Une Station navale au Japon en 1863-1864/02
Depuis deux ans le Japon, en lutte avec l’Europe et agité par une guerre intérieure, traverse une épreuve dont une première étude sur les expéditions anglo-françaises de 1863 a pu faire apprécier la gravité[1]. Le développement des comptoirs européens sur les côtes du Japon ne s’est pas arrêté sans doute, mais il ne se poursuit qu’au milieu d’incidens diplomatiques et militaires qu’il importe de raconter avec quelque détail, car ils mettent à jour une partie des rouages d’une des sociétés les plus difficiles à étudier, les plus mystérieuses de l’extrême Orient.
Au commencement du mois de mars 1864, le ministre d’Angleterre au Japon, sir Rutherford Alcock, était venu reprendre son poste, que le colonel Saint-John Neale avait occupé à titre provisoire pendant deux années. Après s’être jadis éloigné sous l’impression de fâcheuses circonstances, il dut reconnaître avec regret que pendant son absence la situation ne s’était guère améliorée. Le commerce anglais se plaignait beaucoup de la stagnation des affaires ; les autorités japonaises n’avaient à la bouche que le mot d’évacuation ; les nouvelles recueillies sur les troubles intérieurs du pays étaient d’un fâcheux caractère. Aussi, peu de temps après son retour, le représentant d’Angleterre adressa-t-il à ses collègues une circulaire dans laquelle il s’étendait longuement sur les résultats négatifs de la politique de temporisation suivie jusqu’alors et jadis recommandée par lui-même ; il agitait de nouveau lA question, déjà débattue l’année précédente, puis ajournée, d’une opération contre le détroit de Simonoseki, toujours fermé par les canons du prince rebelle de Nagato. À cette communication, le ministre d’Amérique répondit en accordant sans réserve l’appui moral et même matériel que réclamait son collègue. L’agent de la Hollande alla plus loin encore en annonçant que trois corvettes de guerre avaient été dirigées des Indes néerlandaises sur le Japon pour tirer satisfaction de l’agression commise contre la Méduse. Quant au représentant de la France, M. Léon Roches, arrivé tout récemment au Japon pour remplacer M. de Bellecourt, il fit savoir à sir Rutherford Alcock qu’il désirait, avant de se prononcer, se rendre compte par lui-même de la situation ; les instructions de son gouvernement l’empêchaient de promettre autre chose que l’appui moral de la France à l’entreprise projetée ; en attendant, il allait réclamer des membres du gorogio, et dans l’enceinte de Yédo même, l’entrevue nécessaire à la réception de ses lettres de crédit.
L’entrevue ne fut accordée qu’après de nombreux pourparlers. M. Duchesne de Bellecourt et M. Roches prirent enfin passage, avec le personnel de la légation, sur la corvette le Dupleix, qui vint mouiller en rade de Yédo. La réception eut lieu dans l’enceinte des réunions du conseil avec le cérémonial habituel. Après les présentations toutefois, et malgré la convention faite d’avance que la séance se bornerait à la réception pure et simple de notre nouveau représentant, le ministre des affaires étrangères du Japon entama un discours long et diffus, une sorte de litanie dont les périodes se devineront facilement lorsqu’on saura qu’elles avaient pour refrain la nécessité d’une évacuation immédiate de Yokohama. La menace et l’impertinence se succédaient depuis quelques momens dans le langage du ministre, lorsque le ministre de France, interrompant l’orateur, crut devoir lui fermer la bouche par quelques paroles : la discussion d’un pareil sujet devant lui était une injure, la persistance du gouvernement de Yédo dans ce dessein amènerait la France à sévir par les armes. L’air arrogant du daïmio fit place aussitôt aux façons les plus obséquieuses. Des complimens furent échangés, et l’on se sépara quelques momens après en apparence dans les meilleurs termes.
A quelques jours de là, le 30 mars, les représentans s’assemblaient à Yokohama sous l’impression de ces derniers incidens et des récentes nouvelles arrivées de l’intérieur. Le rôle du prince de Nagato dans les agitations intestines du Japon paraissait être plus important qu’on ne l’avait cru tout d’abord. De nouveaux renseignemens permettaient d’expliquer nettement son attitude dans les événemens de 1863. Parvenu à une haute faveur auprès de la cour de Kioto au moyen d’intrigues, de sommes d’argent, et aidé aussi par une vieille réputation de patriotisme, le prince était, au commencement de 1863, arrivé à ses fins : il avait obtenu un décret d’expulsion contre les étrangers et en même temps le titre de défenseur du pays, avec la tâche de faire exécuter le décret. Ce décret avait été rendu malgré les efforts de la cour de Yédo, malgré ceux des daïmios qui, sans être les alliés de cette cour ni les amis des étrangers, envisageaient avec plus ou moins de crainte les conséquences de cette politique désespérée. Le taïkoun avait été mandé à cette époque à Kioto pour expliquer sa conduite ; il y avait couru de sérieux dangers, dont ses partisans l’avaient garanti à grand’peine ; mais son pouvoir chancelant ne semblait plus attendre qu’un choc pour s’écrouler. Depuis cette époque, l’affaiblissement du prestige ou de la bonne volonté du gouvernement de Yédo s’était traduit par des symptômes alarmans. Sentant la nécessité pressante d’être définitivement fixé sur ses résolutions, les ministres s’entendirent pour lui adresser chacun, à la suite de la conférence du 30 mars, une note identique. Rappelant d’abord ce gouvernement à la satisfaction des demandes de leurs prédécesseurs, restées sans réponse depuis le mois de juillet 1863[2], la note exigeait des explications définitives, et de plus le retrait formel de la demande d’évacuation de Yokohama.
Comme il était probable que cette tentative de conciliation n’aurait pas un meilleur effet que les précédentes, sir R. Alcock se préoccupa en même temps d’assurer l’exécution des résolutions déjà presque, convenues. Il fit venir de Hong-kong à Yokohama le 20e régiment de ligne, que le gouvernement britannique avait mis à sa disposition pour le cas où la gravité des événemens motiverait son envoi au Japon. À cette même époque, un bataillon de soldats de marine, demandé dès l’année précédente par le vice-amiral Kuper, venait d’arriver sur le vaisseau Conqueror, après avoir été dirigé un moment sur la Nouvelle-Zélande. Les nouvelles arrivent bientôt de l’intérieur du pays de plus en plus alarmantes. Appelé une seconde fois à Kioto au commencement de 1864, le taïkoun avait été reçu dans ce pays, où l’étiquette règne en souveraine, d’une façon presque insultante pour un homme de son rang ; puis, dans les discussions qui avaient suivi, les conseils des ennemis des étrangers paraissaient avoir prévalu. En vain quelques princes puissans, parmi lesquels on citait Satzouma et Etsizen, avaient-ils demandé plus ou moins ouvertement la temporisation. Une résolution avait été prise : Yokohama devait être évacué de gré ou de force à la fin de l’année. Les armemens devaient être poussés avec vigueur. Sans doute le prince de Nagato ne jouissait plus du même crédit à la cour du mikado, mais le feu qu’il avait allumé paraissait gagner de toutes parts ; deux foyers d’insurrection se développaient dans l’empire, servant de refuge à tous les gens tarés, aux lonines ou bandits, aux officiers sans maître : l’un dans les domaines du prince de Nagato, qui les appelait, l’autre dans la grande province de Yamato, située au nord de Yédo. De ce côté, les lonines, comme on les nommait, s’avançaient peu à peu sur la ville ; après avoir ravagé la province, ils venaient impunément jusque dans Yédo, levant des contributions à l’aide de menaces et mettant secrètement à mort les marchands où les amis supposés des étrangers. Ces exécutions qui restaient impunies répandaient l’effroi ; le gouvernement du taïkoun, incapable de rien faire contre cette anarchie, semblait près de succomber. Ses réponses évasives à la dernière communication des ministres furent une véritable déclaration d’impuissance que tout à ce moment paraissait justifier.
Les représentans des puissances étrangères ne pouvaient plus hésiter à marcher dans la voie que sir R. Alcock avait indiquée quelques mois auparavant. Au lieu de laisser s’écrouler le seul pouvoir avec lequel nous eussions des engagemens, au lieu d’attendre tranquillement à Yokohama l’irruption du courant que rien alors ne retiendrait plus, il fallait, par un acte de vigueur, intimider l’ennemi commun du taïkoun et des étrangers, lui montrer la véritable supériorité des Européens, et détacher ainsi de sa cause les princes tenus dans l’indécision par notre faiblesse supposée, où l’on pouvait voir une arrière-pensée d’abandon. S’il ne fallait pas rester sur la défensive, il était également dangereux d’unir les forces étrangères à celles du taïkoun : c’eût été le compromettre irrévocablement vis-à-vis du patriotisme orgueilleux de sa nation. La mesure la plus naturelle était donc une opération contre les défenses du détroit de Simonoseki, en tant que les commandans en chef admettraient cette mesure comme praticable. Telle fut la conclusion du memorandum rédigé par les ministres le 22 juillet 1864 pour servir de base à leur ligne de conduite définitive. « Nous reconnaissons, disait en outre ce memorandum, la nécessité de consacrer la solidarité de nos intérêts par une entente cordiale fondée sur la communauté de vues et l’unité d’action. » Le ministre de France en effet s’était peu à peu rallié sans réserve à la façon de voir de sir R. Alcock. Quant aux commandans en chef des forces de la France et de l’Angleterre, moins pressés de mettre à exécution un programme trop en désaccord avec les instructions formelles de leur gouvernement, ils avaient tout d’abord à songer à la sécurité de Yokohama, qu’il faudrait en partie dégarnir. Chargés de la protection de cette ville et reconnaissant la nécessité de défendre avant tout le point où étaient accumulés tous les intérêts, ils attendaient, avant de prendre une décision, des nouvelles définitives de l’accueil fait aux propositions portées en Europe par les ambassadeurs du taïkoun, partis depuis quelques mois.
D’importans événemens ne tardèrent pas cependant à se produire. A la suite d’une tentative d’empoisonnement sur la personne du taïkoun, un changement s’opéra tout à coup dans la composition de son entourage. Une sorte de révolution de palais éloigna brusquement des conseils les hommes ennemis des étrangers ; des daïmios dévoués sincèrement aux véritables intérêts du gouvernement les remplacèrent. Une circulaire annonçant ces graves mesures, et que nous croyons devoir reproduire, fut envoyée après ces événemens par le taïkoun aux daïmios dont les résidences entourent son palais de Yédo.
« Notre cœur s’est ému des craintes et des frayeurs du peuple. Nous ne pouvons pas dire que ces craintes et ces frayeurs aient été vaines. Si les dieux kamis ne protégeaient pas le Japon, Yédo aurait pu être brûlée et voir ses habitans dispersés. Que la facilité avec laquelle nous sommes sortis du danger donne de la confiance au peuple pour tous les dangers de l’avenir !
« Depuis que le ciel et le mikado m’ont confié le gouvernement de l’empire, que n’ai-je pas fait pour satisfaire tout le monde ? N’ai-je pas rendu les voyages des daïmios à Yédo plus rares et plus faciles ? N’ai-je pas donné l’exemple des économies ? N’ai-je pas fait deux voyages à Kioto en moins de douze mois pour m’entendre avec le mikado et les daïmios sur les moyens de rendre le Japon fort et prospère ?
« La raison exigeait qu’on me tînt compte de mes efforts, de mes anxiétés pour le pays. Si l’expulsion des étrangers par la guerre était chose si facile, au lieu de m’exposer à tant de troubles de tout genre, pourquoi ne l’entreprendrais-je pas ? On invoque toujours la volonté du mikado ; mais cette volonté ne peut être que conditionnelle. Le mikado n’a pas oublié que mes ancêtres ont autrefois chassé les étrangers du Japon et exterminé leurs partisans contre la volonté d’un très grand nombre de daïmios. Le mikado ne veut pas de calamités pour le pays ; on a pu surprendre son esprit par des mensonges, on n’a jamais surpris son grand cœur.
