Une Campagne de vingt-et-un ans/Chapitre XV

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Librairie de l’Éducation Physique (p. 136-145).


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LES APPRÊTS DE LA DEUXIÈME OLYMPIADE



Les exercices physiques ayant tenu une place à l’Exposition de 1889, il était tout simple qu’ils en tinssent une plus grande à l’Exposition de 1900. La chose était admise dès le principe et je me souviens d’en avoir causé, presqu’au lendemain de la clôture de la première de ces expositions, avec l’un des commissaires, M. Georges Berger, membre de l’Institut que tout semblait désigner pour présider aux destinées de la suivante. Mais on lui préféra M. Alfred Picard qui, à défaut d’autre supériorité sur M. Georges Berger, possédait du moins une plus grande confiance en son omniscience.

Le 30 janvier 1894, M. Alfred Picard assez récemment installé dans ses fonctions nous reçut au Conseil d’État, M. Strehly et moi. L’éminent professeur avait mis sa signature à côté de la mienne au bas du document que nous remîmes au commissaire général et dont j’ai conservé la copie. Il s’agissait d’enfermer une exposition athlétique dans une reproduction aussi exacte que possible de l’Altis d’Olympie ; l’exposition devait former trois sections : période antique, Égypte, Inde, Grèce et Rome — moyen âge : la chevalerie et les jeux populaires — époque moderne : la gymnastique allemande et suédoise, la renaissance athlétique en Angleterre, l’athlétisme dans les deux mondes. L’escrime, la chasse et les sports de glace formaient une section annexe. Hors de l’Altis devaient être reproduits des Thermes romains et un Athletic-club américain (celui de Chicago). Le projet prévoyait l’organisation dans le gymnase et dans le stade de courses, de jeux et luttes d’après l’antique. Mais il était bien spécifié que cafés, boutiques, spectacles payants seraient bannis de l’enceinte, que nulle concession n’y serait admise et que l’Olympie de 1900 revêtirait un caractère nettement pédagogique. Je ne puis entrer ici dans le détail du projet mais telles en étaient les bases. Je profitai de l’occasion pour entretenir M. Alfred Picard du Congrès international convoqué à la Sorbonne pour le mois de juin de cette même année 1894 et du rétablissement éventuel des Jeux Olympiques (modernisés ceux-là) qui en serait vraisemblablement la conséquence. Je lui dis que nous proposerions pour les inaugurer la date de 1900 et que la première Olympiade coïnciderait de la sorte avec l’Exposition[1].

M. Picard écouta mes explications et celles de M. Strehly sans formuler la moindre opinion. Il nous dit qu’il allait « classer » le projet et nous convoquerait en temps opportun ; ce qui, par parenthèse, ne se produisit pas. Ni M. Strehly ni moi n’entendîmes plus jamais parler de la chose. Quant aux Jeux Olympiques, M. Picard n’en tint nul compte car le 2 septembre suivant (le Congrès de la Sorbonne avait eu lieu dans l’intervalle et les Jeux Olympiques avaient été rétablis) le Ministre du commerce sur sa proposition nomma une commission de quatre-vingts membres chargée d’étudier un « programme de concours se rattachant aux exercices physiques » susceptibles d’être organisés « dans la région de Vincennes pendant l’Exposition universelle de 1900 ». La formule n’était pas très heureuse. La composition de la commission que présidait le général Baillod l’était d’avantage. Je ne pus prendre part aux travaux de ladite commission ; j’étais en Grèce occupé à préparer les Jeux de 1896 quand elle s’assembla et lorsque je rentrai à Paris le rapport était sur le point d’être déposé. Du reste, 1896 concentrait tous nos efforts. Pour 1900 on verrait plus tard.

