Un songe de nuit d’été/II
ACTE II
Scène I.
Sur les coteaux, sur les vallées,
Les parcs, les clos, les feux, les ondes,
Partout, partout,
Plus vagabonde
Et svelte que la lune ronde,
Je promène ma course ailée !
Je suis à la reine des Fées !
Et sur les pelouses j’arrose,
Parmi les primevères roses,
L’herbe que sa danse a griffée.
Les primevères sont ses filles !
Vois-tu cet or pourpré qui brille
Sur leur robe en clartés soudaines ?
Rubis de feu, dons de la reine,
C’est de ces taches de rousseur
Qu’elles exhalent la douceur
De leur haleine !…
Je cherchais par ici des gouttes de rosée
Pour les pendre, pareilles
À des perles posées
Sur leurs fines oreilles…
Adieu, petit lourdaud !… Tu nous reverras toutes,
La reine et nous, tantôt ; nous reviendrons…
Le roi donne ici même une fête de nuit ;
Si la reine veut être sage
Qu’elle évite Obéron et se cache de lui !
Rien ne peut peindre son courroux
Depuis qu’elle a parmi ses pages,
Ce bel enfant doux et sauvage
Dérobé chez un prince hindou !
Obéron, jaloux, le voudrait
Pour en faire un des siens,
Et courir avec lui, par les vastes forêts.
Mais la reine qui le retient,
Le couronne de fleurs, en fait toute sa joie,
Si bien que, désormais, chaque fois qu’ils se voient,
Ces deux têtes chauffées
Exhalent leur colère en reproches cinglants,
À tel point que les Fées
Se blottissent de peur dans la coupe des glands !
Si vos manières ne m’abusent,
Galopin,
Cervelle matoise,
Vous êtes le fameux Robin
Bon Enfant qui s’amuse
À lutiner les villageoises !
C’est vous qui répandez le lait des cruches pleines ;
Détraquez le moulin au milieu du labeur ;
Mettez la vieille hors d’haleine
Quand elle bat son beurre ;
C’est par vous que s’évente
Et que s’aigrit la bière,
Et c’est vous qui riez quand votre ruse invente
D’égarer parmi les tourbières
Le voyageur qui s’épouvante !
Mais pour qui vous nomme Hobgoblin
Ou Puck, vous vous montrez plus plein
De grâces et plus complaisant
Que le plus souple courtisant !
Ai-je raison, esprit malin ?
Tu dis juste ! Je suis ce rôdeur amusant,
Et je distrais le roi de ses mélancolies
Quand je trompe un bon gros cheval de paysan
Par mes hennissements de cavale en folie !
Parfois sous la forme réduite
D’une juteuse pomme cuite,
J’ouvre le four d’une commère
Et me cache dedans ;
Ou, lorsqu’elle va boire un bon coup d’ale amère,
Je me heurte à ses dents
Et répands sa gorgée
Sur son menton pendant ;
Ou bien, c’est une dame âgée
Qui va s’asseoir, tout à son aise,
Pour conter une triste histoire :
Elle croit que je suis sa chaise,
Mais, pftt… je bondis en arrière,
Et la voilà sur son derrière,
Aux cris joyeux de l’auditoire
Qui n’a jamais ri plus gaîment !…
Mais, silence ! Voici le roi !…
Voici la reine !…
Scène II.
Que faites-vous ici, par ce beau clair de lune,
Fière Titania ?
Suivez-moi ! Nous lui céderons
La place ! J’ai juré de ne plus me soumettre…
Arrête, esprit d’orgueil !… Ne suis-je plus ton maître ?…
Traite-moi comme ton épouse
Alors !… Mais, sans être jalouse,
Je sais jusqu’à quel point l’amour te dégrada
Lorsque sous l’habit d’un berger
Tu chantas des vers mensongers
À l’amoureuse Philida !
Pourquoi, par quelle fantaisie,
Reviens-tu du fond de l’Asie ?
