Une sacrée noce/04

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 86p. 19-23).

iv

Le tour au Bois



Cependant, il était cinq heures après-midi. On ne pouvait pas songer danser ainsi jusqu’à l’heure probable et tardive du dîner. Tout le monde était en nage, et les jambes, agitées par le redoutable charleston, allaient bientôt refuser tout service. Que faire maintenant ? Les amoureux eussent bien gardé la chambre jusqu’à la nuit, mais la correction et les bienséances s’en fussent mal trouvées. On se réunit en concile pour délibérer à ce propos. C’est alors que la jeune Trucubine, Agéloa, soumit aux délibérants, cette proposition nouvelle :

— Si on allait au Bois ?

Lerousti, tout gaillard, répéta avec un air galant :

— Mais oui, si on faisait un peu son persil au Bois.

La jeune Finboudin approuva audacieusement :

— Moi, j’en suis, pour la balade au Bois.

— Et moi, donc, redit l’amoureuse Cunéphine, qui avait les yeux cernés jusqu’aux clavicules.

Quant à Pilocarpitte, elle hurla, sur l’air de la Madelon :

— Moi, j’en veux, du Bois de Boulogne…

Et le potard approuva en tapant du pied sur un rythme de gigue du meilleur aloi.

— Allons-y donc, dit le reste de la société.

Dix minutes plus tard, une escadre de taxis emportait la noce entière vers la porte Maillot. En tête, la voiture d’Hector et de Josépha, vernie en rouge écrevisse, menait le train d’un pneu sûr. Dire que pendant le trajet il n’y eut pas ça et là des privautés conquises, sur des genoux trop mal dissimulés, des seins quasi aérés déjà par d’abusives échancrures de guimpes, et même des séants pleins de rondeur et de bon vouloir, serait sans doute une affirmation téméraire. Cunéphine se laissa même investir ou peu s’en faut jusqu’à la porte du donjon. Par chance, une herse de linon crème veillait comme la duègne des infantes. L’huis définitif ne fut — cette fois-là — point vaincu. Seules Pilocarpitte et la Finboudin se permirent des amitiés mal convenables. C’est-à-dire par trop privées d’hommes. Dans leur taxi il n’y avait malheureusement que la vieille Barbausec, qui avait, en sa jeunesse, rôti une multitude de balais et ne s’offensait de rien, avec le père Pissasabau, grand-oncle de la mariée, qui dormit durant tout le trajet. C’est que l’infortuné brave homme avait quatre-vingt-douze ans. On s’explique donc les impudicités des jouvencelles. Au demeurant, Lerondufess, qui aurait dû donner le bon exemple, ne s’avisait-il pas de lutiner lui aussi la charmante, quoique mûre, Mme Odora Lacraquette. Celle-ci, veuve de trois maris, inflammable comme de l’amadou, et alliacée comme du phosphore, faillit donner à l’infortuné Lerondufess une crise cardiaque en l’étreignant si serré que la voix lui faillit à tous les bouts…

Odora, qui n’aimait pas ce genre d’affront le repoussa sans aménité.

— Vous avez été mis au monde par une éponge dit-elle d’un air de mépris.

Vexé, le pauvre Lerondufess se tut en ruminant sa vengeance.

Quant à Hector et Josépha, vous ne voudriez pas qu’ils fussent plus chastes que le reste de leur noce. Non ! Ils s’amusèrent un peu, d’autant qu’ils étaient seuls dans le taxi.

— Hector, dit Josépha, tout attendrie, m’aimez-vous, mon ami ?

— Si je vous aime, Josépha, mais j’en éclate. Mon amour est pareil à une pendaison, il est à l’étroit, et pourtant il saute… Et pour commenter d’un geste aimable son affirmation symbolique, il voulut prouver à sa femme l’étendue et la puissance de son vœu…

Elle détourna les yeux, pourtant, quoique avec un malin sourire.

— Hector, êtes-vous heureux ?

— Oui, ma chérie, mais un peu mieux cette nuit lorsque nous serons seuls. Et vous, Josépha, m’aimez-vous ?

— Oh ! mon cher mari, pouvez-vous le demander.

Mais cette question n’était qu’un artifice destiné à permettre une avance hardie sur les terres vierges que le nouveau mari rêvait de conquérir à cette minute, en y plantant son drapeau. Et Josépha ne réagit point, mais elle montra, par l’incarnat de ses belles joues, à quel point elle était émue et offensée dans ses meilleures pudeurs.

Bientôt, toute la caravane fut au Bois. On parcourut d’abord des allées au hasard et cette queue leu leu faisait rire d’élégants promeneurs. Mais lorsqu’on fut en un coin un peu désert, ayant vaguement l’aspect d’une jungle cantonale, et qui offrait des pelouses vertes encadrées de bouleaux galants, tout le monde jugea qu’il fallait s’arrêter un instant.

Bientôt, les couples, devenus soudain bucoliques, se répandirent sous les ombrages et par les sentes incertaines qui exploraient le sous-bois. Certains s’en furent à droite, d’autres à gauche, certains au milieu. Les gens âgés et rassis s’assirent sur l’herbette en regrettant l’absence d’un Aramon de qualité dont ils se fussent volontiers réjoui. Les femmes sans cavaliers errèrent au hasard en implorant le dieu qui fait naître et prospérer les satyres…

Quant aux amoureux, dont certains étaient même montés en grade dans les resserres, cabinets, ou escaliers du Pâté en Croûte, ils se mirent à jouer follement un rôle de poulains ivres de liberté. Ils sautaient et cabriolaient à qui mieux mieux.

Les femmes en perdaient toute vergogne et toute décence, Ils en virent de vertes, ce soir-là, les arbres du bois ! Les buissons furent témoins impassibles, mais certainement émus au fond, de scènes orgiaques où orgiastiques. Quant aux jolis tapis de fleurettes toutes neuves, qui couvraient çà et là, des coins impollués, il est probable qu’ils en conçurent honte et tristesse, car on leur offrit des visions trop intimes pour être honnêtes. Ici, la Finboudin-Canepête embrassait à grandes goulées, le garçon d’honneur de la noce. Le coquebin, tout ému, en perdit d’un trait tout le velouté des âmes adolescentes…

Plus loin, Pilocarpitte ouvrait, par un abandon de toutes jupes et dessous, des horizons grassouillets et vénustes aux regards concupiscents du père Lerousti… Cunéphine faisait la cabriole sans souci d’exhiber une toisonnette couleur de palissandre et toutes ses vêtures en baîllaient de désespoir. Quant aux autres héroïnes moins connues de la cérémonie, elles ne le cédaient point en impudicité aux plus qualifiées. Les cavaliers de ces dames et de ces demoiselles eurent sans doute toutes les peines du monde à rester purs dans de telles conjonctures. Certains, probablement, se laissèrent aller, devant tant de rose, de blond, de palpable, de gracieux, d’offert et d’attirant, jusqu’à commettre des actes éminemment damnables. Quelle tristesse ! C’est ainsi que Rhubarb, le fameux potard, le maître des élégances, passe pour avoir butiné la rose de Nicoline Bouchebée. Palamède Lampader, le propre frère de Cunéphine, tout puceau qu’il fût, ne laissa point sans hommages, les intimités de l’exquise Finboudin. Quant à Lerondufess, rajeuni de vingt ans par les exploits de tous ces amants pâmés, on dit qu’il décrocha la timbale à son tour, de connivence avec Mme Lacraquette qui, depuis longtemps, n’avait connu pareille fête.

Et le bois parut au crépuscule une plaisante et verdelette chambre à coucher…