Une légende de Montrose/17

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Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, tome 11p. 497-506).




CHAPITRE XVII.

montrose en marche.


La marche prend un mouvement militaire, et les nations, le regard fixé sur elle, attendent en suspens. La famine à l’air farouche garde la côte solitaire, et l’hiver élève sur ces frontières des barricades de glace : il vient… ni le besoin ni le froid ne peuvent retarder sa course.
Vanité des désirs humains.


Au point du jour, Montrose reçut dans sa cabane le vieux Mac Eagh, et le questionna long-temps et minutieusement sur les moyens de pénétrer dans le comté d’Argyle. Il prit note de ses réponses, et les compara avec celles de deux de ses compagnons qu’il lui présenta comme les plus prudents et les plus expérimentés parmi les siens. Ces réponses s’accordèrent parfaitement sur tous les points : cependant le comte, persuadé qu’il ne pouvait prendre trop de précautions dans cette circonstance, compara de nouveau ces renseignements avec ceux qu’il recueillit encore auprès des chefs qui résidaient le plus près du théâtre de son invasion projetée, et ce ne fut que lorsqu’il se crut suffisamment éclairé, qu’il se détermina à agir.

Montrose changea pourtant d’idée sur un point. Il pensa qu’il était impolitique de garder auprès de lui Kenneth, le fils de Ranald, parce que cela pourrait paraître une offense aux clans nombreux qui avaient une haine héréditaire pour cette famille s’ils venaient à découvrir le véritable nom de ce jeune homme ; il pria donc le major de le prendre à son service ; et comme cette requête fut accompagnée d’une certaine somme d’argent, sous prétexte qu’il était nécessaire de vêtir et d’équiper le jeune homme, ce nouvel arrangement ne déplut nullement à Dalgetty.

Il était à peu près l’heure du déjeuner lorsque le major Dalgetty, après avoir pris congé de Montrose, se mit à la recherche de ses anciennes connaissances, lord Monteith et Mac-Aulay, auxquels il brûlait de raconter ses aventures, et dont il désirait apprendre les détails de la dernière campagne. On peut croire qu’il fut reçu avec joie par des hommes qui, abandonnés depuis quelque temps à l’uniformité monotone de la vie militaire, regardaient la société de tout nouveau venu comme une événement intéressant. Allan Mac-Aulay fut le seul qui parut éprouver une impression de déplaisir en revoyant le major ; et, pressé par son frère d’en expliquer le motif, il ne put donner d’autre raison de sa conduite que la répugnance qu’il sentait à traiter familièrement un homme qui, si récemment encore, s’était trouvé dans la société d’Argyle et d’autres encore de leurs ennemis. Le major fut d’abord assez alarmé de cette espèce d’instinct qui faisait deviner à Allan quelle compagnie il avait fréquentée depuis peu ; mais il s’aperçut bientôt avec satisfaction que le don de seconde vue ne l’empêchait pas d’être en défaut dans cette circonstance.

Comme Ranald Mac Eagh devait être placé sous la protection et la surveillance du major Dalgetty, il était nécessaire qu’il le présentât à ceux avec lesquels il était lié le plus intimement. Le vieillard avait quitté le tartan de son clan pour prendre un vêtement particulier aux habitants des îles éloignées et qui consistait, en une espèce de veste à manche et en un jupon, le tout ne formant qu’une seule pièce. Cet habillement, boutonné par devant du haut en bas, ressemblait assez à celui que l’on nomme une polonaise, vêtement que, en Écosse, les enfants du peuple portent encore aujourd’hui. La chaussure et le bonnet de tartan complétaient ce costume que les vieillards du siècle dernier se rappelaient avoir vu porter par les insulaires qui, en 1715, vinrent se ranger sous les drapeaux du comte de Mar.

