Une famille pendant la guerre/XIII

La bibliothèque libre.

Du même à la même
Paris, le 2 octobre.

Strasbourg est pris ! Encore une douleur ! Que je plains Uhrich et ses troupes impuissants à sauver ceux qui s’attendaient à eux ! Livrer une telle population et après tant de souffrances, c’est trop dur.

C’est peut-être une illusion impardonnable chez un homme qui a déjà autant vécu ; mais je ne puis pas croire que, quelle que soit l’issue de cette guerre, la Prusse ose, à la face de l’Europe du xixe siècle, s’approprier jamais ceux dont la protestation sanglante prouve au monde entier combien ils sont Français. Ces choses-là ne sont plus de nos jours. Au siècle dernier déjà on abolissait la traite des noirs, tout à l’heure l’Amérique affranchissait ses esclaves, est-ce le moment d’établir la traite des blancs ? car ce serait la traite des blancs.

Sans même se donner l’air de consulter les populations, bien plus, malgré leur énergique résistance, méprisant leur patriotisme, bravant leur haine, se les adjuger comme l’on fait d’un troupeau sans pensée et sans âme, cela mérite un pareil nom. Je ne puis croire qu’on en vienne là. Il y aura un retour vers la civilisation et la justice.

Ce serait si beau et si bien fait pour désarmer les rancunes, que le roi Guillaume sût reconnaître le respect dû à Strasbourg et lui fît une sorte d’indépendance pour prix de ses sacrifices !

Hélas ! j’oubliais comment il a respecté le pauvre petit Danemark ; pouvons-nous espérer mieux pour nous ?