Une femme/II/IX

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Paul Ollendorff (p. 224-239).

IX

Cette crise d’honnêteté, au bout de trois mois, fit de Mme  Chalmin la proie immédiate du premier homme qui la sollicita. Sa vertu l’étouffait. Elle avait des remords de gâcher ainsi la plus belle époque de sa vie.

Son vainqueur fut un nommé Pierre Javal, joli garçon de taille petite et bien prise. Il demeurait seul, à l’écart de sa famille. Des bruits circulaient sur son compte, entre autres une vague histoire de portefeuille disparu, à la suite de laquelle l’aurait maudit son père. Il jouait beaucoup, fréquentait un vilain monde et vivait en insouciant, traqué par quatre ou cinq filles et par la foule de ses créanciers.

Il rencontra Mme  Chalmin à une kermesse, organisée dans la salle des Consuls. Elle vendait des fleurs. Bien coiffée, parée d’une robe seyante, le sourire engageant, elle lui plut. Il commanda tout ce qui resterait dans la boutique. Puis ils causèrent. Il avait une conversation d’une drôlerie originale, sautant d’une idée à l’autre, sans jamais un mot sérieux. Elle s’amusa.

La vente finie, elle alla chez lui, rue de la Cigogne, une vieille rue sombre. Il habitait là un étroit pavillon à un étage, avec une pièce en bas et une chambre en haut. La bonne d’un café voisin lui servait de domestique. Il mangeait au restaurant.

Il la traita comme une maîtresse de passage, comme toutes celles que séduisaient ses airs de gamin corrompu. La femme comptait si peu pour lui, elle qui cependant remplissait son existence et la détruisait. C’était son camarade de fête, sa bête de joie. Il la désirait sans jamais l’aimer, la trompait sans le vouloir et la délaissait aussitôt son caprice assouvi.

Il ne murmura pas un mot de tendresse. Toute déclaration lui répugnait. Il bavarda sur des sujets quelconques avec une bouffonnerie cocasse. Et, tout en la déshabillant, il lui racontait des histoires scabreuses entremêlées de baisers. Ses caresses procurèrent à Lucie une volupté qu’elle ne devait pas oublier.

L’heure du dîner approchait. Ils se dirent adieu. Mme  Chalmin le pria de fixer une prochaine entrevue. Il répliqua :

— Je t’écrirai, poste restante.

Mais ni le lendemain, ni les jours suivants, elle ne trouva la moindre lettre. Deux semaines s’écoulèrent. Cette indifférence l’irrita. Plusieurs fois elle se rendit sous ses fenêtres. Puis, un soir, elle eut la hardiesse de sonner. Il ouvrit lui-même.

L’humilité de sa démarche éveilla chez Lucie un besoin de récriminations. Il parut stupéfait et entassa d’innombrables prétextes. Il promit des lettres quotidiennes. Il n’en fut rien. Une autre période de silence commença.

Mme  Chalmin souffrit. Elle souffrit d’une sorte de malaise irraisonné qui la chassait de sa maison et la jetait dans la rue, en quête de son amant. Sa vanité blessée criait. Elle ne s’expliquait pas cet affront, le premier qu’on infligeât à sa beauté.

Elle le haïssait, ce Javal, et néanmoins se sentait, en songeant à lui, misérable et sans défense. Peut-être aussi une affinité de nerfs et d’instincts l’attirait-elle vers cette nature d’homme. Elle soigna son chagrin, fière de l’éprouver, le crut immense, parce que deux ou trois sanglots la secouèrent.

Elle lui écrivit. Il envoya deux lignes d’excuse. De graves ennuis l’assiégeaient. Dès qu’un peu de répit lui serait accordé, il l’en avertirait. Elle patienta, puis le prévint qu’à moins d’avis contraire elle irait chez lui le surlendemain.

Il l’accueillit comme s’ils se fussent quittés la veille. Il fut câlin, presque affectueux. Elle, rassurée, se montra maternelle.

— Je voudrais être ton amie. Si tu as des peines, confie-les-moi, je les effacerai.

