Une nuit
Une nuit.
C’était la nuit. L’oiseau se taisait dans les branches
Et la lune mettait de grandes nappes blanches
Sur l’inculte pavé de notre vieille cour.
Les murs gris découpaient leur silhouette sombre
Sur le ciel qu’éclairait des étoiles sans nombre.
Et cette nuit était plus belle qu’un beau jour.
L’église au portail vert, à la façade brune.
Sur son dôme arrondi que bleuissait la lune
Élevait fièrement son croissant byzantin.
Les saules se penchaient sur les tombes muettes ;
On entendait les cris des nocturnes chouettes,
Lugubres, prédisant quelque triste destin.
Le couvent[1], dont j’aimais la ruine croulante,
Paraissait agrandi dans la nuit transparente ;
Et les beaux lévriers dormant couchés en rond,
Sur le pavé, formaient comme des taches noires ;
Et le vent qui soufflait me contait des histoires
Tandis qu’il soulevait mes cheveux sur mon front.
Ce vent subtil et frais, en agitant les arbres,
Jetait des pans ombrés sur les croix et les marbres
Dans le vieux cimetière où je jouais jadis ;
Même dans les tombeaux, sous les graves yeuses,
Il consolait les morts et leurs âmes pieuses.
Tant il était léger, ce vent du paradis !
Dans la nuit, où flottait une odorante haleine,
J’entendais une voix sous la voûte sereine :
C’était un chalumeau[2] fredonnant un vieil air.
Une tendre chanson rustique et monotone
Que les fleurs parfumaient des senteurs de l’automne,
Mélancolique ainsi qu’un morne soir d’hiver.
Ah ! qui me la rendra, cette nuit idéale.
Cette lune brillant au ciel comme une opale.
Ce vent calmant et doux de l’arrière-saison ?
Qu’elle était douce, ma paisible rêverie
Sous le bleu firmament de ma chère patrie.
Et dans le lointain gris cette molle chanson !