Le major Dalgetty, les regards fixés sur Allan, présenta Ranald Mac Eagh sous le nom supposé de Ranald Mac Gillihuron de Benbecula, qui s’était, disait-il, échappé avec lui des prisons d’Argyle. Il le vanta comme un habile joueur de harpe et comme un barde des montagnes[1], ajoutant qu’il possédait également le don de prédire, et qu’il possédait le don de seconde vue. Tout en leur donnant ces détails, le major hésita et balbutia d’une manière si peu conforme à la volubilité ordinaire de son langage, qu’il n’aurait pas manqué d’exciter les soupçons d’Allan Mac-Aulay, si l’attention de celui-ci n’avait été absorbée tout entière par l’attention avec laquelle il paraissait étudier les traits de cet étranger. Ce regard fixe embarrassa tellement Ranald Mac Eagh, que, s’attendant à être attaqué subitement, sa main se porta sur son poignard lorsque Allan Mac-Aulay, s’avançant tout à coup, lui tendit la main en le saluant d’un air amical. Ils s’assirent alors l’un à côté de l’autre, et causèrent à voix basse et d’un air mystérieux. Menteith et Angus Mac-Aulay ne parurent nullement surpris de cette singularité, car il existait parmi les montagnards qui se prétendaient doués de seconde vue une sorte de franc-maçonnerie qui les portait généralement, dès le premier abord, à entrer en communication sur la nature et l’étendue de leurs connaissances et de leurs visions.

« La vision descend-elle sur votre esprit sous une forme sombre ? » demanda Allan à sa nouvelle connaissance.

« Sous une forme aussi sombre que les ténèbres lorsque la lune s’obscurcit au milieu de son cours et que les prophètes prédisent quelque malheur, répondit Ranald. — Venez ici, reprit Allan, venez plus près ; je voudrais causer avec vous en particulier, car on dit que dans vos îles éloignées la vision descend avec plus de clarté et de puissance que sur nous qui demeurons près du Sassenach. »

Tandis qu’ils étaient livrés à cette mystérieuse conférence, les deux cavaliers anglais dont il a été parlé au commencement de cette histoire entrèrent de l’air le plus joyeux, et annoncèrent à Angus Mac-Aulay que des ordres venaient d’être donnés pour que chacun se tînt prêt à marcher vers l’ouest. Après avoir annoncé gaiement ces nouvelles, ils firent leurs compliments à leur ancienne connaissance, le major Dalgetty, qu’ils reconnurent à l’instant, et s’informèrent de la santé de son coursier Gustave.

« Je vous remercie humblement, messieurs, répondit le major ; Gustave se porte bien, quoiqu’il ait, comme son maître, les côtes un peu plus maigres qu’à l’époque où vous me proposâtes obligeamment de m’en débarrasser à Darnlinvarach ; et permettez-moi de vous assurer qu’avant que vous ayez fait une ou deux de ces excursions qui paraissent tant vous sourire, vous laisserez derrière vous, mes honorables chevaliers, une bonne partie de votre embonpoint et quelques-uns de vos chevaux. »

Tous deux s’écrièrent que peu leur importait de trouver ou de laisser quoi que ce fût, pourvu qu’ils cessassent d’aller et de venir ainsi du comté d’Angus dans celui d’Aberdeen, poursuivant sans relâche un ennemi qui ne voulait ni combattre ni mettre bas les armes.

« S’il en est ainsi, dit Angus Mac-Aulay, il faut que j’aille donner des ordres, et que je prenne des mesures pour qu’Annette Lyle puisse nous suivre sans danger, car la route qui conduit au pays de Mac Callum More est beaucoup plus difficile que ces braves chevaliers ne le pensent ; » et il sortit de la tente.

