Une Révolte au pays des fées/5

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Éditions Albert Lévesque (p. 35-40).

V

LES CHEVALIERS DU CAMP ENCHANTÉ



LOUISON et Cloclo, ces petits Canadiens, en promenade au pays des belles histoires y avaient été surpris par la guerre, comme l’on sait, avec leur papa, un savant plein de bonté, mais d’une distraction fort savoureuse et vraiment sans remède.

L’Oiseau bleu avait été chargé de veiller sur les terriens inexpérimentés. Afin d’exercer avec plus de facilité sa surveillance, comme de pouvoir y suppléer en cas d’absence, le bel oiseau avait entraîné le papa et les petits au camp enchanté des chevaliers. N’y comptait-on pas quelques-uns des Chevaliers de la Table-Ronde, puis, Ivanhoé, le Chevalier du Léopard, Don Quichotte de la Manche, les Croisés légendaires et les guerriers du Chanoine Schmidt, tels Sigefroi de Brabant, Ethelbert de Tannenbourg, Cuneric de Fichtenberg et Don Fernando, grand d’Espagne. Les enfants admiraient fort ces fiers cavaliers, bardés de fer, dont les cœurs étaient tendres et les rires clairs comme ceux des enfants. « Ah ! que ne lèvent-ils plus souvent leur affreuse visière ! » disait la mignonne Cloclo, qui montait souvent en croupe derrière l’un d’eux.

Louison s’ennuyait. Ses amis, le Bon Petit Diable, Petit Poucet et Peter Pan, avaient été mandés au loin et chargés des messages d’un puissant génie. Louison avait supplié l’Oiseau bleu de lui permettre d’être de la partie. Son protecteur avait refusé. « Trop de risques à courir, petit ami, avait déclaré l’Oiseau bleu en frappant amicalement le garçonnet du bout de son aile. Et puis, je pars demain pour un voyage avec votre père. Je ne pourrai plus veiller sur vous, ni de près, ni de loin. Mieux vaut demeurer dans ce camp où vous comptez de fidèles amis. Je partirai tranquille, allez ! »

Petite Poucette, heureusement, avait été appelée auprès de la princesse Aube. Elle lui servait de fille d’honneur ou de messagère. Aube écrivait chaque jour, une longue lettre, au duc Jean de Clairevaillance, son époux, en mission auprès du roi des Gnomes. Le duc avait confié Aube aux chevaleresques soldats du camp.

Pauvre petite princesse ! Comme elle eût préféré demeurer auprès de son père, le bon roi Grolo, mais la Fée Envie avait réussi à enfermer celui-ci dans les oubliettes de son propre château. Le duc Jean était arrivé chez lui, juste à temps pour retirer sa femme d’entre les griffes des serviteurs de la Fée Envie. À l’aide de son épée, il s’était ouvert un chemin à travers la forêt et avait bientôt installé sa femme sous l’une des tentes du camp. Les chevaliers étaient accourus pour présenter leurs hommages à la petite altesse dont les yeux bleus reflétaient tant d’effroi. Don Quichotte, le premier, déclara, en faisant force moulinets avec son épée, « que malheur arriverait à qui oserait toucher à un seul cheveu de cette gracieuse petite femme ». Les chevaliers présents dissimulèrent leurs rires, comme à l’ordinaire, en présence de ce grand pourfendeur, à la tête un peu folle, mais au cœur généreux. Néanmoins, en quittant la tente princière, eux aussi assurèrent Jean de Clairvaillance et la belle Aube de leurs profondes sympathies. Ils offrirent les services de leurs épées. Le jeune duc avait donc pu s’éloigner, au premier commandement de la reine des Fées, sans vraiment trop d’inquiétude.

Un cri de joie éclata soudain sous la tente de la princesse. Petite Poucette venait d’apercevoir Louison et Cloclo, qui s’approchaient lentement, avec gêne, de la tente. Petite Poucette eut vite obtenu de la princesse Aube, l’autorisation de faire entrer ses amis et de les lui présenter.

