Une môme dessalée/01

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 84p. 1-4).


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Présentation

Malgré l’entraînement et la souplesse de Zine, madame sa mère put lui administrer deux taloches directes, qui sonnèrent dru, l’une sur — ma foi — la figure, l’autre par les reins. Mais la troisième passa en marge, et Zine glapit :

— Et ton lumbago, maman ?

— Attends, attends ! rogomma la matrone qui tenait toujours à la main son balai et crut bon de s’en servir contre sa narquoise et insolente progéniture.

Le balai, jeté dans les jambes de l’enfant furieuse et riante, la fit trébucher fâcheusement. Elle ricocha sur le fauteuil avachi qui bordait la fenêtre, là où il est si doux d’épier les passants. Le fauteuil la renvoya sur le lit, car la pièce était étroite, se trouvant au septième d’une maison pauvre, en Ménilmontant. La mère de Zine put alors empoigner sa fille à plein corps et lui tenir la tête basse, puis, gaillardement elle releva la petite jupe effilochée et administra une solide fessée à la gaillarde braillante qui se tordait comme un ver.

Quand tout fut accompli, Mme Ursule Taupy se releva triomphante. Craignant toutefois une réaction de sa victime, elle se tint, ayant repris son balai, près de la porte, et très attentive aux événements. Car elle savait Zine méchante, rancunière et dépourvue de tout respect familial.

Mais la charmante fustigée semblait, pour la minute, ne pas songer à reprendre l’offensive. Elle abaissa, sur son aimable derrière rouge, une jupe trop courte et bien étroite. La figure enflammée, l’œil aigu, elle surveillait en même temps sa mère, et quelques larmes attardées, coulaient encore sur ses joues.

— Hein ! dit Mme Taupy, d’un air de triomphe, hein ! cette fois je t’ai eue ? Cela faisait trois ou quatre fois que tu échappais à la correction. Oui ! oui ! tu es plus agile que moi avec mon lumbago, mais je t’ai possédée tout de même, Zine, et je pense que tu ne recommenceras plus à me dire m… lorsque je te dirai poliment de me donner tes sous.

Bloquée et sentant qu’elle ne pourrait pas sortir ensuite en courant si elle répondait selon sa pensée, Zine grogna indistinctement.

Orgueilleuse, sa mère reprit :

— Ah ! ah ! ça t’a un peu matée, ce claque-fesses. Je le disais à ton pauvre père quand il vivait, une tournée, il n’y a rien de tel pour ces gosses qui se croient des femmes qui fument…

Zine continua de se taire, examinant les aîtres en attendant la seconde où elle pourrait enfiler l’escalier et dire ou faire sans vergogne ce qui convient lorsqu’on a été corrigée comme elle venait de l’être, chose qui ne se pardonne plus…

Et ses fesses battues la démangeaient atrocement, exaltant son désir rageur.

Mme Taupy exerçait l’estimable profession de femme de ménage et sa fille était arpète chez une grande modiste du quartier du Temple. Toutes deux s’entendaient mal et d’ailleurs Mme Ursule Taupy s’entendait mal avec toute sa progéniture. Celle-ci se trouvait composée de quatre filles, dont deux, lasses de se voir battues par leur vieille ivrognesse de mère, avaient quitté le foyer familial pour se mettre, l’une avec un zingueur d’art, l’autre avec le tenancier d’un petit étalage de bananes, dans une porte cochère de la rue du Chemin-Vert, et qui gagnait autant d’or qu’un grand magasin.

Dire ce qu’avait fait à sa bonne mère la charmante Zine dépasserait les limites de ce roman. Depuis sa quatrième année, il semblait que la fillette eût décidé en effet de faire endéver jour et nuit la famille Taupy. Le père, saoulaud classé dans l’arrondissement, au même titre qu’une maison du XIIIe siècle, devait, à quelques timides essais pratiqués dès sa treizième année, un vague renom de menuisier. Gréviste ou lock-outé professionnel, il avait, malgré les contingences commerciales et la mort de crédit — comme disent les affiches — trouvé le moyen de se saouler tous les jours, des années durant, sans avoir besoin de travailler pour solder le coût de ses amples beuveries. Il en était mort, durant une partie de zanzibar, laissant sa veuve inconsolable pleine d’ire devers ses filles. Entre toutes, Zine qui manquait à la déférence due aux auteurs de ses jours, la faisait pester sans répit. Elle lui avait administré tant de calottes que des calus lui en étaient venus aux mains. Zine n’en améliorait d’ailleurs pas sa civilité. Quant aux fessées, qu’aurait donc dit Mme Ursule Taupy, si elle avait su que loin de contrister sa fille, elle ne faisait que lui rendre la vie plus gaie ? C’est qu’elles étaient, à l’atelier de Zine, une bonne douzaine de gosselines déjà vicieuses et tout à fait privées de pudeur.

Toutes recevaient, sur une croupe qui ferait peut-être leur fortune, des corrections abondantes et énergiques. Elles en avaient eu honte au début. Mais, un jour, Zine, qui était cynique, s’était avisée de montrer tout à trac la trace des sévices qu’elle venait de subir.

Alors, toutes celles qui gardaient sous leurs jupes des marques semblables n’avaient pas voulu sembler moins bien pourvues. Elles y étaient donc allées de leur exhibition. Peu à peu on en était venu à constituer de véritables concours. C’était à qui porterait les rougeurs les plus éloquentes. En arrivant à l’atelier, celle qui pensait triompher en ce championnat d’un nouveau genre mettait à nu son chef-d’œuvre. On l’enviait parfois en la plaignant. Il advenait qu’elle fut vaincue par une outsider… Alors, rengainant sa rage, elle se promettait de faire, chez elle, un diable à quatre si véhément que la volée dont on la gratifierait pût en apparaître insurpassable. Ainsi s’inversent les principes moraux et les règles de l’esthétique |

Dans l’atelier de Zine, il fallait avoir la fessée fréquemment pour sembler posséder le moindre mérite et celles dont le postérieur en saignait d’aventure devenaient un sujet d’envie universelle. Leurs cicatrices étaient une mise à l’ordre du jour…

Zine, cependant, regardait sa mère, armée du balai et qui continuait de pérorer à la porte. Soudain la veuve Taupy entendant monter dans l’escalier, se pencha pour voir. Malheureuse idée !… Zine bondit, bouscula la matrone et enfila la rampe pour descendre plus vite.

En même temps, elle disait éperdument :

M… et m… et m…