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Une Révolte au pays des fées/7

La bibliothèque libre.
Éditions Albert Lévesque (p. 47-54).

VII

LE VŒU IMPRUDENT DE CLOCLO



MESSIRE Gnome, demanda soudain Cloclo, c’est bien, bien loin chez vous ?

— Non, ma belle enfant.

— On pourrait s’y rendre et en revenir vite ?

— Comment donc ? ma mignonne.

— Je veux dire, on partirait ce soir avec vous, et demain matin, vous pourriez nous ramener ici ?

— C’est toujours : oui, oui, petite.

— Cloclo, murmura à son oreille Petite Poucette, prends garde ! ne désire pas de telles choses. Ne parle pas avec ce gnome inconnu.

— Altesse, poursuivit Cloclo, en ignorant le conseil de Petite Poucette, si vous vouliez.

— Si je voulais quoi, ma petite Cloclo ? demanda celle-ci en souriant.

— Ceci. Ne pourrions-nous, Louison et moi, aller passer quelques heures chez le bon gnome, ami du duc ? Nous serions auprès de vous au lever du soleil, je vous le jure. N’est-ce pas, Louison, tu viendrais aussi ?

— Oui.

— Je n’ai pas autorité en la matière, fillette, ne le savez-vous pas ? Il faudrait demander cette permission à l’un des chevaliers du camp.

— Pourquoi, demanderions-nous cette permission ? fit soudain Louison, en se rapprochant du messager. Ce messire Gnome est un ami du duc. Nous nous promènerions sous son escorte, dans le voisinage du camp, puisqu’il ne demeure pas très loin de nous, ainsi qu’il le dit.

Le gnome, en ce moment, toussota, penchant très bas son corps. Comment pouvoir dissimuler autrement l’immense satisfaction qui le tenait et éclatait sur toute sa physionomie.

Les beaux yeux bleus de la princesse s’animèrent en écoutant Louison. Le gnome vit cela aussi.

— Seigneur Gnome, dit la princesse, dites-moi, le duc a-t-il parlé devant vous d’un prochain retour au camp ?

— Oui, Sa Grâce croit pouvoir y revenir dans un mois.

— Dans un mois ? Seulement ?

— Sa Grâce le déplore comme vous.

— Et puis, dites… et la princesse baissa un peu la voix, soudain craintive, est-ce bien exact ce que vous venez de déclarer à la petite Cloclo ? Nous pourrions aller chez vous ce soir, et en revenir au lever du soleil ?

— Facilement, oui, Altesse. Seulement, il faudra vous soumettre à certaines conditions que je serai au regret de vous imposer.

— Des conditions ! De vous à moi ! s’exclama la princesse, en se redressant, hautaine et triste.

— Que Votre Altesse me pardonne d’être irrespectueux. C’est bien malgré moi, murmura humblement le gnome. Il s’inclinait, reculait, prêt à prendre congé, après cette offense involontaire.

— Non, commanda la duchesse, ne partez pas. Je désire vous charger, au moins, d’une lettre pour le duc. Veuillez m’attendre un quart d’heure. Tenez-vous avec Cloclo, au fond de la tente.

— Avec plaisir, avec bonheur, Altesse, s’empressa d’acquiescer le gnome. Ah ! je vous en conjure, prenez tout le temps qu’il vous faut, ne suis-je pas le plus dévoué, le plus soumis de vos serviteurs ?

Le gnome se mit au port d’armes sur le seuil de la tente. Louison et Cloclo l’entouraient. Petite Poucette continuait d’observer ce qui se passait avec la plus vive inquiétude. Quel soupir de soulagement elle avait poussé lorsque la fière petite Altesse avait refusé de se soumettre aux conditions du gnome.

La princesse éleva de nouveau la voix. Elle venait de poser sa plume avec impatience.

« Seigneur Gnome, revenez près de moi, s’il vous plaît, dit-elle, un peu fébrile. Je reviens sur ma décision… Allons, répondez clairement à mes questions, et vous me verrez peut-être me soumettre aux obligations qui m’énervaient tout à l’heure… Pourvu que tout cela, pensa-t-elle, ne me fasse pas déroger à ma dignité, complètement, hélas !… Vous le voyez, reprit-elle, je puis sacrifier beaucoup à la douceur d’apercevoir le duc quelques instants. Et cela je le pourrai, n’est-ce pas ?

— Oui, Altesse, mais je crains de vous offenser de nouveau en répondant franchement à tout ce que vous me demanderez.

— Je serai juge. Ne vous troublez pas.

