Une môme dessalée/02

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 84p. 5-8).

II

L’Atelier

Zine, descendant l’escalier assise sur la rampe, trouva durant deux étages que c’était charmant. Au troisième, elle sut que cela lui échauffait un rien les paumes. Au quatrième, elle sentit qu’à travers la mince jupette, cette rampe lui brûlait singulièrement les cuisses. Il était trop tard pour s’arrêter, et d’ailleurs, elle était partie à une vitesse si foudroyante que cela devenait sans doute impossible. De plus, comme elle relâchait sa double étreinte des mains et des jambes, par l’instinct qui porte à fuir une sensation déplaisante, et le frottement l’était à un haut degré, elle se fût sans doute cassé les reins au rez-de-chaussée si un homme ne s’était trouvé au second étage pour arrêter cette chute.

Le survenant, un aimable journaliste, haï d’ailleurs de la mère Taupy, qui lui attribuait tous les défauts, montait chez lui au troisième en chantonnant quand il vit débouler la fillette jupes levées dans un glissement vertigineux.

Il s’arc-bouta et, au passage, arracha Zine de sa monture. L’élan faillit l’entraîner à son tour, mais il s’accrocha à un angle de mur en disant :

— Hé bé ! dites donc, vous jouez à vous casser la gueule, ma petite ?

Zine, ahurie, s’abandonnait :

— Alors quoi, vous êtes poursuivie par un tigre. Qu’est-ce que ça veut dire cette descente-là ?

— Ah ! dit enfin Zine, se reprenant, c’est pour échapper à maman.

Et, confirmant ses dires, on entendit venir des sommets de la maison des injures variées et grasses.

— Qu’est-ce qu’elle vous faisait, votre mère, demanda le sauveur.

Zine rougit un peu, puis, rabaissant sa jupe sur ses jambes minces, elle répondit :

— Ça ne se dit pas, monsieur.

— Alors, même à moi qui viens de vous sauver la vie, vous ne voulez pas faire cette révélation. Voilà bien la reconnaissance des femmes !

Zine se mit à rire.

— Oh ! reprit-elle, je serais bien parvenue en bas sans accident. |

Devant tant de mauvaise foi, le journaliste la prit par les poignets :

— Mais, petite malheureuse, en bas, il y a une pomme qui vous aurait arrêtée par les fesses et vous seriez tombée sur la tête, raide comme balle. Vous étiez, sans moi, certaine de vous tuer. C’est du pavage, et vous y alliez d’un train de record.

Zine parut peu émue.

— On dit ça !

L’autre furieux de voir son aide si mal reconnue, saisit Zine à pleins bras :

— Je vais vous corriger, coquinette que vous êtes, ou vous embrasser.

— Ni l’un ni l’autre, cria Zine en s’échappant comme une lamproie de l’étreinte masculine. Pour la correction, je sors d’en prendre et pour m’embrasser, ça coûtera, à partir d’aujourd’hui, tout ce qu’il y a de cher, je ne suis pas une gâcheuse.

— Je suis bon pour un petit talbin, rétorqua l’autre.

— Donnez-le tout de suite, demanda Zine en tendant la main.

L’homme, qui s’amusait comme un fou, lui donna une coupure de cent sous. Alors Zine s’éloigna en faisant un pied de nez :

— Pour ça, vous ne voudriez pas me toucher ?

— Alors, fais-moi voir quelque chose, reprit le journaliste. Sans quoi je dirai que tu es une escroqueuse.

— Je m’en fous, ricana Zine. Pour voir, quand vous m’avez arrêtée sur la rampe, vous en avez bien assez vu.

Et elle se sauva en riant à faire retourner les passants.

Elle arriva à l’atelier pleine de bonne humeur. Trouver cent sous comme ça à tous les coins de rue, avec des hommes qui n’obtiendraient rien plus qu’une gentille grimace quel bonheur cela pourrait être ! Et, pensait Zine, ça doit être possible. Car le journaliste est on ne peut plus dessalé. Or, la majorité des hommes sont des poires, donc plus faciles à arranger que ce mariolle, Elle venait pourtant de le posséder de cent sous…

L’atelier était en révolution.

— Qu’est-ce qu’il y à ? demanda Zine.

— Tu sais, dit une petite brune aux yeux creux et aux airs amoureux, Agathe avait juré de se faire donner une fessée plus forte que nous toutes. Eh bien, ça été plus fort encore, son père, qui était saoul furieux de ce qu’elle le charriait, l’a assommée tout à fait.

— Mince ! glapit Zine attentive. On va se cotiser pour une couronne.

— Bien sûr !

— Mais aujourd’hui, qui est-ce qui a le prix ?

— C’est moi, dit la petite brune.

— Fais voir.

Elle regarda.

— Ça, remarqua-t-elle, je parierais que ce n’est pas une baffre.

— Qu’est-ce que c’est ? demandèrent les / autres fillettes curieuses.

Zine, importante, reprit :

— C’est son amant qui a voulu lui donner une fessée à l’esbrouffe, pour nous en mettre plein la vue. Mais ça l’a réjoui…

La brune aux airs amoureux, cria :

— Dites donc, on n’est pas obligée de fournir des explications, ou alors je ne marche plus. On juge sur pièces et c’est tout. Oui ou non, est-ce que je suis fadée ?

— Et moi ? répondit simplement Zine en mettant à nu sa démonstration.

— De fait ! dit l’atelier d’une seule voix.

Et Zine, triomphante, reprit :

— C’est si réussi même que je ne rentre plus chez nous. Elle me court trop, ma maternelle. Il a fallu qu’elle me fasse fiche par terre en me collant son balai dans les pattes pour réussir ce coup-là, mais c’est marre. Je mets les bouts.

— Et où vas-tu aller ? demanda une arpète, éblouie de tant d’audace.

— Je ne sais pas. On verra, Je suis assez grande pour gagner ma croûte.

— Et comment feras-tu ? Ici tout le jour pour trois francs.

Zine cligna de l’œil avec un rire canaille. Elle défaisait justement une banane que venait de lui offrir sa voisine d’atelier, une blonde timide nommée Rose. Alors, avec moquerie, elle prit le bout de la banane dans sa bouche, puis la fit aller et venir avec des mines gourmandes.

— Mince ! dit admirativement la petite brune. Tu as du fiel…