Serait-ce pour bénir la couche libertine
De Thésée et de l’Amazone,
Ta maîtresse aux belles bottines ?…
Fi donc ! Ton esprit déraisonne,
Titania ! N’es-tu pas bien osée
De regarder comme insolite
Mon amitié pour Hippolyte,
Quand je n’ignore pas ton amour pour Thésée ?
Lorsqu’il commit la félonie
D’abandonner Périgénie
Pour obéir à cet amour,
C est dans la sombre nuit dont tu l’as aveuglé,
Et n’est-ce pas pour toi qu’il trompa tour à tour
Antiope, Ariane, Églé ?
Chimères d’un esprit jaloux !… Depuis longtemps
Déjà, dans les jardins, les bois, près des étangs
Bordés de joncs, et sur les plages blondes
Où les vagues se brisent,
Nous n’avons pu nous assembler
Pour y danser nos rondes
Au sifflement des brises,
Sans que tu vinsses nous troubler
Par tes querelles furibondes !
Aussi les vents lassés de leur musique vaine,
Arrachant à la mer ses brumeuses haleines
Les ont réduites en averses,
[Si bien qu’on voit partout les rivières accrues]
Dont les eaux se dispersent
Et recouvrent les plaines !
[Le bœuf a promené sans profit la charrue ;
Avant que le blé vert ne fût orné d’épis
Le pauvre laboureur voyait ses champs croupis,
Et dans les prés noyés le parc est sans troupeaux,
Car le bétail malade a nourri les corbeaux.
Le mail où l’on jouait ? La fange l’a couvert !
Nos yeux, sans la trouver, cherchent la place où fut
Le sentier qui courait sous les gazons touffus.]
Les hommes ont perdu leurs saintes nuits d’hiver ;
Plus d’hymnes de Noël ! Et, pâle et refroidie,
La lune, reine de la mer,
Répand partout les maladies !
Voilà ce qu’ont fait nos querelles !
Les saisons se battent entre elles !
[Le givre aux lèvres froides pose
Ses baisers sur le cœur des roses,
Et, misérable moquerie,
L’hiver grelottant a placé
Sur son crâne glacé
Des couronnes fleuries !]
Oui, l’été, le printemps et l’hiver et l’automne
Échangent leur livrée ! Et le monde s’étonne
Du désordre des éléments !
Telle est notre œuvre !…
Eh bien, mettez-y fin !
Comment ?
Pourquoi Titania nargue-t-elle Obéron ?
Car il suffit qu’elle me cède
L’enfant volé qu’elle possède,
Et nous nous réconcilierons !
Calme ton cœur ! Plutôt que de céder l’enfant
Je donnerais tout mon royaume !
C’est ma pitié qui le défend :
Sa mère était l’une des nôtres ;
Et souvent, par ces soirs où l’Inde entière embaume,
Nous nous assîmes, loin des autres,
Sur le sable rougi par le soleil couchant,
Pour regarder voguer les navires marchands.
Lorsque nous avions ri des voiles engrossées
Par le souffle fécond des vents,
Elle les imitait, gentiment balancée,
En poussant en avant
Son ventre où s’éveillait déjà mon petit page ;
Puis, vaguant sur la plage,
Elle allait ramasser mille beaux petits riens
Et me les rapportait, comme lorsqu’on revient
D’un long voyage !…
Mais son fils, en naissant, rompit ses jours légers,
Car, hélas, elle était mortelle !…
Et, depuis, c’est pour l’amour d’elle
Que j’en ai fait mon protégé.
Combien de temps vas-tu demeurer dans ces bois ?
Peut-être jusqu’au jour des noces de Thésée.
Si ton humeur, parfois,
Se trouvait disposée
À fuir les débats orageux,
Et si tu souhaitais prendre part à nos jeux,
Je t’invite à la ronde !…
Donne-moi cet enfant !
Adieu donc !
À quoi bon disputer vainement !…
Tu ne sortiras pas du bois
Sans avoir subi ma victoire !…
Puck ! Gentil Puck ! Viens près de moi !
