Un voyageur des pays d’en-haut/Chapitre IV

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Beauchemin & fils (p. 67-90).

CHAPITRE IV


La compagnie du Nord-Ouest. — Son organisation. — Ses luttes avec la compagnie de la baie d’Hudson.


L’histoire de la compagnie du Nord-Ouest n’était connue autrefois, en Canada, qu’au point de vue mercantile. On savait qu’elle faisait un immense trafic de pelleteries chez les tribus sauvages de l’Ouest, que la plupart de ses bourgeois réalisaient de belles fortunes, et qu’elle gardait à son service une armée de serviteurs canadiens qu’on appelait les voyageurs du Nord.

Mais comment les choses se passaient là-bas dans les pays sauvages ; quelle vie menaient tous ces commis et tous ces coureurs des prairies ; quelle morale on gardait et quelle justice on observait ; voilà ce qu’on a complètement ignoré.

Assurément il n’est pas désirable que tous les mystères du Nord-Ouest soient jamais révélés au grand jour. Une histoire complète et détaillée des faits et gestes des compagnies de traiteurs dans ces contrées serait loin d’être édifiante, et nous croyons qu’il vaut mieux la laisser dormir dans les déserts qui en ont été les témoins ; aussi ce n’est pas dans ces détails que nous voulons entrer ; mais comme l’histoire a ses droits, il est bon d’enregistrer ce qui peut être convenablement connu sur une société qui a joué un rôle très marquant dans notre pays.

La compagnie du Nord-Ouest a eu ses amis dévoués et ses ennemis acharnés ; les uns ont travaillé à la blanchir, les autres à la noircir ; des deux côtés on a exagéré. Je ne me fais ni avocat ni accusateur ; je veux raconter tout simplement quelques faits pour montrer que si cette compagnie a été utile au Canada, et à Montréal en particulier, en détournant le commerce des fourrures de la route de la baie d’Hudson, la conduite de ses employés dans les pays du nord n’a pas toujours été très honorable pour la civilisation chrétienne.

Les principaux actionnaires de cette compagnie étaient tous des hommes qui avaient reçu une éducation soignée ; ils étaient ce qu’on appelle dans le monde des gentilshommes. À Montréal et à Québec, ils étaient admis et choyés dans la haute classe, à cause du ton qu’ils tenaient, et des manières affables qu’ils savaient prendre à leur retour des pays sauvages. — On les appelait les Nord-Ouest ; ils menaient tous un train princier, comme seuls des millionnaires auraient pu faire. Leurs conversations étaient intéressantes ; on aimait à écouter les récits qu’ils faisaient de leurs voyages. Ils tenaient aux formes extérieures et à tout ce qui pouvait augmenter leur prestige et leur influence dans les importantes affaires qu’ils avaient à négocier.

Mais chez eux il y avait deux hommes, le civilisé et le traiteur de fourrures. Si dans la société ils se montraient aimables, et faisaient paraître de belles qualités, comme trafiquants dans les pays sauvages, ils étaient sans entrailles, et pour défendre ce qu’ils appelaient leurs droits de commerce, ils ne reculaient devant aucun moyen. Depuis la tête jusqu’aux pieds, depuis le premier bourgeois jusqu’au dernier des employés, tous étaient animés du même esprit.

Disons d’abord un mot de la forte organisation de cette compagnie.

Après la réunion de la compagnie du Nord-Ouest à la compagnie X Z, en 1805, les capitaux furent divisés en cent actions, dont la plus grande partie appartenait à des maisons de Londres et de Montréal ; le reste appartenait à des particuliers nommés associés hivernants ; ceux-ci étaient chargés du détail des affaires dans l’intérieur du pays.

Les associés, c’est-à-dire tous ceux qui possédaient une ou plusieurs actions dans la compagnie, devaient se réunir chaque année, vers le mois de juillet, au fort William, sur les bords du lac Supérieur ; c’était là que se traitaient et se décidaient les affaires, à la pluralité des voix. Une action donnait droit à un vote ; les absents pouvaient voter par un procureur. On y réglait les plans pour l’année suivante, et les comptes de l’année précédente étaient fermés. Chaque associé avait à faire devant l’assemblée un rapport de tout ce qui s’était passé dans son département depuis la dernière réunion générale.

Des blâmes très sévères étaient adressés, séance tenante, à ceux qui s’étaient montrés peu zélés pour les intérêts de la compagnie, tandis que ceux qui avaient rempli leur charge avec intelligence, recevaient de l’avancement.