La gracieuse Altesse se dit heureuse de saluer en Cloclo et en Louison, enfants canadiens, de chers compatriotes. On causa doucement. Aube se tenait étendue sur un lit de camp, recouvert de velours blanc et vieil or. Une large peau d’ours blanc était jetée sur elle. Des roses rouges, nouvellement reçues, s’y trouvaient frileusement pressées. Partout, autour de la tente, des draperies de soie jaune et d’autres élégantes fourrures, étalaient leur blancheur ou leurs tons d’or. Elle-même, la princesse, était revêtue d’une tunique de soie crème, sous une mante d’hermine. Quatre magnifiques colliers de perles brillaient à son cou et sur sa poitrine. À un de ses doigts, étincelait un énorme rubis, unique bague qui parait ses mains délicates, toujours un peu frémissantes depuis son arrivée au camp. Cloclo demeura bouche bée devant la beauté d’Aube. Les grands yeux mélancoliques de la princesse l’attiraient comme un aimant. Que n’aurait-elle pas tenté pour plaire à cette royale jeune femme, elle, qui n’était pourtant qu’une petite fille sans pouvoir en ces contrées extraordinaires.

Louison ne se montra pas, non plus, insensible devant tant de grâce, mais une gêne insurmontable le paralysait. Il ne savait que dire, que faire, embarrassé de ses bras, de ses mains, de ses regards, qui cherchaient où se poser. Il aurait voulu fuir, mais cela, aussi, semblait à sa timidité une impossible entreprise. Tout à coup, il sentit qu’on le poussait légèrement dans le dos. Il venait de s’appuyer sur la toile de fond de la tente. Il se retourna et vit une main posée sur la lisière. Elle tenait un pli cacheté. Il prit machinalement ce pli, puis de nouveau intimidé, le roula entre ses doigts sans le remettre à la princesse à qui il était adressé. Mais alors, à quelle secousse nerveuse ne se vit-il pas en proie ? Un invisible personnage lui passait doucement, tout le long du dos, une mince canne de bambou. Il endura stoïquement, deux secondes, cinq secondes même, ce malaise d’un nouveau genre, puis, avec un cri, il roula, pris d’irrésistible hilarité, aux pieds de la princesse stupéfaite.

Cloclo se précipita. Elle se pencha. « Louison, oh ! Louison, qu’as-tu ? Ne ris pas ainsi, de grâce, devant son Altesse. Toi, si poli ! Louison, Louison, reviens à toi ! »

Louison se calma peu à peu, puis, se relevant, rouge et fort penaud, il tendit à sa sœur le billet de l’inconnu. « Cloclo, c’est pour Son Altesse, apprit-il dans un souffle, les yeux baissés. Et vite, ayant salué gauchement dans la direction de la chaise longue de la princesse, il courut se réfugier dans le coin le plus obscur de la tente. « Ah ! gémit-il, que je manque mes amis ! Petit Poucet et le Bon Petit Diable comprendraient, eux, mon embarras du moment. Ils m’aideraient à m’esquiver sans que personne ne s’en doute. Mais qui donc vient de me jouer ce tour ? Si je tenais le malotru je lui dirais entre les deux yeux : « Rira bien qui rira le dernier, l’ami ! » Ça n’était pas bête tout de même, et si peu méchant, ce moyen de me faire obéir, de m’improviser facteur. Je raconterai cela au Bon Petit Diable… Quand, hélas ! Ah !… »

Louison venait d’entendre un cri de joie s’échapper des lèvres de la princesse. Elle baisait le billet. Elle le relisait. Petite Poucette, avec sa discrétion ordinaire, s’affairait ici et là, avec Cloclo. Mais du coin de l’œil, toutes deux observaient la princesse.

La voix d’Aube s’éleva. « Venez près de moi, Poucette, vous aussi, petits Canadiens… Louison, regardez-moi… Voyons, pourquoi être si timide ?… Bien. Mon jeune ami, ce billet que vous me remettiez de façon si originale tout à l’heure, ne rougissez pas, je ne vous en veux pas, ce billet me cause un bien vif plaisir. Il est de mon mari. Le duc m’apprend qu’il a enfin mis la main sur un messager de confiance, un gnome, espiègle peut-être, mais si obligeant, rempli d’initiative et de courage »… Ah ! où donc se cachet-il, ce complaisant ami du duc ? Je voudrais le remercier et causer un peu avec lui. Louison, si vous alliez explorer les alentours de la tente. Il ne s’est pas éloigné, je suis sûre, l’excellent petit être. Il devine que je désire l’interroger sur mon duc bien aimé. »