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Un quart d’heure de dévotion

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UN QUART D’HEURE DE DÉVOTION


Vous demandez, amis, comment s’est échappée
De ma plume profane une sainte épopée ?
Écoutez : l’âme en deuil, et la tristesse au front,
Un soir, je visitai Saint-Étienne du Mont.

À cette heure sacrée, heure où la nuit commence,
Quelques rares chrétiens peuplent seuls l’ombre immense.
C’est l’enfant à la bouche encor blanche de lait,
Qui dans ses doigts vermeils égrène un chapelet,
Et semble demander, dans sa fraîche prière,
Un souris fraternel aux chérubins de pierre ;

La pâle mère en deuil, devant un crucifix,
Au vainqueur de la mort redemandant son fils ;
Le vieillard qui mourant, de ses lourdes sandales,
Comme pour dire : ouvrez, heurte aux funèbres dalles,
Et prêt à s’endormir de son dernier sommeil,
Aux pieds de Jésus-Christ s’étend comme au soleil…
Mais plus souvent, hélas, c’est l’artiste profane
Contemplant aux piliers l’acanthe qui se fane,
Admirant des couleurs sur la toile où revit
Le fait miraculeux qu’un siècle expiré vit,
Époussetant de l’œil chaque peinture usée,
Et du seuil à la nef parcourant un musée.
Au milieu des autels qui s’écroulent partout,
L’autel païen des arts est seul resté debout.

Et la rougeur au front, je l’avoûrai moi-même,
Qui suspends à la croix l’ex-voto d’un poëme,
Dans le temple, au hasard, j’aventurais mes pas
Et j’effleurais l’autel et je ne priais pas.

Autrefois, pour prier, mes lèvres enfantines
D’elles-mêmes s’ouvraient aux syllabes latines,
Et j’allais aux grands jours, blanc lévite du chœur,
Répandre devant Dieu ma corbeille et mon cœur.
Mais depuis, au courant du monde et de ses fêtes

Emporté, j’ai suivi les pas des faux prophètes.
Complice des docteurs et des pharisiens,
J’ai blasphémé le Christ, persécuté les siens.
Quand l’émeute aux bras nus, pour la traîner au fleuve,
Arrachant une croix à la coupole veuve,
Insultait, blasphémait Dieu gisant sur le sol,
De loin sur les manteaux je veillais comme Saul.
Mais de vagues remords assailli de bonne heure :
Où puiser, ai-je dit, la paix intérieure ?
Où marcher dans la nuit sans étoiles aux cieux,
Et sans guide ici-bas ? Enfants insoucieux,
Les uns, pour ne rien voir des hommes ni des choses,
Abaissent sur leur front leurs couronnes de roses ;
D’autres, en proclamant l’idole liberté,
Sous le glaive légal tombent avec fierté,
Et promettent, mourants, de leurs voix fatidique,
Au Teutatès moderne un culte druidique ;
Où, soufflant la terreur sur l’Église et l’État,
Tonnent, bruyants échos, autour de l’apostat,
Qui, disciple du Christ, au front sanglant du maître
Posa le bonnet rouge, avec ses mains de prêtre.
Combien de jeunes cœurs que le doute rongea !
Combien de jeunes fronts qu’il sillonne déjà !
Le doute aussi m’accable, hélas ! et j’y succombe :
Mon âme fatiguée est comme la colombe

Sur le flot du désert égarant son essor ;
Et l’olivier sauveur ne fleurit pas encor…

Ces mille souvenirs couraient dans ma mémoire ;
Et je balbutiai : « Seigneur, faites-moi croire ! »
Quand soudain sur mon front passa ce vent glacé
Qui sur le front de Job autrefois a passé.
Le vent d’hiver pleura sous le parvis sonore,
Et soudain je sentis que je gardais encore
Dans le fond de mon cœur, de moi-même ignoré,
Un peu de vieille foi, parfum évaporé.