Lorsqu’un actionnaire, après un certain nombre d’années de service, voulait se retirer de la compagnie, il avait droit non seulement de reprendre sa part du capital, mais de plus, pendant sept ans, il recevait la moitié du revenu de cette part, sans être obligé à aucun service. Par ce moyen l’associé qui se retirait n’était nullement tenté d’entrer dans aucune entreprise nuisible aux intérêts de la société.

Les élections, comme toutes les affaires de la compagnie, se faisaient à la pluralité des voix. Le candidat qui remplaçait un associé sortant d’office, devait être un des mieux qualifiés dans le service. D’abord, il fallait qu’il fût très versé dans le commerce, qu’il connût parfaitement les usages des Indiens, et qu’il eût les moyens d’exercer une grande influence parmi eux. Il devait être d’un caractère persévérant, actif, entreprenant, et tout dévoué, corps et âme, aux intérêts de la compagnie.

L’espoir d’arriver à un poste honorable et lucratif entretenait parmi les subalternes une émulation qui n’avait d’égale que le zèle des associés eux-mêmes.

Rien n’était mieux calculé, sans doute, que ce système pour entretenir l’activité dans chaque département ; mais de tels moyens étaient loin de sauvegarder le respect pour les droits d’autrui.

Nous l’avons dit plus haut, la compagnie tenait à conserver une bonne réputation dans l’opinion publique en Canada ; aussi les associés qui ne vivaient pas dans l’intérieur des pays sauvages, veillaient avec le plus grand soin à ce qu’aucune plainte ne transpirât contre la compagnie à Montréal ou à Québec. Eux-mêmes, extérieurement, n’auraient pas osé franchir les bornes de l’honnêteté et de l’honneur ; mais il en était autrement des associés hivernants, qui vivaient dans le Nord éloignés de toute société civilisée. La grande distance qui les séparait du Canada, et la difficulté des communications les rassuraient contre la censure publique. Dans ces contrées éloignées l’effet des lois était peu redouté. Quand, pour demander justice ou se plaindre d’une offense, il y avait des milliers de lieues à faire, et des dépenses énormes à encourir, on comprend que bien peu de personnes étaient en état de recourir aux tribunaux.

Rassurés par ces difficultés, chaque associé hivernant et chaque commis se sentaient plus disposés à franchir les bornes de la justice, quand les intérêts de la compagnie le demandaient. Aussi les actes illégaux de violence furent-ils très fréquents et très rarement repris.

Nous allons en citer quelques-uns, qui prouveront que la compagnie du Nord-Ouest ne se borna pas, comme on l’a cru trop souvent, à se défendre contre les agressions de la compagnie de la baie d’Hudson, mais qu’elle aussi attaqua sa rivale et revendiqua pour elle-même, à l’exclusion de toute autre société, le monopole qu’elle refusait de reconnaître à la compagnie de la baie d’Hudson.

En 1801, M. Dominique Rousseau, de Montréal, équipa des canots qu’il envoya au lac Supérieur, sous la conduite de M. Hervieux, son commis. Ces canots portaient un assortiment de marchandises pour être échangées chez les Indiens, ou vendues aux voyageurs qui se rassemblaient au Grand-Portage chaque été. Il espérait tirer de cette petite cargaison un parti avantageux. Son droit d’échanger et de vendre à cet endroit était aussi valable que celui de la compagnie du Nord-Ouest. Cette entreprise, sans grande importance, d’un particulier ne paraissait pas de nature à exciter la jalousie de la puissante compagnie. Hervieux plaça sa tente à un arpent du fort, et étala ses marchandises ; il n’avait pas le moindre soupçon qu’on viendrait lui chercher querelle. Il était là depuis quelques heures, et il avait déjà vendu quelques articles, quand il vit venir à lui trois associés de la compagnie. En abordant Hervieux, l’un d’eux, Duncan McGillivray, lui signifia d’avoir à quitter immédiatement l’endroit où il était, sans quoi ils se mettraient en frais de l’éloigner de force. Hervieux répondit qu’il ne leur reconnaissait aucun droit de le chasser, et qu’il ne partirait qu’après que ces messieurs lui auraient montré un titre légal de propriété. Cependant, après quelques pourparlers, pour éviter de plus grands désagréments, il consentit à transporter sa tente à un autre endroit qu’on lui désigna. McGillivray retourna au fort pour raconter ce qui venait de se passer à la tente d’Hervieux.

