Une Révolte au pays des fées/24

La bibliothèque libre.
Éditions Albert Lévesque (p. 161-).


XXIV

LA VICTOIRE ET SON INCOMPARABLE
DÉFILÉ



À quelques jours de là, se célébrèrent les fêtes somptueuses, et les réjouissances de toutes sortes, au Versailles des Fées, situé dans le royaume de Perrault. Les plus belles fées du monde entier, les génies les plus puissants tinrent à présider, à tour de rôle, les réceptions et les agapes, données à l’occasion de la victoire récente, puis du juste traité de paix de Versailles, puis enfin, des centenaires de plusieurs royaumes merveilleux. Ils avaient été fort retardés comme l’on sait, par la révolte des sorcières, ceux entre autres, de Charles Perrault, de Jules Verne, de Zénaïde Fleuriot, de Hans Christian Andersen.

Deux mémorables manifestations marquèrent ces journées de triomphe et d’apothéose.

La première, ce fut sans contredit, le rassemblement, au grand complet, dans la salle des délibérations, de toutes les nations merveilleuses existantes. Les nouveaux royaumes furent alors admis, sans contestation cette fois, dans l’enceinte du palais des nations, en très grande pompe. Il n’y eut pas la moindre note dissidente, lorsque l’on proclama la naturalisation, comme citoyens du pays des belles histoires, de tous les personnages des royaumes de Zénaïde Fleuriot, de Jules Verne, du Père Fin, de Mark Twain, de Mme Beecher-Stowe, de Mistress Cummins, de Dickens et de combien d’autres encore !… On applaudissait chaque fois, on se donnait l’accolade, on couvrait de fleurs et de joyaux les nouveaux arrivants. Don Quichotte réclamait l’anoblissement pour tous, et l’épée de chevalier, en plus, pour les soldats. On n’eut garde de peiner le fastueux hidalgo par un refus trop ostensible, mais il comprit de lui-même, en voyant les subtils sourires de chacun, que les titres de noblesse ne signifiaient pas grand chose au pays des nations merveilleuses. La noblesse de cœur de tous ces victorieux du moment suffisait bien. Aucun d’eux, d’ailleurs, ne voulait renier son origine, ou bourgeoise, ou plébéienne, quelque modeste qu’elle fût. Mais on acclama tout de même le Seigneur de la Manche, dont l’intention avait été si droite, si flatteuse pour tous. À un certain moment, l’on amena devant l’assemblée, quelques-uns des vaincus. Mais ces grands cœurs furent si peinés de ce spectacle, qu’on fit ressortir tout de suite les pauvres malheureux non sans avoir décidé de les délivrer de leurs chaînes et d’adoucir autant qu’on le pouvait leur sort affreux. On fut inflexible, cependant, quant à la question des pouvoirs enchantés à leur confier : « Non, non, non, crièrent d’un commun accord tous ces bons cœurs rassemblés, l’esprit du mal est trop actif chez tous ces misérables. »

« Les méchants ne sont relativement heureux, en notre monde, précisa la Reine des Fées, comme ils le sont en celui des humains, que lorsque la liberté leur est mesurée. La discipline merveilleuse de la bonté, devant leur manquer à jamais, nous agissons dans l’intérêt même de ces vaincus du cœur en leur refusant d’agir comme bon leur semble ! »

L’assemblée entière se leva pour approuver la grande et noble reine et l’acclamer longuement.

Le deuxième événement qui demeura digne d’être enregistré, en lettres d’or, dans les archives du secrétariat du Palais des nations merveilleuses, fut le brillant, l’étincelant défilé de la victoire.

Bien entendu, Louisan, Cloclo et leur papa furent les invités de l’Oiseau bleu pour les fêtes. Ils avaient accepté de prolonger encore quelques jours leur promenade, riche en aventures, au pays des belles histoires. Ils ne le regrettèrent certes pas.

Jamais défilé ne fut si long, si émouvant, si prodigue en couleurs, en visions extraordinaires de toutes sortes. Louison, Cloclo et leur papa purent jouir de ce spectacle unique, du haut de l’avion de Peter Pan, en la compagnie de celui-ci, et de petite Poucette. Ces deux derniers avaient fait gaiement leur sacrifice de ne pas paraître dans le défilé. Ils se réjouissaient à l’avance de pouvoir désigner à leurs amis terriens, sans jamais errer, tous les personnages bons ou mauvais qui allaient parader sous leurs yeux.

Des trompettes et des cors joués par des chevaliers blancs de la Table-Ronde, s’entendirent de fort loin d’abord. Puis, tous les héros de la chevalerie légendaire et héroïque parurent. Ils caracolaient avec quelle grâce sur leurs coursiers parés de joyaux et de plumes aux couleurs vives. On admira fort la prestance du Chevalier du Léopard qui causait avec un Sultan d’Orient. Puis, les beaux guerriers du chanoine Schmid suivirent… Les royaumes de Grimm, d’Andersen, de Swift, de Perrault, de Mme Leprince de Beaumont, de la comtesse d’Aulnoy, des Mille et une Nuits, du Filleul du roi Grolo, où rayonnaient la belle Aube et son fils, furent longuement acclamés chacun à leur tour. Quelques personnages célèbres furent reconnus au passage, et salués avec des cris de joie : Don Quichotte d’abord, avec Sancho Pança à jamais confus de son tour de « chasse-galerie ; » Robinson Crusoé et Vendredi ; Alice du pays des Merveilles donnant le bras au petit Lord Fauntleroy ; Éva et l’Oncle Tom ; l’Allumeur de réverbères ; les Enfants du capitaine Grant ; la bonne Bécassine, de la Semaine de Suzette, toute rouge de timidité et portant les bagages de Madame Grand-Air, qui elle, souriait avec aisance à tous. Les Fées de la terre canadienne, suivies du Petit Page de Frontenac, de Perrine et de Charlot, de Jacques et Jeannine de « Par terre et par eau » eurent à enregistrer un beau triomphe de sympathie. « Vive le Canada ! Vivent les Canadiens ! » criait-on à rendre sourds les assistants.

