Une famille pendant la guerre/LXVI

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J. Hetzel (p. 270-271).

Du même à la même.
Paris, 27 décembre.

L’ennemi bombarde depuis ce matin le plateau d’Avron et les forts de l’Est. C’est du nouveau, un nouveau prévu, mais redoutable. Avec les obus tombe la neige. Brillante et paisible, elle semble une messagère venue d’en haut, pour couvrir d’un même linceul les amis et les ennemis.

Nos troupes souffrent cruellement dans la tranchée ; ce froid est plus difficilement supporté par des hommes que les privations ont affaiblis. On brûle toutes les clôtures, on coupe les arbres des promenades : la pitié pour les souffrants est trop grande pour que personne regrette ce qu’on leur sacrifie. Tout à l’heure, sur le boulevard Pigalle, je remarquais des femmes dépeçant à coups de ciseaux les souches des arbres qu’on avait sciés il y a quelques jours. Elles étaient blanches de neige et ne pensaient pas à s’interrompre ; ces chétifs éclats de bois vert et humide étaient une espérance de vie pour leurs enfants.