Une Révolte au pays des fées/16

La bibliothèque libre.
Éditions Albert Lévesque (p. 109-114).

XVI

LE SUPPLICE DE LA PRINCESSE AUBE



LA Sorcière entra en traînant les pieds. Elle s’arrêta sur le seuil, un peu interdite en reconnaissant le visiteur que recevait la princesse.

« Vilain Sire, que faites-vous ici ? grogna-t-elle. Allons, houp ! dans votre nid, de l’autre côté de ce mur. Vous vous êtes donné un mal inutile. Je ferai tout remettre en ordre demain par les Cyclopes. Vous n’y pourrez plus toucher, je vous le promets. »

Polichinelle ne répondit pas, ne bougea pas. Son regard malin exaspéra la sorcière.

« Misérable avorton, hurla-t-elle, hors d’ici ou j’appelle mes dogues ! »

La princesse ne put y tenir. » Non, non, ne faites pas cela… Je vous en prie, messire, ajouta-t-elle en se tournant vers Polichinelle, partez, partez avant. »

La Sorcière fut prise d’une belle rage à ces mots.

— De quoi vous mêlez-vous, jeune sotte ? Ne dirait-on pas que ce ridicule bossu vous agrée ?

Hélas, à cet instant le bébé se mettait à pleurer doucement.

La stupéfaction de la Sorcière fut complète. Elle en laissa choir cruchon, pain, eau, lanterne.

La princesse prit son enfant dans ses bras. Elle vint s’agenouiller devant la Sorcière.

« Grâce ! » bulbutia-t-elle. Elle tremblait. Ses dents claquaient. Le moment si redouté par elle était venu…

« Ah ! ah ! ah ! ricana la Sorcière qui se remettait. Votre Altesse ne se prive de rien en prison… Ce petit compagnon est une trouvaille… Mais vous allez voir ce que je sais faire de tels invités. En outre, celui-ci se trouve un rejeton maudit de Grolo, un futur ennemi, par conséquent, de mon illustre alliée, la Fée Envie !… Dommage qu’Envie ne soit pas ici ! Dommage, vraiment !

— Mon Dieu, mon Dieu ! murmurait la princesse. »

Polichinelle s’approcha. Il recula non sans rudesse la princesse. Il se planta droit devant la Sorcière.

« Halte-là, douce amie, prononça-t-il avec ironie. Vous allez un peu vite en besogne. Ce royal poupon appartient aux trois fées qui nous dirigent. Son sort est entre leurs seules mains. Alors comme deux d’entre elles sont absentes, il ne nous reste plus à consulter que l’impotente Carabosse. C’est elle qui se chargera de juger cette cause. Je cours la chercher. »

La princesse poussa un cri terrible, puis s’affaissa.

Quel regard étrange, Polichinelle jeta sur cette forme prostrée !… Il n’en continua pas moins à parler avec une malice consommée.

« Hein ! Sorcière, ma porte d’occasion que vous avez blâmée tout à l’heure, elle n’avait pas été pratiquée en vain ? La Fée Carabosse sommeille là, tout près. Elle n’a que quelques pas à faire pour nous rejoindre.

— C’est bon, Polichinelle, grogna la Sorcière. Fais diligence.

Polichinelle venait à peine de franchir la muraille, qu’il repassait la tête dans le trou béant.

« Écoutez, Sorcière, si vous ne me promettez pas que demain pas un seul de vos fripouilles de cyclopes ne touchera à ce mur, je ne marche plus… C’est dit ?

— Pourquoi me demandes-tu cela ? Quel est encore ce tour de ta façon ?

— Sorcière, ton imagination baisse. Comment tu ne devines pas que j’ai besoin de ce passage pour venir fidèlement chaque jour tenir cette jeune femme au courant de l’original traitement que nous ferons subir à son fils ?