Les nouveaux royaumes affiliés apparurent alors, sauf celui de Schmid, déjà passé en compagnie des premiers groupes ; on les énuméra tous avec quel plaisir ! Ils avaient été à la peine, à l’heure où les esprits méchants leur refusaient l’entrée de ces royaumes, ils n’en étaient que plus heureux, aujourd’hui, étant une cause d’honneur, non seulement pour eux, mais pour tous et chacun des êtres merveilleux qui les entouraient en les célébrant.

Ce fut ensuite le défilé de tous les animaux enchantés, Cadichon en tête. Dans une voiture, la Fourmi en grand costume de cour, saluait sans arrêt.

Enfin, les vaincus défilèrent précédant ou accompagnant les somptueux chars d’or, enchâssés de rubis et de diamants de la reine des Bonnes Fées et du roi des Génies Bienfaisants. Petit Poucet, le Petit Chaperon rouge et le Chat Botté, hérauts d’armes avaient été mis à l’honneur, ainsi que deux cordons serrés de gnomes. Au milieu d’eux tous marchaient enchaînées : les fées Envie, Rageuse, Carabosse et la Sorcière du domaine d’Haberville. Polichinelle avait été sauvé du déshonneur par le duc de Clairevaillance, et, redevenu jouet, était destiné à faire plus tard les délices du fils du duc.

La Reine des Bonnes Fées, sur les instances de la Fée Bienveillante, que Polichinelle n’avait pas invoquée en vain, aurait voulu user de clémence à l’égard des quatre vilaines fées, chefs de la révolte, mais elles avaient repoussé toutes les avances avec tant de colère, d’injures et de malédictions que force avait été de les abandonner à leur ignominie.

Le soir de cette procession splendide eut lieu le banquet d’adieu en l’honneur des voyageurs terriens. Ils quittaient le lendemain, pour toujours, le pays des belles histoires.

Louison et Cloclo virent à leur table tous les enfants des lieux enchantés. On se remémora les aventures vécues en commun. On se promit un éternel souvenir. Louison et Cloclo firent même deux solennelles promesses à la jeunesse de ces pays. Celle d’abord de relire souvent les livres racontant les histoires et les exploits de chacun d’eux ; puis, celle de répandre ces mêmes livres chez tous leurs chers petits compatriotes. « On les aimerait tous bientôt, autant qu’eux, Louison et Cloclo, les aimaient, » ajoutèrent ceux-ci fièrement. « On a de grands cœurs fidèles au Canada ; on a, en plus, par privilège de race, étant nés Français, le goût des beaux récits bien composés, bien sentis, bien racontés. »

Et ce fut l’accolade suprême pour Louison et Cloclo, avec chacun de leurs amis attristés ; depuis Petit Poucet qui pleurait à chaudes larmes, jusqu’à Petite Poucette, qu’il fallut sortir de force de la poche de Cloclo où elle s’était cachée.

Enfin le soir même, à l’heure dite, l’Oiseau bleu, le fidèle aviateur, ramena dans la nuit étoilée, Louison, Cloclo et leur papa. Sur le toit de la maison, fleuri de roses, la maman les reçut en pleurant de bonheur, tandis que là-bas, dans le ciel, paraissait la silhouette de saint Nicolas, la main levée, en une dernière et tendre bénédiction.


LISTE DES PRINCIPAUX OUVRAGES À LIRE


ANDERSEN (Hans Christian). — Contes. Paris, Hachette. (Bibliothèque Rose).

AULNOY (Mme d’). — Contes de fées. Paris, Laurens.

CERVANTES (Michel de). — Le Don Quichotte de la jeunesse. Paris, Garnier. (Bibliothèque enfantine).

DAVELUY (Marie-Claire). — Le Filleul du roi Grolo. Montréal. Bibliothèque de l’Action française.
Sur les ailes de l’Oiseau bleu. Montréal, Éditions Albert Lévesque.

FEUILLET (Octave). — Vie de Polichinelle… Paris, Hachette. (Bibliothèque Rose).

GASPÉ (Philippe Aubert de). — Les Anciens Canadiens. Montréal. Beauchemin.

MAXINE, pseudonyme de Mme Taschereau-Fortier. — Les Fées de la terre canadienne. Montréal, Éditions Albert Lévesque. (Série « Les Récompenses »).

MILLE (Les) ET UNE NUITS. Montréal. Beauchemin.

LES LÉGENDES CANADIENNES.

PERRAULT (Charles). — Contes. Paris, Laurens.

SÉGUR (Comtesse de). — Nouveaux Contes de fées. Paris, Hachette. (Bibliothèque Rose).

N. B. — Consulter, en outre, la liste des ouvrages insérés dans le volume ci-dessus mentionné : Sur les ailes de l’Oiseau bleu, p. 193-203.