« Annette Lyle ! répéta Dalgetty, est-ce qu’elle suit l’armée ? — Certainement, » reprit sir Miles Musgrave en regardant tour à tour lord Menteith et Allan Mac-Aulay ; « nous ne pourrions ni marcher, ni combattre, ni avancer, ni reculer, sans l’influence de la princesse de la harpe. — Dites plutôt la princesse des claymores et des targes, reprit son compagnon, car on ne pourrait accorder plus d’honneurs à l’épouse même de Montrose : elle a quatre jeunes filles des montagnes et autant d’écuyers à jambes nues, toujours prêts à exécuter ses ordres. — Et qu’auriez-vous fait à ma place, messieurs ? » dit Allan en s’éloignant subitement du Highlander avec lequel il était en conversation. « Vous-mêmes, auriez-vous laissé une jeune et innocente fille, la compagne de votre enfance, exposée à être insultée, outragée, ou à périr de besoin ? Au moment où je vous parle, l’habitation de mes pères n’a plus de toit, nos moissons ont été détruites, nos troupeaux dispersés et ravis ; tandis que vous, messieurs, qui venez d’un pays plus doux et plus civilisé, vous n’avez qu’à rendre grâces à Dieu de ce que, dans cette guerre implacable, vous n’exposez que votre vie, sans avoir à craindre que vos ennemis fassent retomber leur vengeance sur les êtres sans défense que vous avez laissés derrière vous. »

Les anglais convinrent de bonne foi qu’ils avaient l’avantage sous ce rapport ; et la compagnie se dispersant, chacun alla vaquer à ses occupations.

Allan resta quelques instants encore, continuant à interroger Mac Eagh sur un point de ses visions supposées qui le jetait dans la plus grande perplexité. « À plusieurs reprises, lui dit-il, j’ai vu un Gaël qui semblait plonger son poignard dans le corps de Menteith, de ce jeune seigneur au manteau écarlate qui vient de quitter cette tente. Mais quoique mes yeux immobiles dans leurs orbites se soient efforcés de reconnaître celui qui le frappait, je n’ai pu voir la figure de ce montagnard, ni même supposer qui il pouvait être bien que son extérieur ne me soit nullement inconnu. — Avez-vous retourné votre plaid, ainsi que le prescrivent nos règles en pareil cas ? demanda Ranald. — Oui, » répondit Allan à voix basse, et en frémissant comme s’il éprouvait une agonie intérieure.

« Et sous quel costume le fantôme vous apparut-il ? — Avec son plaid aussi retourné, » répondit Allan d’une voix sourde et d’un ton convulsif.

« Alors, répondit Ranald, soyez certain que nul autre que vous ne commettra l’acte que la vision vous a présenté. — Voilà ce que mon âme inquiète a cent fois soupçonné, reprit Allan : mais c’est impossible ! quand bien même je lirais cet arrêt dans le livre éternel du Destin, je dirais que c’est impossible ; nous sommes unis par les liens du sang et par d’autres plus intimes encore ; nous avons combattu côte à côte, et nos épées se sont teintes du sang des mêmes ennemis ; non, vous dis-je, il est impossible que ma main le frappe ! — Elle le frappera cependant, répondit Ranald, cela est certain, bien que le motif de cet acte reste enveloppé dans les ténèbres de l’avenir. Vous dites, » continua-t-il en cachant non sans peine les émotions secrètes qui l’agitaient, « que vous avez poursuivi ensemble votre proie comme des limiers altérés de sang ? Mais n’avez-vous jamais vu de ces limiers tourner leurs dents l’un contre l’autre, s’attaquer et se combattre sur le corps d’un daim expirant ? — C’est faux ! » s’écria Mac-Aulay en tressaillant d’horreur ; « ce ne sont point là les prédictions du Destin, mais les insinuations perfides de quelque esprit malin, sorti d’un noir et profond abîme ! » À ces mots il s’élança hors de la tente.