Lorsque le Congrès du Havre (1897) eut pris fin, l’heure sonna pour nous de songer à la deuxième Olympiade. Mais où en étaient les concours de l’Exposition ? Quels étaient les projets du commissaire général ? Il importait avant tout de le savoir. Depuis deux ans et plus, la Commission dont je viens de parler n’avait plus été convoquée et personne ne parlait de la faire revivre. Il demeurait vaguement convenu qu’il y aurait « des exercices physiques à Vincennes ». Or Vincennes avait dès lors très mauvaise réputation : l’annexe qui y serait installée était couramment désignée sous le nom de « dépotoir de l’Exposition » ; on disait que le commissariat général y expédiait volontiers tous les projets inintéressants pour lui ou dont il entrevoyait le lâchage comme possible à la dernière heure si les circonstances l’exigeaient. D’autre part, la classification générale de l’Exposition qui s’était fait assez longtemps attendre avait causé une vive déception aux futurs exposants sportifs. Plusieurs m’adressèrent leurs doléances et m’exprimèrent leur vif désir d’obtenir que les objets et engins de sport fussent réunis en une seule classe. Bien que persuadé que leur vœu était désormais irréalisable, j’adressai au ministre du commerce, M. Henry Boucher, une lettre dont beaucoup de journaux reproduisirent les termes en les approuvant. En voici le passage principal. « Le public éprouvera assurément quelque surprise en constatant que, dans la classification générale, les exercices physiques se trouvent éparpillés de la plus étrange façon. Les mots : gymnastique, escrime, jeux scolaires terminent humblement la longue énumération des objets compris dans la classe 2 sous le titre « enseignement secondaire ». Les vélocipèdes sont annexés aux voitures. La classe 33 « matériel de la navigation de commerce » renfermera ce qui a trait à la natation et à l’aviron. J’imagine que le patinage est dans la coutellerie. En tous cas, les « sociétés de sports » sont mentionnés dans la classe 107 dont vous m’avez fait l’honneur de me nommer membre et qui doit s’occuper des « institutions pour le développement intellectuel et moral des ouvriers ». De sorte que si les visiteurs de l’Exposition veulent admirer les plans du beau gymnase de l’Athletic Club de Chicago par exemple, qui est un club d’adultes, ils devront les aller chercher dans le matériel des lycées et collèges et que si la société de sport de l’Île de Puteaux ou le Polo Club de Paris veulent exposer, ils prendront rang parmi les institutions ouvrières ». Après avoir exprimé le regret que rien n’ait été tenté au point de vue rétrospectif pour mettre en évidence la série des progrès accomplis par les sports, je terminais en demandant au ministre ce qui en était de la fameuse Commission et des concours de Vincennes. La réponse de M. Boucher n’apporta, comme je le pensais bien, ni satisfaction relativement à la classification ni assurance formelle en ce qui concernait les concours. Le ministre annonçait bien « une série de concours qui se tiendraient près du lac Daumesnil au Bois de Vincennes » mais envisageait comme « prématurée » la constitution de « comités spéciaux » chargés de les organiser.

Après une ultime démarche dont M. Ribot voulut bien se charger auprès de M. Picard, en vue de savoir si ce dernier serait disposé le cas échéant à assurer la célébration des Jeux Olympiques dans l’enceinte de l’Exposition, démarche qui aboutit de la part du Commissaire général à une fin de non-recevoir, je me sentis tout à fait libéré de scrupules et j’offris au vicomte de La Rochefoucauld de présider à l’organisation des Jeux Olympiques de 1900. Aujourd’hui encore et bien que plusieurs de nos collaborateurs me l’aient amèrement reproché, ce choix se justifie pleinement à mes yeux et je crois bien que si la chose était à recommencer, j’agirais encore de même. Charles de La Rochefoucauld était pour moi un ami d’enfance et un camarade qe collège ; de tout temps j’avais admiré son énergie confinant parfois, il est vrai, à la brutalité ; mais sa haute situation sociale palliait cet inconvénient. Il était fort capable de persévérance obstinée ainsi qu’il en avait fait preuve dans la création de son Polo Club de Bagatelle. Sportsman passionné, il s’intéressait à toutes les manifestations sportives sans être inféodé à aucune de ces « petites chapelles » dont Vicomte de la Rochefoucauld
le vicomte de la rochefoucauld
je redoutais tant l’influence. Nul du reste n’avait entre les mains le moyen de présider plus princièrement l’Olympiade française. Un simple banquet donné par lui peu d’années auparavant à l’occasion d’un match international de polo avait revêtu, du fait du cadre au milieu duquel il se déroulait, l’aspect d’une fête somptueuse. Avec sa cour d’honneur, son escalier de marbre, ses deux galeries de bal, ses enfilades de salons, les verdoyantes perspectives de ses parterres, l’hôtel de la rue de Varennes n’avait besoin d’aucune parure spéciale pour enchanter les regards des invités. Un festival donné là constituerait un spectacle qu’il n’était au pouvoir d’aucun commissaire général d’Exposition d’égaler. Il suffirait d’y adjoindre une garden-party au château de Bonnétable, admirablement restauré et assez proche de Paris pour qu’on pût y aller passer la journée — et la seconde Olympiade prenait aussitôt un cachet à part et bien français. La vieille France ouvrant ainsi ses plus aristocratiques demeures à la jeunesse sportive à l’occasion de la plus démocratique des manifestations internationales, n’était-ce pas là quelque chose de piquant et de savoureux à la fois ?

