Une sacrée noce/03

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 86p. 13-18).

iii

Le bal



Lorsqu’on en fut aux liqueurs, Lerousti commanda pour Hector.

— Il faut du raide au mari.

Mais Lazare Trophignol reprit :

— Et pour la dame donc.

— Du raide à tout le monde, aboya Cunéphine Lampader, obstinément portée à l’enthousiasme.

Et on servit un trois-six qui ne craignait rien pour la raideur.

— Fichtre, ça vous éteint, avoua la Finboudin-Canepête, qui ouvrait un bec grand comme le tunnel du Simplon pour que l’air extérieur put rafraîchir ses muqueuses embrasées !

Josépha qui trouvait cette attitude disgracieuse et fermait la bouche crut avaler une torche allumée.

— Hein, s’exclama Pilocarpitte, ça vous chauffe l’avant-train.

— Tu parles, se désespéra Lerousti qui venait de perdre le souffle. Cette eau-de-vie là vaut son pesant d’électricité. Ça vous occit !

Seul, Hector continuait de porter beau. Pour montrer même à l’assistance qu’il en fallait un peu plus, si on voulait le rétamer, il s’offrit un second verre et l’absorba rubis sur l’ongle.

Il boit sec ton mari, dit Lerondufess à Josépha. C’est bon signe.

Cependant, le nouvel époux était parvenu à obtenir que sa charmante femme passât sa jambe sur la sienne. C’est une situation fort incommode et désagréable, mais elle est de tradition chez les amants qui veulent se promettre, sous la nappe, des affections éternelles et des délices proches. Hector sentait donc son sang couler plus vite dans ses artères, il percevait en sa tête, un tumulte magnifique, et cela lui promettait mille joies peu éloignées. Au surplus, il aurait été bien embêté s’il lui avait fallu définir ces joies, mais enfin, c’est le nom qu’on donne à la corvée de première nuit de noces. Il faut bien l’accepter…

— Si on guinchait un petit chouya ? dit alors Eusèbe Mancharsor, qui avait fait son service militaire aux zouaves et parlait l’argot subtil qui était à la mode sous Mac-Mahon.

— Oui, oui ! hurla Pilocarpitte, de plus en plus saoûle. On va danser.

— Moi, avoua Lerousti, je préfère faire une petite belotte.

— Il y aura de la belotte aussi, approuva Lerondufess. Tout le monde aura du plaisir pour son goût.

Ainsi fut fait. La belotte s’engagea entre les combattants vieillis sous le harnois et qui ignoraient les finesses du charleston et du black-bottom. Mais on avait un orchestre tout prêt à n’importe quelle fin, qui attendait dans les sous-sols du Paté-en-Croûte. Il monta, s’installa, et préluda. Les couples s’enlacèrent.

C’était décidément la félicité elle-même qui se dévouait ce jour-là pour réjouir le mariage d’Hector et de Josépha.

D’abord, les époux s’étreignirent parmi les coups d’œil égrillards et approbateurs. Ils dansaient bien, de façon un rien guindée, sans doute, mais il faut ça pour donner de la dignité au jour des épousailles.

Pilocarpitte dansait avec une extrême licence. Elle se frottait à son cavalier, Rhubarb, le jeune potard mondain, avec des mines de chatte en folie. Au surplus, elle était en folie réellement. Ce ne devait pas être le moindre labeur de ceux qui dansèrent en sa compagnie que d’éviter le scandale, car Pilocarpitte était sans cesse disposée à le provoquer. Cunéphine et Mancharsor faisaient, eux, un joli couple, correct et aimable. Certes, Cunéphine s’efforçait bien, par mille artifices condamnables, de relever sa jupette déjà écourtée au-dessus des limites fixées par les bienséances. Mancharsor, également, donnait à son enlacement un caractère plus qu’intime. Pourtant, cela restait du meilleur ton…

L’exquise Finboudin-Canepête s’était retirée avant la danse pour aller mettre un peu de désordre dans sa vêture intime. Elle avait déboutonné en bas sa chemise-enveloppe et abaissé les épaulettes qui la retenaient en haut. Ne fallait-il pas donner aux galants un peu d’espoir, et des promesses palpables ? C’est que la douce enfant rêvait de convoler en justes noces, elle aussi, comme Josépha. Mais pour cela, il fallait évidemment conquérir un époux, et cette conquête ne se fait généralement pas plus que celles de la guerre, avec des armes mouchetées.

Ainsi Finboudin démouchetait ses appas…

Son charleston fut un succès de premier ordre. Elle vous avait un chic étonnant pour gambiller en faisant des effets de croupe, et ne craignait aucune concurrence. Ses jambes, vêtues de soie rose pâle, agitaient, comme des cuillers ensorcelées, les désirs dans l’âme des hommes. Elles fouettaient la trouble écume des lubricités, et celles-ci montaient comme des blancs d’œufs.

Bientôt, le bal se libéra de ses façons pudiques. Les couples assoiffés se désaltéraient par moments. Ils revenaient alors à l’aire guinchante avec des faces écarlates et des mains libres comme des estampes de l’Enfer, à la Nationale… On vit, ma foi, la pudique Josépha elle-même s’en aller sous un prétexte vague dans la pièce à côté, où son époux la fourragea un instant, à la façon d’un médicastre qui tâte une appendicite.

Ils revinrent tous deux avec des yeux luisants et des oreilles empourprées. Aussitôt, Pilocarpitte, armée de son potard chéri, s’en alla, d’un air faussement naïf, faire un tour vers les pièces circonvoisines.

Dans l’une, il y avait des gens tristes qui festoyaient sans délices. C’étaient les héritiers d’une multimillionnaire qui sortaient de chez un notaire, où ils avaient appris leur promotion dans l’ordre de la plus grande fortune. Joyeux et sans souci, la veille encore, ils se trouvaient maintenant bondés de terreurs et de craintes. Comment faudrait-il donc conserver et grossir cette richesse inattendue, et d’autant plus redoutable ? Sombre méditation ! Pilocarpitte s’enfuit aussitôt.

Après ce salon, on tombait sur un escalier. Vous allez croire que nos amoureux allèrent plus loin ? Point du


…elle avait abaissé les épaulettes (page 15).

tout. Ils virent là un lieu spécialement disposé pour éteindre le feu qui les brûlait. En un tournehanche ce fut accompli…

Et la jolie Finboudin imitait le potard et son amie avec le père Troussequikin qui venait d’arriver, frais et dispos, comme toujours. Il n’était pas jeune, le bonhomme, mais il avait du cran. Il le fit bien voir…

Cunéphine et Trucubette, après s’être un moment esquivées, reparurent les seins à l’air, les joues écarlates et les yeux vernis de neuf. Trophignol et Cacamis séduisirent tour à tour, la veuve incandescente de feu Dubrancar, le riche industriel, fabricant de ciseaux en celluloïd et de miniatures sur éponges. La joie régnait enfin et c’est tout juste, si Hector, entraîné par l’exemple, ne prit pas une avance sur son compte marital, entre deux portes. Toutefois, Josépha s’y opposa.