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Une Révolte au pays des fées/15

La bibliothèque libre.
Éditions Albert Lévesque (p. 103-108).

XV

MESSIRE POLICHINELLE EN QUÊTE
D’UNE VENGEANCE



DEPUIS une semaine, la belle Aube habitait un obscur couloir de la caverne du Lac-Saint-Jean. On l’avait enfermée sans l’entourer auparavant du moindre confort. Louison et Cloclo avaient été conduits dans une pièce voisine après avoir été non moins rudement traités. Toute communication avait été interdite entre les captifs. Parfois, le soir, Aube entendait les plaintes de Cloclo, auxquelles se mêlaient les cris d’indignation de Louison.

Depuis une semaine également, la douce princesse, anxieuse, les yeux pleins de larmes, se tenait penchée sur un petit enfant que le ciel avait mis, dès la première nuit de son arrivée, entre ses bras tremblants. Oh ! qui aurait prévu pour ce descendant d’une lignée de rois puissants, pour ce fils adoré à l’avance du duc de Clairevaillance, une aussi humble, solitaire et périlleuse naissance ?

Deux fois le jour, la gardienne de la princesse, la Sorcière d’Haberville, soulevait la pierre d’entrée. L’insulte à la bouche, elle pénétrait. Elle déposait sur un roc énorme servant de table, un cruchon d’eau, du pain noir, et une nouvelle torche fumante. Elle faisait ensuite le tour de la caverne. Elle regardait partout avec méfiance.

Jusqu’ici, la princesse avait pu dissimuler, sous un coin de sa paillasse, placée au fond de la pièce, le bébé endormi. Elle frémissait à chaque nouvelle visite. Elle n’osait rien conjecturer sur ce qui surviendrait au premier cri poussé par le petit innocent. Tout ce qu’elle pouvait affirmer, c’est qu’on lui enlèverait la vie plutôt que de permettre qu’on touchât même à un petit doigt du tendre agneau, qui était tombé, un soir, au milieu de loups dévorants.

Un matin, à l’aube, alors que la princesse se penchait à son ordinaire sur la mince figure de son fils, elle entendit près d’elle fuser un rire aigu. Au même moment, une lourde pierre se détachait de la muraille et tombait presque à ses pieds.

La princesse se trouva debout, étouffant un cri d’épouvante. Puis, non sans maladresse, vivement, elle vint se placer devant son fils qui s’éveillait en geignant.

Le rire reprit. Messire Polichinelle apparut dans le trou béant du mur. Il regarda, puis sauta dans la pièce et s’approcha de la princesse, joyeux et sautillant, une chanson sur les lèvres. Il s’inclina profondément. On n’aurait su vraiment, à la cour du roi Grolo, se montrer ni plus respectueux, ni plus gracieux.

« Madame, dit-il, sachez-le tout de suite, vous n’avez rien à craindre de moi. Vous avez en l’humble seigneur Polichinelle le plus dévoué comme le plus difforme de vos serviteurs. Voyez, je ne vous demande en ce moment que cette faveur : vous venir en aide. Vous êtes une fière et noble dame, je le vois. Mais justement à cause de cela, vous voilà plongée dans une peu commune détresse. Des ennemis féroces, assoiffés de vengeance, vous entourent, vous épient. Mais… qu’entends-je ? Ciel ! Un enfançon ! Ici !

— Chut ! messire Polichinelle ! Vous surprenez mon douloureux secret. Oui, celui que vous apercevez là, sur cette paillasse humide, enveloppé d’un manteau de bure, c’est le fils du duc de Clairevaillance, le petit-fils du riche et puissant roi, Grolo-le-bon.

— Oh !… Que Votre Altesse me pardonne ! Je me suis présenté trop cavalièrement devant elle tout à l’heure. Car c’est bien à celle que l’on appelle la belle princesse Aube que j’ai l’honneur de parler, n’est-ce pas ? Je lui offre de nouveau, de tout cœur, l’appui de mon être chétif, sans grâce, mais non sans ressources d’esprit, non sans d’énormes sacs à malice, allez, !

— Merci, messire.

— La lutte sera dure, Madame, plus dure sans doute que vous ne le prévoyez. Voyons, vous vous doutez bien que cette vieille peste de sorcière. Oh ! pardon, Votre Altesse, mais je tiens voyez-vous, à cet affectueux vocabulaire, vous pressentez bien qu’une telle canaille parcheminée ne traitera pas en douceur votre royal poupon.

— Messire, de grâce !

— Hélas ! Votre Altesse doit regarder en face son malheur.

— Mais, n’y auraitil pas moyen, que la Sorcière ignore cet événement quelques temps encore ? Vous m’offriez votre aide tout à l’heure.

— Je vous supplie de nouveau de ne pas la refuser.

— Eh bien, voulez-vous vous employer à cacher à tous la naissance de mon enfant ? D’ailleurs, le duc, mon époux, va sûrement tenter quelque projet de délivrance. C’est l’affaire de quelques jours, peut-être.

— J’ai grand’peur, Votre Altesse, que Monseigneur le duc, au contraire, n’arrive trop tard. Je suis même. étonné que les sortilèges de notre méchante gale ne lui aient pas encore révélé la venue de ce jeune hôte.

— Que faire alors, mon Dieu ? que faire ?… Ô pauvre brebis innocente ! Mes bras ne pourront te presser longtemps !… Messire, messire, vous ne songeriez pas à autre chose…

— Votre Altesse veut-elle m’accorder sa confiance, sa pleine confiance, quoi qu’il arrive, quoi que je fasse, quoi que je dise ? Vous m’entendez bien ? scanda Polichinelle en regardant en face la princesse.

— Oui, seigneur. Je vous entends et veux croire en vous. Vous n’aurez pas la cruauté de tromper une mère malheureuse.

— Qui sait, Votre Altesse ?… Mais je serai franc. Un autre mobile me pousse. J’ai une revanche à prendre sur vos ennemis, qui sont aussi les miens, pour l’instant… La pitié remue moins le cœur de Polichinelle, allez, que le plaisir d’une vengeance préparée avec soin.
« Vous m’entendez bien ? » scanda Polichinelle en regardant la princesse.

— Ne parlez pas ainsi, messire.

— Bah ! La vertu et moi, il y a belle lurette que nous sommes brouillés. Mais… silence ! Voilà notre chipie édentée qui vient.

— Partez, partez vite, Seigneur. Je le préfère. Oublions nos conventions. J’ai peur ! gémit dans un souffle la princesse.

— Pourquoi avez-vous peur, Madame ? repartit paisiblement Polichinelle. Il alla s’asseoir sur la pierre écroulée du mur, en s’adossant de son mieux à la muraille.