Un songe de nuit d’été/I
ACTE I
Scène I.
Entrent THÉSÉE, HIPPOLYTE, PHILOSTRATE et les gens de leur suite.
Enfin, belle Hippolyte, encore quatre jours,
Quatre jours d’attente importune,
Et nous verrons sourire
Une nouvelle lune
À nos nuptiales amours !
Mais que l’ancienne, hélas, est donc lente à mourir !
Elle retarde mes désirs à la façon
D’une douairière avide
Qui se plairait à laisser vide
Le gousset d’un jeune garçon.
Quatre jours promptement se changeront en nuits ;
Quatre nuits promptement s’épuiseront en rêves…
Telle un arc d’argent qui, là-haut, reluit,
Il suffit que se lève
Une lune nouvelle
Et nous célébrerons ces noces solennelles !
Va, Philostrate ! Excite-moi les jeunes têtes
Athéniennes ! Va ! Fais-les chanter folie
Et joie ! Aux jours de deuil sied la mélancolie ;
Chassons-la donc des jours de fête !
Hippolyte, mon bel amour, pour me saisir
De votre cœur, j’ai dû vous faire violence ;
C’est cette épée et cette lance
Qui l’ont soumis à mes désirs !
Mais l’ennemi d’hier n’est plus qu’à la tendresse,
Et vous veut épouser au milieu des plaisirs,
Du triomphe et de l’allégresse !…
Salut à la grandeur et la haute vertu
De notre duc Thésée !
Mon bon Égée ?
De mon enfant, ma fille Hermia !… Avancez
Démétrius… Ce jeune homme est son fiancé,
Seigneur…
Eh bien, parlez, vous n’avez rien à craindre.
Avancez, vous, Lysandre !… Et ce jeune homme-là,
Seigneur, par ses propos enjôleurs et pervers,
Prit son cœur et l’ensorcela !
Oui, oui, c’est toi, méchant, qui lui chantas des vers
Pour surprendre ses vœux
Par les nuits clandestines !
C’est toi qui séduisis sa candeur enfantine
Par des bracelets de cheveux,
Des bouquets, des bonbons, des serments, des promesses,
Tous ces appâts trompeurs à piper la jeunesse !
Une enfant indocile, au devoir infidèle,
Voilà ce que l’audace et la ruse ont fait d’elle !
Aussi, mon bon seigneur, si tantôt, devant vous,
Désobéissante et hautaine,
Elle ose encor refuser cet époux,
Je réclame l’ancien privilège d’Athènes :
Je suis son père et peux disposer de son sort,
Elle choisira donc ou cet homme ou la mort !
Qu’est-ce donc, Hermia ? Réfléchissez, ma fille !
Oubliez-vous qu’un père de famille
Doit être un Dieu pour ses enfants ?
Pareil au créateur d’une image d’argile
Il fit votre beauté charmante, mais fragile,
Car rien ne lui défend
D’en respecter la forme ou de l’anéantir !
De quoi vous plaignez-vous d’ailleurs ? Est-ce un martyre
À vous donner tant de souci
Qu’épouser ce jeune homme ? Il est bien !…
L’autre aussi !
Lysandre est fort bien, en effet ;
Tous les deux vont de pair ;
Mais si Démétrius convient à votre père,
Avouez cependant qu’il est le plus parfait !
Si mon père voyait avec mes yeux…
C’est à vous de juger selon son jugement,
Ma fille !
J’ignore quel pouvoir me donne tant d’audace,
Et me pousse, en dépit de ma pudeur troublée,
À découvrir mon cœur devant cette assemblée ;
Mais je vous conjure, à genoux,
D’avoir la bonté de me dire
Ce qui peut m’arriver de pire
Si je refuse cet époux ?
C’est de subir la mort ou d’abjurer le monde !
Ainsi, belle Hermia, interrogez vos goûts.
Consultez votre cœur afin qu’il vous réponde
S’il est de force à supporter
Le silence et l’obscurité
Du cloître où traînera votre vie inféconde.
Croyez-vous étouffer cette flamme fébrile
Qui vous brûle le sang,
Par des hymnes chantés à la lune stérile ?
Oui, trois fois saintes sont ces femmes
Dont les vœux virginaux, purifiant les âmes,
Ont maîtrisé les sens !
Mais le bonheur terrestre est aux roses vivantes
Distillant en parfums les sèves de la terre,
Et non pas à la fleur que la vie épouvante,
Et dont la froide odeur s’évente
Dans la retraite solitaire !