« Il semblait naturel d’espérer que mon retour à Yédo donnerait une plus forte unité aux membres du gouvernement, et que je serais soutenu et encouragé par eux contre des aspirations et des entraînemehs inintelligens. Au contraire mon retour a été le prétexte d’un grand mal, qui révèle aux hommes amis du trouble des faiblesses et des dangers.
« A l’occasion de certaines explications demandées par le mikado, explications mal comprises, plusieurs hauts officiers ont voulu sortir de leur rang, et, interprétant mal le cœur du mikado, ont dépassé ses intentions. Ils ont attaqué non-seulement ma prudence, qu’ils ont appelée les uns trahison, les autres lâcheté, mais ils ont voulu même s’attaquer à ma personne, montrant par là que ce n’était pas seulement l’esprit d’hostilité contre l’étranger qui les faisait agir, mais le zèle d’une ambition mal réglée…
« Ceux qui veulent ainsi précipiter les choses ne peuvent pas se vanter d’aimer le pays… Mais que le peuple se rassure, les murmures ne peuvent qu’aggraver les difficultés. C’est une erreur de vouloir attribuer tous les malaises à la cause étrangère ; c’est ressembler à un malade qui, souffrant un peu dans tous les membres, s’en prendrait à un grain de sable qui l’aurait blessé au pied.
« Ne croyez plus ceux qui vous disent que je ne suis plus de l’avis du mikado. Nous n’avons jamais eu qu’un sentiment, bien que souvent, différemment éclairés, nous ayons jugé différemment l’état des choses.
« Que les paysans retournent à leurs champs, les artisans à leurs travaux et les marchands à leur trafic. Le gorogio sera bientôt au complet. Que ceux qui croient renouveler les scènes tragiques qui ont marqué le commencement de mon gouvernement abandonnent tout espoir de succès. Lors même que je déclarerais devant tout l’empire que je suis contre les étrangers, les difficultés seraient-elles pour cela toutes résolues ? Si ceux qui se croient sages le pensent, ils se trompent : une telle affirmation ne ferait qu’agiter davantage les esprits sans faire tomber le sabre des mains des étrangers.
« Communiquez ceci à toutes les résidences de daïmios pour être envoyé immédiatement à leurs seigneurs. »
« Le 25° jour du 6e mois (le 29 juillet 1864). »
L’attitude prise ainsi par le taïkoun produisit un heureux effet. Les lonines et les perturbateurs furent chassés de Yédo, où l’on en exécuta un grand nombre. Des forces furent envoyées contre les bandes des agitateurs, et deux combats où les troupes du taïkoun montrèrent une grande bravoure purgèrent de la présence de ces ennemis intérieurs la province de Yamato. Les débris des bandes mises en déroute se réfugièrent dans la chaîne de montagnes qui court du sud au nord de cette province.
Un haut fonctionnaire japonais était venu, avec plus ou moins de secret, porter à Yokohama la nouvelle de ces résultats. C’était le vice-ministre Takemoto-kaï-no-kami, homme intelligent, de manières conciliantes, et qui, à l’époque d’une meilleure entente, de 1860 à 1863, avait déjà tenu de nombreuses conférences avec les représentans étrangers. Takemoto paraissait avoir joué un rôle important dans les derniers événemens, qui l’avaient ramené aux affaires avec les hommes de son parti. Il paraissait posséder la confiance du taïkoun, ou, si le taïkoun en personne ne gouvernait pas, du nouveau conseil qui dirigeait les affaires. Ses confidences décidèrent les ministres étrangers à persister dans leurs desseins. Le danger, éloigné momentanément, pouvait reparaître. Le daïmio de Nagato restait encore impuni dans ses domaines : il est vrai que le nombre de ses adhérens s’éclaircissait de jour en jour, grâce à ses propres excès. Le prince avait dans ces derniers temps tiré sur un vapeur du daïmio de Satzouma et fait exécuter un officier de ce grand personnage. La tête de la victime avait même été exposée sur une place d’Osaka avec une inscription désignant le malheureux officier comme un ami des étrangers. Des jonques marchandes passant le détroit de Simonoseki avaient été arrêtées, brûlées, et les capitaines mis à mort. Tous ces faits avaient enfin ouvert les yeux du mikado. Au dire de Takemoto, le taïkoun avait reçu de Kioto l’ordre de châtier le prince rebelle. Or Nagato se disposait à la défense, et Satzouma, Higo, Bouzen, ainsi que quelques autres daïmios, devaient réunir les troupes destinées à marcher contre lui.
Mis confidentiellement par les ministres européens au fait de leurs résolutions, Takemoto parut approuver l’expédition projetée. Tandis que le taïkoun ferait acte de vigueur, les étrangers, en prenant les armes contre l’ennemi commun, contribueraient à raffermir le parti qui leur était favorable. Il demandait seulement que l’expédition fût tenue secrète jusqu’au lendemain de son départ : à ce moment, le gouvernement de Yédo, officiellement prévenu, protesterait pour éloigner toute idée de complicité aux yeux de la nation, mais trop tard pour arrêter les flottes alliées.
Dans les derniers jours de juillet 1864, le paquebot anglais déposa à Yokohama, à la grande surprise des autorités, deux Japonais vêtus à l’européenne, qui se dirent officiers de Nagato. Ils ne venaient pas de leur province, mais bien de Londres, où ils avaient passé quelques années, étudiant notre civilisation et nos sciences. Informés, disaient-ils, des événemens qui se classaient dans leur pays et de la conduite de leur suzerain, ils n’avaient pas hésité à quitter l’Europe. Naturellement convaincus de ce que la politique de leur maître avait de dangereux, ils assuraient pouvoir obtenir de lui, dès la première entrevue, la renonciation à ses entreprises insensées. Ils demandèrent à être conduits jusqu’à leur province, il leur serait impossible de parvenir par terre, à travers le territoire taïkounal. Cet incident inattendu, les chances, fort précaires, il est vrai, de conciliation qu’il faisait entrevoir, suggérèrent aux ministres européens l’idée de rapatrier les deux officiers sur un navire qui ferait en même temps la reconnaissance de la côte de Nagato et s’assurerait des véritables intentions du prince. La corvette la Barossa, accompagnée de l’aviso le Cormorant, partit donc pour la Mer-Intérieure avec les deux Japonais. Le chef d’état-major de notre division navale prit passage à bord de la corvette anglaise : sa connaissance des lieux y rendait sa présence opportune. Après avoir déposé les deux Japonais sur l’île d’Himesima, où ils nous donnèrent rendez-vous pour dix jours plus tard, la Barossa et le Cormorant se dirigèrent vers l’entrée intérieure du détroit de Simonoseki.
La côte nord du détroit, depuis le point où la Sémiramis avait opéré un débarquement l’année précédente jusqu’à la ville, apparut cette fois armée de nombreuses batteries. Autant qu’on pouvait le constater de loin, les défenses avaient été considérablement accrues. Sur l’emplacement où les bâtimens français avaient mitraillé la colonne japonaise accourant de la ville, à la place d’un village bâti sur la rive, s’élevait un grand ouvrage ayant la forme d’un double redan, où des travailleurs achevaient de poser les traverses. A l’approche du Cormorant, qui portait les officiers en reconnaissance, des drapeaux avaient été arborés sur les parapets, les Japonais s’étaient portés aux pièces sur toute la longueur de la côte, et en manière de défi la grande batterie avait tiré quelques coups de canon ; des obus étaient venus éclater à la surface de l’eau au milieu même de la passe. La côte sud, comme jadis, parut désarmée.
Après deux reconnaissances et quelques travaux hydrographiques, les bâtimens étaient retournés au mouillage de l’île. Les deux officiers japonais ne manquèrent pas, à l’heure dite, au rendez-vous. Ils avaient déjà quitté l’habit noir pour reprendre le costume national et les deux sabres ; mais, chose singulière, ceux qui avaient vu partir dix jours auparavant deux jeunes gens à l’esprit ouvert, communicatif, enthousiastes de l’Europe et de ses libertés, retrouvaient à leur place deux véritables Japonais, à l’air diplomatique, aussi rusés et impénétrables que leurs compatriotes. Après mille précautions destinées à donner à leurs paroles l’importance d’un secret, ils se contentèrent de rapporter au sujet des intentions du prince de Nagato des allégations vagues et vides de sens. On ne put rien en tirer de mieux : peut-être leurs conseils avaient-ils été repoussés, ou bien au milieu de fanatiques avaient-ils jugé prudent de garder le silence.
La Barossa revint le 10 août à Yokohama. Les commandans en chef, invités par les ministres à donner leur avis concernant une opération collective contre les batteries du détroit, s’assemblèrent le 12. Les forces actuellement présentes à Yokohama se composaient de quinze à dix-huit cents hommes de troupes anglaises à la disposition de sir R. Alcock, et de trois cents fusiliers-marins qui avaient relevé, quelques mois auparavant, notre garnison de chasseurs du 3e bataillon d’Afrique. En rade se trouvaient la division anglaise, forte de treize à quatorze navires, la division française, composée alors de la Sémiramis du Dupleix et du Tancrède, quatre corvettes hollandaises et une corvette américaine. Quel que fût l’accroissement des batteries du détroit et le nombre de ses défenseurs, on pouvait, en dirigeant sur Simonoseki la plus grande partie des forces maritimes, compter sur le succès. Les amiraux répondirent en conséquence qu’ils étaient disposés à se porter avec lesdites forces sur le détroit, si les ministres obtenaient du gouvernement japonais la promesse formelle qu’aucune tentative d’agression ne serait à craindre pour Yokohama ; dans ce cas, ils consentiraient à laisser la défense de la ville au plus ancien officier des deux mille hommes de troupes restant à terre. La réponse des ministres, rendue presque aussitôt, ayant été parfaitement satisfaisante, les amiraux pressèrent leurs préparatifs de départ. L’appareillage allait avoir lieu le 20 août ; de mauvais temps l’avaient retardé d’un ou deux jours, lorsqu’il fut encore ajourné par une circonstance imprévue.
Le 19 août au matin, le paquebot apportant les nouvelles d’Europe arriva sur rade avec le pavillon japonais au mât de misaine : au grand étonnement de tous, le personnel de l’ambassade japonaise, qu’on croyait partie pour une longue mission, se trouvait tout entier à bord. Quelques heures après, les autorités françaises pouvaient lire dans leur correspondance et dans le Moniteur du 26 juin une convention signée à, Paris entre le ministre des affaires étrangères et les ambassadeurs japonais. Suivant les termes de l’un des articles, cette convention devait être mise immédiatement à exécution, sans ratification des souverains respectifs, comme faisant partie intégrante du traité du 9 octobre 1858. L’acte signé à Paris traitait de matières commerciales, de la réduction des droits d’entrée imposés à certaines de nos marchandises ; mais il commençait par le règlement des questions politiques. Par le premier article, le gouvernement japonais s’engageait, en réparation des hostilités commises en juillet 1863 contre l’aviso le Kien-chan, à payer au gouvernement français une indemnité de 140,000 piastres mexicaines, dont 100,000 par le gouvernement lui-même, et 40,000 par l’autorité de la province de Kagato. Le second article, traitant de la réouverture de la Mer-Intérieure, était ainsi conçu :
«… Le gouvernement japonais s’engage également à faire cesser, dans les trois mois qui suivront le retour de leurs excellences les ambassadeurs du taïkoun au Japon, les empêchemens que rencontrent en ce moment les navires français qui veulent passer le détroit de Simonoseki, et à main tenir ce passage libre en tout temps, en recourant, si cela est nécessaire, à l’emploi de la force, et, au besoin, en agissant de concert avec le commandant de la division navale française…. »
Les ambassadeurs japonais, reçus avec courtoisie dans la capitale de la France, avaient tout d’abord préparé les voies à leurs demandes en réglant d’une façon satisfaisante les premiers griefs ; mais, dès qu’ils étaient venus à parler de l’évacuation de Yokohama, le gouvernement français leur avait imposé silence en se refusant à discuter sur une pareille base. Les ambassadeurs avaient, en dernier lieu, consenti à signer la convention du 20 juin 1864, et payé immédiatement le montant de l’indemnité offerte pour la famille du sous-lieutenant Camus[3] ; puis, informés que pareil résultat attendait, près des autres cours étrangères, la poursuite de leur mission, ils s’étaient déterminés à y couper court. Ayant visité nos principaux arsenaux et divers établissement industriels, ils avaient brusquement repris, non sans faire d’importantes commandes d’armes et de machines, la route de l’extrême Orient.
