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Une horrible aventure/Partie II/Chapitre XX

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Journal L’Événement (p. 129-132).

XX.


Victoire !

Georges allait se précipiter aux genoux de la courageuse Grecque et couvrir de brûlants baisers sa main d’albâtre…

Mais, à ce moment même, la portière de velours fut agitée, et une tête de vieillard s’y encadra, livide, courroucée, effrayante…

C’était la tête d’Ahmed !

Labrosse poussa un cri étouffé et fit trois pas en arrière.

Quant au vieux Turc, il entra tranquillement dans la pièce et alla se placer, silencieux et terrible, en face de la malheureuse Calamaki. Il tenait dans sa main droite un cimeterre nu, qui avait aux reflets des pâles rayons de la lampe, des flamboiements sinistres.

Il y eut une minute de suprême angoisse.

La petite princesse, à cette apparition inattendue, n’avait pu que laisser échapper une exclamation de terreur et glisser sur ses genoux.

Notre héros, lui, était littéralement pétrifié, à quelques pieds de là.

— Esmé, dit enfin le farouche Ahmed, d’une voix où tremblaient toutes les colères de son âme, Esmé, priez Allah de vous pardonner, car vous allez mourir.

— Grâce, ô mon maître ! articula faiblement la princesse.

— Vous avez dix minutes pour vous préparer à paraître devant le redoutable Dieu des croyants, continua froidement Ahmed, en regardant à sa montre.

— Pitié ! pitié ! mon bon seigneur, sanglota la pauvre femme.

— Point de pitié. L’heure de la vengeance a sonné : il faut mourir.

— Hélas ! je n’ai que dix-huit ans… Est-ce qu’on meurt à dix-huit ans ?

— La mort est impitoyable pour les criminels : elle fauche les têtes blondes comme les têtes blanches.

— Je ne suis pas coupable, mon excellent maître… je n’ai fait que céder à un entraînement passager de mon cœur… j’oublierai cette heure de folie : je tâcherai de vous… aimer.

— M’aimer ?… Oh ! si tu l’avais voulu, Esmé, mes cheveux et ma barbe n’auraient pas la blancheur de la neige !… mon front ne serait pas creusé de rides précoces !… il y aurait de la bonté dans mon cœur, au lieu de cette soif inextinguible de vengeance qui le torture !… Si tu avais voulu m’aimer, j’aurais entouré ta jeunesse des plus douces jouissances de ce monde ; je t’aurais fait libre et puissante ; j’aurais forcé des centaines d’esclaves à se courber devant toi ; j’aurais passé ma vie à tes pieds, moi, le riche, l’orgueilleux Ahmed !…

Mais tu ne l’as pas voulu ! Tu m’as préféré des chiens de chrétiens et tu m’as laissé boire goutte à goutte le calice de la souffrance, sans jamais avoir une parole de consolation pour le vieux martyr. Tu as été impitoyable : je suis à mon tour impitoyable. Esmé, tu vas mourir !

L’infortunée princesse se tordit les bras avec désespoir.

— Ô Dieu de mes pères ! exclama-t-elle, mettez donc un atome de pitié dans le cœur de ce monstre.

— Madame, vous n’avez plus que cinq minutes à vivre, dit froidement Ahmed.

— Accordez-moi jusqu’à demain, mon bon seigneur.

— Donnez-moi une heure…

— Non.

— Une demi-heure…

— Pas une minute.

— Hélas ! hélas ! il faut donc mourir ! Ô ciel de ma patrie, rives aimées de Corfou, parages bénis de l’archipel ionien, je ne vous reverrai donc plus ! Et vous, mes chers parents, donc j’ai à peine connu les caresses, adieu !

— Plus qu’une minute ! articula le terrible Turc.

— Je suis prête, bourreau ; fais ton œuvre, tyran sanguinaire. Puisse la haine que je te porte me suivre dans le paradis de Mahomet, afin que je la déverse sur tes nuits sans sommeil !

Ahmed leva son cimeterre.

Mais un incident qui se produisit arrêta son bras prêt à frapper.

C’était Labrosse qui, jusque-là muet, immobile, les tempes ruisselantes d’une sueur mortelle, exhalait un rugissement et se disposait à bondir sur l’assassin.

Hélas ! trois fois hélas ! il ne le put, car deux affreux nègres lui saisirent les bras juste au moment où ses jarrets se détendaient.

Le cimeterre se leva de nouveau.

Mais cette fois, il décrivit dans l’air une courbe flamboyante et s’abattit avec un bruit mat sur le cou si blanc et si pur de la princesse Calamaki.

Georges poussa un cri suprême, pâlit affreusement et glissa inanimé entre les bras de ses noirs gardiens !