Cependant mon genou, fléchi par la prière,
Se heurta contre un livre oublié sur la pierre,
Et la secrète voix qui parle aux cœurs élus
Murmura dans le mien : « Prends, et lis ; » et je lus,
Je lus avec amour ces quatre chants sublimes,
Dont l’auteur s’est voilé de quatre pseudonymes,
Mais où sur chaque mot le poëte à dessein
Imprima son génie à défaut de son seing,
Page de vérité, qu’à sa ligne dernière,
Le Golgotha tremblant sabla de sa poussière.
Quand je me relevai plus léger de remords,
Comme au dedans de moi, c’était fête au dehors ;
La vitre occidentale, allumant sa rosace,

D’une langue de feu m’illumina la face ;
Les deux blancs chérubins, levant leur front courbé,
Avec plus de ferveur prièrent au jubé ;
Et l’orgue, s’éveillant sous un doigt invisible,
D’un long et doux murmure emplit la nef paisible.
Et je versai des pleurs, et reconquis à Dieu,
Au tombeau de Racine alors je fis un vœu.

Ce vœu je l’accomplis en écrivant ces pages.
Les temps étaient passés des saints pélerinages :
Je ne pouvais aller, courbé sous le bourdon,
Boire au Jourdain captif le céleste pardon ;
Au rivage où fleurit la parole divine
Ma muse ira du moins. Pars, muse pélerine,
Conduite à Bethléem par l’étoile des rois,
Au Gloria des cieux mêle ta douce voix ;
Rallume l’âtre éteint de Marthe et de Marie ;
Consulte le voyant au puits de Samarie ;
Et, fidèle au gibet de ton Dieu méconnu,
Sous le sang rédempteur prosterne ton front nu,
Puis, malgré l’incrédule et ses bruits de risée,
Relève fièrement la tête baptisée.

Dieu bénira mes chants ; sur les autels divers
Puisqu’on sème des fleurs, on peut jeter des vers.

Depuis le temps antique, où vibrait à tes fêtes
La harpe de David et des anciens prophètes,
N’est-ce pas, ô Seigneur, un encens précieux
Que l’encens du poëte ? et les anges des cieux
Ne se courbaient-ils pas, avides, pour entendre
Jean Racine toucher son luth pieux et tendre,
Quand il eut pour le cloître abondonné les cours
Et dans ton amour pur éteint tous ses amours ?
Et puis, mon grain d’encens, qui sait, fera peut-être
Pétiller l’urne éteinte entre les mains du prêtre.

J’ai dans mes souvenirs un fabliau bien vieux
Dont, au bruit de la mer et des vents pluvieux,
Mon aïeule bretonne, à la voix sibylline,
Berçait pendant la nuit mon enfance orpheline.
Un jour, Dieu sait pourquoi,l’élément nourricier
Qui prodigue la vie à ce limon grossier,
Le feu, manqua dans l’air ; la nature vivante
Tressaillit tout à coup de froid et d’épouvante.
Les oiseaux, qu’un vent noir chassait en tourbillons,
Désertaient effarés les bois et les vallons.
Plus cruels de terreur, dans l’atmosphère humide,
Les vautours se battaient. Le rossignol timide
Dit sa chanson de mort, et, lorsqu’elle finit,
Se cacha résigné, la tête dans son nid.

Fatigué d’un long vol, l’oiseau porte-tonnerre
Replia sa grande aile et dormit dans son aire.
Seul pour sauver le monde agonisant déjà,
Le petit roitelet voltigea, voltigea
Jusqu’au sommet des cieux ; mais, couvert d’étincelles,
À l’élément conquis il se brûla les ailes,
Et dans les bois, chantant pour le bénir en chœur,
Le Prométhée obscur tomba mort et vainqueur.

Que je succombe ou non à l’œuvre expiatoire,
À celui qui m’inspire, à Dieu louange et gloire !
Quand la brise du soir en passant à travers
L’orgue du marécage, aux mille tuyaux verts,
En pousse vers le ciel une plainte touchante,
Voyageur, ne dis pas : « Gloire au roseau qui chante ! »
Mais, le foulant aux pieds, dis : « Gloire au Dieu vivant
Qui féconde la boue et qui commande au vent ! »