Cette convention, rédigée à Paris dans l’ignorance des nouveaux événemens qui s’étaient produits au Japon et de la parfaite entente qui y régnait entre les nations étrangères, allait-elle détruire la communauté de vues et isoler l’action de la France ? Il n’en fut rien grâce au bon esprit des autorités anglaises, qui déclarèrent renoncer momentanément à l’entreprise, si la France devait s’en retirer, et vouloir attendre, avant de prendre un parti, la réponse du gouvernement de Yédo à la notification de la convention. Les autorités hollandaises et américaines suivirent cet exemple. La réponse du gouvernement de Yédo ne se fit pas attendre : Takemoto vint annoncer que son gouvernement regardait ses ambassadeurs comme ayant outrepassé leurs pouvoirs[4], et se déclarait dans l’impossibilité d’exécuter le second article du traité, tout en donnant satisfaction sur tous les autres. Son principal argument était le danger qui résulterait d’une alliance offensive du taïkoun avec une puissance étrangère, pour opérer contre une partie de l’empire, alliance qui ne manquerait pas de soulever tout le pays. Rien ne put faire changer cette résolution, et après plusieurs conférences infructueuses les autorités étrangères, regardant, comme le meilleur parti celui qui rendrait inutile le second article de la convention de Paris, ne virent plus d’obstacles à la reprise de l’expédition suspendue. Les commandans en chef, après ce dernier sursis, se disposèrent donc de nouveau à l’appareillage. À d’infructueuses négociations diplomatiques allaient succéder d’importantes opérations militaires.
Le 28 août 1864, lorsque les commandans en chef des forces alliées se portèrent sur le détroit de Simonoseki, ils pouvaient appliquer à cette opération des moyens suffisans pour assurer le succès. Le contre-amiral Jaurès, emmenait dans la Mer-Intérieure la frégate la Sémiramis, la corvette le Dupleix et l’aviso le Tancrède ; le vice-amiral Kuper, la frégate l’Euryalus, portant son pavillon, un vaisseau à deux ponts, une frégate à roues, cinq corvettes et deux canonnières, plus un contingent de cinq à six cents soldats de marine. Quatre corvettes hollandaises étaient réunies sous les ordres du capitaine de vaisseau De Man. Enfin le ministre des États-Unis, pour faire figurer le pavillon dans l’expédition, avait affrété le vapeur de commerce le Ta-kiang, sur lequel s’embarquait un détachement de canonniers et de fusiliers pris à bord de la corvette le James-town, Cette dernière, étant le seul bâtiment de guerre dépourvu de machine ; restait mouillée sur rade de Yokohama, conjointement avec une corvette et trois canonnières anglaises. À terre, environ deux mille hommes de troupes, campés sur les hauteurs de la ville, assuraient celle-ci contre l’éventualité, d’ailleurs bien improbable, d’une attaque.
Le 28 août, plusieurs bâtimens de la division alliée prirent le large. Le Dupleix et le Tancrède étaient du nombre. Tous ces bâtimens naviguaient isolément, à part la remorque donnée aux canonnières ; ils avaient rendez-vous à Himesima, dans la Mer-Intérieure. Le 29 au matin, nous fîmes route avec la Sémiramis, naviguant de conserve avec l’Euryalus. Le reste de la division nous suivait, la moitié des bâtimens remorquant l’autre. Nous les perdîmes de vue dès le second jour de traversée. Le soir du troisième jour, parvenus en vue du chenal de Boungo, nous rencontrâmes sous la côte de Sikok le Dupleix et le Tancrède, qui rallièrent immédiatement. La corvette le Perseus, arrivant de Shang-haï avec un trois-mâts chargé de charbon, communiquait à la même heure avec l’amiral Kuper. Le 2 septembre, après avoir franchi les passes de Boungo ; nous venions jeter l’ancré au mouillage d’Himesima. Le lendemain matin, les divisions s’y trouvèrent au grand complet. Cette journée fut employée à divers préparatifs.
Himesima, petite île de quelques kilomètres de circonférence, se compose de deux montagnes, dont l’une fort élevée, sur la langue de terre qui les relie s’élève un village de pêcheurs et de paysans qui ont pour industrie l’exploitation de salines situées en arrière du village. Quelques yakounines, agens de police d’un grade inférieur, y représentent l’autorité. A notre présence dans l’île, à quelques questions que nous leur fîmes, ils opposèrent une impassibilité et un mutisme obstinés. La végétation de l’île est assez pauvre ; mais les pins qui couronnent les falaises donnent à ces rives un aspect pittoresque. Nous gravîmes les sommets de l’île, d’où la vue s’étend de tous côtés sans obstacle. A nos pieds, les dix-sept bâtimens à l’ancre dans la petite baie réfléchissaient leur mâture dans ses eaux calmes et transparentes ; les embarcations allant et venant entre les navires donnaient au paysage une animation insolite. A deux milles dans l’ouest, la province de Boungo étalait ses collines couvertes de verdure, tandis qu’au nord les hautes montagnes de Nipon et de la province de Nagato bordaient l’horizon d’une double rangée de sommets brumeux.
Une trentaine de milles nous séparait de l’entrée intérieure du détroit ; nous la franchîmes le lendemain. Les divisions se mirent en marche sous vapeur à neuf heures du matin, formant trois lignes de files parallèles, les Français et l’Américain à gauche, les Anglais au centre, les Hollandais à droite. Ce mouvement s’exécuta avec ensemble, et à trois heures les divisions mouillaient dans le même ordre, les premiers bâtimens à 3,000 mètres environ de l’entrée du détroit. Les amiraux se rendirent immédiatement à bord de la Coquette, pour faire avant la nuit une reconnaissance le long de la côte ennemie. À ce moment, toutes les lunettes étaient curieusement braquées sur le paysage.
Nous avons déjà donné[5] la topographie de la première partie du détroit, qui figure un entonnoir limité au nord, sur la côte de Nagato, par le cap Kousi (Kousi-saki), et au sud, sur la côte de Bouzen, par I-saki. Une falaise couronnée de pins forme le premier de ces caps et se continue par une suite de collines couvertes de bois du sommet à la base ; çà et là un vallon cultivé en rizières vient aboutir au bord de la mer. Le premier de ces vallons, à partir de Kousi-saki, est armé d’une batterie de deux pièces ; des canons de campagne s’aperçoivent dans les rochers de la pointe ; 500 mètres plus loin, on arrive à la vallée occupée l’année précédente par la compagnie de débarquement de la Sémiramis. Les deux batteries reconnues par le Cormorant y sont facilement observables. Au-delà, l’éloignement et la verdure ne permettent de reconnaître que le grand ouvrage nouvellement construit, désormais achevé et garni de canons. Des pavillons de diverses couleurs sont plantés sur les parapets ; dans les arbres, sur les collines, la lunette permet de distinguer des tentures de guerre en toile blanche, portant en noir les armes du prince de Nagato, trois boules en triangle, soulignées d’un trait horizontal. La canonnière la Coquette a passé à portée des canons de la pointe ; malgré la présence d’un certain nombre d’hommes dans les batteries, celles-ci sont restées partout silencieuses. La côte sud est tout aussi dépourvue de défenses que l’année précédente ; de ce côté, le cap Mozi, qui s’avance jusqu’à 300 ou 400 mètres de la rive opposée, masque la seconde partie du détroit, lequel, après.cet étranglement, s’infléchit au sud, vis-à-vis de la ville de Simonoseki, contourne l’île d’Hikousima, et, revenant au nord-ouest, débouche enfin dans la mer de Chine. Les autres défenses ennemies, sur lesquelles il n’existe aucune notion, à part les renseignemens peu précis de la corvette la Méduse, doivent donc se trouver sur cette île et dans la ville même.
A la nuit, les commandans en chef arrêtent les premières dispositions de l’attaque. Il s’agit, en considérant la côte sud comme absolument neutre dans le conflit, de s’emparer tout d’abord des défenses qui bordent la rive ennemie depuis Kousi-saki jusqu’à l’entrée des faubourgs de la ville. Vis-à-vis la ligne à peu près droite formée par cette rive, la côte de Bouzen s’infléchit en formant la baie de Tanaoura. Profitant de cette disposition des lieux, une division d’attaque ira s’embosser en arc de cercle dans cette baie, le chef de file mouillant à deux ou trois encablures en dedans du cap Mozi, et concentrera son feu sur les principaux ouvrages ennemis. Une seconde division, formée des petits bâtimens, canonnera sous vapeur les défenses de Kousi-saki, qui paraissent moins fortement armées. Enfin, au centre, les deux frégates amirales et le vaisseau se tiendront prêts à porter là où il sera nécessaire le secours de leur nombreuse artillerie. Un violent courant de marée traverse constamment le détroit, changeant de direction quatre fois par jour ; vis-à-vis du cap Mozi, sa vitesse atteint par momens de cinq à six nœuds, ce qui rend fort délicate la manœuvre de nombreux bâtimens destinés à prendre un poste et à s’embosser sous le feu de l’ennemi. Il est donc décidé que la marche en avant n’aura lieu qu’à l’heure où le courant, sortant du détroit, deviendra contraire. Cette circonstance oblige à différer le mouvement jusqu’à deux heures du soir le lendemain.
Les conjectures relatives aux dispositions pacifiques de la province de Bouzen se trouvèrent justifiées. Vers huit heures du soir, les gouverneurs de la petite ville de Tanaoura se rendaient à bord de la Sémiramis. Se doutant des préparatifs d’attaque des divisions alliées, ils venaient assurer l’amiral de leurs dispositions pacifiques. « Nous avons, dirent-ils, quelques forts et canons sur notre côte ; mais ils n’ont d’autre but que notre protection, nous espérons qu’on voudra bien les épargner. » On s’empressa de les rassurer à cet égard. Ils parurent assez mal informés relativement aux dispositions de leurs voisins, et se retirèrent après avoir déploré en termes généraux les malheurs de la guerre.
La nuit se passa sans incident particulier. Un canot, parti de la côte de Nagato, s’était présenté la veille au soir le long de l’Euryalus ; un officier, évidemment de grade inférieur, qui le montait, avait demandé à parler au vice-amiral anglais ; il lui fut répondu qu’on ne parlementerait qu’avec des officiers d’un rang suffisamment élevé et dûment accrédités par le prince de Nagato. Le messager s’éloigna.
Dans la matinée du 5, l’on ne put remarquer, vu l’éloignement assez grand du mouillage, aucun mouvement particulier dans les batteries ennemies. Vers midi, les bâtimens de la première division allumèrent les feux et firent leurs préparatifs : les mâts de perroquet furent calés ; le reste des bâtimens suivit bientôt cet exemple. Le changement de flot attendu avec impatience ne se fit sentir que vers les deux heures. Une demi-heure après, les six bâtimens de la première division défilaient lentement entre nous et l’Euryalus dans l’ordre qui leur avait été assigné. C’était d’abord la corvette anglaise le Tartar, puis le Dupleix, commandant Pasquier de Franclieu, la corvette hollandaise le Metal-Cruis, la corvette anglaise la Barrossa, la corvette hollandaise Djambi, enfin la frégate à roues Léopard. Tous ces navires étaient en branle-bas de combat. Peu de minutes après, ils mouillèrent à leur poste, tandis que l’ennemi, dont ils étaient à bonne portée, restait silencieux dans ses batteries. Pendant que les corvettes se disposaient à s’embosser, opération que rendait difficile la force du courant, la seconde division des bâtimens légers appareillait pour se rapprocher de Kousi-saki. Elle se. composait des navires anglais Perseus, Coquette, Bouncer et Argus, de l’aviso le Tancrède, capitaine Pallu, et de la corvette hollandaise la Méduse[6].