« Le coup est porté ! » s’écria l’Enfant du Brouillard tandis que son œil le suivait avec l’expression du triomphe ; « le trait est entré dans ton cœur ! Esprits de mes fils assassinés, réjouissez-vous ! bientôt vos meurtriers plongeront leurs épées dans le sang l’un de l’autre. »

Le jour suivant, tous les préparatifs furent terminés, et Montrose, se dirigeant par une marche rapide vers la rivière du Tay, étendit son armée dans la vallée romantique qui entoure le lac du même nom. Les habitants étaient des Campbells, non pas, il est vrai, vassaux d’Argyle, mais ses alliés, et du clan de Glenorchy, qui porte maintenant le nom de Breadalbane. Pris à l’improviste et nullement préparés à la résistance, ils furent obligés d’être les spectateurs passifs des ravages qui se commettaient sur leurs terres et de l’enlèvement de leurs troupeaux. C’est ainsi que Montrose, dévastant tout le pays qu’il fut obligé de traverser, s’avança jusqu’aux rives du lac Dochart et atteignit enfin le point le plus périlleux de son entreprise.

Même aujourd’hui qu’une route sûre conduit de Teinedrum à la source du Loch-Awe, le passage de ces déserts immenses paraîtrait encore une tâche difficile à nos infatigables soldats. Mais à cette époque, il n’existait ni route ni sentier d’aucune espèce ; et, pour comble de difficultés, les montagnes étaient déjà couvertes de neige. C’était un spectacle majestueux que ces masses gigantesques entassées les unes sur les autres : celles qui étaient sur le premier plan montraient leurs sommets éblouissants de blancheur, tandis que les plus éloignées apparaissaient sous une teinte rosée que leur prêtaient, aux approches de l’hiver, les rayons du soleil couchant. Ben Cruachan, le plus élevé de tous, paraissait là comme la citadelle du génie de la région des montagnes ; et sa cime orgueilleuse, surpassant toutes les autres en hauteur, se distinguait de plusieurs milles à la ronde.

Les soldats de Montrose n’étaient pas des hommes capables de se laisser intimider par le spectacle majestueux et terrible qui se déployait sous leurs yeux. La plupart descendaient de cette ancienne race de montagnards qui non-seulement dormaient paisiblement sur la neige, mais qui regardaient même comme un luxe efféminé de la pétrir pour s’en faire un oreiller. L’espoir de la vengeance et du pillage brillait à leurs yeux derrière ces montagnes de glace, et les obstacles ne pouvaient les effrayer.

Montrose ne laissa pas à leur ardeur le temps de se refroidir. Il donna l’ordre aux cornemuses de jouer l’ancienne marche nommée Hoggil-nam-bo[2], etc. qui veut dire : « Nous accourons pour saisir notre proie, » dont les sons éclatants et perçants avaient souvent frappé de terreur les vallées de Lennox. Les guerriers s’élancèrent avec l’agilité et l’ardeur des montagnards dans ce défilé dangereux où Ranald, à la tête d’un parti choisi, marchait le premier pour reconnaître le chemin.

Jamais la puissance de l’homme ne paraît plus faible et plus misérable que lorsqu’elle se trouve placée en opposition avec le grand spectacle d’une nature imposante et terrible. L’armée victorieuse de Montrose, dont les exploits avaient frappé toute l’Écosse d’épouvante, s’efforçant de gravir ces hauteurs redoutables, ressemblait à une poignée de vils maraudeurs qui, à chaque instant, paraissaient sur le point d’être engloutis par des précipices qui s’entr’ouvraient sous leurs pas comme les horribles mâchoires des géants de ces montagnes. Montrose lui même se repentit presque de la témérité de cette entreprise, lorsque, parvenu au sommet d’un de ces rochers gigantesques, il vit combien était faible sa petite armée, alors dispersée çà et là. La difficulté de pénétrer dans ces montagnes était telle qu’il s’établissait des vides considérables dans les rangs, et l’espace qui séparait l’avant-garde du centre et le centre de l’arrière-garde s’agrandissait à chaque instant d’une manière qui devenait inquiétante et qui pouvait même être dangereuse.

