Une jeune fille à la page/02

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(auteur présumé Michèle Nicolaï)
(p. 11-22).

CHAPITRE II

Le repas m’a semblé interminable tant j’avais hâte de mettre mon projet à exécution. Boby était en face de moi, de l’autre côté de la table chargée de verreries, de fruits et de fleurs. Il mangeait consciencieusement, avec un bel appétit de jeune garçon sportif.

Il me fait un drôle d’effet, avec sa taille impressionnante, ses dents de fauve, son teint frais et ses cheveux clairs dont une mèche folle retombe sur son visage.

J’ai envie de l’attaquer, de le prendre à parti, pas seulement avec des mots aigres-doux. J’ai envie de le taquiner, de lui faire un peu mal.

Par moments, à travers la table, il me semble que je le touche, que je le palpe. Pourquoi est-ce mal vu ?… On devrait avoir le droit de toucher les gens qui vous plaisent.

Les Écossais forcent, paraît-il, leurs invités à coucher avec leurs femmes et leurs filles ! Ah ! on n’est vraiment pas écossais par ici !

Moi, à ce dîner, devant mon père l’ex-don Juan, et ma mère l’écrivain d’amour, je touche minutieusement les lobes des oreilles de Boby, je pince ces joues de garçon bien portant, je pince avec des trucs, en tournant pour avoir plus de prise.

Et que ne fais-je pas, au reste, à son cou de fille, à son dos bien verni préparé pour les ongles, à ce creux de la taille ― où ma main roule et s’accroche, les doigts pointus, bien appuyés sur ce velours, bien précis pour ne rien perdre.

Comme je voyage pendant qu’ils mangent, les goinfres !…

Et je ne m’en tiens pas là, je descends plus bas, avec frénésie.

Je m’attaque maintenant au jeune coussinet des fesses. À cet endroit, je change de tactique ; c’est avec les paumes de la main que j’agis, les paumes bien rondes, bien creuses, plaquées sur cette chair chaude et résistante, puis brusquement avec les ongles, fort et profond.

Au moment où par un mouvement tournant je vais atteindre le plus intéressant, trois points de suspension…

— Comme tu as chaud, ma chérie, tu as les joues rouges !…

C’est ma mère qui se trompe lourdement, comme au plus beau d’un de ses romans, et attribue à une jeune vierge obscène, quelque pur et chaste malaise.

Vers onze heures, quand tout le monde fut couché, je m’aventurai seule, dans le couloir obscur, jusqu’à la chambre qui lui était destinée.

Le cœur battant à coups redoublés, je frappe à la porte. Quand il crie : « Entrez ! » j’ai envie de m’enfuir. Je n’aurai vraiment pas cru que cela fut si difficile. Mais j’ouvre…

Boby est déjà couché ; je ne vois que ses épaules blondes où la lumière joue, sa poitrine couverte d’un duvet doré et son visage déjà barbouillé de sommeil. Il est tendre comme une fille et m’émeut profondément.

Il se dresse d’un bond.

— Qu’y a-t-il ?…

Je bafouille.

— Rien !… je venais voir si vous n’aviez besoin de rien.

— Non, merci !…

Il lève sur moi des prunelles bleues, lourdes d’étonnement.

— Bien !… Alors, je pars !…

Et, disant cela, je m’assieds sur le bord du lit. Son parfum me surprend. Parfum de jeune garçon : tabac blond et lavande. Je ferme les yeux.

Un léger étourdissement me prend. Je sens ma poitrine qui se tend sous ma robe de satin blanc, ma robe du soir que j’ai gardée sur mon corps nu.

Le jeune garçon fait en ce moment preuve de la plus totale incompréhension. Il faut que je m’arrange pour lui faire comprendre pourquoi je suis venue.

D’un geste timide je prends sa main. Elle est douce et chaude… telle que je l’imaginais posée sur mon sexe rose comme une grande fleur charnelle. Je joue avec elle d’une manière bizarre, équivoque. Si maman me voyait ! Elle s’en indignerait et cela lui inspirerait un petit paragraphe.