Nous appareillons à notre tour pour nous rapprocher, ainsi que l’Euryalus et le Conqueror, de la première division. Les trois navires mouillent à onze ou douze encablures des batteries situées en face de Tanaoura. L’amiral Jaurès se rendit à bord de l’Euryalus ; à ce moment, trois heures quarante minutes, comme les corvettes terminent l’opération d’embossage, les commandans en chef se décident à ouvrir le feu : un coup de canon, tiré de l’Euryalus, sert de signal ; la première division y répond par une bordée générale de toutes ses pièces.
Nos boulets sont à peine arrivés à terre que la côte ennemie se couvre de fumée sur toute sa longueur ; ce sont les Japonais qui, n’attendant que notre premier coup, viennent de riposter par une décharge générale. A côté des batteries reconnues la veille, il est facile de compter d’autres ouvrages dont on ne soupçonnait pas l’existence, notamment une batterie rasante à l’entrée de la vallée occupée l’année précédente par la Sémiramis. Des trois batteries de cette vallée et du grand ouvrage situé en face de Mozi-saki part un feu très vif, auquel ripostent non moins vigoureusement les corvettes ; autour d’elles, la mer blanchit sous le ricochet des projectiles. Une épaisse fumée enveloppe bientôt toute la scène ; fort heureusement une légère brise, soufflant du fond du détroit, vient renouveler l’atmosphère et permettre la continuation du tir.
Il est quatre heures environ lorsque la Sémiramis a terminé son embossage et présenté le travers aux principales batteries ennemies. Elle ouvre immédiatement sur ces ouvrages le feu de ses pièces rayées de tribord. Le tir, rectifié après les premiers coups, devient d’une grande justesse ; tandis que quelques boulets ennemis essaient en vain d’atteindre la frégate et viennent tomber à quelques encablures en avant, nos projectiles à percussion éclatent sur les batteries ennemies et écrêtent les parapets. A côté de nous, l’Euryalus a cassé son embossure, ce qui ne lui permet d’utiliser que trois ou quatre pièces en chasse ; mais devant le feu nourri de la Sémiramis et celui des corvettes, qui ne s’est pas ralenti un instant sous une pluie de projectiles, l’ennemi paraît céder peu à peu. Les quatre principales batteries ralentissent progressivement leur feu ; à partir de quatre heures et demie, elles n’envoient plus que quelques coups de canon à de longs intervalles.
Les défenses du cap Kousi ont opposé moins de résistance ; les petits bâtimens, évoluant avec habileté, se sont avancés peu à peu, en continuant leur tir, jusqu’à se trouver par notre travers. De notre côté, le feu est continué régulièrement jusqu’à ce que la nuit se fasse. Vers cinq heures et demie, l’incendie se déclare dans une des batteries de la vallée ; quelques explosions illuminent de leur éclat fugitif les arbres de la montagne, dont les premières assises sont déjà plongées dans l’obscurité. À ce moment, le capitaine du Perseus, le chef de file de la troisième division, se trouvant à petite distance de ces batteries et remarquant leur abandon, jette à terre sa petite compagnie de débarquement, y joint celle de la Méduse, qui le suit immédiatement, et pénètre successivement dans les trois principales batteries ; les servans ont abandonné les pièces en laissant quelques morts à terre ; une vingtaine de canons sont encloués. Cette opération rapidement accomplie, les compagnies rentrent à bord de leurs bâtimens respectifs sans être inquiétées, rapportant avec elles quelques trophées. L’éloignement de la grande batterie voisine de la ville n’a pas permis d’y exécuter une descente semblable. — La nuit venue oblige à remettre au lendemain la suite des opérations. La première division a seule éprouvé quelques pertes : trois morts et, une quinzaine de blessés sont toutefois un faible chiffre en comparaison du nombre des projectiles qui ont atteint les bâtimens dans la coque et dans la mâture.
Les commandans en chef décident que, pour achever de mettre les batteries hors de service dans cette première partie du détroit, il est indispensable de porter sur ces batteries les troupes de débarquement. Le lendemain, dès le jour, profitant de l’effet moral causé par le tir de la veille, ils jetteront ces troupes à terre en les protégeant du feu des navires ; elles enlèveront les batteries, et une partie d’entre elles devra travailler à en détruire l’armement, tandis que le gros des forces maintiendra l’ennemi dans les bois. La nuit a ramené le calme le plus absolu sur le détroit, animé quelques heures auparavant du bruit de plus de cent cinquante pièces de canon. Quelques lumières se remarquent dans les batteries, sans doute les lanternes que les officiers japonais portent la nuit à leur ceinture.
Le 6 septembre au matin, le jour commence à poindre lorsque des détonations partent subitement de la batterie située en face de Mozi-saki. Ce sont les Japonais qui, pointant leur pièces à la première lueur du jour, ouvrent le feu sur les deux corvettes Tartar et Dupleix. Ces deux bâtimens, que le renversement du courant a fait aborder pendant la nuit, ont leurs chaînes engagées et présentent l’arrière à l’ennemi. Les deux commandans travaillent activement à se dégager ; peu d’instans après, le Tartar, puis le Dupleix, ripostent vigoureusement à l’ennemi, qui de nouveau abandonne ses pièces. Par malheur, ses premiers boulets ont causé quelques ravages : l’officier en second du Tartar a été gravement blessé ; plusieurs hommes ont été renversés sur le pont du Dupleix, le chef de timonnerie, en ce moment sur la passerelle, à côté du commandant de Franclieu, a eu la tête emportée par un boulet. Cet incident fait presser les préparatifs du débarquement ; les troupes désignées pour la descente représentent un effectif de deux mille hommes, appuyés de l’artillerie légère des embarcations et de quelques pièces de campagne : — environ trois cent cinquante marins-fusiliers pris à bord des trois navires français, sous les ordres du capitaine de vaisseau Le Couriault du Quilio, — quatorze cents marins et soldats de marine anglais, sous les ordres du capitaine de vaisseau Alexander, — deux cent cinquante marins hollandais. Un peloton de soldats de marine du Ta-kiang forme le contingent américain. Ces troupes se disposent dès sept heures dans les embarcations destinées à les porter à terre, et qui se rangent parallèlement à la plage ; elles doivent aborder, par le travers de notre mouillage, entre le cap Kousi et la vallée des Trois-Batteries.
Les préparatifs de l’embarquement du côté des Anglais, qui ont le plus grand nombre d’hommes, ne sont pas terminés avant huit heures et demie. A ce moment, les canots et chaloupes se mettent en marche, remorqués parallèlement, en petits groupes, par les bâtimens légers de l’escadre : — à gauche, les compagnies françaises destinées à former la tête de la colonne en marchant sur Simonoseki et les principaux ouvrages, remorquées par le Tancrède et le Ta-kiang ; — puis les Anglais remorqués par le Perseus, l’Argus et la Coquette ; — enfin les Hollandais par l’Amsterdam. Ces divers bâtimens lancent, tout en s’avançant vers la côte, de la mitraille sur le point vers lequel se dirige le convoi. La plage de débarquement forme une étroite ligne de sable de quelques mètres au pied d’un mamelon escarpé couvert de bois et de broussailles. A neuf heures, les troupes sont à terre, rangées en colonne sur la plage, lorsque les deux amiraux arrivent avec leurs états-majors ; ils donnent le signal de marcher en avant, et tandis que quelques compagnies gravissent le mamelon, nos marins, se portant à cinquante pas plus loin, pénètrent sans coup férir dans le premier ouvrage ennemi. Cet ouvrage, sur l’emplacement de celui que nous avions détruit l’année précédente, se compose de deux batteries : la première, armée de six pièces en bronze de 18 et 24, sur affûts de côte à pivot, et d’une pièce de campagne ; la seconde, située immédiatement au-dessus, sur la croupe du mamelon, armée de cinq pièces de côte. Les pièces n’ont pas été démontées par le tir de la veille, mais nos projectiles, dont les traces sillonnent la crête de ces solides parapets, ont dû rendre la batterie intenable pour les servans. Ces pièces ont été enclouées la veille au soir ; on achève de les mettre hors de service en brisant les écouvillons, les vis de pointage et en jetant les coins de mire à la mer. Pendant ce temps, les marines, les hommes du contingent anglais, en couronnant le mamelon boisé, ont refoulé quelques groupes de fantassins japonais qui se replient en tiraillant dans une vallée située en arrière. Cette vallée est calle qui vient aboutir à la mer, au pied des batteries. La colonne, traversant la rizière et un petit cours d’eau qui en occupe le fond, pénètre de l’autre côté dans une batterie rasante de neuf pièces de divers calibres : c’est, au dire des capitaines des corvettes, l’ouvrage qui leur a donné le plus de mal la veille au soir. Ces neuf pièces sont également mises hors d’état de servir. Pendant qu’un détachement de nos hommes opère ce travail, quelques boulets, lancés du haut de la vallée par un ennemi invisible, viennent tomber dans l’ouvrage. Sur ces entrefaites, les amiraux décident que le corps des marins-fusiliers anglais demeurera, sous les ordres du capitaine de vaisseau Alexander, pour occuper les trois batteries de la vallée, tout en travaillant à les détruire, et que le reste des forces, sous les ordres du capitaine de vaisseau Du Quilio, se portera le long de la mer du côté de Simonoseki. Les marins-fusiliers français, suivis des Hollandais, s’engagent dans la route qui suit le bord de la mer, tandis que les marines marchent parallèlement dans les bois. Le long de la plage, les chaloupes de débarquement, armées en guerre, suivent le mouvement.
Les colonnes se trouvent alors sur les flancs d’une montagne boisée qui fait suite à la vallée. Cette montagne se termine, au bord de la mer, par des falaises au sommet desquelles serpente la route suivie par nos hommes. Rien n’est pittoresque comme cette route étroite comme tous les chemins du Japon, tantôt suspendue au-dessus de la plage, tantôt s’enfonçant sous un dôme de verdure. L’ennemi, qui ne se montre pas, a abandonné deux mortiers, que l’on trouve en batterie sur la falaise. Au-dessus de nous, les marines, cheminant sur les flancs de la montagne, s’avancent également sans obstacle ; on ne trouve plus trace des tentures de guerre aux armes de Nagato, qui ont été enlevées pendant la nuit.
A dix heures et demie, les deux colonnes arrivent simultanément à l’entrée de la grande batterie. Il y a peu de minutes que l’ennemi l’a définitivement évacuée, car, pendant la marche des colonnes sur la montagne, un dernier coup de canon isolé a été envoyé sur le mouillage des corvettes. Les Japonais se sont repliés sur la ville et dans les bois, d’où ils entretiennent, sans se découvrir, un léger feu de tirailleurs ; un feu semblable suffit pour les maintenir dans cette position défensive, tandis que les troupes pénètrent dans la batterie. C’est un fort bel ouvrage, construit avec un grand soin, suivant les profils de notre fortification moderne ; les quatre faces sont armées collectivement de quatorze pièces en bronze, dont dix pièces sur affût de côte, une pièce sur affût de campagne, et trois obusiers de gros calibre. Du côté de la colline, une forte palissade entoure l’esplanade de la batterie ; plusieurs puits, une poudrière, trois ou quatre casernemens en planches complètent son emménagement. A cent pas dans la colline, un grand magasin à poudre protégé par un pli de terrain renferme un amas considérable d’obus, de la poudre et des armes, principalement des arcs et des flèches.