J’ai besoin de ton esprit fin !
Te souviens-tu qu’un jour, du haut d’un promontoire,
Je vis passer une sirène
Que portait un dauphin ?
Elle chantait d’une voix claire,
Si tendre
Et si sereine.
Que les flots, pour l’entendre.
Apaisaient leur colère.
Et que des astres d’or
Rompirent follement leurs orbes circulaires
Pour l’écouter encore !…
Entre la mer sombre et la lune blême,
Je vis — toi, tu ne pus le voir ! —
Cupidon, armé de son arc d’ivoire.
Qui, choisissant pour but la plus belle vestale
Des trônes d’Occident,
Décocha vers son cœur une flèche fatale !…
Mais la flèche manqua la cible… Et cependant
Que le trait s’éteignait dans les rayons de lune,
La prêtresse, évitant la blessure banale.
Passa, pure d’amour, dans sa paix virginale !…
Or, j’avais aperçu l’endroit que, par fortune.
Avait atteint la flèche… Une fleur déchirée
S’y trouvait, autrefois blanche comme le lait,
Maintenant empourprée
Par son sang qui coulait…
Les fillettes, depuis ce jour,
La nomment : “Chimère d’amour”.
Tu la connais ; je t’ai souvent montré ses feuilles.
Je désire que tu m’en cueilles ;
Car son suc, égoutté sur les deux yeux fermés
D’une femme ou d’un homme a l’étrange pouvoir
De répandre en leur cœur un amour enflammé
Pour le premier être animé
Que le réveil leur a fait voir !
Va-t-en donc me chercher cette fleur purpurine !
Vole ! Et reviens en moins de temps
Qu’il n’en faut à Léviathan
Pour nager une lieue marine !
Je ceinture la terre en quarante minutes !…
Ce pouvoir merveilleux va terminer nos luttes ;
Et j’aurai cet enfant qu’elle me dénia !…
Je vais épier son sommeil !…
Deux gouttes de ce jus vermeil
Sur tes yeux clos, Titania,
Et le premier être vivant
Que tu verras à ton réveil,
— Lion, tigre, éléphant.
Taureau, singe moqueur
N’importe ! — tu lui donneras
Follement tout ton cœur !…
Je te délivrerai du charme scélérat
— La chose m’est possible
Au moyen d’une autre herbe — après qu’un bon accord
Entre nous… Quelqu’un vient !… Chut !… Je suis invisible…
Non, je ne t’aime pas ! Dois-je le dire encore ?
Laisse-moi ! Je cherche Lysandre
Et sa belle Hermia !… Je veux le mettre à mort
Avant qu’elle m’ait fait descendre
Au tombeau !… Tu m’as dit qu’ils fuyaient par ce bois !
Et j’y suis dans ce bois !… J’y suis même aux abois
De ne pas rencontrer la belle et son amant !…
Non !… Je veux que vous me laissiez !…
C’est vous qui m’attirez par votre cœur d’aimant !
Mon cœur n’est pas en fer pourtant, mais en acier,
Dur et pur comme un diamant !
Perdez votre pouvoir qui m’attire et m’enivre,
Je perdrai celui de vous suivre !
Est-ce que je te sollicite ?
Est-ce que mes propos ont manqué de franchise ?
Faut-il encor que je te dise
Que je ne t’aime pas ? Que je m’en félicite ?
Hélas, c’est pour cela, peut-être.
Que je vous aime encore plus !
Je suis à vous Démétrius
Comme un épagneul à son maître !
Négligez-moi, repoussez-moi.
Et s’il faut que vous me frappiez,
Frappez-moi ! Je rampe à vos pieds !
Mais, toute indigne que je sois.
Laissez mon pauvre amour, tel le chien suit son maître
En promenade…
Tais-toi ! Le dégoût me pénètre
Lorsque je te sens sur mes pas !
Quand je te vois, je suis malade !…
Et moi, quand je ne te vois pas !