Le doute que celui-ci avait osé exprimer sur les droits de la compagnie parut à tous un crime digne d’un châtiment exemplaire. On revint à la tente d’Hervieux, qui n’avait pas encore eu le temps d’envelopper ses marchandises, puis à coups de poignard on découpa sa tente en pièces et on jeta par terre tous les effets qu’il avait dans des valises. Vous nous avez demandé nos titres, lui dit-on, eh bien, les voici. Maintenant, si vous cherchez à pénétrer dans l’Intérieur du pays, nous vous couperons la gorge.

On ne se contenta pas de gâter tous les effets d’Hervieux ; quelques serviteurs de la compagnie avaient acheté de lui des marchandises ; on les leur enleva, et on les coupa par morceaux, pour leur apprendre qu’à l’avenir ils ne devaient rien acheter des traiteurs étrangers, mais se procurer au comptoir de la compagnie tout ce dont ils auraient besoin.

Hervieux fut obligé de retourner à Montréal, à treize cents milles de distance, après avoir perdu ses marchandises, dont il eût trouvé un prompt débit s’il n’eût pas été molesté par la compagnie du Nord-Ouest.

M. Rousseau intenta un procès à McGillivray, mais il n’obtint qu’une faible compensation pour la perte considérable qu’il avait subie.

En 1806, le même commerçant voulut de nouveau essayer de faire la traite dans les pays sauvages. Cette fois il prit un associé, nommé Delorme, qu’il envoya avec deux canots chargés de marchandises. Pour n’avoir aucune contestation avec les officiers de la compagnie, il évita de passer par le fort William. Rendu au lac Supérieur, il prit un ancien chemin abandonné depuis assez longtemps et par lequel il espérait pénétrer dans l’intérieur du pays sans être aperçu par les gardiens du fort ; mais il avait compté sans la vigilance des sentinelles. Aussitôt que la présence de deux canots conduits par des traiteurs fut connue des employés de la compagnie, on s’empressa d’envoyer un nommé McKay, accompagné de dix hommes, pour abattre des arbres en travers du chemin, et par ce moyen empêcher Delorme d’avancer. Cette malice ne réussit que trop bien ; en peu de temps le chemin se trouva tellement obstrué, qu’il devint impossible aux traiteurs étrangers d’aller plus loin, et ils abandonnèrent canots et marchandises pour revenir au fort William, où ils furent obligés de vendre à monsieur McGillivray toute sa cargaison pour le prix qu’elle avait coûté à Montréal.

M. Rousseau se décida à intenter un procès à la compagnie, mais la question traîna devant les tribunaux et ne fut jamais décidée, grâce à l’influence et à l’argent des associés de la compagnie du Nord-Ouest.

Ce cas, auquel nous pourrions en ajouter un grand nombre d’autres, suffit pour prouver que ce ne fut pas seulement à la compagnie de la baie d’Hudson que la compagnie du Nord-Ouest fit la guerre, et qu’elle s’arrogeait bien à elle seule le privilège qu’elle contestait aux autres.

Quant à la justice qu’elle prétendait avoir le droit d’exercer, elle la rendait d’une manière sommaire et arbitraire, dès qu’il s’agissait de venger la compagnie.

En 1796, un associé de la compagnie fut tué par un sauvage près d’un poste nomme Cumberland House. Tous ceux qui ont voyagé dans le Nord, savent que de tout temps les sauvages de cet endroit ont été d’un caractère timide et craintif, se soumettant sans résistance à ce qu’on exige d’eux, et par conséquent fort éloignés de se porter à des actes de cruauté sans provocation. Il fallait donc, pour tuer un officier de la compagnie, qu’ils eussent été poussés à bout par de mauvais traitements et par des injustices criantes. Quoi qu’il en soit, la compagnie jugea qu’il était essentiel de ne pas laisser ce meurtre impuni. Sans s’assurer qui était le coupable, on s’empara d’un sauvage qu’on supposait être l’assassin, puis, sans forme de procès, M. McKay le coucha en joue avec son fusil et le tua sur-le-champ. On en prit un de la même bande que l’on pendit à un arbre voisin du poste.

Les serviteurs imitaient les maîtres dès qu’ils jugeaient à propos de se venger. On est étonné quelquefois et l’on a peine à concevoir que des hommes élevés dans la connaissance du christianisme aient pu se porter à des actes de barbarie dont le récit fait frémir.