De cet ouvrage à l’entrée de Simonoseki, la côte est dépourvue de batteries ; nous occupons donc en ce moment, à l’exception de l’extrémité de Kousi-saki, toutes les défenses de la première partie du détroit. La ville nous est masquée par le retour du terrain ; sur la côte opposée, une grande baie, faisant suite au cap Mozi, se déploie jusqu’au pied des hautes montagnes de Kokoura. Dans l’ouest, l’île d’Hikousima, complétant avec la ville les contours de cette partie renflée du détroit, nous paraît, à la lunette, armée de quelques ouvrages : l’un d’eux envoie des coups de canon, bravade inutile, vu la distance considérable qui permettrait tout au plus à nos boulets de l’atteindre.
Des détachemens sont envoyés en reconnaissance du côté de Simonoseki ; ils parviennent sur un plateau d’où l’on domine les faubourgs formant un cordon de maisons le long d’une rue parallèle à la mer ; au-dessus de cette rue, des escaliers conduisent à des pagodes et à des bonzeries entourées de bois. La ville paraît déserte et sans ouvrages de fortification, mais du haut des pagodes et des arbres un ennemi presque invisible entretient un tir irrégulier de mousqueterie. Les commandans en chef, après s’être portés sur ce plateau, donnent l’ordre de conserver simplement les positions occupées. La chaleur se faisant vivement sentir, les troupes se reposent et dînent ; puis, tandis que des cordons de tirailleurs se maintiennent dans la montagne, l’on procède à la destruction du matériel des batteries ; les poudres sont noyées, les affûts sont brisés et réunis en amas auxquels on met le feu ; le magasin à obus du grand ouvrage est incendié et fait explosion en couvrant les alentours de débris.
Vers deux heures de l’après-midi, une nouvelle reconnaissance est poussée sur le chemin qui longe la mer par nos fusiliers-marins et les Hollandais, appuyés des embarcations. Au bout de 400 mètres, la tête de colonne arrive à l’entrée du faubourg. Un petit phare en pierre, en forme de pyramide, s’y élève, l’extrémité d’une jetée de quelques mètres, protégeant une flottille de bateaux de pêche. La rue qui se déroule devant nous paraît déserte : à quelques obus lancés sur le faubourg par nos pièces de campagne répondent à peine trois ou quatre coups de fusil tirés des maisons les plus éloignées. Les commandans en chef jugent inutile de pousser plus loin pour cette journée les opérations, et nos fusiliers reviennent avec les Hollandais vers les batteries, où les troupes alliées occupent à cette heure près d’un kilomètre et demi de terrain. De trois à quatre heures, nos fusiliers-marins et les compagnies hollandaises s’embarquent, sous l’escarpe du grand ouvrage, pour regagner leurs navires respectifs ; le bataillon des marines se replie, en suivant le chemin de la plage, sur les premières batteries.
Vers cinq heures du soir, nous entendons dans la vallée des rizières une légère fusillade engagée entre les troupes anglaises encore à terre et un ennemi qui paraît établi derrière les collines. Cette fusillade s’élève peu à peu vers le fond de la vallée, puis acquiert une assez vive intensité ; des détonations d’artillerie viennent s’y joindre. Nous apercevons bientôt quelques files de blessés se diriger vers les embarcations. Le bruit de la mousqueterie persiste jusqu’au crépuscule. À ce moment seulement nous est donné le détail de cet engagement. — Avant de faire embarquer ses hommes, le capitaine de vaisseau Alexander, profitant de la présence du bataillon de marines qui venait de rallier, a voulu pousser une reconnaissance dans le fond de la vallée, d’où l’ennemi, pendant toute la journée, a manifesté sa présence en envoyant de temps à autre quelques balles ou boulets dans la direction des batteries. La reconnaissance s’est mise en marche sur deux colonnes, les marins suivant le chemin de la vallée, le corps de marines, sous les ordres du lieutenant-colonel Suther, marchant à droite par les bois. Ces colonnes ont été bientôt accueillies par un feu de mousqueterie, et lui ont répondu tout en marchant. A l’extrémité de la vallée, les troupes ont reconnu un ouvrage palissade, garni d’un corps assez nombreux d’infanterie et de quelques pièces de campagne. L’ordre a été donné d’emporter l’ouvrage. Les deux colonnes se sont avancées simultanément malgré le redoublement du feu de l’ennemi, qui, menacé d’être pris en flanc par la colonne des marines, a lâché pied lorsque les assaillans n’étaient plus qu’à une trentaine de mètres. Les Japonais ont fui dans la montagne en emportant leurs blessés. Les Anglais, pénétrant dans l’ouvrage, ont surpris encore quelques traînards. Le retranchement est un assez vaste abri destiné à loger des réserves de troupes, et contenant, indépendamment de cinq ou six pièces de campagne en batterie, un approvisionnement d’armes et de munitions. La nuit se faisant, les pièces ont été enclouées, les affûts brisés, et les troupes, sans être inquiétées, se sont repliées vers les embarcations après avoir mis le feu aux logemens de l’ouvrage. Cette conquête leur a toutefois causé des pertes assez sensibles : huit morts et une quarantaine de blessés ont été successivement portés au rivage. Parmi ces derniers sont deux officiers des marines et le capitaine de vaisseau Alexander, qui, blessé d’une balle au pied vers le milieu de l’action, a dû remettre le commandement au lieutenant-colonel Suther.
La fin de cette seconde journée nous voit donc en possession définitive de la première partie du détroit ; à cette heure, quarante-deux pièces de canon sont au pouvoir des divisions alliées.
Le lendemain, 7 septembre, une division de corvettes devra dans la soirée, au changement de flot, doubler le cap Mozi et reconnaître la seconde partie du détroit, celle qui s’étend entre la ville et Hikousima. Si quelques batteries se démasquent au-dessus de Simonoseki, les corvettes répondront à leur feu tout en suivant de près la côte sud, s’éloignant après le cap pour former la baie de Mozi. En attendant l’heure favorable, la division tout entière devra concourir à l’embarquement à bord des navires des pièces conquises la veille, cette mesure paraissant, aux yeux des commandans en chef, la plus propre à démoraliser l’ennemi. Dès le matin, de nombreuses corvées sont envoyées dans les batteries, où elles arrivent sans être inquiétées et commencent leur travail. De forts détachemens qui les protègent se tiennent dans la montagne, où leur présence paraît utile, car elle maintient à distance les Japonais, qui persistent à se montrer de temps à autre sous les bois. La Sémiramis, qui est venue mouiller contre le cap Mozi, envoie dans la journée quelques obus sur les faubourgs afin d’empêcher l’ennemi de s’y rassembler à couvert. — Les corvettes Tartar,. Dupleix, Métal-Cruis et Djambi appareillent vers cinq heures du soir en branle-bas de combat, et passent successivement la pointe ; elles disparaissent bientôt derrière les terres. La nuit vient sans que le moindre coup de canon se soit fait entendre de ce côté ; les travailleurs sont rentrés des batteries, rapportant dans les chaloupes la plus grande partie des pièces.
Le 8 au matin, des embarcations sont envoyées au-delà de la pointe pour communiquer avec les corvettes. Celles-ci, en défilant la veille en avant de la ville, n’y ont pu reconnaître d’ouvrages de défense. Deux batteries qui s’élèvent sur la côte d’Hikousima ont été occupées sans coup férir ; l’une d’elles, complètement désarmée, était un grand ouvrage encore inachevé ; dans l’autre, sept pièces ont été enclouées. En poussant dans l’intérieur de l’île, un détachement de nos marins, tombant sur un corps de garde que les Japonais évacuent au moment même, y a trouvé un complet assortiment d’armures de guerre.
A neuf heures, tandis que des détachemens retournent aux batteries pour embarquer les dernières pièces, les amiraux montent à bord de la Coquette, et, se dirigeant vers le mouillage des corvettes, vont reconnaître le détroit dans tout son parcours. La Coquette passe auprès des corvettes, leur communique l’ordre d’embarquer les pièces enclouées sur l’île, et, défilant en vue du château de Kokoura, dont les murs s’élèvent sur la côte de Bouzen, au pied des montagnes, franchit le dernier coude du détroit. Les commandais en chef peuvent constater que désormais le détroit est libre et sans obstacle jusqu’à sa sortie dans la mer de Chine. Ils sont à peine revenus à leurs bords que la nouvelle se répand que l’ennemi demande à parlementer. À ce moment toutefois, le Tancrède, mouillé quelque cent mètres en avant des faubourgs de Simonoseki, est assailli de quelques coups de fusil tirés des pagodes. Il y riposte aussitôt par quelques volées de mitraille ; mais bientôt le pavillon blanc, arboré au grand mât de tous les navires, vient annoncer la suspension momentanée des hostilités.
La conclusion d’une suspension d’armes est confirmée quelques heures après. Un envoyé du prince de Nagato, accompagné de quelques officiers, s’est présenté vers midi à bord de l’Euryalus, où s’est rendu immédiatement le contre-amiral Jaurès pour le recevoir conjointement avec l’amiral Kuper. L’envoyé, introduit auprès d’eux, s’est prosterné à leurs pieds, témoignant ainsi d’une façon tout orientale de l’infériorité que lui a donnée vis-à-vis des chefs étrangers le sort des armes. Le délégué du prince de Nagato est un de ses karos (le karo est le principal dignitaire attaché à la personne d’un daïmio, son premier conseiller) ; il a déclaré que son maître n’avait attaqué les étrangers que d’après les ordres formels du mikado et du taïkoun, que les hostilités étaient donc le résultat d’une méprise, enfin que le prince renonçait à la lutte. Les commandans en chef lui ont dicté un projet de convention que devra accepter immédiatement le prince, convention stipulant la libre ouverture du détroit et le paiement d’une indemnité comme remboursement des frais de la guerre et rançon de la ville de Simonoseki, jusqu’alors épargnée. Une première condition de la suspension d’armes, exécutoire le jour même, est la reddition des canons encore en batterie sur Kousi-saki et tout autre point de la côte du détroit. Le karo est reparti après la conférence, promettant de donner immédiatement des ordres concernant cette dernière clause et de présenter les autres au prince de Nagato, qui réside à son château d’Anghi, sur la côte ouest de la province, à une journée de marche environ.
Dès le lendemain matin en effet, les canons armant les rochers et la côte de Kousi-saki étaient remis entre nos mains. Les Japonais eux-mêmes aidèrent nos travailleurs à les embarquer ; la plupart d’entre eux, hors de la présence de leurs chefs, ne cherchaient pas à dissimuler leur satisfaction de la terminaison des hostilités. Imitant de la voix le bruit de nos boulets explosibles, ils déclaraient à tout venant que la guerre était une chose fort désagréable. Cette reddition porta à soixante-dix environ le nombre des pièces de tout calibre en notre pouvoir. Elles étaient toutes en bronze ; quelques-unes devaient être d’origine étrangère, mais beaucoup avaient pertinemment été fondues au Japon, ce qu’indiquaient les inscriptions gravées sur la culasse. La répartition en fut faite entre les divisions alliées.
Le Tancrède fut expédié de Simonoseki à Shang-haï avec les dépêches annonçant à la fois la déclaration et l’heureux résultat des hostilités. D’un autre côté, le Ta-kiang fut dirigé sur Yokohama par la route de la Mer-Intérieure avec ceux des blessés qui purent souffrir le transbordement. Une partie de la division alliée, avec les gros bâtimens, vint mouiller dans la seconde branche du détroit, de façon à ce que les navires échelonnés sur sa longueur pussent surveiller tous les points de la côte. Le courant de marée atteint contre la rive même de Simonoseki une violence assez grande pour faire chasser les navires à l’ancre et rendre difficile la manœuvre des embarcations. Nous fûmes obligés d’aller mouiller un peu plus au large de la ville, au fond de la baie de Mozi.