Charles de La Rochefoucauld entra de plain-pied et avec enthousiasme dans mes vues et, ensemble nous constituâmes immédiatement R. Fournier-Sarlovèze
m. r. fournier-sarlovèze
le comité d’organisation des Jeux Olympiques de 1900. Nous fîmes choix d’un secrétaire général qui ne fut autre que Robert Fournier-Sarlovèze, aujourd’hui maire de Compiègne, alors brillant officier de cavalerie démissionnaire et sportsman convaincu. Fournier-Sarlovèze, énergique comme La Rochefoucauld, avait en plus l’esprit calculateur et le sens administratif ; il aurait l’œil à tout et ferait marcher son monde. Ces deux hommes se complétaient admirablement. Les « commissaires sportifs » furent choisis eu égard autant à leur compétence qu’à leur indépendance. Ce furent : MM. Hébrard de Villeneuve et le comte Potocki pour l’escrime, le comte de Guébriant et P. de Boulongne pour le yachting, MM. Dubonnet et E. Caillat pour l’aviron, G. Strehly pour la gymnastique, Georges Bourdon pour les sports athlétiques, Pierre Giffard pour la natation, le baron Jean de Bellet pour le lawn tennis, Bruneau de Laborie pour la boxe, le baron Lejeune pour le polo, O’Connor pour la courte paume, Ch. Richefeu pour la longue paume, le comte Jacques de Pourtalès pour le golf, le comte de Bertier pour le tir à l’arc, le comte F. de Maillé pour la vélocipédie. D’autres commissaires devaient être nommés ou adjoints à ceux-ci ultérieurement. Le comité comprenait en outre MM. le comte Philippe d’Alsace, Baugrand, Boussod, le duc de Brissac, Cambefort, le baron de Carayon La Tour, le comte Chandon de Briailles, le marquis de Chasseloup-Laubat, Dupuytrem, le comte d’Esterno, le baron André de Fleury, Alfred Gallard, Gordon Bennett, Jusserand, le comte de Lorge, Frédéric Mallet et André Toutain. La plupart du temps j’avais laissé La Rochefoucauld tout à fait libre de choisir mais je n’avais pu en général qu’approuver ses choix. Il était impossible, je crois, de constituer un comité d’hommes à la fois plus dévoués aux sports, plus pénétrés d’esprit sportif et plus désintéressés personnellement.

La réunion inaugurale eut lieu le 29 mai 1898 à l’Hôtel La Rochefoucauld où était le siège social du Comité. Le programme préliminaire que nous présentâmes fut approuvé et aussitôt communiqué aux journaux. Dès le lendemain de cette réunion, je reçus une lettre de Henri Desgrange qui s’empressait de « mettre à notre disposition son vélodrome » du Parc des Princes. « J’ai, disait-il, une pelouse de 26.000 mètres carrés, une piste de 666, tout ce qu’il faut pour faire des courses à pied, du tennis, du cyclisme, etc… Il n’y a que la Seine que je ne puis vous donner ». En même temps, M. Pierre Laffitte nous offrait son journal La Vie au grand air comme organe officiel et M. Pierre Giffard nous remerciait avec effusion d’avoir confié au Vélo qu’il dirigeait l’organisation des épreuves de natation. De l’étranger, les promesses de collaboration affluèrent. Les Amateurs Athletic Associations d’Angleterre, d’Irlande et d’Écosse, la Danks Idraets forbund, l’université de Philadelphie furent les premières à adhérer ; d’autre part un comité russe formé par le général de Boutowsky, membre du Comité International et par M. Lebedeff, délégué au Congrès du Havre, s’était assemblé. Enfin le « powerful team » par lequel l’Australasie tout entière se proposait de se faire présenter en Europe cette année-là avait reçu au dernier moment ordre de ne point se mettre en route ; sa visite était ajournée de dix-huit mois afin qu’elle pût coïncider avec les Jeux Olympiques de Paris. Notre collègue australien M. Cuff m’en informait le 18 septembre.