— Moi, des peines ! ricana-t-il, non malheureusement, je n’ai que des dettes, ce qui est bien plus assommant.

En s’en allant, elle annonça :

— Je reviendrai demain.

— C’est que je me suis engagé…

— À rien, à rien, s’écria-t-elle, il n’y a pas d’engagement qui tienne. Je t’en supplie…

Elle joignit les mains, le visage contracté. La peur d’un refus ou d’une parole dure lui serrait le cœur. Il la considéra d’un air étonné :

— C’est donc bien sérieux ?

Sa voix fut si compatissante qu’elle fondit en larmes. Il l’embrassa.

— Allons, ne te désole pas, tu viendras… demain… après-demain… tant qu’il te plaira.

Elle partit, rassérénée. Son âme débordait de joie. Toute la soirée, elle chanta, dansa, se battit en riant avec Robert, fit jouer son fils.

Insensiblement elle s’insinua dans l’existence de Javal. Il voulait résister, mais elle avait, toujours prête, une larme qui le désarmait.

Une fois elle avisa son trousseau de clefs :

— Où est celle de la maison ?

Il désigna la plus grande. Elle la sortit de l’anneau et l’empocha. Et comme il réclamait, elle lui dit, les traits anxieux :

— Pourquoi ? Je suis la seule femme que tu reçoives ici, tu m’es fidèle, n’est-ce pas ? Eh bien !…

Il dut céder. Alors elle vint tous les jours. Qu’il y fût ou non, elle s’installait. Elle rangea. Les armoires mirent en jeu sa science de ménagère. Les chemises et le linge formèrent des piles. Elle couvrit elle-même les murs du salon d’une étoffe rose. Elle garnissait aussi les vases de plantes et de fleurs.

Pierre s’attachait à sa maîtresse. Sa demeure lui semblait moins vide. Puis Lucie l’intéressait par tout ce qu’il devinait en elle d’analogue à lui, par son existence en révolte contre les lois du monde. Il lui arracha le récit détaillé de ses aventures. Rebelle d’abord à toute confidence qui pût le désillusionner, elle constata bientôt que chacune de ses fautes le délectait. Amédée Richard fils l’enthousiasma.

— Vrai, Bichon a pris le trot ! C’est tordant…

Il se passionna pour Markoff. Des détails sur parrain l’induisirent en des accès d’hilarité.

— Sacrée coquine, mâchonnait-il, ah ! tu es rudement forte, tu ne t’ennuies pas !

Lucie exultait. Jugeant Pierre sceptique et gouailleur, elle craignait toujours de lui paraître niaise ou empruntée. Son approbation la ravit.

Quand elle parvint au terme de ses exploits, il s’écria :

— Déjà fini !

Elle fut navrée. Il la pressait de questions, et elle regretta vaguement de n’y pouvoir satisfaire.

Alors, comme il insistait, elle s’attribua quelques intrigues, propres à le dédommager.

Enfin, Lucie aimait. Elle se l’affirmait à tout instant : « J’aime, il n’y a pas à le contester, j’aime. » Quelle différence, d’ailleurs, avec ses caprices ! Jadis elle se divertissait. Un penchant plus ou moins réel la portait vers tel individu plutôt que vers tel autre. Aujourd’hui la sincérité de sa passion était indubitable.

Elle renia même Gaston de Sernaves, une simple toquade, un rêve de printemps. Son titre, le cadre de leur liaison, la splendeur de son yacht, la solitude des îles, la majesté du fleuve, la pourpre des collines incendiées par les couchers de soleil, toutes ces circonstances accessoires avaient engendré une illusion ridicule.

Mais là, rien de semblable. On traversait une fin d’hiver affreuse. Elle accourait mouillée, les pieds froids. Souvent personne, pas de feu non plus. Elle devait l’allumer, descendre parfois à la cave et remonter du bois. La domestique, mal payée, négligeait de faire les lampes : elle les faisait, elle, et se salissait les mains à toucher l’huile et les mèches. Il fallait une cause bien puissante pour l’obliger à subir de tels inconvénients. Cette cause c’était l’amour.