En attendant la réponse du daïmio de Nagato, les états-majors furent autorisés, sous leur propre responsabilité toutefois, à circuler sur les deux côtés du détroit et dans la ville même ; chacun s’empressa de mettre à profit cette permission. La ville, pendant les journées de l’attaque, avait été complètement désertée par ses habitans ; dès que la suspension d’armes eut été publiée, ils revinrent peu à peu. Le premier jour où nous descendîmes, c’était le 9 septembre, une partie de la population mâle était déjà venue reprendre possession de ses pénates ; trois jours après, les rues offraient leur physionomie accoutumée. — Rien n’est pittoresque comme cette vieille cité populeuse et commerçante. Les hautes montagnes qui bordent la première partie du détroit s’abaissent dans la portion suivante en formant un monticule peu élevé qui longe les sinuosités de la côte. La ville, faisant suite à ses faubourgs, forme au pied de ce monticule un long ruban coupé par une anse et une petite rivière. Ses rues sont irrégulières, bordées de maisons étroites et peu élevées ; très propres à l’intérieur, comme toutes les habitations japonaises, elles ont revêtu extérieurement, grâce à leur vétusté, une couleur de vieux bois où le peintre retrouverait avec délices toute la gradation des tons les plus chauds de la palette. C’est d’ailleurs le caractère de toutes les vieilles villes japonaises, et qui manque à Yokohama, de construction toute récente. La plupart des rues sont garnies de boutiques et très fréquentées ; les hôtelleries, les magasins, de denrées et d’étoffes, les ateliers d’artisans ajoutent leur animation à celle de la foule. Simonoseki est un des principaux entrepôts du commerce japonais. Les jonques marchandes, en quantités innombrables, chargées de riz, de soie, de coton, de bois de construction, de cargaisons de denrées et de saki (eau-de-vie de riz), passent à toute heure le détroit ; beaucoup d’entre elles stationnent ou déchargent à Simonoseki, mouillées tout contre la ville et dans l’étroit canal qui passe au nord d’Hikosima. Lors de notre arrivée dans le détroit, toutes les jonques avaient fui ou s’étaient cachées dans les criques des côtes voisines ; mais bientôt après elles étaient revenues à leur mouillage habituel, et les cales de déchargement de la ville avaient repris leur activité accoutumée.
Les rues transversales aboutissant a la colline se terminent invariablement par des escaliers de pierre, qui conduisent à des pagodes et à des bonzeries dont les immenses toits, les rampes sculptées, les lanternes en forme de pyramide se cachent à demi sous le feuillage des pins, des lauriers-camphre et des cèdres. Simonoseki est renommée pour l’antiquité et la sainteté de ses pagodes ; il est probable que les Japonais affectionnent ce lieu pour leurs sépultures, si l’on en juge par les milliers de tombes qui couvrent la colline autour des bonzeries. Comme la plupart des cimetières de l’Orient, ceux des Japonais ont un cachet particulier de grâce et de poésie. Toujours situés dans un lieu pittoresque, ils se groupent à l’ombre de grands arbres, sur la pente d’une colline d’où l’on jouit d’une agréable perspective. Les tombes sont figurées par des pierres rectangulaires, plantées verticalement en rangs serrés ; la partie supérieure est souvent façonnée en forme de fleur de lotus ; sur la face latérale sont gravés en caractères chinois les noms du défunt ; à la base, une ou deux petites cavités creusées dans le soubassement de la pierre recueillent l’eau de la pluie et forment des citernes où l’âme viendra la nuit se désaltérer. Devant les tombes les plus fraîchement creusées, de petits vases formés d’un morceau de bambou fiché en terre renferment des bouquets de fleurs disposés par la main des parens ou les soins des moines de la bonzerie voisine ; on y joint quelquefois une coupe en porcelaine remplie de riz. Ici malheureusement, comme ailleurs, le temps fait bientôt succéder à ces pieuses pratiques l’indifférence et l’oubli ; les vieilles tombes n’ont plus d’autre parure que l’herbe sauvage, les mousses et les lichens aux brillantes couleurs. Les Japonais ont pour habitude de brûler leurs morts, ce qui explique le peu d’emplacement occupé par ces tombes. De petites concessions entourées d’une barrière sont réservées pour l’usage des familles d’un certain rang ; les pierres tumulaires sont disposées, avec des vases de fleurs, des deux côtés d’une allée de quelques pas de longueur ; au fond de l’allée s’élève une pagode en miniature. Les pagodes japonaises ont toutes à peu près le même caractère. Construites en bois sculpté, recouvertes d’énormes toits de forme chinoise, ornées de ferremens et de figures en bronze, elles plaisent par l’originalité des détails et le sentiment d’élégance et d’harmonie qui a présidé à la conception de l’édifice. La pagode la plus renommée de Simonoseki est celle de Kami-hama-You, bâtie sur le sommet d’un petit monticule isolé, entouré moitié par la mer, moitié par la ville même ; on y monte par trois grands escaliers ombragés de beaux arbres, ornés de portiques et de lanternes en granit. En arrivant au sommet, nous reconnûmes facilement, de chaque côté du corps de logis principal, deux esplanades disposées pour loger des canons, mais vraisemblablement abandonnées depuis plusieurs mois. C’est de ce point, l’année précédente, que les Japonais avaient tiré sur le Kien-chan, le Wyoming et la Méduse à leur passage devant la ville.
Les divisions alliées restèrent au mouillage de Simonoseki dix jours environ après la suspension des hostilités. Dans leur mémorandum du 25 août, les représentans étrangers à Yokohama, indiquant aux commandans en chef une ligne générale de conduite, signalaient à leur attention deux points principaux. Ils demandaient d’abord qu’on s’emparât d’une position importante du détroit et qu’on la conservât comme gage jusqu’au jour où, par l’intermédiaire du taïkoun, le prince de Nagato aurait consenti à payer une indemnité en compensation des frais de la guerre. Ils demandaient ensuite qu’on examinât, au point de vue maritime, s’il y aurait avantage à réclamer l’ouverture, dans le détroit de Simonoseki, d’un nouveau port commercial. Sur le premier point, il parut difficile au commandant en chef de notre division navale de suivre la marche proposée. L’occupation plus ou moins prolongée d’une partie quelconque du détroit exigerait un déploiement de forces auquel les Anglais pourraient seuls suffire au moyen de leur bataillon de soldats de marine. Il est vrai qu’une clause d’un autre mémorandum des ministres européens signé le 22 juillet 1864 stipulait qu’en cas semblable l’occupation serait faite au nom des quatre nations alliées pour l’entreprise ; mais la présence de troupes au milieu des populations du pays, en contact avec l’élément militaire vaincu et probablement surexcité par sa défaite, pouvait amener de fâcheuses complications ; le maintien de quelques navires au mouillage de Simonoseki, sans avoir ces inconvéniens, suffirait à garantir le non-réarmement du détroit et l’exécution des clauses de l’armistice. Le vice-amiral Kuper se rangea à cet avis. Quant au commodore hollandais, il avait la plus grande hâte de renvoyer à Batavia trois de ses navires, conformément à des ordres précis du gouvernement des Indes néerlandaises. Le premier point fut donc ainsi réglé.
Quant au second, l’avis des commandans en chef fut qu’en raison de la violence, des courans, la côte de Simonoseki n’offrait nulle part un mouillage praticable aux navires de commerce : la baie de Mozi pouvait seule être utilisée pour la création d’un port ; mais dès lors on était amené à fonder l’établissement commercial sur la côte sud du détroit, perdant ainsi les avantages de la proximité d’une ville commerçante. En résumé, devant les difficultés pratiques d’une semblable entreprise, il paraissait plus simple et plus rationnel de songer à avancer le terme fixé pour la prochaine ouverture du port d’Osaka, infiniment mieux situé comme débouché des produits du pays.
La première sollicitude du commandant en chef de notre division fut en définitive d’empêcher l’occupation du détroit par une force étrangère quelconque et d’en obtenir avant tout la neutralisation. La convention provisoire rédigée par les amiraux remplissait cette condition en stipulant que le détroit serait désormais ouvert à tous navires, qu’il n’y aurait ni canons ni défenses sur la côte du nord, et que le ravitaillement des navires de guerre et de commerce pourrait se faire à Simonoseki. Un autre article déclarait qu’une indemnité serait payée par le prince comme remboursement des frais de la guerre et rançon de la ville de Simonoseki, qui avait été épargnée ; le chiffre de cette indemnité serait ultérieurement fixé par les représentans à Yokohama des puissances ayant pris parti l’expédition. La convention, dans le dernier article, était déclarée exécutoire en sus des autres arrangemens qui pourraient ou avaient pu survenir entre le gouvernement du taïkoun et les gouvernemens étrangers au sujet du prince de Nagato.
Ladite convention, ainsi libellée, fut définitivement revêtue de la signature et du sceau du prince de Nagato. Le prince, auquel les commandans en chef avaient fait donner l’avis qu’il eût à paraître en personne, s’excusait sur les ordres formels du mikado, qui le consignaient dans sa demeure comme accusé de révolte contre l’autorité impériale ; il ajoutait que son fils, Nagato-no-kami, était du côté de Kioto, travaillant à conjurer les malheurs suspendus sur sa famille. A part la façon dont étaient présentés les faits, l’assertion du prince s’accordait avec des nouvelles parvenues à Yokohama le jour même de notre départ pour la Mer-Intérieure. Les deux karos du prince, qui vinrent en son nom à Simonoseki, accompagnés d’une suite nombreuse d’officiers, furent agréés comme ses fondés de pouvoir. L’examen minutieux qu’ils firent des bâtimens amiraux et de leur artillerie parut les affermir dans leur résolution de mettre fin à toute résistance ; ils se retiraient après avoir acquis la certitude qu’en dépit de leurs efforts la supériorité resterait toujours à nos engins de guerre.
Les bâtimens anglais appareillèrent le 19 septembre et prirent la route de la Mer-Intérieure. Un navire de commerce affrété en Chine à destination de notre division était arrivé à Simonoseki, chargé de charbon et de vivres. Ayant donc pu compléter nos approvisionnemens, nous appareillâmes le 20, laissant au mouillage du détroit le Tancrède, en compagnie de la Barossa et d’une corvette hollandaise. Ayant pris la route de la Mer-Intérieure à la suite des divisions anglaise et hollandaise, nous les trouvâmes le lendemain au mouillage de Marougamé. Sur une colline boisée, les murailles et les hautes tours d’un château de daïmio[7] s’élevaient en étages jusqu’au sommet, à demi cachées sous les bois, une petite ville groupée contre la base de la colline, comme cherchant la protection de la demeure seigneuriale, achevait de donner une couleur féodale au paysage. Le vice-amiral Kuper ayant l’intention d’effectuer son retour à petites journées sans perdre de vue ses canonnières, nous poursuivîmes seuls notre route.
L’approche de la saison d’hiver, toujours mauvaise sur les côtes peu hospitalières du Japon, rendait urgent le ralliement des divisions sur Yokohama. Le 24 au soir, déjà engages entre les îles qui précèdent le golfe de Yédo, nous fûmes assaillis par un ouragan qui, après nous avoir ballottés quinze ou seize heures dans l’ignorance absolue de la position du navire, nous permit enfin, dans la journée du lendemain, de pénétrer dans la baie et de regagner notre mouillage habituel de Yokohama. Le Dupleix avait exactement passé, à quelques milles de nous, par les mêmes péripéties. Cinq jours après, les divisions anglaise et hollandaise, ayant également essuyé des mauvais temps dans la dernière partie de leur traversée, arrivèrent à leur tour au mouillage.
Pendant notre absence, la situation s’était de nouveau gravement modifiée. Quelques détails sur les événemens qui avaient coïncidé avec notre campagne et sur l’état où le Japon se trouve depuis notre succès militaire seront la conclusion naturelle de ce récit.
