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Une Révolte au pays des fées/23

La bibliothèque libre.
Éditions Albert Lévesque (p. 153-160).

XXIII

LES DERNIERS GESTES DE POLICHINELLE



UNE effroyable décharge électrique en s’abattant soudain sur la caverne épargna à Polichinelle la peine d’inventer quoi que ce soit. La plupart des torches fumeuses s’éteignirent, renversant, comme morts, des centaines de lutins. Des clameurs horribles se firent entendre, suivies d’appels vibrants : « Aux armes ! Aux armes ! À l’instant ! Sortons ! Sortons d’ici ! » Le désordre fut général. Chacun courait, vociférait, se groupait au petit bonheur sous la conduite des génies, des ogres et des vieux sorciers expérimentés. On se réveillait enfin, et pour tout de bon cette fois. On admettait l’imminence du péril, trop tard, hélas !

Polichinelle profita des cris, des allées et venues pour s’entretenir sans témoin avec le duc. Il lui remit avec prestesse son petit théâtre de marionnettes. Ne venait-il pas au moyen d’une représentation interrompue de sauver la princesse Aube, son fils, Louison, Cloclo et Don Quichotte. Car tous, sous leur déguisement de marionnettes, se trouvaient blottis au fond du théâtre minuscule. Polichinelle, dans un souffle, expliqua au duc, ce que ce don signifiait pour lui : « Filez, monseigneur, filez vite avec vos trésors. Vous emportez avec vous, dans ce théâtre, tout ce que vous chérissez le plus au monde. Ah !… Vous doutez encore ? Il ne faut pas. Écoutez-moi, vous répéter les mêmes petits faits sauveurs. Je vais parler bas, parce que haut, ce serait dangereux. La princesse Aube, votre fils, Louison, Cloclo, Don Quichotte, d’autres encore, ont été glissés par moi, grâce à un enchantement, dans l’intérieur des petites marionnettes fabriquées à leur image et à leur ressemblance. Personne, ah ! ah ! ah ! ne s’est douté du stratagème que j’opérais, tandis qu’on nous emmurait sans pitié. Le bon tour !…

Voici d’ailleurs ce qui s’est passé : avec l’aide d’Alice du pays des merveilles et Mr Gulliver du royaume de Swift, accourus ici, grâce à mon code secret de signaux, nous avons tous été métamorphosés en êtres infiniment minuscules. Nous avons pu, bientôt, circuler facilement entre les crevasses séculaires de la caverne. Une fois délivrés, nous nous sommes concertés : J’ai repris ma forme naturelle et proposé ce jeu de marionnettes révélateur, qui était bien de nature à flatter l’assemblée, si la tentative était habilement menée. Vous venez de voir que tout a réussi au delà de nos espérances. Et personne, personne, n’a compris ou deviné le double jeu que je conduisais. Ah ! ah ! ah ! le malin, le bon tour de Polichinelle. J’excepte pourtant la Sorcière d’Haberville. Elle aurait tout deviné, si elle avait été ici tout à l’heure. Mais elle était absente heureusement et n’a pu me pincer, à l’aide de ses fioles, en cette heure de délivrance. Bien. Vous me comprenez maintenant, duc ? Fuyez alors vite ! La Reine des Fées achèvera s’il y a lieu, et selon vos désirs, ce que j’ai si bien commencé. Filez, filez…

— Mais vous, vous, Polichinelle, qu’allez-vous devenir ? balbutiait le duc, en saisissant la menotte de vieil ivoire du bossu.

— Moi ! Peuh ! Qu’importe, qu’importe, monseigneur, ce qui m’arrivera, voyons. Mais, si, il importe. Je vais essayer de réparer quelque chose de mon acte de trahison envers les miens, car, je les ai bel et bien trahis en vous aidant à fuir. Une fois, tous les otages envolés, que voulez-vous que nous devenions devant la reine des Fées, devant le roi des Génies ? Pauvre, pauvre Polichinelle, pour une fois que tu fais le bien, tu le fais au prix d’une trahison, en te riant de tout et de tous… Ah ! ah ! ah ! la vertu comme le vice semble se moquer de moi, m’échapper. Adieu, duc. Notre fin approche. Ce nuage jaune et noir que la porte entr’ouverte nous permet de voir, annonce notre extinction finale… Amis, compagnons, tous, tous, ajouta-t-il en se tournant subitement vers ses proches voisins qu’il voyait paralysés par la terreur, écoutez-moi, soyez braves, aidez à Polichinelle à tenter un dernier effort de salut. Tenez, la Fée Bienveillante hésite sur le seuil de notre porte. Saisissez-la ! Hâtez-vous !… Sorciers, cyclopes, lutins, à la rescousse ! Qu’elle périsse avec nous, du moins celle-là ! Car le duc, lui, est hors de nos atteintes… La Reine des Fées, en versera-t-elle des larmes en voyant sa favorite et parente, péniblement châtiée avec nous !… Bravo ! lutins… Entraînez-la avec célérité maintenant. Cette fée est par trop candide ! »

On n’eut aucune peine à lier la fée. Elle souriait tristement en les considérant tous.

