Une sacrée noce/02

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 86p. 7-12).
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ii

À Table



Le festin nuptial avait lieu au grand restaurant du Pâté-en-Croûte. Grâce à son enseigne figurant une femme nue, très nue, qui sort d’un vol-au-vent en montrant ses trésors naturels, nul n’ignore cette maison renommée. Les gourmets la fréquentaient déjà au temps de la Révolution. Balzac y trôna, et plus tard Monselet comme, de nos jours, le syndicat du Tape-Tête y donne ses agapes. On voit que la famille d’Hector et celle de Josépha avaient choisi le bon réfectoire.

Le repas menaça dès le début d’être charmant et il le fut en vérité. La timide épousée d’abord, eut bien un peu l’air emprunté lorsqu’on lui jetait des gauloiseries un rien corsées, mais elle s’habitua peu à peu.

Il y avait là son oncle Théopompe Lerousti. Il en avait un beau stock, de ces blagues archi-raides qui font venir aux joues toutes les pudeurs des femmes. Toutefois, Bartholomé Campistrouil n’était pas moins bien fourni. Le premier aurait plutôt été spécialisé dans la plaisanterie scatologique, le second dans l’érotique. Mais il est peut-être vain de prétendre délimiter deux domaines séparés juste par quelques centimètres… Entourée donc de joyeuses plaisanteries, Josépha pouvait se divertir à coup sûr.

Lerousti disait :

— Ma petite Josépha sais tu jouer à l’écarté ?

— Non, mon oncle ! répondait la tendre jeune femme.

— Hé bien, Hector va te l’apprendre.

— Pourvu, ripostait Campistrouil, qu’il ne lui apprenne pas aussi le piquet.

— Sa flèche n’est pas assez affûtée pour faire pic et repic, grogna au bout de la table, Eustasie Labidoche, qui avait jadis tenté de séduire Hector.

— Ça suffira tout de même, certifia Lerousti, pour faire capot…

— Capot, à l’anglaise, ricana bêtement Cacamis-Riboulon, le marchand de lampes à souder pour les étoffes de laine, ruine des négociants et fabricants de machines à coudre.

— Ah ! mais non, pas à l’anglaise ! rectifia Lazare Trophignol, grand repopulateur qui avait douze neveux et sept nièces.

— Attention, répéta-t-il, ma petite Josépha, il faut éviter que pour la nuit, ton mari se mette en redingote.

— Mais monsieur, susurra la douce Josépha, on ne s’habille pas en tenue de soirée pour se mettre au lit.

— Tenue de soirée, grogna Jiji Rhubarb, le potard, qui avait également des prétentions à l’élégance et à l’encyclopédisme. Pensez-vous que la redingote soit une tenue de soirée ?

— La vraie tenue de soirée, opina Cunéphine Lampader, c’est de se mettre à poil.

— Lerousti se pencha pour dire à sa voisine Phanie Rombierh :

— Elle n’en a même pas.


…elle offrit des joues rebondies (page 10).

Et Lerondufess, le tenancier du bazar a un quatre-vingt quinze, s’écria pour prendre la parole lui aussi dans cette conversation spirituelle et délicate,

— Cunéphine, faites-nous voir comment vous faites.

La jeune Lampader en était à son deuxième litre d’Aramon extra-vieux avec cachet du château. Un peu partie, elle recula sa chaise et leva les jambes en l’air.

— Voilà, mon vieux Lerondufess !

— On ne voit rien, douta simplement Hector, qui voulait détourner l’attention des assistants pour explorer un tantinet les charmes de sa bien-aimée.

Cunéphine trouva la remarque de mauvais ton. Elle se tourna vers l’aimable nouvel époux.

— Ah ! tu ne vois rien, toi. Hé bien, regarde !

Et, montant sur sa chaise, elle offrit à Hector médusé un arrière-train massif, à faire éclater la robe qui le couvrait.

La belle Pilocarpitte, Agasie de son nom, jalousait depuis longtemps Cunéphine, elle lança :

— À nu, à nu !

— Ah ! On veut le voir à nu, tonna — un petit tonnerre de poche — la cynique Lampader, eh bien chiche !

Et, levant sa robe, elle offrit les joues rebondies de son séant, à l’état, si l’on peut dire, spontané. Tout le monde applaudit. On but une belle série de rasades, et Hector, tout à fait émoustillé, osa introduire la main dans le corsage de Josépha.

Ce faisant, il lui disait à l’oreille :

— Elle est mal élevée, cette Cunéphine !

À ce moment, la petite Finboudin-Canepête, la fille du gros marchand de conserves de mouron, qui avait entendu, s’approcha sournoisement et susurra après une exploration rapide et manuelle :

— Elle ne vous ressemble pas, monsieur Hector, vous l’êtes mieux, levé ?

Tout le monde, heureux, se versa des rouges bords d’Aramon 1803, étampé, pour fêter ce témoignage.

— Car, disait Lerousti, la vérité sort de la bouche des enfants.

On servit, à ce moment exact, les poulets rôtis. Tout le monde illico en réclama les croupions.

— Il faudrait, dit avec gravité Eusèbe Mancharsor, ancien notaire à Courgigi-sur-Bouligue, et qui, à ce titre, jouissait d’une estime de premier plan, il faudrait que ces poulardes fussent toutes en croupions…

— Dame, répondit Cunéphine Lampader, qui n’avait pas renoncé à l’esprit, c’est comme ça en amour.

— Ah ! dit la société sans comprendre.

— Oui ! bien sûr. Pour un homme qui aime, sa femme est tout entière propre à satisfaire son désir et de même pour une femme, son époux est…

… tout époux, bravo ! cria Bartholomé Campistrouil enthousiaste.

Et tout un chacun applaudit avec frénésie, en jetant à la tendre Josépha des regards flambants, évocateurs et salaces, comme s’il en pleuvait.

— Citoyens, dit alors Lerondufess, en se levant, et d’un ton solennel, citoyens, l’heure des toasts est venue…

— Bravo ! continua Pilocarpitte qui était parfaitement ivre et tentait en vain de dégrafer un peu plus son corsage déjà ouvert plus bas que le nombril.

Lerondufess lui adressa un regard approbateur, puis continua :

— Nous allons boire aux amours de Josépha et d’Hector.

— Bravo ! reprit Pilocarpitte en mettant ses deux jambes sur la table, aux amours d’Hector et de Josépha.

— Bravo, bravo !

Et on but, raide comme balle, par larges verres, du champagne Solférino, sec comme un coup de trique et qui moussait magnifiquement.