Je frotte mes doigts contre ses doigts. De longs doigts nerveux qui me plaisent, de bons doigts utiles et suggestifs. J’avance la poitrine, je mets mes seins en avant, je croise les jambes très haut de manière à lui faire voir ce qu’il faut voir.

Comment lui faire comprendre que je ne suis pas seulement un pur esprit. Comment est-ce que ça s’excite, un homme ?…

Ah ! on nous apprend tout dans la vie, sauf ce qui pourrait vous être utile.

Dire que je sais par cœur les départements et les sous-préfectures, et que je ne sais pas comment dégeler ce glaçon-là ! C’est tout de même malheureux !… Inutile d’essayer avec des paroles.

Si je lui raconte comment je me caresse toute seule, ou si je lui avoue que j’ai envie de cela, il m’enverra promener. Et même pas avec lui. Au fond, c’est un petit bourgeois qui meurt de sommeil.

Je me décide à attirer son attention sur le côté pile de ma personne. D’un air sainte Nitouche je flanque par terre le réveille-matin.

— Oh ! pardon ! excusez-moi !…

Je me baisse rapidement ― il est encore capable de le ramasser avant moi ― je cherche sous le lit, bien loin, bien loin, en même temps je remonte à la surface des rotondités que je cambre jusqu’à me faire mal.

Et je fouille sous le lit, j’explore, je travaille, je me donne un mal fou. Et ma petite croupe monte, monte. S’il était compréhensif, lui, pendant qu’elle monte, monte…

J’ai pourtant une paire de fesses dures à s’y retourner les ongles, deux globes lisses, duveteux. Il ne semble pas s’en apercevoir ; il reste calme, britannique, avec le flegme de ce beau pays. Je me relève, je me raccroche à sa main qui ne comprend pas, à sa main de mufle. Il n’ose peut-être pas, après tout. Peut-être qu’il trouve même cela bien élevé de ne pas oser !

Que faire ?…

Un instant, j’ai la tentation de glisser d’autorité sa main à un endroit qui le renseignerait sur mes intentions. Tout de même quand il y aura mis la main, c’est bien le diable s’il n’y met pas le reste.

Si je lui demandais comme un service de vérifier si c’est exact ce qu’on raconte, car je me suis laissé dire que les filles ont à cet endroit… un petit… enfin… trou !…

Pour la troisième fois je prends sa main, puisqu’il paraît que cela doit commencer avec cet instrument-là. Je m’assieds sur le lit, je desserre les jambes, je m’ouvre un peu à l’intérieur.

Cette fois je sens nettement qu’on grimpe le long du genou, qu’on glisse, qu’on écarte… Ça y est… Je lève les yeux. Mon imagination est allée un peu vite, comme toujours. Boby est tout bonnement en train de s’endormir sans soupçonner mon vague à l’âme.

Je suis prête à le réveiller pour lui dire de vilains mots. À quoi bon ! Je me lève. Dans le miroir j’aperçois mon visage dont les yeux sont cernés subitement ; j’ai un peu l’air d’une noyée. Je sors en claquant la porte.

C’est moche, pensais-je… Pourtant je ne pouvais tout de même pas le violer… Je ne savais pas comment faire… C’est raté avec Boby. Moi, je ne me raterai pas. Je cours, je cours, dans le long, dans l’impatient couloir, très pressée d’arriver à mon lit et de me consoler.

Je ne suis pas du tout endormie ; j’ose même dire que je suis très réveillée à un certain endroit. Je sens que je n’aurai pas besoin de me faire beaucoup la cour pour obtenir satisfaction. La minuterie s’éteint. Je ne m’y retrouve plus. Tant pis, je ne peux plus me retenir.