Eh bien, soit ! Je préfère croître,
Vivre et mourir au fond d’un cloître ;
Je renonce à ma liberté,
Plutôt que de faire fléchir
Mon cœur sous un joug détesté !…
Prenez le temps de réfléchir,
Ma fille !… Au jour prochain de la lune nouvelle,
Qui doit nous réunir, mon Hippolyte et moi,
Vous nous ferez savoir si vous avez fait choix
De la mort, dont la loi punit l’enfant rebelle,
De l’amour, qu’autorise un paternel aveu,
Ou bien du saint autel où s’engagent les vœux !
Hermia ! Ma bonne, ma tendre
Hermia, laissez-vous fléchir !… Et toi, Lysandre,
Sois donc généreux en cédant
Ton titre imaginaire à mon droit évident !
Non ! N’attends pas, mon cher, que je me sacrifie !
Mais l’affaire, du moins, peut être transigée :
Puisque tu sus gagner l’affection d’Égée,
Épouse donc le père et laisse-moi la fille !
Moqueur ! Mauvais garçon ! C’est vrai, je l’aime assez
Pour lui vouloir donner tout ce que je possède !
Or, ma fille est mon bien ; aussi je la lui cède !
Seigneur, le sort nous a placés
Tous les deux sur le même rang ;
Nos deux familles sont également anciennes,
Ma fortune égale la sienne,
Et quant à mon amour, il est cent fois plus grand !
Le discours d’Hermia vous permet d’estimer
Que j’ai cet avantage encore d’être aimé !
Je serais fou, dès lors, d’abandonner mes droits.
Mais, puisque leur défense est ici nécessaire.
J’accuserai mon adversaire
D’avoir été, durant des mois,
Le prétendant d’Hélène, enfant du vieux Nédar !
Oui, monseigneur, il eut l’art,
Par d’habiles paroles,
D’engluer cet oiseau que l’amour éblouit,
Si bien que la pauvrette est folle
De cet amant qui la trahit !
Jugez donc mon rival d’après cette imposture !
En effet ; l’on m’avait conté cette aventure ;
Et j’en aurais parlé si, depuis quelques jours,
Je n’étais absorbé par mes propres amours.
C est une affaire d’importance
Qui mérite examen.
Et vous, belle Hermia, redoutant ma sentence,
Ne vous arrêtez pas trop vite
À quelque parti hasardeux !…
Suivez-moi !… Venez-vous, ma charmante Hippolyte ?
Ma chérie,
Quel est donc le tourment soudain
Qui, sur ta joue endolorie,
Fane la rose de ton teint ?
La rose a besoin d’eau pour raviver ses charmes ;
Elle refleurira, mon ami… J’ai mes larmes !…
Hélas, d’après ce que j’ai lu dans tous les livres,
Jamais l’amour vrai n’a pu suivre
Un cours paisible ! Tout l’entrave ou le déçoit !
Tantôt les cœurs sont séparés par la naissance…
Tantôt c’est aux parents qu’on doit obéissance…
Et lorsque, par hasard, deux amours se répondent,
Alors c’est la guerre ou la mort
Ou quelque maladie amère
Qui troublent cet aimable accord,
Et qui le rendent éphémère
Comme une ombre, un soupir, une onde,
Ou comme un éclair qui colore
Pour un instant la nuit profonde,
Et rentre dans l’abîme noir
Où les ténèbres le dévorent
À peine a-t-on pu l’entrevoir !
Ainsi tout ce qui brille en un moment s’éteint !
Nous obéirons donc aux arrêts du destin…
Et puisque la tristesse où l’épreuve nous plonge
Est habituelle aux amants
Comme le sont les pleurs, les désirs et les songes,
Sachons la supporter !…
Mais nous pouvons tenter de surmonter l’épreuve,
Et j’en sais le moyen ! J’ai, non loin d’Éleusis,
Une tante, une riche veuve,
Qui me chérit autant qu’un fils,
Et dont l’obligeance est certaine
S’il s’agit de mon avenir.
Or, chez elle, Hermia, nous pourrons nous unir
Sans redouter les lois d’Athènes !
Si tu m’aimes vraiment, et comme je l’espère,
Tu quitteras demain la maison de ton père,
Et me retrouveras, sans peine,
Dans le bois, à l’endroit secret
Où je te vis, avec Hélène,
Le jour où l’on y célébrait
La première aurore de mai.
