Une fille d’Alfred de Musset et de George Sand/II

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Bibliothèque littéraire de la "Revue internationale de pédagogie comparative" (p. 23-29).


II

UN COIN DU PAYS CHARENTAIS


À deux kilomètres et demi de la Rochelle, en se dirigeant vers le port récent de La Pallice, on rencontre le coquet petit bourg de Saint-Maurice.

C’est un village bâti en pierres de tailles, dont les murs, d’une éclatante blancheur, annoncent de loin « des intérieurs gouvernés à la baguette par d’irréprochables ménagères[1] ».

À droite de ce village apparaît le vieux cimetière, resserré par un petit mur qui se rattache à quelques maisons. Aucune sépulture nouvelle n’y est faite, mais les anciennes tombes, érigées avec goût, se remarquent toutes par le soin méticuleux que l’on apporte à les entretenir.

Des cyprès nombreux et élancés et des tamaris ombragent ce coin de terre sacrée, et tout auprès, vers le sud, à travers les feuillages de gros ormeaux l’on aperçoit la grande mer bleue qui s’étend à l’infini, et dont le bruit arrive jusque-là comme une musique lointaine, calme et apaisante.

Le peintre Fromentin y repose dans un bosquet de verdure.

Quelques familles de la vieille noblesse rochelaise dont les noms figurent avec éclat dans les guerres de religion, y dorment également leur dernier sommeil.

À gauche, en entrant, tout près de la porte, se dresse une pierre funéraire haute de un mètre quatre-vingts centimètres environ, ayant la forme d’une urne renversée, très allongée, et ressemblant quelque peu au tombeau d’Alfred de Musset, au Père-Lachaise.

Quelques minuscules saules pleureurs autour de cette tombe, très négligée, végètent misérablement, comme ceux du reste que l’on plante chaque année sur la sépulture de Musset.

Bien des choses, d’ailleurs, dans ce monument, rappellent le grand poète.

Au-dessus de l’inscription, une étoile, au-dessous, une lyre comme celles qui ornent le portrait d’Alfred de Musset gravé par Bida, en tête des premières éditions de ses œuvres complètes.

L’inscription enfin contient le nom de Musset retourné.

Quatre vers, quatre vers médiocres, il est vrai, mais qui attestent néanmoins une certaine tendance poétique et donnent un cachet d’originalité spéciale à cette tombe, sont gravés au-dessous de la lyre avec — ce qui surprend un peu, — la devise de Jacques Cœur.

Voici du reste cette inscription :


Ci-Git
Norma Tessum-Onda
Née le 18 Septembre 1854
Décédée le 8 Mai 1875

Ô mort, ô tombe, pourquoi vous craindre,
Ô mortels insensés, pourquoi nous plaindre,
La mort, mais c’est la liberté
Qui prend son vol vers l’immortalité.[2]


À cœur vaillant, rien d’impossible.



  1. Victor Cherbuliez, Discours de réception à l’Académie française.
  2. À rapprocher du quatrain antique de Palladas.

    On souffre d’attendre la mort ?
    La mort est une délivrance,
    Ne pleure pas celui qui sort
    De la vie — et de la souffrance.