Le 28 août 1864, alors que la moitié des bâtimens alliés avait déjà pris le large, le vice-ministre Takemoto était arrivé inopinément à Yokohama. Il venait informer les représentans étrangers d’une importante nouvelle. Le 20 août au matin, un corps de troupes, rassemblé à la faveur de la nuit sur une des collines avoisinant Kioto, avait marché sur la capitale. Ce corps de troupes, composé d’hommes appartenant au prince de Nagato, pénétrant dans la ville par l’ouest, s’était dirigé sur le palais du mikado, qui en occupe l’autre extrémité. L’alarme avait été immédiatement donnée ; bientôt les soldats préposés à la garde du palais et des différentes portes intérieures de la ville, prévenus à temps, avaient pris les armes. Un violent combat s’en était suivi, où l’artillerie même avait été employée des deux parts. Le lendemain seulement, grâce à l’arrivée de nouvelles troupes appartenant à divers daïmios et au taïkoun, les assaillans avaient été définitivement dispersés, avec des pertes importantes de part et d’autre. Une grande partie de la ville avait été brûlée pendant le conflit ; le palais du mikado était sauf, mais lui-même avait dû se réfugier dans un temple en dehors de l’enceinte de cette résidence.
Le vice-ministre paraissait satisfait d’avoir à transmettre ces nouvelles. « Malgré, disait-il, tout ce qu’a d’odieux un pareil attentat, il sert la cause du taïkoun en mettant définitivement le daïmio de Tcho-chiou[8] hors la loi : telle était la décision du mikado. Chargé d’exécuter ses ordres, le gouvernement de Yédo donne au rebelle quinze jours pour présenter des explications et justifier sa conduite, faute de quoi il sera déclaré ennemi du mikado, du taïkoun et du peuple. »
Le même jour était affiché dans les rues de Yokohama l’avis suivant :« Cette fois, le palais et la ville du mikado ayant été brûlés, il est défendu de donner la comédie, de jouer d’aucun instrument de musique, de faire des processions joyeuses, en un mot de faire de grandes démonstrations de joie, et ceci doit être scrupuleusement observé jusqu’à nouvel ordre. »
Le taïkoun ne pouvait donner trop de publicité à l’acte de félonie de son plus ancien et plus dangereux ennemi.
Informé officiellement, aussitôt après le départ des derniers bâtimens alliés, du but de l’expédition qu’ils allaient entreprendre, le gouvernement de Yédo protesta de tout son pouvoir, ainsi qu’il en avait été convenu, et demanda en vain le rappel immédiat des bâtimens. Le vice-ministre Takemoto reprit avec les représentans étrangers la suite de ses nombreux entretiens : les affaires du moment et l’espoir de meilleures relations après l’apaisement des troubles intérieurs en étaient le sujet ordinaire. Lorsque les nouvelles du succès des divisions alliées, succès rendu peut-être plus facile par l’emploi d’une partie des forces de Nagato dans ses entreprises sur Miako, parvinrent à Yokohama, elles furent joyeusement accueillies des deux parts. Toutefois, par la suite, une préoccupation parut vivement peser sur le vice-ministre japonais. La présence prolongée des escadres à Simonoseki, en relations avec le daïmio rebelle, et surtout le maintien de quelques navires au mouillage du détroit, le contrariaient visiblement. Ses argumens pour obtenir leur rappel immédiat se succédaient sans relâche. Profitant de cette disposition d’esprit, les ministres étrangers lui firent entendre que ce rappel serait conditionnel, et n’aurait lieu qu’après le règlement des points sur lesquels ils comptaient obtenir prochainement satisfaction définitive.
Pendant ce temps, Yédo avait vu s’accomplir le premier acte d’exécution de la sentence prononcée contre le daïmio de Nagato, déclaré définitivement hors la loi, condamnation retombant, suivant la loi japonaise, sur sa famille et ses serviteurs. Une proclamation, affichée un matin dans les rues de Yédo, avait annoncé pour le lendemain la destruction du palais du prince, situé, comme ceux des autres daïmios, dans le quartier noble de la ville. Après avoir rappelé en termes pathétiques la destruction d’une partie de la capitale et les dangers courus par la personne auguste du mikado, la proclamation concluait ainsi :
«….. Dès demain, les palais de Tcho-chiou seront détruits et ses gens châtiés. A partir de huit heures jusqu’à dix heures du matin, aucun Japonais ne pourra quitter sa demeure. A la quatrième heure, au son des tambours et des cloches, tout Japonais pourra, sans franchir toutefois les limites assignées par les yakounines, s’approcher des ruines du palais et assister au châtiment du rebelle Tcho-chiou. »
Le lendemain, à l’heure dite, l’exécution avait lieu. Le palais était cerné par les yakounines, tandis que des escouades d’ouvriers, se mettant à l’œuvre, s’appliquaient à renverser et à détruire tout ce qui s’élevait dans ses murs. Par application de la loi japonaise, qui englobe les serviteurs dans la punition de leur maître, tout ce qui serait trouvé de vivant dans l’enceinte devait être passé par les armes. D’après les premières versions arrivées à Yokohama, un grand nombre de serviteurs, de femmes et d’enfans avaient été ensevelis sous les ruines ou massacrés ; il parait toutefois que ce premier compte-rendu était, sinon faux, au moins entaché de beaucoup d’exagération, et qu’en tout cas un très petit nombre de serviteurs, n’ayant pu ou voulu s’échapper à temps du palais, tombèrent victimes d’une loi qui pousse à ses dernières limites le principe de la responsabilité.
Les derniers bâtimens, avons-nous dit, venaient de rallier Yokohama le 30 septembre. Il fut décidé que, mettant à profit l’effet moral du succès de Simonoseki, les ministres étrangers se rendraient à Yédo pour conférer avec les membres du gouvernement, et qu’ils seraient accompagnés par les divisions alliées. Nous appareillâmes le 5 octobre pour la baie de Yédo avec la Sémiramis et le Dupleix ; trois corvettes hollandaises et cinq ou six navires anglais complétaient la petite escadre, qui fut rendue en quelques heures à son nouveau mouillage.
Le fond du golfe de Yédo est peu praticable aux gros navires, en raison de la faible profondeur de l’eau au-delà de Kanagawa. Nous dûmes jeter l’ancre à deux milles au sud des défenses de la rade : cinq forts en ligne droite, bâtis sur pilotis, montraient au-dessus de l’eau leur escarpe polygonale en maçonnerie. A deux milles en arrière des forts, une suite de collines basses bordait l’horizon d’une ligne confuse de verdure et d’édifices à peine perceptibles dans l’éloignement ; c’est ainsi qu’apparaît Yédo vu de la mer. A gauche, une rangée de collines plus élevées nous cachait le mouillage de Yokohama ; non loin des forts, un petit groupe de navires portant la flamme et le pavillon du taïkoun était à l’ancre auprès de grosses jonques marchandes[9]. Nous n’entreprendrons point de parler longuement de Yédo, dont un voyageur a déjà donné dans la Revue de fidèles et pittoresques descriptions[10]. La capitale officielle du Japon se recommande moins d’ailleurs par ses aspects extérieurs que par les détails de sa vie intime. De grands enclos boisés, propriété des bonzeries ou de la noblesse, en séparant entre eux les quartiers populeux, donnent à la ville une physionomie agréable, mais sans cachet particulier ; on dirait une suite de villages échelonnés à courts intervalles dans une campagne verdoyante. Cette dissémination des divers quartiers, jointe à une population évaluée à trois millions d’âmes, donne le secret de l’immense étendue de Yédo. Quand on pénètre dans le quartier officiel, situé sous les murs du palais du taïkoun, on remarque un changement complet dans la physionomie de la ville. Ce quartier, où s’élèvent les palais des daïmios, offre un groupe d’édifices peu élevés, cachés derrière une enceinte dont les murs, avec leurs fenêtres grillées, ont l’apparence de fortifications. De temps à autre, une porte massive en bois laqué, ornée de gros clous et de charnières en bronze, surmontée des armes du daïmio qui habite le palais, donne accès sur la voie. Après le bruit de la ville plébéienne, ce qui frappe le promeneur introduit subitement dans ce quartier, c’est le silence et l’aspect solennel de ses longues rues. En longeant ces interminables enceintes, vous apercevez à peine quelques figures apparaissant curieusement par l’entrebâillement d’une porte ou le grillage d’une fenêtre. De temps à autre passe le cortège d’un daïmio se rendant à l’audience, assis dans son norimon ou palanquin, accompagné de la suite et des insignes exigés par l’étiquette. Quelquefois on rencontre un hatta-motto, en grande tenue de ville, sortant de chez lui à cheval. Deux bétos tiennent les rênes de la monture sur laquelle il est gravement assis, revêtu de l’élégant kami-shimon de soie bleue, son large chapeau plat en laque bleue ou noire ramené sur le front. De chaque côté du cheval marchent deux officiers. Derrière, quelques serviteurs portent la lance, emblème du rang de ce haut fonctionnaire, et les boîtes laquées contenant ses effets. Ailleurs, sur une esplanade de gazon, de tout jeunes garçons, sous l’œil de leur professeur, s’exercent à monter à cheval ou à tirer de l’arc. Généralement toutefois ces exercices ont lieu à l’intérieur des palais, et il est telle de ces grandes enceintes, soigneusement fermées, où l’on peut entendre résonner tout le jour le bruit de la mousqueterie et parfois du canon.
Du palais du taïkoun, l’on n’aperçoit que l’enceinte, énorme muraille revêtue d’une maçonnerie cyclopéenne et bordée d’un fossé plein d’eau ; cette muraille peut avoir deux kilomètres de tour ; des portes fortifiées, précédées de ponts, donnent accès dans la demeure taïkounale. En faisant le tour de cette enceinte, nous longeâmes un large emplacement quadrangulaire entouré d’une barricade de planches, et dont le sol entièrement nu paraissait avoir été récemment dévasté ; quelques souches d’arbres calcinées, l’orifice béant de deux ou trois puits, des débris informes de tuiles et de pierres, témoignaient que des habitations avaient dû exister sur ces terrains désolés. « Le palais de Tcho-chiou ! » nous dirent laconiquement, en montrant du doigt l’emplacement, les yakounines à cheval qui nous servaient d’escorte. C’était en effet tout ce qui restait du palais du prince de Nagato.
Le gorogio ou conseil des ministres du taïkoun siège dans un grand édifice voisin de l’enceinte taïkounale. Le lendemain de l’arrivée des divisions, une séance solennelle réunit les membres de ce conseil aux ministres des puissances européennes, accompagnés des commandans en chef. Les représentans des états européens s’étaient installés la veille à leurs légations respectives, escortés de forts détachemens de soldats et de marins-fusiliers qui campèrent pendant ces quelques jours dans les dépendances des légations. Comme d’habitude, une armée de yakounines en occupait les issues[11]. Dans cette séance (du 30 septembre 1864) furent discutées les bases d’un arrangement général des difficultés pendantes, arrangement qui fut libellé définitivement quelques jours après. Le gouvernement japonais renonçait à réclamer la fermeture du port de Yokohama ; il cesserait d’apporter des entraves au commerce, et en particulier laisserait immédiatement arriver les soies sur le marché de Yokohama. Il acceptait désormais la convention de Paris, et se chargeait de faire appliquer le traité provisoire signé par le prince de Nagato et les commandans en chef. L’indemnité, arrêtée, comme chiffre total, à 18 millions de francs, serait payée par ses soins aux gouvernemens étrangers. Enfin les représentans des puissances seraient réinstallés à Yédo, où l’on s’occuperait de leur reconstruire des légations. Sir R. Alcock insista néanmoins pour l’insertion dans la convention d’un article laissant aux gouvernemens étrangers le choix d’accepter l’indemnité ainsi fixée, ou de réclamer, en place de cette indemnité, l’ouverture au commerce maritime du port de Simonoseki[12]. Ces concessions promettaient d’être et furent en effet l’inauguration d’une situation meilleure, qu’il fallait attribuer d’une part au raffermissement du pouvoir taïkounal[13], d’autre part, suivant les prévisions, à l’effet produit par la communauté d’entente des nations étrangères et par l’heureuse expédition de Simonoseki. Le commerce des soies avait été complètement interrompu depuis quelques mois ; on les vit arriver sur le marché de Yokohama aussitôt après le retour des ministres de Yédo, tandis que le gouvernement japonais s’occupait de l’exécution des autres clauses. Dans les dernières conférences tenues à Yokohama, Takemoto, poussé par les ministres étrangers, avait peu à peu fait des aveux relativement au point fondamental de la constitution japonaise : le taïkoun était bien et dûment le subordonné du mikado ; si ce dernier lui laissait, dans le cours ordinaire des choses, la direction complète des affaires du royaume, il se réservait cependant les décisions d’une importance extraordinaire. Enfin il était vrai que, tout en paraissant envisager d’un œil plus calme l’introduction des étrangers sur le sol du Japon, le mikado n’avait pas encore donné sa sanction à leur présence et aux traités qui la légalisaient à nos yeux. C’est donc à cette sanction que devaient tendre désormais les efforts de nos représentans, comme le seul gage certain de la paix et de la prospérité futures. Le gouvernement de Yédo reconnut la justesse de cette conclusion, et promit de s’employer activement dans ce sens dès qu’il aurait dompté le prince rebelle de Nagato. Un corps d’armée, rassemblé par le taïkoun et grossi des contingens de plusieurs daïmios, allait même, assura-t-il, marcher d’Osaka sur le territoire du prince rebelle[14].
