Une Révolte au pays des fées/6

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Éditions Albert Lévesque (p. 41-46).

VI

LE GNOME INCONNU



EENCHANTÉ, Louison se précipita au dehors. Il courut en sifflotant, ici et là. Il examina avec soin chacun des arbres qui se dressaient entre les tentes. Il entendit tout à coup un éclat de rire. Il semblait venir de sous la terre. Le garçonnet se pencha, l’oreille aux aguets. « Pstt ! pstt ! » cria tout près une voix de crécelle. Et Louison entendit chanter une voix chevrotante et comique : « Gosse, oh ! brave gosse, que j’aime que j’ai-ai-me ! Regarde, ici, ici, ici ! Gosse, oh ! brave gosse que j’aime, que j’ai-ai-me ! Regarde, regarde à tes pieds ! » Louison aperçut alors, assis sur la margelle d’un puits destiné au service particulier de la princesse, un singulier petit être. D’une taille de six pouces à peine, il avait une longue barbe blanche, des cheveux de neige sous un bonnet à gland, les traits parcheminés d’un vieillard, de petits yeux noirs, vifs, malins, inquisiteurs, qu’il cachait sous de gros sourcils blancs. De la bure grise recouvrait ce nain de la tête aux pieds ; à son dos, pendait une lourde poche ; sur sa poitrine, retombait une chaîne qui soutenait un sifflet ; enfin, un minuscule poignard en or massif était passé dans sa ceinture.

Louison s’empressa de tendre la main à cet étrange personnage, qui, bien vite, sauta sur le gazon. Durant quelques secondes Louison et le nain se regardèrent avec attention. Le garçonnet se mit à rire. Il était si amusant à observer, ce gnome, car c’était bien là un gnome, le frère de Cloclo se rappelait en avoir vu dans un film enchanté. Comme la main mignonne du petit vieillard tremblait. Elle se posait sur la garde du poignard, ou bien glissait lentement, très lentement, le long de la barbe. Peut-être ce gnome dérobait-il trop son regard ! Peut-être aussi, les minuscules narines, frémissantes, indiquaient-elles une nature avide, curieuse, cruelle… Mais comment ce bon gosse de Louison aurait-il deviné des nuances à peine perceptibles ? Comment surtout se serait-il méfié en présence de l’agréable nain qui venait de le divertir à ses dépens ? Car, il n’y avait pas à hésiter, il voyait bien là, la main qui lui avait tout à l’heure tendu un billet. Il la reconnaissait à la bague ornée d’un immense onyx noir entouré de diamants d’un feu extraordinaire. Puis, autre preuve, la badine qui l’avait fait bondir, rire, se rouler aux pieds de la princesse était encore là, passée dans la ceinture du gnome.

« Salut, Messire, ! fit Louison, à la fois très satisfait et poli. Quoique je ne vous aie pas été présenté, je vous dois déjà beaucoup. Me permettez-vous de prendre une honnête revanche, si l’occasion me favorise ? Mais cela serait irrespectueux pour vos cheveux blancs. Je ne dois pas y songer. Mon père me reprocherait d’en agir ainsi.

— Je vous le permets, si vous le pouvez jamais, petit ami.

— Merci. Vous me plaisez beaucoup, messire, beaucoup. Mais, dites, voulez-vous être assez aimable pour me suivre ? Son Altesse Royale, la princesse Aube, duchesse de Clairevaillance désire vous voir, s’entretenir avec vous. C’est vous, qui lui avez remis un billet du duc ?

— Oui, c’est moi, dit le gnome. Mais auparavant, petit, apprenez-moi votre nom. À mon tour, je puis vous dire : Hé ! hé ! vous me plaisez.

— Mon nom est Louison, et ma sœur que vous verrez tout à l’heure sous la tente, auprès de la princesse : Cloclo. Nous sommes des terriens en promenade chez vous. Malheureusement, la guerre a éclaté en vos contrées. Notre liberté en est beaucoup entravée, je vous assure. Nous sommes dans un danger constant, paraît-il. Messire, le croyez-vous, vous aussi ?

— Hum ! Il se pourrait. Même en ce moment. Et le gnome cligna de l’œil avec malice.

— Ah ! ah ! ah ! s’exclama Louison, que vous êtes plaisant ! En danger ! Nous serions en danger avec vous ? Allons donc ! Les taquineries vous sont faciles, messire.

— Vous croyez ? reprit le gnome, qui dissimula tout à fait son regard… Louison, reprit-il au bout d’un moment, et son air était confus à souhait, répondez-moi avec franchise, suis-je convenable pour me présenter devant votre belle princesse ? Vous riez ?… Je suis sérieux.

— Pardon, Messire, mais vous ne pouvez empêcher, hélas ! que je ne rie… Plus je vous regarde, plus je me demande si vous avez réellement l’intention d’égaler tant soit peu, nos beaux chevaliers, si richement vêtus ?… Bah ! fit soudain Louison d’un ton encourageant, en prenant la main du gnome dans la sienne, qui que vous soyez, et quelque apparence que vous ayez, ne craignez rien. Suivez moi, le cœur confiant. Voyez-vous, vous êtes curieux à regarder, amusant à écouter, sympathique au cœur, à cause de vos cheveux blancs, et surtout, songez-y, vous apportez à la princesse des nouvelles de l’être qu’elle chérit le plus au monde. Que faut-il de plus, pour que vous receviez la plus belle des réceptions ? Venez, venez, messire. Son Altesse s’impatiente, j’en suis sûr.

La jeune princesse se montra gracieuse, fort intéressée. Elle interrogea longuement le gnome sur le duc. Un détail l’intriguait.

« Seigneur, demanda-t-elle, pourriez-vous m’expliquer pourquoi le duc n’a pas signé et scellé de ses armes le billet qu’il a confié à vos soins ? C’est étrange et contraire à ses habitudes.

— Noble dame, répliqua le gnome, les yeux bas, votre époux se hâtait. Voyez-vous, la mission que venait de me confier le roi ne souffrait aucun retard. Le duc le savait. Il se serait reproché de me retenir auprès de lui au delà même de quelques secondes.

— Vraiment ?… Oui, cela est plausible pour qui connaît la courtoisie de mon époux. Alors, je dois trouver là, également, la raison du léger changement de son écriture, par ci, par là. Quand on précipite ses gestes, n’est-ce pas ? Votre mission est-elle remplie, seigneur, continua avec politesse la princesse ?

— Oui, noble dame. Je retourne en notre royaume. Mais, vous le voyez, je puis muser en route. La dépêche que j’ai envoyée, hier, à notre souverain, lui a déjà appris, d’ailleurs, les résultats de mes démarches.