J’échoue sur une valise qui se trouve là, déposée dans le couloir, certainement pas pour cet usage. Je m’assois tant bien que mal, plutôt mal, n’ayant pas trop de place pour y poser mon petit derrière. Je ne sais comment cela se fait, mais d’être assise sur une moitié des fesses, l’autre moitié reposant dans le vide, cette pose augmente encore mon émotion. Cela me cambre, cela me tire…

Ma main se place automatiquement. Elle sait ce qu’elle a à faire, elle !

À ce moment une porte s’entrouvre, une voix chuchote :

— Je t’y prends, Florence, d’où sors-tu ?

— De chez Boby, dis-je machinalement.

— Et moi qui te croyais une vraie jeune fille !

— Chut ! ne faites pas de bruit !

— Alors, entre dans ma chambre !

— Dans votre chambre, vous n’y pensez pas ! Allons, pas tant de manières, surtout maintenant que je sais à quoi m’en tenir.

Une main nerveuse m’entraîne. Devant moi, net et moqueur, habillé d’un pyjama bleu, se tient un ami de papa, le docteur Laurès.

Ah ! les amis de papa ! C’est curieux, mais il semble que ce titre les autorise par la même occasion à me pincer les fesses. C’est convenu à l’avance.

Dès que papa me dit : « Je te présente Monsieur Untel », je peux être sûre de sentir cinq minutes plus tard un doigt essayer de s’enfoncer subrepticement dans une de mes petites cavités naturelles, le nez et l’oreille exceptés, ou une voix s’écrier :

— Mais qu’est-ce que ces petites pommes qu’elle a dans son corsage, c’t’enfant !… on dirait des nichons, ma parole !…

Je n’ose pas dire le contraire. Ce serait trop long et surtout trop vexant à expliquer… Et puis je n’ai pas le temps !…

Sur ma bouche s’est posée une bouche dont la dureté me surprend. Mes lèvres s’entrouvrent sans le vouloir et je reçois profondément une caresse nouvelle et grisante.

Une des longues mains s’appuie à ma nuque et m’enserre ; l’autre, doucement, caresse mes seins… je chancelle de honte et de plaisir, mais la bouche reste sur la mienne, impérieuse.

J’ai, contre moi, une poitrine rude qui m’écrase délicieusement.

— Viens ! fait-il.

Je ne dis rien, mais tout mon corps répond oui. Le grand lit nous reçoit ; j’ai fermé les yeux. Des mains habiles dégrafent ma robe qui glisse ; je me laisse aller ; j’attends la caresse qui vient fatalement.

Il écarte mes jambes avec son genou ; il écarte les deux battants de l’entrée ; il sépare les lèvres avec son doigt, il élargit l’ouverture ; il frotte légèrement, puis fort.

Et tout à coup son pouce remonte, et cherche.

Je me demande s’il va trouver. Mais il trouve tout de suite. Son pouce se pose sur le petit monticule qui depuis quelques instants relève la tête et commence à sortir de sa retraite.

Il l’agace, le roule entre se doigts. Il s’en va, il vient et, à chaque fois, je suis surprise et émue, d’une émotion qui me descend le long du dos. C’est bien fait, presque aussi bien que quand je le fais moi-même.

Mais qu’y a-t-il ? Il m’a lâchée tout à coup, il a ramené sa main vers lui pour aller chercher je ne sais quoi…

Et je sens maintenant comme un pouce brûlant qui tâtonne à l’entrée. Cela ne dure pas longtemps car malgré moi les portes s’amollissent, cèdent. Il a passé ses mains sous mes fesses et les soulève. Le long doigt chaud essaie de s’enfoncer en moi.

Quelque chose résiste, qui m’appartient, se contracte, quelque chose qui voudrait barrer la route à l’envahisseur. Mais avec une sorte de décision brusque qui me fait pousser un cri que j’étouffe dans la paume de ma main, il plonge au fond…

Le plaisir et la douleur sont si proches, s’entremêlent de telle façon que je ne les distingue plus. Et puis le plaisir surnage seul.