Oui, cher Lysandre, j’y consens !
Crois-en ma foi jurée
Par l’arc d’Éros le plus puissant,
Par sa flèche la plus dorée,
Par Vénus et par ses colombes,
Par les serments qui nous engagent
Et nous lieront jusqu’à la tombe,
Par le feu qui brûla la reine de Carthage
Quand fuyait le Troyen sous ses voiles ailées,
Par les promesses violées
Et toutes les paroles tendres
Que les amants ont fait entendre
Aux amantes qu’ils abandonnent,
Je te rejoindrai, mon Lysandre,
Au rendez-vous que tu me donnes !
Belle Hélène n’est pas le nom
Dont on m’appelle !
Il réveille toutes mes peines.
Démétrius vous trouve belle,
Ô bienheureuse de lui plaire !
Chère beauté, vos yeux sont deux étoiles claires,
Et votre voix ressemble à celle
De l’alouette, quand son chant
Dont le berger s’étonne,
Vibre sur le blé vert des champs
Et l’aubépine qui boutonne.
Ah, pourquoi la beauté, pareille aux maladies,
N’est-elle pas contagieuse ?
Ma voix prendrait la mélodie
De votre voix harmonieuse,
Mon œil votre regard, ma lèvre vos sourires !
Oui, si je possédais l’empire
Du monde, avec quelle gaîté
— Mon Démétrius excepté ! —
J’abandonnerais tout pour être à votre place !
Hélas, dites-moi donc ce qu’il faut que je fasse
Pour émouvoir aussi son cœur ?
Le sais-je ? Il dit qu’il m’aime
Quand je lui montre même
Un visage moqueur.
Quand je suis méprisante et fière
Il dit qu’il m’aime davantage.
Ah, que n’est-ce l’effet de mes pauvres prières !…
Plus je le hais, plus il me suit !
Plus je l’aime et plus il me fuit !
Je ne fais donc rien, cependant,
Pour encourager sa folie.
Il vous suffit d’être jolie !
Combien j’en voudrais faire autant !
Consolez-vous, Hélène, et séchez vos beaux yeux !
Il ne verra plus mon visage !
Bientôt Lysandre et moi nous allons fuir ces lieux…
Où j’ai passé mon plus bel âge
Pourtant ! Tel est l’amour ! Comme vous j’ai souffert,
Et ma peine a changé mon ciel en un enfer !
Oui, nous vous confions nos projets sans ombrage :
À l’heure où, dès le soir tombé,
Demain Phébé
Se mirera dans la rivière
Et sèmera sur les clairières
Les perles et les diamants,
À cette heure propice au départ des amants,
Tous deux, nous avons résolu
De nous sauver furtivement…
Et, dans ce petit bois où souvent il nous plût
D’échanger les secrets
De nos peines légères,
Sur un lit frais
De primevères,
Nous nous retrouverons pour aller vivre au loin,
Et chercher pour témoins
D’un bonheur partagé,
Quelques amis nouveaux dans un monde étranger.
Adieu donc ! Donne-nous tes vœux !
Et, pour toi, que la destinée
T’accorde l’amant que tu veux !
Tiens parole, Lysandre !… Il faut qu’une journée
Nous puissions vivre sans nous voir !
Ah, que certains mortels sont plus heureux que d’autres !
Tout le monde nous dit belles également,
Mais que m’importe, hélas, si, seul de son avis,
Fou d’aimer Hermia dont les yeux l’ont ravi,
Démétrius pense autrement !
[J’ai fait la même erreur en lui donnant mon âme.
Oui, les êtres les plus infâmes
Acquièrent des séductions
Quand l’Amour les métamorphose !
Aveugle, il aperçoit les choses
Par son imagination !
Il est ailé, ses yeux sont clos, et quand il aime
C’est sans goût ni raison.
Des ailes et point d’yeux : oui, tel est bien l’emblème
De son étourderie et de ses trahisons !
Trompé dans ses choix si souvent
Qu’il mérite son nom d’enfant,
Il est pareil à ces espiègles,
Menteurs et tricheurs conscients,
Qui se moquent de toute règle
Et se parjurent en riant !][1]
Lorsque mon bien-aimé me trouvait encor belle,
C’est pour moi qu’il multiplia
Des serments qui tombaient en grêle !