Je n’ai pas encore dit quel était le programme des Jeux. Il comportait en sports athlétiques : les courses classiques de 100, 400, 800, 1.500 mètres et 110 mètres haies, les différents sauts et lancements et un championnat général bizarrement décoré du nom de pentathle puisqu’il ne se composait que de quatre épreuves — en gymnastique : la corde lisse en traction de bras, les rétablissements divers à la barre fixe, mouvements aux anneaux, barres parallèles profondes, saut du cheval et travail des poids ; en escrime, le fleuret, le sabre et l’épée pour amateurs et (exceptionnellement à cause de la Suède) pour professeurs ; la boxe anglaise et française, la canne, le bâton, la lutte suisse et romaine ; comme sports nautiques : des courses à la voile en rivière pour yachts au-dessous de cinq tonneaux et en mer pour yachts de vingt tonneaux ; des courses à l’aviron à un, deux, quatre et huit rameurs ; des courses de natation sur 100, 500 et 1.000 mètres
Château de Bonnétable

le château de bonnétable (près le mans)
avec concours de plongeon et de sauvetage et water-polo ; — en vélocipédie une course en vitesse de 2.000 mètres sans entraîneurs, une course de fond de 100 kilomètres avec entraîneurs, et une course de tandems de 3.000 mètres sur piste sans entraineurs. Les « évents » vélocipédiques étaient ceux que, sur ma demande, l’Union Vélocipédique de France avait choisis pour Athènes en 1896 ; la partie gymnastique était l’œuvre de M. Strehly.

Comment réaliser ce programme ? Le plan était très simple. Les circonstances nous obligeaient à traiter la deuxième Olympiade tout autrement que la première. Il fallait de toute nécessité, éparpiller les concours, les éparpiller quant aux lieux et quant aux dates. Inutile de faire un effort pour grouper sports et fêtes en une « quinzaine olympique » dont l’éclat serait toujours terni par le voisinage de l’Exposition. De loin, nous n’avions pas réfléchi à ce que cette date de 1900 présentait de fâcheux à un tel point de vue précisément. La chose avait du moins un bon côté ; l’éparpillement rendait l’organisation beaucoup moins coûteuse et plus facile. Le yachting aurait lieu au Havre et à Meulan par le soin de l’Union des Yachts français et du Cercle de la Voile de Paris ; sur la Seine également, l’aviron ; le Vélo s’occupait de la natation ; l’île de Puteaux avait droit au lawn tennis ; le golf et le tir à l’arc iraient à Compiègne ; la longue paume au Luxembourg, le Polo à Bagatelle. On confierait à la Société d’Encouragement de l’escrime les championnats d’épée, de sabre et de fleurets ; pour la vélocipédie, le vélodrome du Parc des Princes conviendrait très bien, sans parler de celui de Buffalo qui s’offrait également. Plusieurs de nos collègues, appréciant la proposition d’Henri Desgrange, songeaient à concentrer sur son terrain d’autres concours, les sports athlétiques et le football par exemple. Je m’y opposai parce que, dans une pensée de reconnaissance dont je devais être singulièrement récompensé, j’avais réservé les premiers au Racing-Club, le second au Stade Français, clubs fondateurs de l’Union des Sports athlétiques, clubs doyens comme on les appelait. Ayant été à la peine, il me semblait juste qu’ils fussent à l’honneur.

Quel était le plan financier ?… très simple aussi. Je prenais à ma charge, comme j’avais eu coutume de le faire jusqu’alors, toute la publicité, envois de programmes, correspondance, etc… Nous adressant ensuite à chacune des sociétés dont nous sollicitions le concours, nous lui tenions ce langage : « Vous organisez chaque année une grande réunion sportive. En 1900, veuillez simplement donner un caractère international à cette réunion et plus de solennité que d’habitude. Par contre, nous vous exonérons des prix à décerner. D’où sensible économie pour vous ». La question des prix était à son tour solutionnée de la façon suivante : et le concours gracieux de trois artistes français, choisis parmi les plus illustres, avait été sollicité et obtenu. L’un nous ciselait une statuette, le second une médaille ; le troisième dessinait un diplôme. Moules et planches devaient être brisés sitôt le nombre nécessaire d’exemplaires obtenus. Grâce à cet ensemble de combinaisons, un total de quelques milliers de francs suffisait à couvrir les dépenses de la seconde Olympiade et nous étions déjà quasiment assurés du double de cette somme. Des fêtes, ainsi que je l’ai déjà donné à entendre, il ne devait pas y en avoir au sens habituel du mot. La vraie fête serait, chaque soir, dans le spectacle de l’Exposition elle-même. Il eût été absurde de vouloir concurrencer un pareil attrait. Les réceptions données par Charles de La Rochefoucauld dans les cadres admirables dont il disposait seraient les seules fêtes relevant de l’organisation olympique.