— Oui, Altesse, seulement…

— Assez, je vous prie.

— Bien, Altesse.

— Alors, seigneur Gnome, comme vous m’assurez de cette joie : voir, entendre mon époux, qu’exigez-vous en retour ? Qu’exigez-vous aussi de mes petits amis qui m’accompagneront, même Petite Poucette, qui le fera par affection pour ma personne, sinon par goût.

— Voici. Votre Altesse consentira-t-elle, dit le gnome, ainsi que ses compagnons, à revêtir des mantes de soie noire que je vais fournir à l’instant ; puis à s’endormir, ce soir, sur les civières que j’apporterai, en temps voulu, et enfin, à… se bander complètement les yeux ?

— Comment ? Je me banderais les yeux, moi ! dit Aube. Messire Gnome, ne savez-vous pas que l’on fusille les rois, les reines, les princes, les princesses sans les obliger à cette lâche précaution ? Alors, pour une simple promenade, comment voulez-vous que je consente à cette chose avilissante ? S’il faut fermer les yeux, vous le direz. Je le ferai. C’est tout.

— Pardon, Altesse, mille pardons, mais cette condition est in-dis-pen-sa-ble. Puis-je vous faire remarquer que le noble duc s’y conforme chaque fois qu’il vient chez nous ?

— Je ne puis croire cela.

— Cela est ainsi pourtant. Nul ne doit connaître le lieu de retraite des gnomes. La mort châtierait l’audacieux qui voudrait passer outre à cette défense.

Cloclo s’approcha de la duchesse : « Votre Altesse veut-elle m’écouter ? J’ai un plan. Il vous aidera à tout accepter, allez. Ce soir, vous vous endormirez enveloppée de la mante noire, sans bandeau sur les yeux. Dès que votre sommeil sera profond, je me lèverai, je poserai le bandeau, bien doucement sur vos beaux yeux que j’aime. De la sorte, vous n’en saurez rien, et vous aurez rempli la condition exigée. Que dites-vous, bonne Altesse, du plan de Cloclo ? Oh ! consentez à cela ! De grâce ! Vous irez voir votre bien aimé mari ; et Louison, Petite Poucette et moi visiterons les beaux souterrains des gnomes.

— Chère, chère petite Cloclo, cela ne me déplaît pas, en effet… Mais, dites encore, fidèle gnome, comme le duc ne doit, ni me voir, ni m’entendre, ni avoir le moindre soupçon de cette fugue, croyez-vous pouvoir arranger tout cela ?

— Certes, Altesse, je vous rendrai invisible.

— Alors, parfait, je consens à tout… Messire Gnome, éloignez-vous maintenant. Revenez lorsque les clairons du camp sonneront minuit. Une petite lumière rouge brillera à l’entrée de ma tente. Vous comprendrez par ce signal, que mes dispositions ne sont pas changées. Pénétrez alors sous la tente… et conduisez-nous au plus tôt où vous savez.

— Les ailes de l’amour vous y porteront tout autant que moi, noble princesse ! Merci de votre confiance ».

Le gnome se redressait lentement en répondant. Il lui fallait user de quelle prudence nuancée afin de ne pas trahir sa satisfaction. En un tour de main, il fit alors glisser la lourde poche grise de son dos. Il l’ouvrit. Il en tira quatre charbons qu’il frappa avec son poignard de quelques coups secs. À la surprise de tous, on vit le noir combustible se briser comme des coques d’œufs. Le gnome retira de chacun des charbons de minuscules voiles noirs. Ils s’enflèrent sous son ordre, puis s’allongèrent, rayonnèrent, et allèrent, enfin, tomber en se repliant aux pieds de la princesse.

« Voilà, Votre Altesse, les mantes qui auront l’honneur de vous envelopper, vous et vos petits amis. La soie de ces mantes a été tissée par les industrieuses et habiles filles du roi des gnomes. Qui pourrait se vanter d’en posséder d’aussi fines ? Dans la doublure d’hermine, vous le verrez, ont été glissés les bandeaux obligatoires… Au revoir, très gracieuse dame. À minuit, je reviendrai. Louison, vous sortez avec moi ?

Le garçonnet, encore bouche bée, d’admiration, suivit le gnome d’un pas vif. « Que de choses ne pouvait-il pas apprendre de ce nain-magicien ! Quel heureux hasard l’avait conduit au camp, un peu ennuyeux, des chevaliers ? Ah ! minuit ne viendrait jamais assez tôt, lui semblait-il ! »


« La figure de Don Quichotte exprima la stupéfaction la plus complète ». ◁Texte▷