— Ah ! ah ! ah ! bravo, Polichinelle ! s’exclama toute réjouie la Sorcière. Allons, file maintenant. Je promets ce que tu veux. »

La princesse dont l’évanouissement n’avait pas duré, pleurait silencieusement, la tête courbée sur le front de son enfant. Tous ces propos cruels perçaient son cœur. Mais elle ne voulait plus s’abaisser à prier ces ignobles persécuteurs. Polichinelle lui semblait particulièrement odieux ! Il l’avait trompée avec plus de raffinement que personne. Ah ! tout croulait, autour d’elle, tout s’éteignait au ciel… Elle demeurait seule, bien seule dans l’abandon, les larmes, le martyre… »

Polichinelle exécuta de point en point le plan qu’il venait d’exposer. Il reparut en compagnie de l’affreuse Carabosse, toute geignante d’avoir été réveillée une fois de plus dans l’espace de quelques heures.

Polichinelle se moqua. « Ma générale, vous sembliez aux anges pourtant, il y a peu d’heures lorsque vous plongiez dans le sommeil cette petite terrienne, jeune, gentille, jolie, répondant au nom de Cloclo.

— Te tairas-tu, insolent bossu ! Trêve de belles phrases !… Amène-moi cette proie nouvelle. Tout de suite. Elle n’est pas au-dessus de quinze ans, n’est-ce pas ? Je t’ai averti. Mes maléfices sont fort affaiblis, tout comme moi.

— Vous allez voir, au contraire, ma générale, quel petit personnage merveilleux, inespéré, je soumets à votre enchantement. Tenez, voyez-moi ce poupon, caché entre les bras de la noble dame, là, là, dans ce coin sombre… Ah ! »

Polichinelle se précipita à cet instant vers la princesse. Elle perdait de nouveau connaissance. Avec des mouvements très doux, il la releva, la glissa sur la paillasse et se mit à lui bassiner le front d’eau froide.

La fée Carabosse et la Sorcière, qui s’étaient saisies de l’enfant, ne virent point cette compassion inattendue de Polichinelle. Elles examinaient avec une joie féroce, leur petite victime.

« Voyez donc, Carabosse, dit soudain la Sorcière, un sou d’or est suspendu au cou de ce morveux.

— Un sou d’or ! Folle, va ! C’est un médaillon de prix. Prends-le. Ouvre-le. Il doit y avoir quelques mots d’écrits là dedans. Cherchons bien.

— Oui, vous connaîtrez ainsi le nom de votre futur captif. Il vous faut absolument ce nom ?

— Je ne puis rien sans cela. »

La Sorcière ouvrit le médaillon. Une feuille bleue, très mince, s’en détacha.

— Lis-moi cela, Sorcière. Je dois ménager mes yeux.

— Est-ce que je sais lire, maintenant, un autre langage que celui de mes visions enchantées ? riposta avec aigreur la Sorcière. Appelons Polichinelle. Mais que fait-il là ?… Il est bien tendre tout à coup. Quel filou que ce petit Italien ! Polichinelle ! Ici, maître-fourbe ! »

Polichinelle accourut en haussant les épaules. « Si c’est votre manière de me remercier toutes deux, pour le plaisir que je vous procure, je ne vous en félicite pas. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Lis-nous ce papier. Il appartient au nourrisson.

— C’est le nom du royal poupon, belles dames, un curieux nom, Géo, Géo de Clairevaillance. Il y a aussi un mot adressé au papa au verso de la feuille Comment disposez-vous de tout cela ? Si vous m’en faisiez, cadeau ?

— Non, dit Carabosse, ce joyau restera au cou du nourrisson, une fois endormi… — Remets-lui, Sorcière… Tiens, une seule de mes passes a suffi. Voilà notre mignon inconscient pour un siècle au moins. Allons, filons tous ensemble. Tu ne m’as pas compris, Polichinelle ?… Laisse cette belle dame revenir à elle quand bon lui semblera. …Quel entêté ! Sorcière, aie bien les yeux sur ce mécréant, à l’avenir, n’est-ce pas ? Il sait trop bien passer d’une trahison à une autre. »