Les sociétés intéressées avaient presque toutes été pressenties et avaient accueilli avec sympathie nos démarches quand l’obstacle se leva du côté où, certes, je ne m’attendais pas à le rencontrer. Il y avait eu déjà une singulière alerte provenant d’Amérique. Quelques-uns des « leaders » de l’Amateur Athletic Union s’étaient ingéniés à mettre la main sur les Jeux. L’un d’eux surtout avait mis en avant, avec l’aide du commissaire américain à l’Exposition, le projet d’un club gigantesque qu’il demandait à élever dans l’enceinte de l’Exposition et qu’il prévoyait entouré de terrains de sport où s’organiseraient des concours variés sous le contrôle de ladite Amateur Athletic Union. Malgré un appui presque officiel de son gouvernement, l’ingénieux promoteur avait dû battre en retraite. Il était désapprouvé d’ailleurs par certains de ses compatriotes et Caspar Whitney, alors membre du Comité International pour les États-Unis et dont les opinions sportives avaient beaucoup de poids, m’écrivit dès le 29 juin 1898 pour m’engager à me méfier du personnage ; et un peu plus tard : « Surtout n’ayez rien de commun avec l’Amateur Athletic Union et ses cohues ; cette fédération ne fait rien pour le bien du sport et ses dirigeants ne songent qu’à se pousser eux-mêmes. Ce sont des espèces de politiciens,… etc… » Son indignation se donnait carrière sur ce ton tout à loisir. Pendant quelque temps, l’idée subsista d’organiser à Paris pendant l’Exposition des concours entre Américains seuls sous prétexte « de montrer aux Français comment il faut s’entraîner pour réussir dans les sports » ; puis elle se dissipa d’elle-même.

Alors surgit l’obstacle véritable. On le dressa avec beaucoup d’habileté au nom de l’Union des Sports athlétiques. De zélés discoureurs intervinrent près des comités du Racing-Club et du Stade Français, les engageant à repousser nos propositions. J’avais noté dès le principe des réticences dont je ne devinais pas la cause. Elles s’expliquèrent et se précisèrent par le vote d’un bel ordre du jour que le conseil de l’Union mit au monde un soir de novembre 1898 et par lequel elle déclarait d’avance réserver son appui exclusif à toute organisation qui serait entreprise en 1900 par la ville de Paris ou l’État.

Pourquoi exclusif ? C’est qu’à ce moment l’U. S. F. S. A., désireuse d’obtenir une subvention des pouvoirs publics, cherchait à se libérer par un coup d’éclat « des comtes et des marquis » dont elle se trouvait, paraît-il, encombrée. Un membre me l’écrivit le lendemain de cette mémorable séance en ajoutant ces mots méchants et suggestifs : « Votre infériorité est de n’avoir point de rubans à distribuer ». Le plus joli est que je continuais malgré moi à figurer depuis deux ans sur les listes de l’U. S. F. S. A. en qualité de secrétaire général. Pour le coup, je déclarai que j’en avais assez et M. de Janzé me rappelant qu’il « ne tenait pas du tout à l’honneur d’être président de l’Union et n’y était resté que sur mes vives instances » se montra décidé à s’en aller également.

L’ordre du jour voté par l’Union n’étant qu’une manœuvre, n’avait en soi pas beaucoup d’importance. M. de Janzé dans la lettre citée plus haut le déclarait inapplicable. L’hostilité contre l’Exposition sur laquelle on l’avait appuyé n’existait pas. En organisant les Jeux Olympiques de 1900 comme nous en avions le droit, nous demeurions pleinement résolus à n’entraver en rien à l’étranger les initiatives officielles si elles se manifestaient ultérieurement, éventualité qui d’ailleurs semblait devenir de plus en plus incertaine. Mais l’agitation de beaucoup de petites ambitions personnelles déçues, de beaucoup de petites jalousies irritées se forma autour de cet incident. Des meneurs cherchèrent à grossir l’affaire. Tout un complot se noua qui finit par atteindre le Comité d’organisation des Jeux. Charles de La Rochefoucauld prit peur et, dans un moment d’affolement qu’il regretta par la suite, il donna sa démission dès les premiers mois de 1899. Je me laissai de mon côté atteindre par l’écœurement de ce qui venait de se passer. De plus on me harcelait « au nom du patriotisme » pour que l’athlétisme français pût se présenter en 1900 « uni et sans fissures » Je cédai et j’eus tort.



  1. J’ai raconté plus haut comment, au Congrès de 1894, la date de 1900 parut trop éloignée et comment nous fûmes conduits à proposer la date de 1896 et le choix d’Athènes dans l’inauguration des olympiades nouvelles.