« Pauvres révoltés, dit-elle enfin. Vous n’empêcherez rien par votre dernier geste de méchanceté. Rien ! Et je demeure volontairement au milieu de vous, allez !

— Fée Bienveillante, vint dire insolemment Polichinelle en baisant une main qu’on ne pouvait lui retirer, vous plaiderez bien notre cause, quand l’heure sonnera, rien qu’en plaidant la vôtre. Votre nom vous y oblige. Bienveillante ! Ne vous appelez-vous pas, Bienveillante ? Hé ! les amis ! Nous embêterons à fond, au jour de la rétribution, nos éminentissimes et vertueux souverains en lui faisant voir cette proie magnifique. Madame, madame, que votre présence au milieu de nous est un honneur et un gage précieux.

— Bravo ! Polichinelle ! Peut-il être grand seigneur, ce petit, criaient ses proches voisins.

— Mes amis, je n’ai plus rien à ajouter. Maintenant, sortons ou mourons ici en braves !

— Sortons ! sortons ! cria-t-on de toutes parts.

— Toi aussi, Polichinelle, crièrent les lutins. Laisse la fée se débrouiller comme elle le pourra.

— Certes, non ! répliqua Polichinelle. Je suis un galant homme et n’abandonne pas une femme en détresse. Je vous dirai de plus… »

Mais Polichinelle ne put jamais finir les mots qui allaient illustrer sans doute une dernière malice. Avec un bruit d’enfer et accompagnée d’une pluie de feu, la foudre tomba sur la caverne. L’effroyable décharge électrique eut vite changé en un immense champ de cendre chaude l’emplacement des quartiers généraux des rebelles. Plus de trace de rien. Tous les habitants merveilleux s’étaient enfoncés instantanément dans les entrailles de la terre avant même de l’avoir pleinement compris et senti.

Un grand silence mélancolique succéda, durant une heure, à la tempête. Puis de légers vrombissements se firent entendre. Des avions en nombre infini parurent et survolèrent le lieu du sinistre. D’abord, ce furent de grands navires ailés, de ton bleu, vert et or sous le commandement de l’Oiseau bleu. Les occupants en laissèrent tomber une fine pluie tamisée. Elle refroidit aussitôt le champ de cendre et le transforma en quelques minutes, partie par partie, en un gazon velouté. Ce fut ensuite le tour des avions blancs et argent sous la conduite de Peter Pan, de Petit Poucet et du Bon Petit Diable. Ils lancèrent sur le gazon des roses, des lis, des violettes et en telle abondance, qu’ils parfumèrent à l’instant l’atmosphère soufrée d’il y avait à peine une heure. Dans le même moment, un peu plus loin, des profondeurs d’un précipice, sortaient une procession innombrable de gnomes, de lilliputiens et de petits génies, chargés d’or, de pierreries, de sièges exquis, faits de nacre si pure, si irisée, qu’elle en éblouissait les yeux. Au milieu de ces nains aux pas vifs et sautillants, aux lèvres chantonnantes, resplendissait un minuscule équipage. Il était d’ivoire et de corail et traîné par des hermines caparaçonnées de perles, de diamants et de petits coraux. Sur les coussins de velours blanc, on y reconnaissait, souriants, un peu émus, des gnomes, Petite Poucette, Alice du pays des Merveilles, Louison, et Cloclo enfin réveillée. Les petits personnages féeriques tenaient à ne pas se séparer, fût-ce un moment, durant les fêtes de la victoire, de Louison et de Cloclo, les petits terriens, qui achevaient, hélas, leur séjour au pays des belles histoires.

Enfin, une musique, une harmonie d’une suavité incomparable, résonna dans le lointain de la forêt. Elle annonçait l’arrivée de la reine des Fées et du roi des Génies à l’endroit même de la catastrophe. Les misérables rebelles devaient renaître au lieu de leurs forfaits, dont le dernier, l’humiliation de la Fée Bienveillante, avait percé d’un glaive le cœur de la reine. La Fée Bienveillante renaîtrait elle aussi, bien entendu, et un accroissement de puissance lui serait aussitôt attribuée. Il fallait qu’à l’avenir la belle cousine de la Reine des Fées, fut à l’abri d’une nouvelle et malencontreuse humiliation, telle que celle qu’elle venait de subir par la faute du seigneur Polichinelle.


« Jamais défilé ne fut si long, si prodigue en couleurs. » ◁Texte▷