Une raillerie de l’amour/04

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IRRITATION.


Ô mes illusions ! qu’il est peu ressemblant !
Le Roi s’amuse.


IV.


Madame Nilys en entrant avec le commandant Nairac n’eut pas l’empire d’interrompre cette conversation, la première peut-être qui eût pris une teinte querelleuse entre Ernest et sa chère Georgina ; car elle poursuivit en voyant ce vieil ami :

— Voici quelqu’un du moins qui ne se détourne pas à ma vue, et ne m’inspire pas non plus l’envie de le fuir.

Le commandant qui ne l’avait jamais vue plus affectueuse, l’en remercia par un gros baiser sur le front, aussi sonore, aussi pur que ceux dont il avait caressé son enfance.

— Je n’en reviens pas, disait madame Nilys, qui continuait son entretien commencé. Dites-moi donc, mon neveu, est-ce bien le jeune Folly que le commandant m’assure avoir rencontré en montant chez moi ?

— Qui ? demanda madame de Sévalle avec anxiété, ce cher ami de collége dont vous parlez sans cesse ? que j’avais arrangé dans ma tête comme un héros de roman ? ce serait lui ?… et vous le connaissez aussi ? commandant.

— Depuis plus de huit ans, ma belle enfant, non pas tout-à-fait comme un héros véritable de roman, mais comme un héros véritable dont notre histoire s’enorgueillit, et je me réjouis sincèrement de le voir admis au bonheur de vous faire sa cour.

— Vous êtes dans l’erreur, mon bon ami ! il s’est sauvé le plus galamment du monde en m’apercevant, et cette vivacité est la seule chose qui ne m’ait pas déplu en lui depuis que mon étoile s’est rencontrée avec la sienne.

— Parlez-vous sérieusement ? pouvez-vous voir avec si peu d’indulgence un jeune et beau militaire qui a déjà fait sur plus d’une belle femme une impression si différente ?…

— Les femmes sont si frivoles !

— Et ma sœur est si sensée !

— Plus que toi ; car d’après les motifs que j’ai de le haïr, avoue du moins que je suis bonne de te pardonner le mystère et l’empressement que tu as mis à l’amener ici.

— Calme-toi, ma sœur, tu vas si vite qu’il m’a été impossible d’expliquer la chose. Ce n’est pas à toi que je voulais le présenter d’abord ; c’est à ma tante, qu’il brûle de revoir, et qui, j’en suis sûr, l’accueillera sans colère.

— Sans colère ? un jeune homme qui brûle de me revoir ! Assurément, mon neveu. Mais où donc est-il ce charmant enfant ?

— Prenez garde, madame, répondit en riant monsieur Nairac, cet enfant-là est bien grandi ; et dans sa carrière aventureuse, il a déjà rivalisé d’honneur et de puissance avec les hommes les plus braves de la nation.

— Quel concert d’éloges ! N’y ajoutez-vous rien ? ma tante. Ne viendra-t-il personne encore pour flatter le portrait d’un original si chéri ?

— Ce que j’en puis dire, ma chère enfant, répondit sa bonne tante que surprenait à son tour l’amère chaleur qui perçait dans les discours de sa nièce, c’est que je l’ai connu comme un aimable étourdi, quand j’allais voir au collége votre frère, dont il partageait les études et les jeux.

— Dites aussi les ennuis et les punitions, ma tante ; lui seul me les faisait supporter. Je haranguais pour lui, il se battait pour moi ; quand mes camarades me sifflaient, nous tombions tous deux sur les cabaleurs, et j’avoue que son bras prêtait d’admirables tours à mon éloquence injuriée. Tu vois, ma sœur, que notre attachement pour lui est presqu’aussi sacré que ma tendresse pour toi. Séparés en entrant dans le monde par son goût passionné pour les armes…

— Comment ! il a des goûts passionnés ?… s’écria Georgina, avec une admiration railleuse.

— Et des haines aussi ; c’est comme toi. Mon bonheur le ramène en France, je le rencontre hier à la sortie de l’Opéra, la foule nous empêche de courir l’un vers l’autre ; il me crie sa demeure, et je le perds de vue sans pouvoir le retrouver. Je cours à son hôtel, il était au bal. Je rentre désappointé, fou d’une impatience que je parviens à tromper par mille projets agréables pour l’avenir. Ce matin enfin, je l’amène pour le présenter à ma tante, sans même lui avoir encore parlé de toi, je te jure… Tu sais maintenant le double effet de cette visite : il ne peut pas te voir, tu ne peux le souffrir, et moi, j’avoue que je n’ai eu de ma vie tant d’humeur contre la bizarrerie des femmes : car c’est uniquement ta faute, ma sœur ; tu lui aurais plu si tu n’avais décidément voulu lui déplaire ; je sais parfaitement à quel point tu es irrésistible, et combien il t’est facile de te faire aimer de tout le monde.

— Tu me dis cela d’un air fâché qui ôte beaucoup de grâce à ton compliment.

— C’est que n’eus jamais moins d’envie de t’en faire.

— Votre frère a raison, mon ange, dit en intervenant madame Nilys, avec son impassible douceur ; vous devez lui pardonner le chagrin qu’il éprouve du dessein où vous paraissez être de vous rendre haïssable pour son ami, quand vous êtes si bonne, je dirai même si adorable pour les autres.

— Et vous, mon bon ami ? dit Georgina, comme en se résignant à tous les reproches.

— Ma foi, je pense de même. Camille Folly est un garçon charmant ; on ne le dit pas insensible au mérite des femmes ; vous êtes l’orgueil et le désespoir de votre sexe, c’est-à-dire l’adoration du nôtre ; et avec tous vos charmes, il y a donc un parti pris de déplaire quand on ne plaît pas.

— Tenez ! repartit Georgina avec assez de sérieux pour que l’on s’aperçût qu’elle désirait terminer ce débat, réservez ces éloges pour l’idole que vous encensez sur mon visage depuis une heure ; car il est bien certain qu’avec le mérite prodigieux qu’il rapporte de la Germanie, il faut qu’il ait aussi, lui, un parti pris de déplaire, puisqu’il ne me plaît pas.

— Allons ! allons ! vous êtes injuste, ma nièce, c’est la première fois que je vous vois manquer d’indulgence. Georgina rougit.

— Le protégé de tout le monde n’en a pas besoin, ma tante ; et comme je trouverais, sans doute, son défenseur dans chaque personne à qui j’en pourrais parler, je prendrai le parti de me taire.

— Est-ce là de l’excès ? je vous le demande, s’écria Ernest.

— Mais, mon frère, il n’y a d’excès que dans les louanges, et dans l’importance qu’on attache à me faire sentir mon tort, je dirais presque mon crime, à ne pas tomber en admiration devant les qualités sublimes de ton ami de collége. Je vous en demande pardon à tous ; mais, le plus modéré dans ceci, le plus raisonnable, c’est lui, c’est ce monsieur lui-même qui a la générosité de me laisser paisiblement le haïr, et de me le rendre le tout son cœur.

— Est-ce possible ? mon neveu.

— Oui, ma tante, il m’abhorre, poursuivit Georgina redevenant gaie, il y met une intégrité d’instinct, une espèce d’harmonie de haine ; c’est lui qui me console de la connaître.

— Tenez ! tenez ! dit le commandant, voilà une jeune personne qui traverse la cour, qui ne vous dira pas non plus que vous avez raison.


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