (19 fructidor).
  7. On a vu, quelques lignes plus haut, qu’il y avait force exagération dans ces racontars.
  8. Lettre du 27 fructidor, faisant, ainsi que la précédente et la suivante, partie de la Correspondance privée de Clément de Ris.
  9. Il souffrait, depuis la séquestration, d’un mal de jambe qui le tint plusieurs mois étendu et immobile.
  10. Le 26 fructidor.
  11. Voir page 175.
  12. Voir pages 189-190.
  13. Voir pages 195 et suivantes.
  14. Lettre du 30 fructidor. Correspondance privée de Clément de Ris.
  15. « J’en ai, dit-il, acquis quatre en 1791 : le premier, nommé La Lagagnerie, commune de Courçay, provenant des vicaires du chapitre de Saint-Martin de Tours, affermé 620 francs ; le deuxième, La Thuilerie, commune d’Athée, provenant des Augustins de Tours, affermé 200 francs, sans compter cinq arpents de vignes ; le troisième, commune de Montlouis, provenant du prieuré du lieu, produisant environ 120 francs ; et le quatrième, consistant en trois arpents de prés, provenant du chapitre de Saint-Martin, situé dans Azay, ma commune, du revenu d’environ 200 francs. Le montant des adjudications est de 55 à 60.000 francs dont j’ai payé le prix comptant en 1791, dans un temps où les assignats étaient au pair de l’argent, ce qui m’a fourni un placement à deux ou deux et demi pour cent tout au plus. Voilà toute ma richesse en biens nationaux, ce qui, comme vous voyez, me dédommage fort mal de 25.000 francs de rentes que j’ai perdus par suite de la Révolution. »
  16. C’est aussi la raison que Leclerc avait donnée, à son hôtesse de Sorigny, de l’arrestation de Clément de Ris (voir page 167).
  17. Lettre du 8 vendémiaire an X. Correspondance privée de Clément de Ris.
  18. La plupart des détails donnés ici sur ces trois magistrats sont empruntés au Dictionnaire historique de Maine-et-Loire de Célestin Port et au Mouvement provincial de Bougler.
  19. Cinq coups de sabre et un coup de feu. Toutefois, un rapport de ses chefs (on le trouvera tout au long, pages 219 et suivantes, dans la deuxième série des Vieilles maisons, vieux papiers de G. Lenôtre), rapport dont il ne faut accueillir certains dires qu’avec quelques réserves, allègue que, parmi ces blessures, les unes provenaient de faits de guerre, les autres d’accidents étrangers au service militaire.
  20. Archives historiques de la Guerre. Correspondance générale, octobre-novembre 1801.
  21. C’est la lettre dont il a été longuement parlé, pages 125-126.
  22. Voir pages 184-185.
  23. Mme  Bruley, Lebrun, Métayer.
  24. Métayer. ─ « Il était une heure après midi, d’après le procès-verbal ! » interrompit le défenseur.
  25. Voir page 65.
  26. Voir page 66.
  27. C’est à l’occasion de cette attaque que Bourmont écrivit le Mémoire dont il a été et sera encore plus loin parlé.
  28. Le Commissaire du Gouvernement avait écrit son réquisitoire.
  29. Né à Richelieu (1768), avocat (1790), engagé volontaire (1791), chef de brigade (1795), rentré dans la vie civile (1796) il fut professeur de législation à l’École centrale d’Angers (1797-1804), substitut du Procureur général (1811), député de Segré (1815), et, sous la Restauration, devint l’âme de l’opposition libérale dans le département de Maine-et-Loire. Il vécut jusqu’en 1845.
  30. Vieilles maisons, vieux papiers. Série II.
  31. Rapport fait aux Consuls par le Ministre de la Guerre, le 17 pluviôse an X, après enquête du général Girardon sur l’accusation de prévarication portée contre le capitaine Viriot dans le procès Clément de Ris.
  32. Mis en relations, par l’intermédiaire du citoyen Dufray, inspecteur aux fourrages de la 22e Division militaire, avec Mmes  de Canchy et de Mauduison, Viriot, quelque temps avant le jugement, leur avait rendu visite à Nogent-le-Rotrou. Ces dames, le 1er brumaire, auraient souscrit à son profit deux billets à ordre de 30.000 francs, endossés par Dufray et sa femme, et payables, l’un le 11 et l’autre le 21 brumaire. Ils ne furent pas acquittés, à raison de la condamnation, mais il ressortirait d’une lettre de Mme  de Mauduison au citoyen Cesbron, négociant à Angers, que Viriot aurait reçu 6.000 francs lors de son voyage à Nogent-le-Rotrou, et il semblerait avéré, qu’au lendemain du jugement, il aurait acquitté chez un orfèvre une dette assez forte. Il est également certain que si, lorsqu’il fut traduit devant le Tribunal, il nia avoir jamais reçu aucune somme pour corrompre les juges, il ne dit pas qu’on ne la lui eût pas promise après acquittement. Il se pourrait donc qu’il eût joué sur les mots. D’autre part, sous l’Empire, ayant sollicité la confirmation du grade de capitaine-instructeur dans un régiment offert par le prince allemand Maurice d’Issembourg, sa requête fut rejetée avec cette note : « Disgracié en l’an X, comme prévenu d’avoir vendu son opinion dans l’affaire de M. le Sénateur Clément de Ris. » Archives administratives du Ministère de la Guerre.
  33. Voir page 198.
  34. Bougler. Mouvement provincial, tome II, page 152.