Je sens à chacun de mes pores une gouttelette de sueur qui perle. Des effluves chaudes montent de nos deux corps, un parfum inconnu, enivrant…

Un rythme plus rapide nous entraîne. Un flot chaud m’inonde brusquement, à l’intérieur de moi-même…

Je suis femme. Je n’ouvre les yeux que beaucoup plus tard. Mon amant me caresse les cheveux et d’une voix toute douce m’interroge :

— Pourquoi ne m’as-tu pas dit que tu étais une jeune fille ?…

— À quoi bon ! Et puis je ne voulais plus l’être. Ça ne sert à rien.

— Si j’avais su, tout de même… je me fais l’effet d’une brute.

— Mais non, pas du tout ! Je ne vous en veux pas !

Bien au contraire ! Vous m’avez révélé une chose qui ne manque pas d’agrément.

— J’ai encore un tas de choses à t’apprendre.

— Je veux bien !

D’abord il me montre son sexe.

— Tu peux regarder, si tu veux.

Je ne m’en prive pas, et je contemple ce grand objet qui se dresse fièrement.

— C’est pour toi, c’est en ton honneur qu’il est comme cela, autrement il a la tête basse.

Je dis oui, j’approuve, ne comprenant pas trop bien. Visiblement c’est un compliment. Je l’accepte comme tel. Aspect déconcertant de l’âme humaine : après l’avoir regardé, j’ai envie de toucher son compliment.

— Je vais t’apprendre comment faire.

C’est doux et dur à la fois, ça me plaît beaucoup. Je le frotte avec ma main, il durcit encore.

— Cela s’appelle entrer en érection, bander, m’explique-t-il.

Puis, me regardant au bon endroit :

— Et ça, qu’est-ce que c’est que ça ? Tu sais ce que c’est ? Tu sais comment cela s’appelle ?

Je m’en doute un peu.

— Cela s’appelle un con ! Répète ! J’aimerais te l’entendre dire ! J’ai un con, un joli petit con ! Dis : j’ai un joli petit con qui aime la queue !

Il continue.

— C’est moins distingué de dire la bite. Dans un salon, quand on se trouve en bonne compagnie, quand on parle à la femme du général ou à l’archevêque, il est préférable de dire la queue. C’est un rien, mais c’est à ces riens qu’on reconnaît l’éducation.

Je l’écoute plaisanter. Je lui en suis presque reconnaissante. Il n’a pas l’air d’avoir fait une chose terrible avec moi.

Et tout à coup il ne dit plus rien. Il se tait, il enfonce. À un certain moment j’ai envie de… pourquoi ne pas l’avouer après tout… de satisfaire un petit besoin. Je me tortille ne sachant comment dire.

Lui a un désir bizarre. Cela me fait honte un peu, mais il me demande cela si gentiment. Il veut y aller avec moi.

— Je t’accompagne.

Je n’ose pas me rendre dans le petit local au bout du couloir. Si on nous rencontrait !

— Tu n’as qu’à le faire ici.

C’est toute une gymnastique. Je grimpe sur une chaise devant la cuvette du lavabo. Je m’accroupis.

— Attends un peu que je te tienne les fesses pendant que tu pisses.

Il me les triture doucement.

— Et ça, derrière, qu’est-ce que c’est cette petite chose qui s’enroule et qui frise, cette broussaille ?

« Et quand on enfonce le doigt dedans, qu’est-ce que cela fait ?

« Comme il est gentil ce petit trou, tu veux bien que je lui donne quelques gages de sympathie ? »

Il sympathise en effet en y enfonçant une langue pointue. Il m’interroge, il veut savoir si j’ai certaines habitudes.

— Et quand tu es seule qu’est-ce que tu fais ?

Cela a l’air de l’intéresser ce que je lui raconte. Il touche mon petit bouton.

— Et ça, tu sais pourquoi c’est faire ?… C’est fait pour être mis dans la bouche, c’est fait pour être sucé. Tiens, comme cela !…

Il fait comme il dit. C’est ce qui est précieux avec lui, il fait beaucoup comme il dit.

Minutieusement, il continue sa leçon.