Elle aimait tant, qu’elle ne crut pas nécessaire de s’offrir des remords. Elle aurait dû se reprocher ses écarts et ses souillures. À quoi bon ? Le passé existait-il, maintenant que les baisers de Pierre la lavaient de ses taches ? Comment eût-elle pu se préserver contre la tentation, elle que ne guidait aucun sentiment ferme ?

— Et puis, se dit-elle, honnête encore, je ne serais pas entre ses bras.

Cet argument tranquillisa sa conscience.

Ils s’entendaient bien, Lucie très aimante, lui doux et gentil de rapports. Un solide lien de chair les unissait.

Elle savoura quelques semaines de béatitude absolue. Nul souci ne troublait le calme de son âme. Elle ne pensait qu’à Pierre. Elle ne vivait qu’en sa présence.

Un soir, au théâtre, elle l’aperçut dans une baignoire avec une femme. Il se penchait vers elle familièrement. Leurs visages étaient proches.

Le coup fut terrible. Elle prétexta un malaise subit. Robert l’emmena désolé.

Quand elle revit Javal, elle lui dit :

— Tu as été au cercle, hier ?

— Oui, comme d’habitude, une partie de billard et un écarté.

La scène dura deux heures. Mme  Chalmin s’y montra parfaite. Tour à tour humble et hautaine, menaçante et suppliante, railleuse et désespérée, elle émit des accents d’une vérité profonde. Elle pleura, cria, trépigna.

Une souffrance si merveilleusement exprimée et mimée ne pouvait que se résoudre en une souffrance réelle. Lucie souffrit réellement.

À la fin, Pierre se fâcha :

— Eh bien, oui, là, j’ai été au théâtre, j’ai accompagné une ancienne amie, n’en ai-je pas le droit ? Et puis j’en ai assez de ta tutelle. Je ne te trompe jamais, voilà le principal… Si cela ne te suffit pas… eh bien… eh bien…

Elle riposta dignement : « Tu me chasses, soit, » et s’en alla.

Le lendemain elle revenait, soumise. Des ivresses farouches scellèrent la réconciliation.

Mais le bonheur de Lucie ne résista pas à cette épreuve. Elle n’avait plus confiance. Elle-même d’une hypocrisie maladive, elle savait combien la fourberie est aisée. Des soupçons la martyrisèrent.

Leur existence fut une série de brouilles et de raccommodements. Puis, sentant l’inutilité de ses efforts, Lucie faiblit. Son énergie se dissipa. Elle accepta le partage.

Son chagrin refoulé, elle n’y pensa plus qu’à de rares intervalles, soit dans des crises de vanité, soit pour mieux se persuader qu’elle connaissait l’amour et toutes ses peines.

D’ailleurs une compensation lui était réservée. Un jour, elle trouva un mot où il la priait de ne pas attendre : « Le tailleur doit présenter sa note, écrivait-il, je préfère m’esquiver. Quelle misère pour un billet de cinq cents francs ! »

Elle courut chez elle, revint en hâte et, quand on sonna, ouvrit en se dissimulant dans l’ombre du couloir. Elle remit les cinq billets. Le fournisseur acquitta.

Le lendemain, Javal bondit vers elle en brandissant la note.

— C’est toi, n’est-ce pas, qui as eu le toupet ?…

Elle baissa la tête. Il la battit. Elle éprouva une certaine fierté, la fierté d’une femme qui aime assez profondément pour bénir son maître de l’avoir frappée.

Javal tenta de lui rembourser cette avance par petites sommes, mais sa gêne augmentait, et ses scrupules diminuèrent. De pressants besoins survenant, il eut recours à elle deux ou trois fois. Il lui créait ainsi de grandes jouissances.

— Je paye un homme, se disait-elle, je l’entretiens.

Elle ne le méprisait d’ailleurs nullement. Elle aurait tout voulu lui donner ce qu’elle possédait, et qu’il fût riche, lui qui méritait de l’être.

