Une Révolte au pays des fées/17

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Éditions Albert Lévesque (p. 115-120).

XVII

DON QUICHOTTE ET LOUISON REPARAISSENT



NONOBSTANT toute défense et trompant toute surveillance, Polichinelle venait, chaque jour, passer quelques heures au chevet de la princesse. Fort souffrante, celle-ci était en proie à un délire intense. Elle appelait le duc, lui reprochait son abandon : ou bien, conversant avec lui, elle lui parlait de son fils, le suppliait de courir à sa recherche, jusque dans les airs, car un oiseau noir au bec crochu l’y avait entraîné.

Polichinelle soignait la jeune femme avec un dévouement dont se seraient montrées fort surprises Carabosse et la Sorcière si elles avaient pu le voir à l’œuvre.

Sept longs jours se passèrent. Enfin, un soir, la conscience revint à la princesse. Elle se mit à suivre du regard tous les mouvements de Polichinelle, mais sans ouvrir la bouche. Elle refusait de plus, avec une sorte d’horreur, tout ce qu’il lui présentait.

Polichinelle ne se sentit plus capable, bientôt, de soutenir ce regard fixe, anxieux, terrifié. « Madame, dit-il à Voix respectueuse, soyez-moi miséricordieuse, …ne fut-ce qu’un instant. Laissez-moi m’expliquer. …Vous ne le voulez pas ? Si vous saviez, ce que ma mystérieuse conduite vous a épargné. …Les apparences seules me condamnent. …Comme vous avez vite oublié nos conventions : Avoir confiance, quoi que je dise, quoi que je fasse ! …Vous dites ? …Demain, demain vous m’écouterez. Merci, noble dame. …Je m’en vais. …Reposez-vous bien cette nuit. …Il y a de l’eau fraîche dans votre cruchon. …Je serai ici avant l’aurore, vous pouvez y compter ! Bonsoir, noble dame ! »

La princesse, le lendemain, n’interrompit pas une seule fois le récit de Polichinelle. Elle semblait atterrée. Soudain, celui-ci déclara : « Votre Altesse ne s’en doute pas, je suis sûr, mais une grande offensive se prépare. La reine des Fées et le roi de Génies ont rassemblé leurs forces. Ils vont sévir et fondre sur nous. Courage ! Peut-être vos peines cesseront-elles demain, madame ! »

Toute pâle, dressée sur son séant, la princesse s’écria : « Que dites-vous là ?… Qu’en savez-vous ? Qui vous a prévenu ?

— Un nouveau prisonnier, Votre Altesse. On vient de l’amener. Perfidement, on l’a fait bavarder. Dites, Madame, connaissez-vous un brave, amusant et un peu ridicule seigneur espagnol, répondant au nom de Don Quichotte de la Manche ?

— Don Quichotte est ici, s’exclama faiblement la princesse. Ah ! le pauvre malheureux ! Ce qu’on va abuser de ses chevaleresques dispositions ! Ce qu’on va exploiter sa folie de bravoure à tout prix !

— Oui, ajouta d’une voix sombre Polichinelle, le mal est déjà fait. Rageuse et Envie vont convoquer tous leurs amis. Grace aux quelques mots imprudents prononcés par le noble hidalgo, joints aux enchantements de la Sorcière d’Haberville, ça ne sera plus qu’un jeu, pour elles, maintenant, de faire face à toutes représailles.

— Ô ciel ! gémit la princesse.

— Ne vous alarmez pas, Madame. Voyez-vous, on a compté, cette fois encore, sans Polichinelle. On m’a tenu à l’écart de façon méprisante. Je m’en vengerai. Je m’en vengerai, je vous l’ai dit déjà.

— Que pouvez-vous, Seigneur Polichinelle ?

— Certaines petites choses, fort nuisibles, Votre Altesse. Tenez, tout à l’heure, je vais faire parvenir un message de ma façon aux trois frères géants du Saguenay, ces alliés des Bonnes Fées. Ils ont été réveillés, du haut du Cap Éternité, de leur lourd sommeil de pierre. « Leurs yeux flamboient à des milles et des milles de distance », nous a appris le seigneur de la Manche. Je les atteindrai bien, ces géants, grâce à mon code secret de signaux. Mais… silence ! On vient. Fermez les yeux… et les oreilles ! Ne vous blessez pas de grâce, d’aucune de mes paroles. Confiance ! »

La Sorcière d’Haberville entra, suivie de Don Quichotte fort penaud, et de Louison qui vint se jeter en pleurant aux pieds de la princesse. « On a enlevé Cloclo d’auprès de moi, belle princesse ! » souffla-t-il…

Don Quichotte poussa une exclamation de surprise et vint s’incliner jusqu’à terre devant la royale jeune femme.

« Vous ici, Madame !… Quelle peine de vous voir en un pareil logement. Voyons, Madame la Sorcière, dit-il en se retournant vers celle-ci, à quoi pensez-vous de mettre ainsi sur la paille la fille d’un roi puissant ?

— Vous y resterez vous-même, dans ce logement, insolent chevalier, bougonna la Sorcière. De plus, l’on fera murer ce coin. Vous y crèverez tous de faim. Voilà le sort que vous réserve la Fée Envie.

— Exquise, elle est exquise, cette Envie, murmura en riant Polichinelle.

— Allons, suis-moi, toi, avorton, dit la Sorcière à Polichinelle. Les cyclopes sont là, tout prêts à faire leur travail. Ces emmurés n’ont pas besoin de témoin pour se livrer aux grimaces de circonstance.

— Et si je choisis de demeurer, ma douce ? insinua Polichinelle, en riant de plus belle.

— À ton aise. Personne ne te regrettera.

— Bien. Je reste.

— Grâce, au moins pour cette jeune dame, dure geôlière, pria Don Quichotte. Je vous en supplie, épargnez-la ! Que votre courroux redouble pour moi, en retour.

— Oui, oui, grâce pour notre princesse chérie, madame, cria Louison.

— Ah ! ah ! ah ! voilà que l’on vous atteint dans vos sentiments chevaleresques envers les dames, monseigneur, s’esclaffa Polichinelle en venant toiser railleur, le long Don Quichotte. Bravo ! Mais, il est bien inutile, allez, que vous vous abaissiez ainsi devant notre jaunâtre amie. Voyez, elle nous quitte, sans même desserrer les lèvres… Hé ! hé ! mon amie la Sorcière, faites un peu patienter les cyclopes, hein, je n’en veux point, d’ici à une heure, vous m’avez compris ? Carabosse m’attend. Je cours la prévenir de notre malheureux sort. »

La sorcière revint sur ses pas. « Tu vas rester ici, fripouille, rugit-elle. Carabosse sera prévenue, par moi. Et réfléchis bien encore. Je te donne un quart d’heure, un quart d’heure seulement, pour revenir sur ta décision. Mes cyclopes entreront ces quelques minutes expirées, que tu le veuilles ou non ! Tu m’as entendu ?

— Comment, mais comment donc, prophétesse charmante ? » murmurait Polichinelle en la reconduisant, avec force plongeons et baisers de sa main grassouillette.