Tu compromets vraiment ta pudeur à souhait !
Tu fuis la ville pour me suivre !
Comme une folle tu te livres,
La nuit, à la merci d’un homme qui te hait,
Exposant le trésor de ta virginité
Aux conseils tentateurs de ces lieux écartés !
Votre honneur est ma sauvegarde !
Ce bois est-il désert si vous m’êtes le monde ?…
Parmi l’ombre profonde
Où mes pas se hasardent.
Le feu de vos yeux me protège ;
Et quelle nuit redouterais-je
Quand le monde entier me regarde ?
[Il faudra donc que je me sauve,
Et que, te dérobant ma trace,
Je t’abandonne aux dents voraces
Des bêtes fauves !
La plus impitoyable est meilleure que vous !
Fuyez où vous voudrez : Vous retournez la règle
Et la légende, voilà tout !
Apollon fuit Daphné ! Le pigeon chasse l’aigle !
Et la biche poursuit le loup !…
Mais fous sont leurs efforts et vaines leurs menaces
C’est la timidité qui court après l’audace !]
Assez de tes discours serviles !
Lâche-moi ! Sinon crains ma rage !
Je te jure que je t’outrage
Ici-même !…
Ou dans les champs, vous m’outragez !
Honte, Démétrius ! Vos cruautés offensent
Tout mon sexe !… En amour nous sommes sans défense
Au milieu des dangers !
C’est votre rôle, à vous, de nous faire la cour,
Et non le nôtre…
Car je suivrai ton chemin
Jusqu’au jour
D’y tomber morte
De ta main !…
Adieu, nymphe !… Avant qu’il ne sorte
De ces taillis, c’est ton dédain
Qui bafouera l’aveu de son amour soudain !…
As-tu la fleur ?… Sois donc le bienvenu !…
Voici.
Donne ! Je connais près d’ici,
Dans un coin d’ombre où poussent
Les violettes sous la mousse,
Une retraite qu’ont masquée
De leurs feuilles légères.
Les églantines, les fougères,
Et les roses musquées.
C’est là que la couleuvre abandonne sa peau
Juste assez étoffée
Pour faire le fourreau
D’une robe de fée.
Titania, parfois, y cherche le repos
D’un sommeil embaumé, bercé par la cadence
Des chansons et des danses.
Quand j’aurai sur ses yeux pressé cette liqueur.
De fantasques désirs vont affoler son cœur.
Toi, prends-en quelque peu !… Cherche, sous la futaie,
À découvrir les pas errants
D’une belle enfant rebutée
Par un jeune homme indifférent.
Que ton adresse coutumière
En humecte les yeux de ce mauvais garçon ;
Mais, arrange-toi de façon
Qu’en se rouvrant à la lumière
Ce soit bien cette enfant qu’ils revoient la première !
Tu le reconnaîtras à sa toge de laine…
Va donc ; et rends-le moi plus amoureux d’Hélène
Qu’elle n’est éprise de lui !…
Tu me rejoindras sous ce hêtre
Avant que l’aurore n’ait lui.
Vous serez obéi, mon maître !
Scène III.
Entre TITANIA avec sa suite.
Allons ! Maintenant une ronde
Avec une chanson de fée !
Puis vous disparaîtrez pour un quart de seconde,
Et vous irez tuer les moustiques qui pondent
Dans le cœur des nymphées.
D’autres dépouilleront les chauves-souris lestes
De la peau de leurs ailes
Pour en faire des vestes
À mes elfes fidèles !…
Les dernières enfin chasseront les chouettes
Qui hululent, effarouchées
Par vos cris et vos pirouettes !…
Et vous, chantez pour moi quand je serai couchée !…
CHANSON DES FÉES
Vous, fourmis que la terre a vomies,
Vous, serpents à la langue bifide,
Hérissons épineux, vers livides.
N’éveillez pas la reine endormie !…
Rossignol mélodieux
Chante un chant qui clôt nos yeux,
Lulla, lulla, lullaby ; lulla, lulla, lullaby.