En 1802, la compagnie du Nord-Ouest avait, auprès du lac Supérieur, un petit poste gardé par trois hommes. Pendant l’hiver, un sauvage qui avait rendu de grands services aux gens de ce poste l’été précédent, se trouvant sans provision aucune, et dans l’impossibilité de s’en procurer par la chasse, envoya deux de ses filles pour demander un peu de nourriture au fort. On leur donna du poisson, mais en si petite quantité, que les deux pauvres filles, voyant l’insuffisance de ce secours, n’osèrent pas retourner auprès de leur père. Elles renouvelèrent leur demande, et insistèrent pour recevoir davantage, promettant de payer ces vivres aussitôt qu’elles pourraient faire la chasse. Ce fut peine inutile, on ne voulut pas les écouter. Désolées, elles durent partir ; cependant le désespoir leur inspira une résolution extrême. À peine hors de la vue du fort, elles revinrent sur leurs pas, et se blottirent auprès du poste sans être vues. Elles voulaient choisir le moment où ces trois gardiens seraient isolés les uns des autres, pour les attaquer et les tuer, si elles le pouvaient. Peu après, l’un d’eux s’étant éloigné, elles se jetèrent sur les deux autres, qui n’étaient pas sur leurs gardes, et, armées de leur petite hache, elles en assommèrent un et blessèrent grièvement l’autre. Le troisième fut tué au moment où il accourait au secours de ses camarades.

Après cet exploit, les deux filles sauvages prirent dans le fort autant de provisions qu’elles voulurent. L’année suivante, ce même poste était commandé par un commis, qui avait à son service un batailleur célèbre, nommé Comtois, et un nommée Roussin, du même acabit.

Durant l’hiver un sauvage du nom de Wendecaugo vint au fort pour faire la traite. La femme qui l’accompagnait était une des deux Indiennes qui avaient massacré, l’hiver précédent, les trois occupants du poste. Comtois et Poussin se consultèrent un moment avant de décider s’ils allaient profiter de l’occasion pour venger la mort de leurs compagnons. Le sauvage, innocent de ce crime, se croyait dans une parfaite sécurité ; il ne se serait pas imaginé qu’on voudrait le rendre responsable d’une faute à laquelle il n’avait participé en aucune manière ; mais la détermination des deux serviteurs de la compagnie fut bientôt arrêtée : ils dirent à Wendecaugo et à sa femme de se préparer à mourir. Le pauvre sauvage eut beau faire mille représentations, leur rappeler que dans une occasion il avait sauvé la vie à Comtois, tout fut inutile, et il fut exécuté, avec sa femme, en présence de sept autres employés du fort. Personne ne fut blâmé pour ce meurtre judiciaire.

Dès que les employés de la compagnie du Nord-Ouest se trouvèrent en contact avec les serviteurs de la compagnie de la baie d’Hudson dans l’intérieur du pays, ils témoignèrent à leur égard la plus grande animosité. Ils leur étaient supérieurs en nombre, et se croyaient obligés, comme le dit sir Alexandre McKenzie, d’exécuter tous les ordres de leurs chefs, quelqu’illégaux que fussent ces ordres. On peut citer plus d’un fait.

En l’année 1800 un commis de la compagnie du Nord-Ouest, nommé Schultz, avait la garde d’un poste situé près du lac Népigon. Il y avait parmi les serviteurs du fort un jeune homme du nom de Lebeau, âgé d’environ dix-neuf ans, qui, pendant l’hiver précédent, s’était lié avec les serviteurs de la compagnie de la baie d’Hudson, dont le poste était peu distant de celui du Nord-Ouest. Lebeau, dégoûté du service de ses maîtres, avait résolu de passer au service de la compagnie de la baie d’Hudson et de partir pour YorkFactory. Schultz l’ayant appris, envoya son interprète pour avertir Lebeau qu’il ne permettrait pas ce départ et qu’il saurait bien l’arrêter.

Comme Lebeau était endetté envers la compagnie du Nord-Ouest, il crut que l’opposition de Schultz à son départ venait de la crainte de perdre cette dette ; il lui fit donc répondre qu’il allait payer immédiatement la compagnie, mais qu’ensuite il partirait.

Furieux d’une telle réponse, Schultz prit un poignard bien aiguisé, et s’en alla trouver Lebeau au fort de la baie d’Hudson. En le voyant arriver, Lebeau voulut s’échapper par la fuite, mais Schultz, qui le guettait au passage, lui enfonça son poignard dans les reins, et l’étendit par terre : Lebeau mourut le même jour.

Lebeau était aimé de ses camarades ; la conduite de Schultz indigna tellement les engagés de la compagnie, qu’il fut obligé de s’éloigner et de changer de poste. Cependant la compagnie ne lui fit aucun procès, et, l’année suivante, il reçut de l’avancement.