Mais aux premiers rayons des beaux yeux d’Hermia,
Quand sa tendresse s’est enfuie,
Cette grêle se fondit toute,
Et la voici dissoute
En pluie !
Je vais lui révéler qu’Hermia prend la fuite ;
Et demain soir, sans aucun doute,
Il va se mettre à sa poursuite
Et la chercher parmi les bois.
Si cet avis, quoiqu’il me coûte,
Me vaut un “merci” de sa voix,
Que j’en serais heureuse !… Et, peut-être, j’y gagne
Que, par reconnaissance, il aura la bonté
De souffrir que je l’accompagne
Et que je marche à son côté !…
Scène II.
Entrent COING, JOINT, CULASSE, FLÛTE, GROIN et L’AFFAMÉ.
Suivant l’ordre des noms ! Il n’y a rien de tel.
Bon… Voici donc la liste où sont nommés les gens
D’ici, qu’on a jugés assez intelligents
Pour jouer une pièce aux noces de Thésée.
Représentation dûment autorisée…
Assez, mon brave Coing ! Ne fais pas l’orateur ;
Dis-nous plutôt le titre et les noms des acteurs,
Ou nous resterons là comme un char embourbé !
Le titre est : La très lamentable comédie
Et la cruelle mort de Pyrame et Thisbé.
Une pièce amusante ! Et souvent applaudie !
Vous verrez !… Maintenant les acteurs !… Sur un rang !
Allez, l’appel des noms !
Pyrame.
C’est un amant qui aime et qui s’immole aux charmes
De sa belle.
Pathétiques, alors ! Nous saurons en avoir !
Gare aux yeux du public, messieurs, il va pleuvoir !
Je ferais mieux pourtant, le traître ou bien Hercule,
Ou Matamore ! Un grand rôle où l’on gesticule !
Les furieux chocs
Des superbes rocs
Font tomber en blocs
Les murs des prisons !
Et le brillant char
Du matin blafard
Vaincra le hasard
Et sa déraison !…
Voilà du vrai sublime !… Allons, nomme le reste
De la troupe !… Un amant a le ton plus modeste…
Oui-dà !…
Je ne peux pas jouer le rôle d’une femme !
Ma barbe pousse !…
Une petite voix.
Je parlerai du nez.
Oh, laissez-moi jouer Thisbé si Flûte hésite !
Je puis faire une voix immensément petite :
“Thisbé ! Thisbé ! Pyrame ! Ô mon chou ! Mon bébé !”
De Thisbé.
Le père de Pyrame ; enfin, moi, le dernier,
Le père de Thisbé.
Joint, menuisier.
Le lion ?… N’as-tu pas le rôle en manuscrit ?
Car j’apprends lentement…
Tu peux improviser ! Rien qu’un rugissement !
Laissez-moi le lion ! Je sais superbement
Rugir ! Si je rugis, c’est un succès immense !
Vous entendrez le duc : “Encore ! Recommence !”
Oui, mais vous effraierez la duchesse et les dames !
Elles crieront ! Et si monseigneur vous acclame,
La pièce terminée, on nous mettra la corde
Au cou !…
Que si nous affolons les dames par nos cris,
Elles conserveront tout juste assez d’esprit
Pour vouloir qu’on nous pende ! Aussi, messieurs, pour elles,
J’entends rugir tout doux, comme une tourterelle,
Mélancoliquement, messieurs, en si bémol ;
Ce seront des rugissements de rossignol !…
Non, tu feras Pyrame ! Un guerrier sans défauts ;
Un parfait gentleman ; un homme comme il faut ;
Joli comme un matin d’été ; très élégant ;
C’est tout à fait pour toi ! Ça t’ira comme un gant !
Ou bien pourpre ?… Nous en avons une superbe !…
Ou bien jaune citron comme un crâne français ?…
J’en ai vu sans un poil ! Tu jouerais donc imberbe !…
Et maintenant, messieurs, vous emportez vos rôles ;
Mais il faut que chacun donne un bon coup d’épaule
Pour être prêt à temps ! Je nourris donc l’espoir
Que vous les connaîtrez, par cœur, pour demain soir !
Rendez-vous dans le bois du duc, aux environs
De la ville ; c’est là que nous répéterons !
Ici l’on n’est pas bien ; quelque mauvais sujet
Trouverait le moyen d’ébruiter nos projets.
Moi, je vais m’occuper de notre mise en scène !…
- ↑ Les vers placés entre crochets peuvent être supprimés à la représentation.