La confusion de Pierre, cependant, gâtait sa joie. Aussi déployait-elle pour ménager sa susceptibilité un tact adorable. Elle oubliait son porte-monnaie sur la cheminée, lui emplissait les poches d’argent durant son sommeil, ou bien lui proposait de grosses parties d’écarté qu’elle faisait en sorte de perdre. Toutes ses économies s’en allèrent.

De temps en temps, un dégoût de lui-même soulevait le cœur de Javal. Il accusait alors Lucie de son abaissement :

— C’est toi qui m’as poussé jusque-là, peu à peu, par calcul, afin de m’enchaîner à toi.

Et il la rouait de coups. Mais son repentir ensuite était si sincère !

Il joua. La déveine le poursuivit. Il dut solder d’assez fortes différences. Lucie lui apporta ses brillants d’oreille, présent de Lemercier. Et, avec une intention délicate, voulant se mettre à son niveau et que leur indignité mutuelle semblât égale à Pierre, elle lui avoua :

— Cela ne me privera pas, je ne pouvais m’en servir, car c’est… quelqu’un… qui me les a donnés.

— Et tu te figures, proféra-t-il, que j’accepterai les cadeaux de tes amants ! Dieu merci, je n’en suis pas là !

— En tous cas, garde-les-moi, je ne sais où les cacher.

Elle les laissa. Pierre les vendit. Vendues, elle les regretta, ses pauvres boucles d’oreille. C’est vrai, on s’attache aux choses ! mais, stoïquement, elle se taisait.

— Au moins, qu’il ne sache jamais ce qu’il m’en a coûté. Il en serait si malheureux.

Avide de dévouement, elle se demanda ce qu’elle pourrait désormais immoler à son amour. Il fallait un acte de générosité supérieur à tous les précédents. Elle offrit à Pierre sa bague de fiançailles, une émeraude magnifique, entourée de diamants.

Après l’indispensable scène de refus et d’insultes, il empocha l’écrin. Une dette de jeu l’y forçait.

Cette fois Lucie eut un véritable désespoir. Elle aimait tant sa bague ! Ce fut au milieu d’un déluge de larmes qu’elle raconta devant son mari et sa mère la perte du bijou.

— Je ne sais ni quand, ni comment… elle a disparu… J’ai mis la maison… à l’envers… impossible.

Elle suffoquait. Elle assista aux recherches méthodiques que Robert entreprit, fouilla les malles des bonnes et congédia sa femme de chambre.

Son affection pour Javal acquit à cette époque un caractère aigu. Elle lui consacra tout ce que sa nature contenait de tendresse et de désintéressement. Elle commit même des imprudences. Profitant d’une absence de Chalmin, ils se rejoignirent le soir. Ils allèrent ensemble au théâtre. Ils soupèrent au cabaret. Quel divertissement ce lui fut de doter les glaces de son petit nom, Lucette, ainsi qu’il l’appelait !

Par miracle, Robert ne devina rien. Mais des potins confus jaillirent, qui s’éparpillèrent çà et là en calomnies précises. On citait des noms. Parrain l’en avertit, d’un mot rapide, dans la rue. Elle se moqua de lui. Le monde ! Elle ne s’en souciait guère. Une sorte d’affolement l’incitait aux pires sottises.

Tout système de dissimulation s’émiettait si bien en son esprit qu’elle accueillit avec enthousiasme une idée baroque, émise distraitement par Javal. Ses tracas d’argent continuaient et, fatigué de se débattre, il avait soupiré :

— Hélas ! si tu étais libre !

Elle distingua dans cette exclamation plus qu’un souhait, une demande formelle. Son amour lui défendait toute hésitation. Le divorce s’imposa incontinent à elle, comme l’unique issue. Elle se blâma même de n’avoir point formé, la première, un si simple projet. Quel avenir ils se préparaient ! Être l’un à l’autre, toujours, sans obstacle ! Ne s’accordaient-ils pas à merveille, comme âge, comme tempérament, comme goûts ?