Que jamais malheurs ni charmes
Ne les rougissent de larmes !
Et bonne nuit, lullaby !
Araignée à ta toile agrafée,
Escarbots, limaçons et limaces,
Cachez-nous vos vilaines grimaces !
N’éveillez pas la reine des Fées !…
Rossignol mélodieux
Chante un chant qui clôt nos yeux.
Lulla, lulla, lullaby ; lulla, lulla, lullaby.
Que jamais malheurs ni charmes
Ne les rougissent de larmes !
Et bonne nuit, lullaby !
Tout va bien ! Sauvons-nous ! Qu’une seule gardienne
Demeure, et surveille, à l’écart !…
Le premier sur qui ton regard
Frappera tantôt, qu’il devienne
Tout l’amour de ton cœur blessé !
Tigre, lion ou léopard,
Sanglier, au poil hérissé,
Monstre, tends-lui les bras
Comme à ton fiancé !
Je rouvrirai tes yeux dès qu’il apparaîtra !…
Cher amour, cette course vous lasse sans doute !…
Je confesse d’ailleurs que j’ai perdu ma route !…
Croyez-moi, laissant là nos détours incertains,
Reposons-nous un peu, jusqu’au petit matin.
C’est vrai, je n’en puis plus, Lysandre ; reposons…
Cherchez un lit… Pour moi, j’ai ce banc de gazon…
L’oreiller paraît large assez pour vous et moi !
Un seul cœur, un seul lit ! Deux âmes, une foi !
Non, Lysandre, je vous en prie ;
Non ; respectons les convenances !…
Éloignez-vous… Encore !… Encore !…
Prenez ces mots dans leur amoureuse innocence !
Entendez-les sans blâme !
Je dis, tout simplement, que nous n’avons qu’une âme
Depuis que nos deux cœurs suivent leur doux penchant ;
Laissez-moi donc dormir tout près de votre couche,
Car ce n’est que si je vous touche
Que mon amour sera touchant !…
Lysandre a de l’esprit !… Malheur à ma fierté,
Si je doutais jamais de votre loyauté !
Mais au nom de l’amour dont vous vous faites lige,
Reposez-vous plus loin… Oui, la pudeur l’exige…
Sied-il qu’une fille ait dormi
Pendant une nuit tout entière
Avec un jeune homme auprès d’elle ?…
Voilà… Bien… Bonsoir, mon ami.
Que jusqu’à votre heure dernière
Ce tendre amour me soit fidèle !…
Amen ! Je dis amen à ta belle prière !
Et finisse ma vie avant mon amitié !
Que le sommeil t’accorde un long rêve embaumé !…
Qu’il en réserve la moitié
Pour les yeux de mon bien-aimé !…
Je cours le bois, je vais, je viens,
Sans rencontrer l’Athénien
Que mon maître me signala,
Sur lequel il faut que j’applique
Le jus de cette fleur magique !
Nuit et silence… Qui va là ?…
Un homme !… Une toge de laine !…
C’est toi, monstre où rien ne palpite !…
Et voici la pauvre petite
Dont le sommeil berce la peine…
Chère âme, elle n’a pas osé
Se coucher auprès de ce traître !…
Rustre ! Bourreau ! Tu vas connaître
Les fièvres d’un cœur embrasé !
Que l’amour, à jamais, écarte
La paix de tes vœux haletants !…
de LYSANDRE.
Ceci fait, il faut que je parte
Car Obéron m’attend…
Réveille-toi, dans un instant !…
Arrête ! Je t’en prie… Ou donne-moi la mort !
Je n’en puis plus, Démétrius !…
Assez ! Va-t’en !…
Dans cette nuit obscure ?
Cette chasse amoureuse m’a toute abattue…
Plus je l’implore et moins j’obtiens !…
Bienheureuse Hermia ! Partout tes yeux séduisent !
