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Une voix dans la foule/Dans le parc ancien

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Une voix dans la fouleMercure de France (p. 136-138).

DANS LE PARC ANCIEN

Voici le parc ancien, et sur les feuilles mortes
Le souffle de l’automne. Ô sœur, approche-toi,
Car je me sens faiblir dès que je touche aux portes
Que franchirent jadis mon espoir et ta foi.

Le jour fuit. Parlons bas. Chaque arbre nous écoute.
Gagnons à pas furtifs l’ombre du carrefour
Où le mystère enchante et le silence envoûte.
Nous sommes seuls. Osons interroger l’Amour.


Mire ta face pâle à l’onde des fontaines,
Ô sœur, dans ces jardins consacrés à la mort.
Trembles-tu, comme moi, de craintes incertaines
À cette heure où le vent dans les bosquets s’endort ?

C’est la saison du renouveau des chrysanthèmes,
Fleurs des regrets tardifs, des remords et du deuil.
J’ai presque peur, amie, en pensant que lu m’aimes
Et que bientôt l’hiver neigera sur mon seuil.

Lève tes yeux vers moi, tends tes lèvres aux miennes,
Et d’un geste secret, sœur, donne-moi tes mains.
Pitié ! Je songe trop à des douleurs anciennes
Et qu’un nouvel automne attriste les chemins.

Pitié ! Puis-je savoir combien de temps encore
Nous marcherons ainsi, l’un à l’autre liés ?
Qui de nous va mourir entre l’ombre et l’aurore ?
Ô les chants et les fleurs des printemps oubliés !

Parfois je crois sentir — effroi des bois funèbres ! —
La présence d’un dieu qui nous suit dans le soir.
Quel signe à notre amour tendra-l-il des ténèbres,
L’amarante pourprée ou l’asphodèle noir ?


Je ne sais ! et je cherche à cœur perdu ta bouche
Où je savoure un goût de larmes et de sang.
Tragique instant où rien du monde ne me touche
En dehors du baiser de ton corps frémissant !

Mais il faut maintenant délacer notre étreinte
Et retracer nos pas qu’un souffle a effacés.
Vois, la lune est levée et l’on entend la plainte
Lointaine des jardins que l’automne a blessés.

Fuyons le parc ancien et refermons ses portes
Sans bruit sur le passé, ses fleurs et nos regrets.
Rends aux miennes tes mains si faibles et si fortes
Pour attester l’Amour et ses espoirs secrets.

Et ne te penche plus sur l’onde des fontaines
Où le soupir des nuits fait choir les feuilles d’or.
Je craindrais d’y revoir, en ombres incertaines,
Ton visage s’éteindre ainsi que dans la mort.