Au bout d’une nuit de méditation, elle lui dit, la voix et l’aspect solennels :

— J’ai réfléchi, mon ami, au désir que tu m’as communiqué, et ma réponse est le résultat non d’un emballement, mais d’un examen sérieux : je suis prête.

— Prête à quoi ? fit-il interloqué.

— Prête au divorce, dès que tu me l’ordonneras.

Il réprima une violente envie de rire, et l’embrassant :

— Je te remercie ; la question est grave, nous en reparlerons.

Elle cultiva dès lors ce rêve avec ferveur.

La malchance cependant s’acharnait après Javal. Le jeu lui engloutit des sommes importantes. Ses créanciers le menaçaient d’une saisie. Un usurier, auquel il avait souscrit des billets, exigeait un acompte. Pierre déclara froidement :

— Il me faut trois mille francs pour le faire patienter. Si dans une huitaine je ne les ai pas, je me brûle la cervelle.

Mme  Chalmin sourit, certaine de le sauver. L’amour lui inspirerait quelque artifice.

Trois, puis quatre, puis cinq jours défilèrent. Elle ne trouvait rien et commençait à désespérer. Le sixième, en achetant des parfums chez un coiffeur, à la nuit tombante, elle rencontra un vieux monsieur qui lui tendit la main.

C’était un ami des Bouju-Gavart, M. Lesire, riche industriel des environs. Sa figure, entièrement glabre, présentait deux lèvres épaisses. Des cheveux d’un blanc sale entouraient sa tête. Lucie avait toujours fui l’insistance gênante de ses yeux.

Dans la rue, il glissa son bras sous le sien et ils causèrent amicalement. Il marchait avec peine, vite oppressé, trop gras. Un ventre puissant le précédait.

Au moment d’arriver, il s’enhardit. Ses doigts pétrirent le poignet de Lucie, montèrent le long du bras jusqu’à l’aisselle, sans qu’elle feignît de le remarquer. En la quittant il insinua d’un ton paternel :

— Moi, Madame, je suis franc, je saisis toutes les occasions d’obliger. Eh bien, je sais ce que c’est qu’une jeune femme, élégante, jolie ; la toilette coûte cher, le mari n’a pas le moyen, enfin on a toujours besoin d’argent. Adressez-vous à moi, cela me fera plaisir.

Elle répliqua crânement :

— Ma foi, pourquoi pas ? Justement j’ai fait la bêtise de me payer un bracelet…

— Je vous en prie, interrompit-il, pas ici, ne me dites rien encore. Demain, chez moi, si vous voulez, vous me conterez vos embarras.

Il lui donna l’adresse et les indications nécessaires.

Elle fit pour ce rendez-vous une toilette méticuleuse : l’énormité de la somme n’effrayerait-elle pas M. Lesire ? Parfois aussi l’envahissaient des tristesses. Elle examinait dans la glace son pauvre corps qu’allaient salir d’immondes baisers. Elle le parfuma et l’orna ainsi qu’une victime sainte. Elle le considérait comme quelque chose d’étranger à elle, une sorte de martyr qu’elle menait au bourreau. Puérilement, elle, lui demandait pardon et tâchait de le consoler en lui expliquant la beauté de son rôle :

— Ne m’en veux pas, c’est pour lui, pour que tu ne sois pas privé de ses caresses.

Peu à peu, elle distinguait dans son acte un côté presque mystique. De vagues comparaisons la hantèrent, où se dessinaient les images effacées des antiques héroïnes. Sa conduite devenait grandiose. Elle se vendait par amour. Des poussées d’orgueil lui cambraient les reins.

Toute la matinée son exaltation se maintint au même niveau, et lorsqu’elle entra chez M. Lesire, ses yeux illuminés traduisaient un tel rayonnement intérieur qu’il en fut frappé.

En se dévêtant, elle dit avec une fierté superbe ces simples mots :

— Vous savez, c’est trois mille francs.

Elle ne prononça plus d’autres paroles.

L’holocauste s’accomplit.