Après l’année 1805, quand toutes les petites associations de traiteurs de Montréal se furent réunies à la compagnie du Nord-Ouest, toute la jalouse ambition de celle-ci se concentra contre la compagnie de la baie d’Hudson.

Jusqu’à l’année 1821 les serviteurs de la compagnie de la baie d’Hudson furent continuellement exposés à une suite d’agressions auxquelles ils se donnaient garde de fournir l’occasion, vu qu’ils se trouvaient les plus faibles.

En 1806 M. William Corrigal, engagé au service de la baie d’Hudson, avait passé l’hiver dans un poste appelé le Mauvais-Lac, sur les limites de la factorerie d’Albany (territoire de la baie d’Hudson). M. Haldane, un associé de la compagnie du Nord-Ouest, était dans un poste peu distant de celui où était Corrigal. Celui-ci avait dans son magasin un lot de belles peaux de castor qui excitait l’envie de M. Haldane. Un soir, cinq serviteurs de la compagnie du Nord-Ouest entrèrent dans le fort de la baie d’Hudson, lorsque tout le monde était déjà au lit. Ils pénétrèrent dans la chambre de M. Corrigal, le saisirent et le lièrent, en le menaçant de le tuer s’il appelait au secours. Pendant ce temps, d’autres serviteurs du Nord-Ouest enlevaient du magasin 480 peaux de castor et une partie des marchandises.

Après ce vol à main armée, ils retournèrent tranquillement au fort de M. Haldane, qui ne leur adressa pas un mot de blâme. M. Corrigal eut beau demander la restitution de ses pelleteries, on lui répondit : « Nous sommes venus ici pour avoir des pelleteries et nous nous en procurerons par n’importe quel moyen. »

Un vol semblable eut lieu, la même année, dans un autre fort près du lac Rouge, où l’on enleva toutes les peaux de castor et toutes les marchandises.

En 1807 Alexandre McDonell, de la compagnie du Nord-Ouest, fit piller un poste de la baie d’Hudson près du lac Winnipeg ; il en fit enlever les pelleteries et les marchandises.

En 1808 John Spence, de la compagnie de la baie d’Hudson, eut son fort pillé par Duncan Campbell, de la compagnie du Nord-Ouest. L’année précédente, le même Campbell avait attaqué un fort de la baie d’Hudson à l’Île-à-la-Crosse, et en avait enlevé toutes les fourrures et toutes les marchandises.

Toute la tradition que nous avons consultée en 1866 confirme la véracité de ces faits.

Si la compagnie de la baie d’Hudson eût été la plus puissante, il est très probable que les rôles auraient été différents, et que, au lieu d’être l’enclume, elle eût été le marteau, c’est-à-dire qu’elle eût infligé à sa rivale le sort que celle-ci lui faisait subir. Mais, pour le moment, c’était la compagnie du Nord-Ouest qui avait la force pour elle. Il est certain qu’elle ne fut pas scrupuleuse sur les moyens pour se débarrasser de ceux qui lui portaient ombrage.

En 1816 quelques bourgeois de la compagnie du Nord-Ouest firent prisonnier un commis de la compagnie de la baie d’Hudson accusé d’avoir maltraité ses serviteurs en voyageant. Ce n’était pas un crime digne de mort ; mais ce qui fut jugé plus grave, c’est qu’il avait en sa possession des documents compromettants pour la compagnie du Nord-Ouest, et que si on l’envoyait prisonnier à Montréal, il pouvait nuire beaucoup aux intérêts de cette compagnie. Le seul moyen de l’empêcher de nuire, c’était de se défaire de lui.

Archie McLellan, qui avait soin d’un fort sur la rivière Winnipeg, se chargea de régler l’affaire. Il confia M. Keveney (c’est le nom du commis de la compagnie de la baie d’Hudson) à un sauvage et à un blanc du nom de Reinhard, avec ordre de tuer le prisonnier dans un lieu écarté. Ce meurtre eut lieu dans une île de la rivière Winnipeg. Reinhard qui tua M. Keveney fut pendu, mais McLellan, qui avait ordonné le meurtre, se sauva grâce à son argent, malgré la déclaration de Reinhard, qui avoua n’avoir agi que sur un ordre de McLellan. Avec des principes semblables il n’y a rien d’étonnant que la compagnie du Nord-Ouest ait fait une guerre à mort à la colonie de lord Selkirk, dès qu’elle vit dans cet établissement un danger pour son commerce, comme nous allons le voir.