Un autre daïmio ami des Européens, Sakaï, vint de son côté à Yokohama renouer ses anciennes relations avec les ministres. Par ses soins, une revue des troupes japonaises du district eut lieu devant les représentans et les commandans en chef étrangers. Après avoir assisté aux manœuvres de ligne exécutées par deux bataillons d’infanterie organisés et équipés à l’européenne, nous eûmes le curieux spectacle d’un corps de guerriers simulant un combat suivant l’ancienne tactique japonaise. Nous aurions de la peine à rendre compte de l’étrangeté de cette scène, à décrire la richesse et la diversité des armures, les évolutions des combattans s’abordant à l’arme blanche, l’éclat des bannières déployant au vent les emblèmes des nobles guerriers, le bruit singulier des conques marines servant de signal d’attaque ou de ralliement. Nous venions de voir défiler sous nos yeux, pendant ces quelques heures, comme une évocation du moyen âge avec sa chevalerie et ses tournois.
Un fâcheux événement ne tarda pas cependant à jeter la tristesse au milieu de cette période de tranquillité. Le 21 novembre, deux officiers de l’armée anglaise, le major Baldwin et le lieutenant Bird, du 20e régiment de ligne, se promenant à cheval dans les environs du temple de Kama-Koura, à six lieues de Yokohama, tombaient sous le sabre d’assassins inconnus. Le châtiment toutefois ne se fit pas longtemps attendre ; le principal auteur du crime, le lonine Shimidzo-Séidgi, découvert et arrêté trois semaines après l’événement, subit le dernier supplice à Yokohama, en présence des troupes anglaises formées en carré sur le lieu de l’exécution. Son attitude fanatique et ses dernières paroles ne purent laisser de doute sur son identité[15]. Huit jours auparavant, deux affiliés d’une bande dont le lonine Shimidzo était le chef avaient, également eu la tête tranchée. Cette expiation publique et solennelle ne put laisser de doutes sur la non-complicité et le tardif bon vouloir des autorités japonaises ; suivant leur dire, ce triste événement ne fut, politiquement parlant, « qu’un léger nuage dans un ciel serein. »
Il semble difficile tout d’abord, au milieu d’une succession de crises intérieures aussi rapide que celle dont le Japon vient d’être le théâtre, de reconnaître s’il y a eu progrès dans les relations des étrangers avec ce pays. Ce progrès est néanmoins incontestable, et malgré quelques regrettables collisions il s’est principalement produit dans les deux dernières années ; disons-le tout de suite, il faut l’attribuer au bon accord des nations étrangères devant l’attitude hostile du Japon. La communauté de vues et d’action qui sortit en 1863 du danger et de l’intérêt communs devait, plus que toute autre mesure, imposer au gouvernement japonais un plus grand respect de notre force et détruire ses projets de résistance. Les agens de la France, ainsi que l’a fait voir ce récit, ont pris une part importante aux opérations, soit diplomatiques, soit militaires, qui ont amené ce nouvel ordre de choses. C’est à le maintenir qu’ils doivent désormais s’appliquer. Que les nations étrangères abandonnent toute idée de conquête au Japon, qu’elles consentent à y être admises sur le grand pied d’égalité consacré par les traités de 1858, et l’on pourra voir ce curieux peuple s’assimiler peu à peu l’esprit de l’Occident. Sur cette assimilation et la façon dont elle pourra se faire, l’organisation de la société japonaise, telle qu’on a pu l’étudier depuis deux ans surtout, permet de hasarder quelques conjectures. On connaît cette organisation, dont le régime de la caste est la base. La classe des nobles vit dans ses châteaux, occupant les emplois du gouvernement ou les hautes charges ecclésiastiques de la cour spirituelle du mikado, ayant directement sous ses ordres une foule d’officiers, d’hommes d’armes, de petits fonctionnaires, de prêtres, qui forment entre eux et le peuple une sorte de classe moyenne. Enfin le peuple est divisé lui-même en pêcheurs, agriculteurs, artisans et marchands. Reposant de la sorte sur l’inégalité sociale, cette constitution paraît toutefois exclure l’arbitraire ; la grande responsabilité qui incombe aux gouvernans, l’étroite surveillance qu’exerce sur eux le pouvoir centralisateur de Yédo, la force que donne à ce pouvoir l’emploi tout exceptionnel de l’espionnage, tout cela paraît assurer aux gouvernés justice et sécurité. En échange de cette quiétude, ils doivent à leurs supérieurs dans l’ordre social respect et obéissance absolus. Telle est la machine japonaise ; une longue paix intérieure et extérieure de trois siècles, un complet isolement du reste du monde, ont permis aux souverains qui se sont succédé de la polir et de la perfectionner dans ses moindres rouages : aussi n’en existe-t-il pas sans doute qui pousse à ce même degré la réglementation et la prévision de toutes choses.
L’irruption dans l’empire japonais des étrangers et de leurs idées ne peut manquer d’introduire tôt ou tard une perturbation dans cet état social, et en particulier d’ébranler l’autorité séculaire de la noblesse. Cette dernière a vite reconnu le danger ; aussi avons-nous vu, dans ces dernières années, son animosité se développer peu à peu et se traduire enfin par l’effusion du sang étranger et du sang japonais, la guerre extérieure et la guerre civile. La noblesse a craint une révolution sociale, et peut-être s’est-elle trop hâtée de la croire imminente. Habituées à une existence paisible, à l’abri des soucis qu’amènent l’ambition et la soif d’acquérir, les classes inférieures du Japon ne sont pas faites encore pour comprendre l’esprit remuant et inquiet de notre époque. Il faudra de longues années pour qu’à notre contact ces sentimens se développent chez le peuple japonais. Une classe seule est mieux préparée que les autres à cette transformation d’idées : c’est celle des petits officiers, des petits fonctionnaires, plus instruite, en contact journalier avec les étrangers (les transactions commerciales se font par leur intermédiaire), ayant dans deux ambassades entrevu et paru vivement apprécier la civilisation européenne. Quelques rapides fortunes faites exceptionnellement parmi eux, grâce au talent ou à la faveur, y ont nécessairement développé l’esprit d’ambition ; la fréquentation journalière et immédiate des hautes classes diminue pour eux le prestige presque sacré qu’elles exercent sur les classes inférieures. C’est donc parmi eux que pourrait germer tout d’abord l’esprit d’indépendance.
Il ne faut pas compter, pour la transformation de la société japonaise, sur l’influence du christianisme, au moins dans les conditions actuelles. Admis par les traités à exercer le culte chrétien pour leurs coreligionnaires, les missionnaires trouvent à la porte de leurs temples une barrière invisible, mais infranchissable, qui ferme absolument le Japon à leurs efforts[16]. Au lieu d’y préparer, comme il pourra le faire en Chine et dans certaines autres contrées, un nouvel ordre de choses, le christianisme ne s’y introduira qu’après cette transformation accomplie. Jusque-là, le rôle de nos missionnaires se réduira donc à l’étude, féconde en enseignemens, de la langue et des institutions nationales. L’économiste devra se féliciter de cette transformation lente, mais sûre, du Japon, qui jettera dans le grand courant industriel les ressources immenses d’un vaste territoire. Le gouvernement japonais conserve avec un soin jaloux ces ressources, et d’une main parcimonieuse dispense aux commerçans étrangers ce qu’il est contraint de donner pour suivre la lettre des traités qui le lient ; mais laissons-lui le loisir d’apprécier les bienfaits de notre civilisation et les avantages qu’il peut retirer d’un commerce libre de toute entrave. En même temps efforçons-nous, par une politique à la fois ferme et franche, de le maintenir dans l’observation de ses devoirs et d’écarter de son esprit la crainte de la conquête. Nous verrons peu à peu tomber les barrières qui se sont brusquement élevées autour de nos comptoirs au Japon dès le lendemain de leur création, et les brillantes espérances conçues prématurément lors de la signature des traités de 1858 se réaliseront enfin : l’ouverture de l’empire du Grand-Nipon sera un fait accompli.
A. ROUSSIN.
- ↑ Voyez la Revue du 1er mars 1865.
- ↑ Voyez la Revue du 1er mars 1865, p. 133.
- ↑ 35,000 dollars (192,500 francs).
- ↑ Ces derniers étaient retenus à Kanagawa, où le paquebot les avait déposés, sur des ordres venus immédiatement de Yédo.
- ↑ Revue du 1er mars.
- ↑ À ce moment, un canot paraissant vouloir parlementer quitta la cote de Kousi-saki et essaya de communiquer avec l’Euryalus ; les navires, étant déjà à leur poste, il lui fut donné l’ordre de se retirer, ce qu’il fit avec précipitation.
- ↑ Marougamé, sur l’île Sikok, est la résidence du daïmio Kiogokou-sanoké-no-kami.
- ↑ Tcho-chiou (province de Tcho). Tcho est le synonyme de Nagato. Chaque province du Japon a deux noms, suivant que le caractère écrit qui le représente est prononcé à la façon chinoise ou japonaise. Le nom chinois de Tcho-chiou est généralement employé par les indigènes.
- ↑ Les Japonais, en raison des inconvéniens du mouillage de Yédo, ont récemment adopté comme arsenal provisoire un petit port situé à l’entrée du golfe de Yédo, on dedans de la pointe d’Ouraga.
- ↑ M. Rodolphe Lindau, en ce moment consul et agent politique de la confédération suisse au Japon.
- ↑ Ces précautions, malgré le calme dont paraissait jouir Yédo, ne paraissaient pas plus inutiles que par le passé. Un fanatique parvint à pénétrer, pendant une des premières nuits, dans la légation hollandaise ; il fut mis en pièces, après avoir toutefois eu le temps de surprendre et de blesser plusieurs des yakounines de garde.
- ↑ Les gouvernemens étrangers se sont récemment, d’un commun accord, prononcés pour l’acceptation du paiement de l’indemnité.
- ↑ Vers cette même époque, les familles de daïmios qui avaient abandonné Yédo depuis 1862 revinrent habiter la capitale.
- ↑ D’après les dernières nouvelles reçues du Japon (juillet 1865), le taïkoun en personne venait de quitter Yédo pour aller se mettre a la tête de son armée. On l’avait vu passer sur la grand’route de Tokaido à Kanagawa avec un cortège de plusieurs mille hommes.
- ↑ La veille de l’exécution, le condamné fut promené à cheval dans les différens quartiers de Yokohama. Sa tête resta exposée, pendant trois jours, à la principale porte de la ville.
- ↑ Dans les premiers temps de leur arrivée au Japon, les missionnaires cherchèrent à faire secrètement des prosélytes ; mais les indigènes qui avaient paru les écouter ne tardaient pas à disparaître sans qu’il fût possible d’avoir de leurs nouvelles. Les missionnaires ont dû renoncer entièrement à toute tentative de ce genre.