C’était avec une sorte de terreur que Montrose remarquait toutes les positions avantageuses que ces montagnes offraient, et il frémissait en songeant au péril auquel il serait exposé en ce moment, s’il les trouvait occupées par un ennemi préparé à la défense ; depuis on l’entendit souvent répéter que si les défilés de Strath-Fillan eussent été défendus par deux cents hommes déterminés, non-seulement il eût été arrêté dans sa marche, mais encore toute son armée eût été taillée en pièces. La sécurité, sécurité funeste qui causa la ruine de tant de pays et de tant de forteresses, livra en cette occasion le comté d’Argyle à ses ennemis. Ceux-ci n’eurent à lutter que contre les difficultés naturelles du terrain et contre la neige, qui heureusement n’était pas tombée en très-grande quantité. À peine l’armée eut-elle atteint le sommet des montagnes qui séparent le comté d’Argyle du district de Breadalbane, qu’elle se précipita sur les vallées situées au-dessous, et s’y répandit avec une sorte de fureur qui exprimait bien les motifs qui avaient dicté une entreprise aussi difficile et aussi périlleuse.

Montrose divisa son armée en trois corps, afin de se montrer plus formidable. L’un était commandé par le chef du clan Ranald, l’autre par Colkitto, et le troisième par lui-même. De cette manière, il put pénétrer par trois endroits différents dans le comté d’Argyle. Nulle part on n’opposa de résistance. L’effroi des bergers qui fuyaient de leurs montagnes avait été le premier signal de cette irruption formidable ; et partout où les habitants essayèrent de prendre les armes, ils furent désarmés, dispersés ou tués par un ennemi qui semblait avoir prévu tous leurs mouvements.

Le major Dalgetty, qui avait été envoyé en avant contre Inverary avec le peu de cavalerie qui se trouvait dans l’armée, prit si bien ses mesures qu’il faillit surprendre Argyle, comme il le dit lui-même, inter pocula[3] ; et ce ne fut qu’en se jetant à la hâte dans une barque, que ce chef échappa à la mort ou à la captivité. Mais tout le poids du châtiment auquel Argyle était destiné retomba sur son pays et sur son clan ; et les ravages commis par Montrose dans cette malheureuse contrée, bien que trop d’accord avec l’esprit du siècle et les mœurs de ce peuple, sont considérés comme une tache ineffaçable qui ternit l’éclat de ses grandes actions et son beau caractère.

Cependant Argyle s’était hâté de fuir vers Édimbourg, pour porter ses plaintes devant la Convention des États. Le général Baillie, officier presbytérien rempli de talent et de zèle, reçut ordre de lever une armée considérable ; on lui en confia le commandement et on lui adjoignit le célèbre sir John Urrie, officier de fortune, qui, comme Dalgetty, avait déjà deux fois changé de parti pendant la guerre civile, et qui se disposait à en changer une troisième avant la fin de la campagne. Argyle, transporté d’indignation, s’occupa avec activité de rassembler ses troupes, afin de se venger de son ennemi mortel. Il établit son quartier général à Dumbarton, où il fut bientôt rejoint par des forces considérables, composées principalement d’hommes de son clan et de ses vassaux. Là Baillie et Urrie vinrent le joindre à la tête d’une armée formidable, régulière et bien disciplinée. Rassuré par ces forces imposantes, et plein d’espoir, il se prépara à se mettre en marche pour le comté d’Argyle, et à châtier l’ennemi qui osait envahir le territoire de ses pères.

Mais tandis que ces deux armées formidables opéraient leur jonction, Montrose quittait ce pays dévasté vers lequel s’avançait une troisième armée rassemblée dans le Nord par le comte de Seaforth. Après quelque hésitation, ce seigneur avait embrassé la cause des covenantaires, et, secondé par la garnison d’Inverness réunie à ses forces, il menaçait Montrose de ce côté.