Ah, ce n’est pas du sel des larmes qu’ils reluisent,
Car mes yeux auraient la ressource
D’être plus brillants que les tiens !
Non ! Je suis laide comme une ourse !
Et si même les bêtes fauves
S’enfuient lorsqu’elles me rencontrent,
Est-il donc étonnant que mon aimé se sauve
Sitôt que je me montre ?…
[Dans quel miroir perfide ai-je pu comparer
Aux beaux yeux d’Hermia mes regards éplorés ?…]
Mais, qu’est-ce là ?… Lysandre à terre !… Dieux puissants,
Est-il mort ?… Endormi ?… Je ne vois pas de sang…
Lysandre !… Éveillez-vous si vous vivez encore !…
Ah !… Que les flammes me dévorent,
Si ton amour l’exige !
Lumineuse beauté ! Forme humaine et divine !
La nature a fait un prodige
En me montrant ton cœur à travers ta poitrine !…
Où est Démétrius ?… Est-il plus vil humain
Qui mérita jamais de périr de ma main ?…
Ne parlez pas ainsi, cher Lysandre ! Si même
Démétrius me renia
Pour aimer celle qui vous aime,
Hermia vous reste fidèle…
Que me fait l’amour d’Hermia !
Je déplore le temps que j’ai perdu près d’elle,
Et cet amour est dans la tombe !
Qui d’ailleurs n’échangerait pas
Un corbeau contre une colombe ?…
C’est Hélène qui me combat !
C’est pour elle que je succombe !…
Oui, tel est le devoir que la raison m’assigne,
Car la raison me dit que c’est vous la plus digne !
Chaque chose qui croît mûrit en sa saison :
Mon cœur était trop jeune encor pour la raison !
Mais, plein d’expérience, aujourd’hui je me livre
À ce guide éclairé qui, dans vos yeux aimants,
Comme dans le plus beau des livres
M’enseigne le plus doux roman !
Serai-je, hélas, toujours victime
De l’ironie et du mépris ?…
N’est-ce donc pas assez de n’avoir ni l’estime
Ni l’amour de celui dont mon cœur est épris,
Sans que vous insultiez, jeune homme, à mon malheur ?
Pourquoi m’outragez-vous ?… Oui, vraiment, sous couleur
De courtoisie et d’amitié
Vous m’outragez !… Adieu !… J’ai cru que vous étiez
De ces chevaliers qu’on renomme
Pour de nobles vertus, qui ne sont pas les vôtres !…
Ah, faut-il que mon cœur repoussé par un homme,
Soit encor raillé par un autre !…
Elle n’a pas surpris Hermia qui dormait !…
Dors bien !… Et puisses-tu n’approcher plus jamais
De moi !… Comme l’excès des choses préférées
Inspire à l’estomac un dégoût véritable,
Comme l’hérésie abjurée
Apparaît la plus détestable,
Ainsi, toi, mon excès, et toi, mon hérésie,
Par le monde, et par moi surtout, sois abhorrée !…
Et vous, mon pur amour, mes soins, ma courtoisie,
Tous les vœux dont mon âme est pleine,
Ne vous consacrez plus qu’au service d’Hélène !
Au secours ! Au secours, Lysandre !… À l’assassin !…
Arrachez ce serpent qui rampe sur mon sein !…
Ayez pitié de moi !… Ah, quelle affreuse étreinte !…
Quel cauchemar !… Voyez, je frissonne de crainte !…
Il dévorait mon cœur et vous ne bougiez pas !…
Que dis-je ? Vous riiez de ce cruel repas,
Lysandre !… Eh bien, Lysandre ?… Où êtes-vous, Lysandre ?…
Pas un bruit… Pas un mot… Ah, si tu peux m’entendre,
Réponds-moi, je t’en prie !… Au nom de tes amours,
Lysandre !… Il est parti !… Non… Ma raison s’échappe !
J’ai trop peur !… Il viendrait bien sûr à mon secours !…
Ah, que je te retrouve, ou que la mort me frappe !…