Enfermé dans un pays dévasté et dépourvu de moyens d’existence, menacé de tous côtés par l’approche d’ennemis bien supérieurs en nombre, la perte de Montrose était inévitable. Mais c’était précisément dans des circonstances de cette nature que le génie actif et entreprenant du comte excitait l’étonnement et l’admiration de ses partisans et répandait la terreur parmi ses adversaires. Il rassembla comme par enchantement ses troupes éparses, qui jusqu’alors avaient été occupées à dévaster le pays ; et à peine les eut-il réunies, qu’Argyle et ses généraux apprirent que les royalistes avaient subitement disparu du comté, et qu’ils s’étaient retirés vers le Nord dans les montagnes sombres et impénétrables du Lochaber.

La sagacité d’Argyle et de ses généraux leur fit conjecturer aussitôt que le projet de l’actif Montrose était de combattre Seaforth, et, s’il était possible, de tailler son armée en pièces avant qu’ils pussent venir à son secours. Ils furent donc forcés de changer leur plan d’opérations. Urrie et Baillie, laissant ce chef se préparer à se défendre le mieux possible, séparèrent encore une fois leurs troupes de celles d’Argyle ; et comme leurs forces consistaient principalement en cavalerie et en habitants des basses terres, ils côtoyèrent la pente méridionale des monts Grampians, et se dirigèrent par l’est vers le comté d’Angus, déterminés à se rendre de là dans celui d’Aberdeen, afin d’intercepter la marche de Montrose, s’il tentait de s’échapper dans cette direction.

Argyle, à la tête de ses troupes, entreprit de suivre Montrose, afin que s’il en venait aux mains, soit avec Seaforth, soit avec Baillie et Urrie, il se trouvât placé entre deux feux par cette troisième armée, qui, le suivant à une distance prudente, devait se tenir prête à fondre sur son arrière-garde.

Dans ce dessein, Argyle se dirigea de nouveau vers Inverary, et à chaque pas il eut lieu de déplorer les cruautés et les déprédations commises par les clans ennemis sur son territoire : parmi les grandes qualités qui les distinguaient, les Highlanders ne possédaient pas celle de la clémence à l’égard de leurs ennemis ; mais leurs dévastations contribuèrent à grossir l’armée d’Argyle. C’est encore un proverbe parmi les montagnards, que celui dont la maison est brûlée doit se faire soldat. La majeure partie des habitants de ces malheureuses vallées n’avait plus désormais d’autre moyen d’existence que celui d’exercer sur leurs ennemis les déprédations dont ceux-ci s’étaient rendus coupables ; et leur seul espoir était celui de la vengeance. Les circonstances qui avaient jeté la désolation dans son pays furent donc la cause de l’augmentation de ses forces ; et Argyle se trouva bientôt à la tête de trois mille hommes pleins de résolution, distingués par leur courage et leur intrépidité, et commandés par de nobles chefs qui avaient plusieurs fois signalé leur courage et leurs brillantes qualités militaires.

Le principal commandement fut confié, sous ses ordres, à sir Duncan Campbell d’Ardenvohr et à un autre sir Duncan Campbell d’Auchenbreck, vieux militaire expérimenté qu’il avait rappelé d’Irlande à cet effet. Le caractère froid et circonspect d’Argyle le porta à combattre les conseils de ses généraux, et à rejeter les projets que leur intrépidité leur inspirait : il fut donc convenu que, malgré l’augmentation de leurs forces, ils continueraient le même plan d’opération, et suivraient Montrose avec précaution, de quelque côté qu’il se dirigeât vers le nord-est, en évitant toujours d’en venir à un engagement jusqu’à ce que l’occasion se présentât de tomber sur son arrière-garde, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il fût aux prises avec les forces qu’il allait trouver devant lui.



  1. Seannachie, dit le texte : mot écossais pour désigner particulièrement les bardes montagnards de l’Écosse. a. m.
  2. C’est le pibroch ou chant de guerre du clan belliqueux et déprédateur de Mac-Farlane, qui habitait les rires occidentales de Loch-Lomond. a. m.
  3. Entre les coupes. a. m.